Chapitre quarante-quatre

KEZAR

Le repaire de la Guilde n'avait jamais été mon endroit préféré à Gylf. Ça sentait mauvais, la plupart du temps, c'était froid, car coincé sous terre, non loin du palais. Évidemment qu'Ergo nous surveillait, après tout, nous étions ses serviteurs. Néanmoins, il ne se rendait pas compte qu'il perdait son autorité sur nous. Il pouvait continuer à croire qu'il nous tenait par la peur, c'était vrai. Mais beaucoup des Assassins voulaient aller faire du profit ailleurs. Ici, il ne restait plus que les pauvres à voler. Les étrangers venaient rarement justement à cause de la réputation de la Guilde. Et même si Ergo se complaisait dans le fait d'avoir une bande de tueurs sous sa main, il détestait plus que tout nous envoyer loin de lui pour d'autres missions.

Les chuchotements de certains Assassins coururent au sein du repaire et me firent gigoter sur mon estrade. Asome se tenait à côté de moi à la demande d'Ergo. Nous devions nous trouver devant tout le monde pour tenir les idiots qui n'en faisaient qu'à leur tête. Ce n'était pas ma mission préférée, mais quand Ergo vous demandait quelque chose, vous aviez tendance à suivre. Je tirai ma capuche avec un peu plus de vigueur et remis en place discrètement le tissu qui cachait mes cheveux en dessous. J'aurais dû demander à Baba de me les couper.

— Tu crois vraiment que c'est une bonne annonce ? murmura Avani non loin de moi.

Je fis la moue.

— Non, grognai-je. Et je suis sûr qu'il y a une très bonne raison pour laquelle mon cul se trouve devant tous ceux des autres.

— Tu crois qu'il sait ? chuchota Asome.

Il observait les autres d'un œil critique. Je savais que la récompense posée sur la tête de la Kyga-Ne l'inquiétait, tout comme cela me donnait quelques frissons pour ma sœur. J'aurais dû la sortir de là plus tôt. J'aurais dû réfléchir à un moyen plutôt que de me soucier de Renfri et de ce qu'elle ressentait. Je secouai la tête, perturbée par mes pensées qui dérivaient régulièrement vers elle en ce moment. Ce n'était pas le moment d'avoir l'esprit ailleurs.

— Il devrait déjà être là, remarqua Viraj.

Il se pencha vers Asome et lui pointa l'entrée par là où apparaissait en général Ergo. Complètement vide à l'heure actuelle.

— Je ne pense qu'il se doute, admis-je après un coup d'œil à Asome.

— Si c'est le cas, tu dois partir, s'agaça Viraj. Tu te mets trop à découvert, Kanje. Ce n'est pas le moment de jouer au héros.

— Il ne peut pas partir pour l'instant, souffla Asome. Calme-toi. Si Ergo savait qui il était, il aurait déjà débarqué au domaine. Restons maîtres de nos émotions jusqu'à nouvel ordre.

Un murmure traversa la foule et je pivotai pour voir enfin Ergo apparaître. Deux hommes le suivaient. Des Assassins de la Guilde. Je les connaissais. Ils étaient tout aussi mortels qu'Asome. Ils mourraient bientôt dans l'arène pour qu'Ergo n'ait jamais à se battre contre eux.

Parce qu'il voulait rester le plus fort d'entre nous.

— Assassins ! s'exclama le Haut-Maître.

Un silence s'installa lentement sur le repaire. Chaque homme et femme présents pivotèrent pour observer celui qui se trouvait au pouvoir ici. Celui qui pouvait ruiner des vies entières, sans une seule once de regret.

Je devais le tuer.

Je devais le tuer.

Asome posa sa main sur mon épaule et je repris ma respiration. Mes poings se desserrèrent.

— Calme-toi, articula-t-il.

Je pris une longue inspiration et hocha la tête. La colère qui m'habitait ne cessait de prendre en ampleur. Que se passerait-il une fois que je ne la contrôlerais plus ? Une fois qu'Ergo aurait fait une chose tout aussi innommable que tuer mes parents et voler ma sœur ?

Je fermai les yeux. Je ne voulais pas exploser maintenant, mais ça devenait dur. Au fil des jours.

— J'ai appris de source sûre cette fois-ci que La Foudre et la Princesse Dragnir se trouvent ici, à Gylf. Depuis quelques semaines déjà. L'attaque contre la Guilde aurait été de leur fait.

— Nous le savions déjà non ? remarqua Viraj.

Je haussai mes épaules. Il voulait l'annoncer comme si c'était lui qui tenait les rênes et je ne pouvais lui en vouloir. Prendre un semblant de pouvoir sur la situation me semblait être le moins violent qu'il pouvait faire.

— Imaginez-vous, assassins, posséder la Princesse Dragnir. Nous ne ferions qu'une seule bouchée de la femme qui s'est proclamée Reine d'Astalos. Aussi faible que son père ! cracha-t-il.

Asome me jeta un coup d'œil. Ergo tenait toujours son plan sur le fait de renverser Astalos et de prendre le dessus sur une des plus grosses forces militaires du continent. Évidemment. Il visait ça. D'où sa volonté d'attraper Renfri. Je ne voulais même pas imaginer ce qu'il ferait d'elle s'il l'avait sous la main. Je frémis. L'inquiétude pour Renfri me paralysait presque parfois, comme si une force unique m'attirait vers elle et me poussait à la protéger comme si elle était un membre de ma famille.

Je n'étais pas sûr que la nouvelle Reine d'Astalos soit si faible qu'il le pensait. Pour lui, les femmes n'avaient rien à faire au pouvoir hormis pour parader. La Kyga-Ne avait réussi à récupérer certaines fonctions, mais je ne me rendais pas compte jusqu'où elle pouvait aller sans risquer sa vie, celles des autres femmes d'Ergo et celle du peuple.

— Nous devons trouver ces deux idiots et surtout, nous devons utiliser la troisième personne avec eux. Qui doit forcément être d'ici pour les aider à se cacher.

Asome se crispa. Le regard d'Ergo venait de glisser sur nous, de façon bien trop rapide pour que je devine ce qu'il pensait. Tout ça devenait bien plus dangereux que prévu non ?

— Si vous trouvez ce troisième ennemi, alors les deux autres seront à portée de mains. Trouvez-les et vous aurez une récompense !

J'eus l'impression que tous les Assassins venaient de faire trois pas en avant pour se rapprocher de la bouche qui déversait des inepties. Une récompense ? De quoi parlait-il ?

Mon cœur se serra quand je posais mon regard sur Ergo. Ses muscles saillaient, preuve physique qu'il pouvait écraser le crâne d'une personne d'une seule main et d'un seul coup.

Je déglutis.

— Vous avez bien entendu, mes Assassins. Je vous offre une faveur, moi, Haut-Maître, ajouta-t-il, fier de son effet.

Asome grogna et se frotta le visage discrètement. Tout le monde allait s'attaquer les uns les autres pour récupérer la faveur.

— Vous savez que je ne dispense pas sans une bonne raison, continua le Haut-Maître. La faveur que je vous offre n'a aucune limite. Vous pourriez même sauver un condamné à mort.

Lentement, son visage pivota vers moi avec un sourire mauvais.

— Ou même, sauvez une sœur, qui sait ? Même la libérer ! Si vous m'offrez la tête de la Princesse ainsi que son garde du corps à mes pieds !

J'avais cessé de respirer.

Mon corps tout entier s'engourdit.

Que venait-il de dire ?

Que venait-il de sous-entendre ?

Que si je lui donnais Renfri, alors je pourrais récupérer Sakhi ?

— Kanje, souffla Asome.

Je secouai la tête pour le faire taire.

— Laissez-moi vous rappeler une règle qui ne semble pas être très bien suivie en ce moment. Vous ne pouvez vous tuer que sous mes yeux à moi seul. L'arène est le seul endroit où votre mort est acceptée et acceptable. Retenez bien cette règle, ou je me chargerais moi-même de vous la faire respecter.

Des cris s'élevèrent, mais déjà Ergo disparaissait dans son couloir. Je devais sortir d'ici.

Je devais respirer.

Je devais...

Je repoussai la main d'Asome et bousculai Viraj pour me diriger vers la sortie du repaire.

Je titubai jusqu'à reprendre mon air. Sneezy vint voler contre mon visage et se pressa contre ma joue. Il sentait mon trouble. Je le serrai contre moi avant de me mettre à courir. J'entendis Asome tenter de m'appeler et de me retenir, mais je continuais ma route. Sneezy me suivit de près et m'aida même à passer une muraille du palais.

J'atterris souplement sur l'herbe douce des jardins.

C'était interdit de venir ici, mais il fallait que je voie Sakhi.

Sneezy émit un petit bruit et je me cachai quand deux gardes passèrent non loin de nous.

Je regardai mes mains un instant et fermai les yeux.

Je pris une longue inspiration et soudain, mes pieds furent avalés. Sneezy s'accrocha à mes cheveux.

Je me retrouvai sur le balcon des quartiers des femmes.

Je titubai un peu, toujours surpris de pouvoir faire ça. Je ne savais pas comment vraiment le contrôler, mais ça aidait de pouvoir aller d'un endroit à un autre de cette façon.

Je me secouai et Sneezy éternua. Nous nous fîmes silencieux, puis j'aperçus une ombre s'approcher.

Je me redressai quand Sakhi apparut, vêtu d'une longue robe en soie. Elle ne portait aucun bijou, ses cheveux glissaient sur ses épaules.

Son regard s'écarquilla quand il se posa sur moi.

Elle se mit à courir et se jeta sur moi.

Elle me reconnaissait, même sous cet accoutrement. Difficile de faire autrement entre les membres d'une fratrie. Et de toute façon, elle savait ce que je faisais pour la libérer.

Elle se pressa contre moi, son souffle court dans mon oreille.

— Que fais-tu ici ? Tu dois partir, tu ne peux rester ici. Si quelqu'un te trouve...

Je posai un doigt sur sa bouche et observai rapidement notre environnement. Je nous tirai vers un endroit moins visible des yeux d'autres personnes et nous cachai derrière un immense palmier qui prenait vie dans un gros vase de terre.

— Que se passe-t-il, Ke... Kanje ? murmura-t-elle.

Elle se reprit aux derniers moments et regarda encore une fois autour d'elle. Elle pourrait être punie pour ma présence ici. Je caressai son visage. Il n'y avait aucune marque de coups cette fois-ci. Ses grands yeux marron m'observaient avec inquiétude et amour. Nous avions la même bouche pulpeuse que ma mère et le même nez. Elle plaça ses mains autour de mon visage, puis sur mes joues, son pouce contre mon nez.

— Parle-moi, ordonna-t-elle.

— Ergo offre une faveur à celui qui lui livre la Princesse Dragnir, murmurai-je.

Le visage de Sakhi exprima un bref instant de la surprise.

— Qu'est-ce que tu racontes ?

— Tu as dû entendre la Kyga-Ne en parler, murmurai-je. Ergo chercher la Foudre et la Princesse Dragnir.

Elle retira ses mains de mon visage.

— J'espère pour eux qu'ils sont bien cachés, car quand il les trouvera, il ne les gardera pas en vie, souffla Sakhi.

— Et si je te disais que je l'avais ? chuchotai-je. Si je te disais que j'avais la princesse et que je pouvais avoir cette faveur. Que je pouvais te libérer si je lui livrais la Princesse Dragnir.

Sakhi se mordit la lèvre avant de soupirer. Elle repoussa sa longue chevelure dans son dos et fouilla mon regard pendant plusieurs secondes.

— Je ne veux pas que quelqu'un soit sacrifié pour moi, mon frère, tu le sais, souffla-t-elle. Personne ne devrait être échangé. Tout le monde devrait être libre de ce qu'il ou elle souhaite faire. Tu le sais n'est-ce pas ?

Je déglutis et me frottai les cheveux.

— Ne tue personne pour moi, Kanje. Hormis celui qui me retient, ordonna Sakhi.

— Tu es en danger, arguai-je. Il faut que je te sorte de là.

— Pour voir le domaine réduit en cendres demain ? Bien sûr que non, rétorqua ma sœur. Il saurait immédiatement qui m'a délivrée. Tu crois que je reste ici parce qu'il me retient ? Les portes sont ouvertes pour nous, Kez. Nous pouvons aller dehors. Seulement, nous savons qu'il tuera nos familles si nous partons. Alors nous choisissons de rester. Pour vous protéger.

— Je ne veux plus que tu fasses ce sacrifice pour nous, sifflai-je.

Elle secoua la tête et fit plusieurs pas en arrière.

— Pars. Ne reviens pas. C'est dangereux, insista-t-elle. Protège notre famille.

Je voulus la retenir, mais elle disparut à l'intérieur.

Sneezy réussit à me faire sortir du palais et je me retrouvai le cul par terre, de l'autre côté d'une des murailles du Nord. Pas forcément le meilleur endroit pour rentrer, mais je n'allais pas me plaindre.

Quelques soleils plus tard, je regardai Kuda et Renfri tenter de nettoyer une teinture à coup de bâton quand la main d'Asome se referma sur mon épaule.

— Tu as été voir Sakhi, souffla-t-il.

Je détournai mon regard. Je n'étais pas sorti du domaine depuis cette nuit-là. Tout comme je n'avais pas quitté Renfri des yeux. Tous les jours, dès que je la voyais, je me posais cette ultime question. Étais-je prêt à la sacrifier pour ma sœur ? Pour ma famille ? Cela ne tuerait pas Ergo.

Et soyons honnêtes, moi ? Donner Renfri à Ergo ? Après tout ce que j'avais fait pour la protéger, elle et la Foudre ?

Conneries.

— C'était osé, admit-il.

Il pencha la tête pour voir Renfri presque rebondir le long de son bâton quand elle tapa une nouvelle fois sur le tapis épais. Il sourit avant de me jeter un coup d'œil.

— Tu y as pensé, n'est-ce pas ?

De nouveau, gêné par mes propres réflexions, je détournai le visage de son jugement. Oui, j'y avais pensé. Mais je n'étais pas passé à l'acte et je ne le ferais pas.

J'étais conscient que pour régler le problème de ma sœur une bonne fois pour toutes, je devais éliminer Ergo.

Et pour ça, peut être que l'aide de la Foudre et d'une jeune princesse pleine de pouvoir serait fort utile.

— C'est normal, je veux dire, d'y avoir pensé, ajouta Asome. Je suis sûre que les autres l'ont fait aussi.

Je grognai contre lui et il rit.

— Ne t'inquiète pas, ils ne feront rien. Ils te sont trop dévoués pour ça, ce qui m'agace un peu à vrai dire. Tu ne fais pas grand-chose pour qu'on t'aime en ce moment.

Je lui frappai l'épaule et il frotta mes cheveux d'argent avant de me relâcher pour être un peu plus sérieux.

— Même si je le voulais, je n'arriverais pas à la donner à Ergo, soufflai-je.

— Tu tombes amoureux ? se moqua Asome.

Je haussai mes épaules.

— Ce n'est pas ça. Je ne crois pas.

Le rire de Renfri éclata et immédiatement, mon attention dériva sur elle.

Non, je n'étais pas amoureux. Mais il y avait quelque chose qui fourmillait en moi à son contact.

Et je ne pouvais plus le nier.

— Sinon j'ai une mauvaise nouvelle, m'annonça Asome.

Je grognai une nouvelle fois.

— Quelqu'un parle de t'envoyer dans l'arène.

Je me redressai et observai mon ami avec une crainte qui me fouaillait les entrailles.

— Il se peut que tu sois le prochain, Kez.

L'heure de vérité allait sonner plus vite que prévu. 

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