Chapitre seize


RENFRI


Des couleurs et des sons.

Qui se confondaient à la perfection. Le vert devenait l'arôme doux d'une pomme et le noir de l'obscurité, ce fruit acidulé dont je raffolais tant.

Une pulsation sous mes pieds, qui faisait vibrer mon corps et chanter mon âme. L'écho lointain d'un appel, frappant le sol, s'évaporant dans l'air glacé de la nuit. J'avançai, sachant où j'allais, mon esprit me le soufflant, mon cœur galopant à toute allure dans ma cage thoracique. L'ombre de la Forêt des Souffles et Murmures me happa plus sûrement que la nuit autour de moi.

Mes pieds me portaient et je me sentais aspirée, attirée.

Une vague pensée surgit du brouillard, me rappelant d'où je venais, me rappelant de la chaleur protectrice de Sekhir juste avant de m'endormir.

Ne crains rien tant qu'il est là.

Mon âme répondait à un écho étranger, à un cri silencieux. C'était presque comme si mon esprit tout entier s'alanguissait face à cet appel, ramollissant mes sens, me rendant tributaire d'une volonté extérieure.

J'avançai.

Et sous mes pas, des brindilles se brisaient. Une brise souleva mes cheveux, dévoilant ma nuque. Je voulais m'arrêter. Je ne voulais pas entrer sous le couvert des arbres.

Pas toute seule.

Pas toute seule.

La peur m'étreignit, trop familière ces derniers temps. Mais je ne pouvais pas ignorer le murmure.

Non, les milliers de murmures s'élevant de Naesla.

Des rumeurs, des légendes.

Peuple Dragons, y sommeilles-tu ?

Il se disait que la taille des arbres n'avait rien de naturel. Que ce qui vivait dans cette forêt devait y rester, ainsi, personne ne s'en approchait, ainsi, tout le monde rebroussait chemin.

Je ne voulais pas y aller.

RENFRIIIIII !!!

Le souffle retomba et le silence de la nuit me heurta. Je me retournai et vis Sekhir au loin, lancé à mes trousses.

Trop tard.

Les branches se mirent à bouger dans tous les sens et un le monde perdit son sens.

Plus de haut, plus de bas.

Plus rien. Je ne vis plus Sekhir. Il n'y eut plus que les arbres et le bruissement terrible d'une colère dormante.

Tout se réveillait.

Tout vibrait.

Tout hurlait.

Viens. Viens.

VIENS !

Un cerf immense apparut, bien plus grand que moi, presque autant que Sekhir.

« — Ce qui se cache dans ces bois n'est pas normal. Tu y vas et comme en Nefen, jamais tu n'en reviens. »

Les échelles ne me semblaient pas les bonnes. D'immenses troncs, de l'herbe trop haute, des buissons trop touffus.

Disproportionné.

Comme si tout était resté comme avant. Pour les Dragons.

Le Cœur de la Prison.

Le Cœur de la Terre. Et quelque part, Zharroh. Et quelque part, nous.

Le vent mugissait à mes oreilles et j'eus l'impression d'entendre des gens, de la vie.

Un appel. Un appel.

Mon appel.

Mais chaque mot d'une phrase en formait une autre l'instant d'après, dévoilant des secrets, chuchotant des mystères.

Des noms.

Des rires.

Des pleurs.

Des peurs.

Des joies.

Le vent.

Souffles

Et

Murmures.

— Ils sont Échos. Ils sont Échos. Ils sont... toi. Toi. Toi. Toi. Nous nous souvenons. Nous écoutons. Nous pleurons. Nous vivons. Nous attendons. Nous attendons, attendons, attendons, attendons...

Je tournoyai sur moi-même. De l'eau. Des feuilles dans l'air. Des animaux.

Des battements d'ailes.

Tout... tout si... exacerbé ! Je percevais les bruits dans mes veines, je goûtai l'air sur mon épiderme. Et je m'en nourrissais.

Le vent. Et les murmures.

Nous t'attendions.

Et là, tout se figea. Une feuille suspendue entre ciel et terre. Je clignai des yeux. Où... qu'est-ce que je faisais là ? La nuit avait cédé sa place aux pâles lueurs de l'aube et un ciel bleu se dévoilait au-delà des cimes.

Je me tournai, le prénom de Sekhir enflant dans ma gorge, à l'orée de mes lèvres, mais alors, je le vis, essoufflé, une main contre un tronc, reprenant son souffle. J'allais m'élancer vers lui, mais mon instinct enfla, plantant ses serres sur ma poitrine. Je saisis ma dague d'une main et fis volte-face pour me retrouver devant un homme... qui n'en était pas un. Un Elfe, avec ces longues oreilles et un regard acéré et dangereux. Comparé à ceux présents à notre cour, il paraissait bien plus barbare. Dans ses longs cheveux caramel, des plumes de toutes les couleurs, des nattes et des bijoux. Sur son visage aux traits durs, des peintures d'une teinte plus brune que rouge. Il portait une simple tunique aux couleurs de la forêt, l'y confondant presque.

Mon bras redescendit, mon corps plus prompt que moi à réagir à la non-menace face à moi. Pour autant, je ne lâchai pas ma dague jusqu'à ce que Sekhir s'avance. L'Elfe lui jeta un coup d'œil et sans un mot, nous fit signe de le suivre.

Ma dague glissa dans son fourreau et Sekhir cala son rythme au mien, comme trop souvent ces derniers temps.

— Cette forêt est pleine de magie, souffla-t-il. Il faisait nuit avant qu'on entre et là...

Un espace-temps différent du reste du Continent ? La magie agissait à sa guise après tout, nous avions juste trop tendance à l'oublier et à l'ignorer.

L'Elfe marchait d'un bon pas, ne jetant à aucun moment un coup d'œil derrière lui pour voir si nous suivions. Nous étions si bruyants comparé à lui et à sa démarche silencieuse. Il semblait à peine toucher le sol, connaissant le terrain bien mieux que nous. Le terrain, escarpé, me demandait une concentration poussée pour ne pas buter sur chaque obstacle et équilibrer mon poids pour ne pas chuter en arrière. Bientôt, les déclivités successives devinrent un véritable enfer et plus d'une fois Sekhir dû m'aider ou me tenir.

Un large rai jaune coula brillamment de la cime, éclairant un chemin qui me paraissait invisible, mais qui semblait porter les pas de l'Elfe.

Le temps semblait impossible à quantifier. Que nous marchâmes depuis des heures ou des minutes, j'aurais été incapable de le dire. Je faisais plus de bruit que toute la forêt dans son ensemble. Une autre montée. Les muscles de mes cuisses me brûlèrent et j'essuyai la sueur de mon front. Quelque part, non loin de nous, un hurlement hideux et trémulant s'éleva. Un animal ? Incapable de le dire, je dardai un regard vers Sekhir. Pas de place pour sa célérité ici et je voyais à quel point il se sentait contraint, même s'il n'en disait rien.

J'étais un fardeau plus qu'un don pour lui et ce, depuis notre fuite de Losar.

Maesuka. Son prénom s'enroula autour de ma langue et son souvenir me poigna douloureusement. Je ne pouvais pas m'empêcher de penser à ma jumelle. Ça revenait à m'empêcher de respirer. Ainsi, pour l'heure, je devais porter mon attention ailleurs. Comme sur l'horizon soudain.

La forêt laissa place à une vaste plaine faite d'arbres démesurément grands, si hauts qu'ils touchaient la voute céleste de leurs toits de bois, chaque sommet fait d'une habitation non pas grossièrement posée-là, mais bien pensée dans la continuité même de l'arbre vigoureux sur lequel elle reposait. Jamais de mes yeux je n'avais vu pareil prodige. Chaque tronc devait faire le triple d'un arbre normal, faisant de lui un épais pilier pour une habitation aussi haute. Au sol, les animaux semblaient ignorants de la vie qui se jouait juste au-dessus de leur corne et défense. Des ponts reliaient les arbres et des échelles ainsi que des escaliers permettaient de monter aussi haut qu'ils le permettaient.

Quelle sensation cela faisait-il de se trouver si près du ciel et si loin de la terre ?

Comment, en regardant la Forêt de Naesla, tout cela pouvait-il échapper aux yeux ? Quelle magie opérait donc ?

— Il faut avancer, me glissa Sekhir, cachant plus facilement sa surprise que moi après pareille découverte.

L'Elfe nous attendait au pied d'un escalier en bois s'enroulant tout autour du tronc. Il fut le premier à grimper et Sekhir me fit comprendre qu'il m'emboiterait le pas. Je crus qu'il nous faudrait des heures pour arriver en haut, mais je fus surprise de poser mes pieds sur une surface en bois courant tout autour de la demeure aux airs des plus belles bâtisses de notre Cité-Mère. La forme n'en demeurait pas moins particulière et étrange, tout en courbes, sans aucun angle droit. Incroyable. L'Elfe s'arrêta devant l'ouverture qui devait faire office d'entrée et il se glissa à l'intérieur de la pièce. Je me figeai sur le seuil, trop surprise pour penser ne serait-ce qu'à respirer.

La créature qui se tenait devant moi... il ne s'agissait ni d'un Homme, ni d'un Elfe, mais de ce dont regorgeaient les légendes, qu'elles soient criantes de vérité ou non.

Une peau d'un vert de chrome et des yeux smaragdins, son front se terminait avec deux grandes cornes ramenées en arrière, de la même couleur que son épiderme.

Ses cheveux, d'un brun profond, recouvraient de longues oreilles pointues qui pendaient vers le bas et où des feuilles pendouillaient, pareilles à des boucles.

Des branches semblaient sortir de son épaisse chevelure et un oiseau vint même s'y nicher un instant, le temps pour lui de nettoyer ses plumes. Son regard, infiniment triste, s'emplit d'un vif éclat lorsque ses yeux croisèrent les miens.

Ma bouche s'ouvrit, mais aucun son n'en sortit.

— Je suis Zexrandra, de la Caste des Vols, dit-elle d'une voix si douce, porteuse d'un millier d'échos. Tu sais ce que je suis, n'est-ce pas, princesse Renfri ?

Je hochai la tête, trop subjuguée pour parler, pour penser, pour respirer ! Là, sous mes yeux... là, juste là...

— Vous êtes un Dragon.

Son sourire se fit si triste, tellement que ça m'étreignit le cœur.

— Je l'étais, répondit-elle. Il y a longtemps maintenant. Trop longtemps. Depuis, je ne vole plus ni n'entends l'appel des miens.

Elle me tendit ses mains et je n'hésitai pas. Parce qu'il n'y avait aucune peur, aucun doute.

Rien. Juste la profonde conviction de sa bonté et de son amour.

Sekhir m'appela, mais déjà, mes doigts glissaient sur la peau de Zexrandra.

Des images éclatèrent dans mon esprit, ainsi que des sensations.

Un dragon magnifique fendant le ciel de ses longues ailes répondait à l'appel de son Envol.

Un peuple à cornes flânant parmi les Hommes et les Elfes.

Des œufs draconique.

Les Couvées. Des dragonnes veillant farouchement sur leurs petits et là-haut, tout là-haut, bien au-delà de la terre, cinq puissances hors norme.

Les Originels, venus bien après les Œufs-Vie.

Ils étaient cinq.

Et dans mon esprit, les noms abondèrent, comme s'ils avaient toujours été là, dans un coin de ma tête, attendant le bon moment pour être nommés.

Pour être cités et entendus.

Créateur-de-Néant.

Lieuse-de-Vie.

Veille-Tonnerre.

Tisse-Sort.

Gardeterre.

Leur puissance portée par les Vents, portée par le Monde.

Et puis cet éclat aveuglant, cette lumière qui brûlait tout, qui annihila les plus jeunes, les plus faibles, pour ne rien laisser, pas même des cendres.

Juste la douleur.

La perte.

Et l'agonie.

La Flamme. La Flamme.

La lumière, si vive, me fit crier et je voulus cacher mes yeux, mais tout continuait de défiler.

Les derniers Dragons, emprisonnés sous une autre forme. Perdant, au fil des siècles, leur identité.

Devenant plus mortels qu'immortels.

La perte et le silence. Le ciel au-dessus, la terre en dessous.

Plus d'ailes. Plus d'ailes.

Et le Chant du Dragon.

Le dernier. L'ultime ?

Je traversai les époques et les âges. Je vis grandir Naesla, je ressentis leur peine et toute cette souffrance.

Chaque disparition qui amputait les autres, qui les privaient de vie. De liberté.

Plus d'ailes. Et puis il y eut le Réveil du Chagrin. La dernière fois qu'un Originel fut aperçu dans les Cieux, avant que plus jamais, plus jamais, il n'y eut un seul Dragon.

Mes genoux heurtèrent le sol et je sentis les larmes sur mes joues. J'avais pris toute cette douleur en moi, la faisant mienne. Et mon cœur... mon cœur j'avais l'impression qu'il allait s'ouvrir en deux. Et que rien n'endiguerait le flot de sang.

— Tu es née pour soigner notre monde. Il y a dix-neuf années, le dernier Œuf draconique a été donné aux Hommes pour pouvoir un jour lutter contre le Réveil de Gardeterre. Et en même temps que son éclosion, la Cicatrice a fendu notre Terre, se déployant comme le pire des maux. Les fractures se répandent et éclatent, elles s'ouvrent et déversent l'engeance du Cœur de la Prison.

Mes doigts s'enfonçant au niveau de mon cœur, là où la douleur s'épanouissait.

— Quelque part aux confins du Continent, se trouve le seul Dragon capable de mettre un terme au lent déclin des Hommes, des Elfes et des Dragons encore en vie. Tu es la seule à pouvoir le trouver et à pouvoir l'investir de cette quête. Mais pour ce faire, tu ne devras pas être seule.

Je connaissais l'histoire de Gardeterre ; cet Originel qui s'était retourné contre les siens après avoir été perverti par le Cœur de la Prison.

Zexrandra s'accroupit devant moi. Elle vivait depuis des siècles, si ce n'est des millénaires, consciente qu'elle ne volerait plus, qu'elle ne verrait plus la beauté du ciel. Consciente qu'elle était en train de mourir.

— Trouve les Échos. 

**

Les Échos ma gueule 😜😜😜😎

Quoi de prévu ce week-end pour vouuuus ? ❤️

Plein de bisous 😁

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