Chapitre soixante-quatre
KEZAR
Le silence qui suivit l'acte de Renfri nous laissa tous à bout de souffle. Je me laissai tomber sur mes fesses, conscient que quelque chose d'incroyable et d'impossible venait de se produire.
Je sursautai quand la main de Sakhi se posa sur mon épaule. Elle glissa contre mon flanc et se mit à pleurer. Le corps d'Ergo n'existait plus.
Il était mort.
Il était définitivement mort.
Je tins ma sœur contre moi avant de vérifier les hommes dans mon dos. Tous semblaient évanouis pour l'instant. Comme si l'impact d'Ergo avait disparu.
— Il ne faut pas rester ici, haletai-je.
Mon corps était douloureux. J'avais l'esprit complètement ailleurs. Nous venions de tuer le Haut-Maître. Si des assassins se réveillaient, qu'allaient-ils faire ? Nous attaquer ? C'était fort possible et je ne voulais pas tenter cette hypothèse.
— Est-ce qu'elle va bien ? criai-je à Sekhir.
Il pivota et hocha la tête.
— Elle respire. Elle semble juste évanouie.
— Il faut partir, grognai-je.
Je me levai et redressai Sakhi qui cherchait à rester contre mon torse. Je caressai ses cheveux et posai mes mains sur ses joues pour qu'elle me regarde.
— Tu es libre, assenai-je. Tu es libre. Il est mort. Mort. Tu m'entends ? Il ne te blessera plus jamais.
Elle frémit et se remit à sangloter dans mon cou. Je la pressai contre moi et observai là où la Faille s'était trouvée plus tôt. Il n'y avait plus rien qu'une terre normale. Pas de marque. Pas de trou. Pas de cicatrices.
— Comment a-t-elle fait ça ? murmurai-je avec un regard pour Sekhir.
— Nous devons cacher les filles, rétorqua Sekhir.
— OH ! m'exclamai-je. Je te parle ! Comment a-t-elle fait ça ? Qui est-elle ?
Sekhir me jeta un coup d'œil mauvais. Soudain, il se redressa et regarda derrière moi. Je me tournai et fis glisser Sakhi dans mon dos pour la protéger. Deux assassins se réveillaient. Ils se tenaient la tête avec quelques grognements.
— Il faut filer maintenant, souffla Sekhir.
— Nous ne pouvons pas partir sans prévenir Notali, sanglota Sakhi.
— Elle s'en sortira, la rassurai-je.
Sekhir réussit à faire glisser le corps de Renfri sur ses épaules et je pris la main de Sakhi dans la mienne. Un peu tremblants et à bout de force, nous réussîmes à rejoindre l'égout par lequel nous étions arrivés. Sakhi trébucha dans l'eau, mais éventuellement, nous nous débattîmes pour arriver au bout de l'évacuation.
Je ne sus comment nous arrivâmes en vie et en un seul morceau non loin du domaine. Je crus apercevoir Baba se mettre à courir vers nous. Il criait notre prénom. Kuda fut le premier à nous atteindre. Il nous sauta dessus et Sakhi l'embrassa avec tendresse pour le presser contre nous. Je tins mon frère et ma sœur tout près. Je ne voulais plus les lâcher. Je voulais simplement leur sécurité. C'était tout ce qui comptait à mes yeux.
Baba et d'autres nous aidèrent à rentrer dans le domaine. Immédiatement, plusieurs mains nous auscultèrent tous les uns après les autres pour savoir comment nous allions. Baba était inquiet que Renfri ne se réveilla pas, mais quand je lui racontais tout ce qu'il s'était passé, il s'empressa de créer une grosse patte odorante pour la déposer sur la poitrine de Renfri. Comme si cela pouvait plus l'aider qu'un simple sommeil.
— Des gens arrivent ! cria une des jeunes Keneyfs.
Je me redressai, des bandages sur la moitié du corps. Torse nu, je me dirigeai vers Sekhir qui avait la main sur sa lance, à côté de Renfri.
— Reste-là, je gère ça, soufflai-je.
— Tu n'es pas en état pour présenter un mensonge digne de ce nom, grogna-t-il.
— Je ne compte pas mentir, rétorquai-je.
Il voulut dire quelque chose, mais je ne lui en laissai pas le temps. Je retrouvai Asome dans la cour, accompagné de plusieurs de nos amis. Avani courut vers moi et me sauta dessus, ses bras autour de mon cou. Je tapotai son dos et souris à Viraj qui semblait rassuré.
— Notali est au courant, souffla Asome. Elle prend le pouvoir au moment où nous parlons.
— Les assassins sont-ils guéris ? demandai-je.
— Tous, acquiesça Sai. Il semblerait qu'en plus de sauver Kagy, de tuer Ergo, tu es aussi soigné tout le monde.
— Ce n'est pas moi. C'est Renfri qui a soigné les infectés. Sans elle, je crois que nous n'aurions rien pu faire contre Ergo.
Asome pencha la tête sur le côté, inquiet peut-être ? Qu'une si jeune Princesse possède déjà autant de pouvoir ? Je ne pouvais qu'être d'accord avec lui. Tout ça me faisait peur, mais je ne souhaitais pas le faire savoir à tout le monde. Seulement à l'intéressée. Mais une émotion que j'avais lu dans le regard de Sekhir me faisait dire que Renfri elle-même ne savait de quoi elle était vraiment capable.
— Les assassins vont-ils attaquer Notali ?
— Les assassins sont sous mon contrôle à présent, murmura Asome. Je suis le plus fort après Ergo, n'est-ce pas ?
Je lui souris. Nous avions tous les deux plus ou moins le même niveau, mais je ne souhaitais pas prendre la tête des assassins. Pour tellement de raisons différentes que je ne rentrais même pas dans le débat.
— Alors la Guilde est à toi, soufflai-je.
— Et Notali au pouvoir, tout devrait rentrer dans l'ordre, remarqua Avani. Il faut que tu viennes au palais.
Je secouai la tête.
— Sakhi est ici, si jamais tu te poses la question, annonçai-je à Asome. Et elle restera ici autant de temps qu'elle le souhaite. Je ne permettrais pas qu'elle reste au palais contre sa volonté.
— Notali ne lui imposera jamais ça, souffla mon ami de longue date.
Quand il parlait de la Reine, j'avais tendance à voir un désir dans ses yeux. Depuis très longtemps. Et si Asome avait des sentiments pour Notali, alors il la protégerait ? Comme il l'avait si bien fait jusqu'ici. Ce n'était pas simplement une vieille connaissance ou une loyauté exacerbée. Oh non.
— Nous devons nous reposer et dormir, grognai-je. Je pense que Notali peut attendre avant de prendre ce qui lui revient de droit non ?
— Sache que nous avons libéré les assassins qui sont guéris, ajouta Asome. Et que tous les contrats sur ta tête ont été abandonnés.
— Et ceux sur celle de la Foudre et de la Princesse Dragnir ? m'enquis-je.
Asome grimaça et s'approcha de moi.
— Les contrats courent toujours, mais c'est aussi parce que la première personne à les avoir lancés ne les a pas retirés du marché. Des gens cherchent la Foudre et la Princesse Dragnir. C'est un fait. Et les rumeurs courent vite, Kezar. Il faut qu'ils partent vite.
Je déglutis et hochai la tête. Ils filèrent tous ensemble et je pus de nouveau respirer calmement. Baba nous fit avaler de la nourriture avant de tous nous mettre au lit. Sekhir semblait incapable de fermer ses yeux, donc il restait assis sur une immense chaise. Il m'observait, allongé à côté de Renfri, sans rien dire.
Je savais qu'ils allaient repartir bien plus vite que je ne le souhaitais. Je ne le savais. Néanmoins, que pouvais-je y faire ?
— Qui est-elle ? murmurai-je.
— Une princesse Dragnir, souffla Sekhir pour la cinquantième fois que je demandais.
— Tu ne me diras donc jamais la vérité.
— Seulement si tu en as vraiment besoin.
J'allais rétorquer un truc bien sec, quand Renfri cligna des yeux. Elle pivota son visage vers le mien, puis vers celui de Sekhir. Ils échangèrent un long sourire. Sereins et fiers d'eux, ils pouvaient l'être.
— Vous allez bien tous les deux ? croassa la voix rauque de Renfri.
Je me penchai pour lui verser un verre d'eau et le lui tendis. Elle en avala plusieurs gorgées d'affilée.
— Rien de casser, admis-je. Même si quelques coups ont été mieux placés que d'autres.
— Et les assassins ? s'inquiéta Renfri.
— Ils sont tous guéris, la rassura Sekhir. Jusqu'au dernier. Ils étaient tous sous l'influence d'Ergo. Au moment où tu as refermé cette faille et où nous avons tué le Haut-Maître, la corruption a cessé.
Renfri déglutit et posa sa main sur la mienne. Je lui souris avec tendresse et embrassai sa paume.
— Merci, soufflai-je. Merci d'avoir sauvé mon peuple.
— Et Sakhi ? releva la jeune femme, trop modeste.
— Elle va bien. Elle se repose dans sa chambre. Kuda n'a pas quitté son chevet.
Renfri parut émue par ses mots et accepta de manger ce qu'on lui proposa. Sekhir veilla à ce qu'elle n'ingère que le nécessaire afin qu'elle ne soit pas malade. Sekhir se mit à parler avec bienveillance à la Princesse tandis que celle-ci se nourrissait.
Je l'écoutai d'une oreille attentive. Il expliquait à Renfri que tout ce remue-ménage allait forcément attirer l'attention et qu'il fallait qu'ils partent le plus vite possible.
Je regardai mes pieds. Je ne savais comment réagir face à tout ça. Je ne pouvais pas abandonner ma famille et suivre la Foudre et la Princesse Dragnir à la recherche de... De quoi ? De dragons endormis ? Devais-je croire à toutes ces histoires ?
Et si je partais, qui s'occuperait de Kuda ? Et de Sakhi ?
Je ne pouvais pas décemment tout quitter sans réfléchir à l'état de ma famille et de tout ce que mes parents avaient construit. Et la vie serait bien plus facile avec Notali au pouvoir.
Plus d'Ergo.
Plus d'assassins.
Plus de meurtres, de chantage et d'autres sauvageries.
Tout pouvait redevenir simple.
Je regardai ma main et me rappelai brièvement cette sensation de puissance que j'avais ressentie juste avant le combat avec Ergo.
Alors c'était vrai ?
J'étais vraiment un Echo ?
Mais comment en être sûr ?
Et à quoi pouvais-je bien servir ?
Toutes ses questions.
Et j'allais perdre les seules personnes qui pouvaient y répondre si je ne faisais rien.
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