Chapitre quarante-sept
SWAIN
Je déposai mon arme et en pris une plus petite, moins voyante. Si je voulais passer inaperçu pendant ma petite escapade, je devais au moins avoir l'air inoffensif. Même si je ne savais pas trop à quoi ça pouvait correspondre en ce qui me concernait. Peut-être que je ressemblais juste à une grosse brute la plupart du temps. J'avais troqué mon armure pour quelque chose de plus léger. Sûrement une tenue de villageois. Je nouai la ceinture autour de mes hanches. Je glissai un dernier couteau dans ma botte et satisfait, me redressai.
— Tu comptais aller quelque part, Champion ? maugréa la voix de la Reine.
Je pivotai pour voir Maesuka à l'entrée de ma chambre. Mes affaires étaient étalées devant moi et je ne portai qu'un habit de fermier. Elle se doutait très bien que j'allais décamper.
— Une mission de reconnaissance, admis-je. Vous restez ici en sécurité avec les gardes.
Je m'approchai de la sortie et elle mit son bras en travers pour m'arrêter dans ma lancée. Je pris une longue inspiration.
— Je n'ai pas à vous demander la permission pour aller faire un petit tour un peu plus loin que les frontières.
Je glissai mon doigt sous son bras et le levai. Elle agrippa la lanière en travers de mon corps et me fit tourner sur un pied. Son nez frôla le mien.
— Je ne compte pas rester assise ici à te regarder faire, grogna-t-elle. Emmène-moi.
Je restai un instant figé, avant d'éclater d'un rire sec.
— Non, grognai-je.
Elle leva les yeux au ciel.
— Je suis ta Reine. Je donne les ordres.
Je ricanai et elle fit la moue. Je l'observai un instant. Son visage propre et maquillé d'une belle poudre blanche. Son odeur qui sentait la fleur d'oranger et ce qui se rapprochait du lilas. Une combinaison qui respirait la richesse. Ses ongles bien coupés, sa peau sans saleté et qui ne portait pas les marques d'un dur labeur. Ses cheveux soyeux et brillants sur ses épaules. Sa robe qui laissait paraître un ouvrage presque parfait.
— Quoi ?
Je la dévisageai depuis plusieurs secondes déjà.
— Ce serait compliqué de te fondre dans le décor, admis-je. Tu sens la richesse et la royauté à plein nez. Je n'ai pas besoin de ça.
— Si tu penses que tu passes inaperçu, tu risques de ne pas me ramener beaucoup d'informations. Laisse-moi un peu de temps et je passerais plus inaperçu que toi.
— Je n'emporte pas d'armes dignes de protéger une reine, grognai-je. Alors tu vas rester ici, mettre ses jolies fesses à l'abri et attendre que je revienne pour te donner ce dont tu as besoin.
Je grimaçai à la fin de ma phrase et Maesuka ricana à son tour. Elle se mit à marcher vers ses propres quartiers et me rappela de l'attendre. Je me fis la réflexion que pour embarquer la Reine d'Astalos de façon sereine hors du périmètre de sécurité que je formais autour d'elle avec mes hommes, j'allais forcément devoir les duper eux. Sinon, personne ne nous laisserait partir.
Si Layre apprenait ça, il me trancherait la tête lui-même. Tout comme Sekhir à vrai dire. Mais aucun d'eux ne se trouvait ici en ce moment même. Je retournai dans ma chambre pour récupérer une ou deux armes supplémentaires. On ne savait jamais ce qui pouvait se produire.
Quand Maesuka revint, elle fut presque méconnaissable. Elle portait une robe bien trop abîmée pour lui appartenir, ainsi qu'un caleçon épais sur les jambes. Du cuir. Comme les fermières qui devaient grimper souvent sur des chevaux et ne pas se faire mal aux cuisses. Les fermiers en avaient aussi bien sûr, mais il y avait quelque chose d'assez intriguant à voir des cuisses de femmes dans ce genre de vêtements, car la plupart du temps leurs jambes étaient cachées sous des jupons et des robes. Les cheveux pourtant blonds et soyeux et de la Reine étaient bien plus foncés et en un peu en désordre. Il ne restait plus une seule boucle bien formée. Elle avait même laissé quelques traces de terre sur son visage. Elle me montra une petite dague qu'elle glissa derrière sa botte droite.
— Attendons l'aurore, grognai-je, vaincu.
Nous échappâmes à la surveillance de mes gardes, ce qui m'agaça autant que ça me rassura, car au moins, nous étions discrets. J'avais prévenu seulement deux de mes gardes de surveiller l'entrée de nos quartiers pour dire que nous étions souffrants et que nous sortirions le lendemain. Je prévoyais de rester une journée et une nuit entière dans le village de Draj'odn. Le soleil était déjà haut dans le ciel et la chaleur insupportable quand on trouva enfin un premier coin d'ombre. Un groupe de personnes voyageaient elles aussi. Maesuka glissa de notre cheval et je tirai un peu plus sur sa capuche. Il avait beau faire chaud, nous devions nous protéger du soleil. Je lui tendis la gourde et elle but au goulot avec empressement.
— Il y a encore beaucoup de routes ? souffla-t-elle.
Je vis un homme se redresser du groupe et reconnus très vite sa tenue. C'était un prêtre de l'ordre Raktu. Si je me souvenais de mes leçons, à la base, ces prêtres n'avaient rien de mauvais. Du moins, ils n'attaquaient aucune ferme, puisque leur simple mission était de guider les personnes perdues dans le désert. Maesuka le vit et pivota à demi vers moi pour cacher son visage.
— Bonjour étrangers. Vous avez dû faire une longue route, nous salua le prêtre dans une langue commune un peu hésitante.
— Salutation, soufflai-je. Nous avons encore du chemin.
— Laissez-moi vous donner cette nourriture. Où vous rendez-vous ? Puis-je vous montrer le chemin ?
— Nous savons où nous allons, Prêtre, dis-je. Merci à vous. Y a-t-il des endroits à éviter ?
Le Prêtre s'empressa de nous expliquer tous les endroits qu'il fallait contourner. Il me montra même sur une carte le chemin le plus court pour aller aux trois prochaines villes. Il évitait ainsi de me demander ma destination, avec tous les renseignements nécessaires. Nous le remerciâmes et nous reprîmes la route. Nous arrivâmes au village de Draj'odn avec nos estomacs vides et en demande. Nous n'étions pas encore à même les montagnes, mais le paysage commençait à se fermer au Nord pour laisser place à la gigantesque chaîne de géants de terre, les montagnes d'Aragod.
Maesuka se réfugia dans une auberge qui me semblait être un bon point de passage. Ce qui voulait dire des renseignements. Je m'étirai et m'installa dos à un mur et la sortie en vue. Maesuka le comprit rapidement et me laissa faire.
— Tu penses entendre des choses ici ? remarqua ma Reine.
Je fis la moue.
— Doutes-tu de mes capacités ? Ou te plains-tu du cadre de notre mission ?
— Un peu des deux, avoua-t-elle.
L'aubergiste vint nous servir deux gros plats de nourriture et nous nous jetâmes dessus en silence. Mon regard se posait régulièrement sur différentes personnes. J'espérais repérer le genre d'éléments que nous cherchions à trouver comme des Prêtres de l'Ordre de Raktu, mais aussi peut-être même des espions, ou des émissaires d'ailleurs.
Maesuka se redressa quand deux hommes entrèrent dans l'auberge avec un accent très fort d'Israkt. Bien plus que nous n'avions entendu jusque-là. Je les lui décrivis rapidement entre deux bouchées de viande et elle hocha la tête.
— Je pense qu'ils parlent de ça, admis-je.
— Tu lis sur les lèvres ?
— Un peu.
Elle leva les yeux au ciel et marmonna « allons bon ». Je ne relevai pas et me concentrai sur la conversation entre les deux hommes. Ils venaient d'une ville un peu plus au Nord. Donc, ils devaient côtoyer des membres de l'Ordre de Raktu. Les plus éminents se cachaient dans les temples des montagnes pour n'être jamais vu, attaqué ou tué.
— Ils parlent de Kagy, marmonnai-je.
Maesuka haussa un sourcil et m'observa. Elle attendait la suite. Heureusement pour moi, les deux hommes une fois servis s'installèrent non loin de notre table. Nous tendîmes l'oreille discrètement.
— Non, ils ont dit que l'émissaire aurait dû parler avec le Derkhsa.
— Il n'est jamais arrivé en tout cas, ricana l'autre.
Maesuka fronça les sourcils.
— On dit qu'il a été attrapé par l'Ordre. Pourquoi ? Voilà la grande question. Mais le Derkhsa n'a pas réagi à tout ça. On dit qu'il ne fait rien comme il devrait le faire.
Leur conversation glissa doucement sur la valeur du Derkhsa au pouvoir. Le roi d'Israkt. Je posai mon regard sur Maesuka. Elle semblait pensive.
— Pourquoi un émissaire de KAgy serait intercepté par l'Ordre ? murmura-t-elle.
— Tout le monde sait que l'Ordre essaye de trouver d'autres forces pour une guerre contre Astalos, remarquai-je. Je ne pensais pas qu'ils en étaient au point de kidnapper des émissaires.
— Tout ça n'a aucun sens, grogna Maesuka. Si l'Ordre cherchait des hommes pour mener une guerre, il ne faudrait pas regarder vers Kagy.
Je hochai la tête.
— Ce ne sont que des informations de seconde main, faisons attention à leur donner de la valeur ou non, chuchotai-je, le nez dans mon broc.
Maesuka soupira, mais écouta la fin de la conversation des deux hommes. Ils repartirent pour prendre la route vers le nord, vers leur Cité-Mère. Je poussai Maesuka à rester assise pour essaye d'avoir d'autres indices. Effectivement, il y avait bien un émissaire de Kagy qui avait été intercepté par les forces de l'Ordre de Raktu. Tué ou pas, je n'avais pas réussi à avoir cette information. Quand la nuit commença à tomber, je payais l'aubergiste pour une chambre. Maesuka regarda le lit qui était sommaire et petit.
— Dormez, dis-je. Vous aurez besoin de force pour la route de demain matin. Nous partirons tôt.
— Déjà ? souffla-t-elle.
— Gharma pense que vous êtes souffrante dans votre chambre, votre Majesté. Ne le faisons pas trop patienter ou il pourrait croire à un soulèvement.
Elle leva les yeux au ciel, mais commença à se débarrasser de ses couches de vêtements. Je m'installai contre un mur, la fenêtre et la porte bien en vue. Je ne voulais pas me faire avoir ici, avec la Reine d'Astalos et seulement quelques armes pour nous défendre d'une quelconque attaque.
— Israkt a toujours fomenté pour attaquer Astalos.
— Pas depuis la nouvelle nomination de son dernier Derkhsa, remarquai-je. Du moins, il n'y a pas eu d'hostilité vraisemblable à une annonce de guerre.
Maesuka retira les cuissardes qu'elle portait et je vis quelques traces rouges sur ses cuisses. Un peu de frottement. Elle ne s'en plaignit pas et secoua simplement ses cheveux avant de se laisser glisser sur le lit. Elle roula sur le côté pour me regarder.
— Tu vas dormir ? me demanda-t-elle.
— Pas vraiment. Si mes supérieurs savaient ce que je fais aujourd'hui, ils auraient ma tête. Alors, je vais veiller sur vous cette nuit, ma Reine.
— Tu es un Général maintenant, hormis moi, et les autres Généraux, personne ne se trouve au-dessus de toi.
Je savais qu'elle le pensait sincèrement. Mais ça ne fonctionnait pas comme ça dans les Clans. Je devais rendre des comptes à certaines personnes et j'en étais très conscient en ce moment. Même si elle restait la figure de pouvoir, Maesuka ne représentait pas mon père, ou mes frères, ou mon ancien Général. Elle était hors de cette sphère et peut-être que ça lui porterait préjudice un jour. Ce n'était pas parce qu'elle était une femme en revanche, c'était simplement parce qu'elle n'était pas née dans la tribu.
— Cet émissaire, je me demande ce qu'il transportait comme message, marmonna-t-elle, son regard tourné vers le plafond.
— Si on y réfléchit bien, les attaques contre Astalos sont là pour semer le doute, repris-je.
Je défis quelques couches de vêtements moi aussi, mais gardai toutes mes armes à côté de moi.
— On veut nous faire croire que la guerre viendrait d'Israkt, mais c'est faux, enchaîna Maesuka. Pourquoi nous faire croire ça ?
— Pour que vous attaquiez en premier, supposai-je.
Elle continua de réfléchir à voix haute jusqu'à être trop épuisée pour faire plus. Avec cette information, nous devions être prudents, mais c'était la preuve que la communication entre Kagy et Israkt était ouverte.
Sur quel sujet ?
Peut-être la guerre. Peut-être une alliance.
Nous n'en apprendrions pas plus si nous restions si bas dans les montagnes. Il nous fallait grimper plus haut, mais je ne pouvais pas le faire avec Maesuka à surveiller.
Sa place n'était pas ici dans son lit inconfortable, les cuisses contre un drap dégarni et ses cheveux sales emmêlés.
Je pris une longue inspiration et tentai de calmer mon anxiété. Je ne pouvais pas commencer à réfléchir de la sorte. Maesuka était bien plus intelligente qu'elle ne le laissait paraître. Elle prendrait en main Astalos bien plus vite que tous ses ennemis pouvaient l'espérer.
Personne ne comprenait encore la stratège qui était arrivée au pouvoir.
Sekhir le savait-il ? S'en doutait-il ?
Je soupirai et veillai sur le sommeil de ma Reine le reste de la nuit.
Nous retournerions à l'aube chez nous.
Avec sûrement plus de questionnements que de réponses à ce stade.
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