Chapitre quarante-neuf
KEZAR
Je me rassis lentement quand Ergo retourna s'installer. Je me forçai à ne surtout pas regarder dans la direction de Renfri. Je voyais son bras rouge et je voyais ma marque dessus. Je serais puni pour ça par le Foudre et j'en avais terriblement conscience en ce moment.
Je savais aussi que cette marque venait de sauver la vie de Renfri. Tout simplement, Ergo ne penserait jamais qu'une Princesse aurait pu se faire marquer au fer rouge par un Menadas de Kagy. Et pour ça, il ne se doutait pas de sa vraie identité. Comme j'espérais que Baba était bien caché avec Sekhir. Personne ne connaissait les souterrains. Pas même ma sœur. Kuda était tombé dedans malencontreusement il y a quelques solstices déjà et nous avions promis de ne rien dire. Baba voulait que tout cela reste secret. Pour ce genre de situation. Ou si nous devions cacher les nôtres parce qu'Ergo débarquait chez nous sans prévenir.
Il savait qui j'étais.
Il savait ce que je représentais.
Il connaissait ma place en tant qu'Assassin de la Guilde.
Alors, il savait aussi que je n'étais pas malade.
Mais il ne pourrait pas me tuer, car j'étais apprécié des autres Menadas de Gylf. Notre Cité-Mère ne comptait pas que ma personne en tant que riche commerçant. D'autres vivaient ici aussi. Tous partiraient si jamais Ergo commençait à nous tuer dans les uns après les autres.
— Seulement des marchandises ? releva Ergo.
Je clignai des yeux pour détacher mon regard de Sakhi. Elle tremblait aux pieds du Haut-Maître. Je déglutis et secouai la tête.
— Pas de passages de clandestins ? D'étrangers ?
— Non, Haut-Maître. Seulement de la vente auprès de riches étrangers originaires d'Astalos.
Il continua de m'observer. Non content d'être dans ma demeure à cette heure-ci, il réclama qu'on lui serve un repas avant de partir. C'était le minimum à faire pour la seigneurie qu'il était. Notali voulut le convaincre, mais il lui lança un regard qui l'empêcha d'en dire plus. Je fis signe à mes gens de s'activer pour nous amener de la nourriture. Ipsa embarqua Renfri qui semblait un peu malade, sûrement dû à la brûlure de sa marque.
— Les affaires sont quelque peu compliquées ces derniers temps, Haut-Maître, soufflai-je. La route de commerce que vous aviez ouverte n'est plus aussi empruntée qu'avant. D'où mon besoin d'aller vendre à d'autres.
— Comment peux-tu être dans le besoin alors que tu fournis la Kyga-Ne et les Kygas-Daki, Menadas ?
— J'ai beaucoup de Keneyfs à nourrir, Haut-Maître, insistai-je.
Je fis une rapide prière pour que personne n'envoie Renfri servir ici. Ipsa fut celle qui déposa plusieurs plats. Kuda ne bougeait toujours pas à mes côtés. Je le féliciterais plus tard de ne pas avoir vomi.
— Divise les rations par deux et tu verras, tu t'en sortiras très bien. Je veux que ton commerce ne profite qu'à Gylf. Attention à toi, c'est le dernier avertissement que je te fais.
Puis, il se mit à manger sans un mot de plus. Les femmes ne mangèrent pas, elles se contentèrent de boire un verre d'eau derrière leur voile. Sakhi ne toucha à rien et je me demandais brièvement si nous la reverrions vivante avant de tuer Ergo.
Quand Ergo eut enfin fini de manger, il tapa dans ses mains pour que ses serviteurs se mettent à bouger. Plusieurs hommes vinrent embarquer les Kygas-Daki. Sakhi ne m'adressa aucun regard, aucun sourire. Pas même à Kuda que je dus retenir discrètement quand il voulut la rejoindre. Ergo s'approcha de nous deux et nous baissâmes la tête dans un même geste.
— Ne t'avise pas de sortir de ton domaine, Menadas, souffla-t-il. Ne travaille qu'à me payer tes taxes.
Sa main se posa sur mon épaule et tout mon corps se rebella face à ce contact. Il insista à peine sur sa prise, mais le message était clair.
— Ne t'avise pas de courir les rues, Kanje.
Je ne dis rien de plus et le laissai s'avancer vers ses serviteurs. Il pivota à demi vers Kuda.
— Je prendrais soin de votre sœur. Et si jamais vous me désobéissez, sachez qu'elle en paiera le prix. De ma propre main.
Kuda retint un frémissement. Personnellement, je fis en sorte de ne pas attraper une lance pour la lui planter dans le cœur. Il fallait qu'il parte avant que je ne me mette à hurler.
— Où est ton cher serviteur d'ailleurs ? J'aurais aimé le voir. On dit qu'il se balade parfois au marché, il aurait pu voir quelque chose.
J'ouvris la bouche, mais déjà l'ombre de Baba s'approchait de moi. Comment faisait-il ça ? Il resta à mes côtés pour attendre que je parle à sa place.
— Baba n'a rien vu au marché, Haut-Maître. Rien d'utile je le crains. Sa vue lui fait défaut à cause de son grand âge.
Il émit un rire rauque avant de grimper sur son siège. Il claqua des doigts et fit avancer sa caravane vers la sortie. Tous les miens se pressèrent autour de nous pour attendre la disparition d'Ergo.
Un soupir collectif résonna dans tout le domaine quand enfin nous fûmes libérés de la présence néfaste, nocive et violente de cet homme.
Kuda renifla à côté de moi et je le pris dans mes bras immédiatement.
— Elle a l'air si... morte, souffla-t-il en référence à Sakhi.
Je caressai les cheveux de mon petit frère. Je connaissais cette douleur. Cette impression de ne pouvoir rien faire pour l'aider. Cette membre de notre famille qui se retrouvait piégée malgré nous. À présent, les uns comme les autres, nous étions liés à la sécurité physique de Sakhi.
Nous étions dépendants les uns des autres tant qu'Ergo resterait en vie.
Tant qu'il aurait la main mise sur notre famille, il nous contrôlerait tous.
Comme il le souhaitait.
De la façon qu'il le souhaitait.
Je déglutis et me redressai pour observer Baba.
— Elle est dans votre chambre. Elle se repose, souffla-t-il.
— Je suis désolé de t'avoir demandé ça, murmurai-je.
— C'était l'unique façon de la protéger. Il l'aurait demandé s'il ne l'avait pas vu dans les rangs. Et le tatouage n'était pas assez pour faire d'elle une des vôtres.
Je devais aller m'excuser.
Je devais aller la voir pour lui dire que j'étais désolé.
Atrocement désolé.
Je n'imaginais même pas la réaction de Sekhir quand il apprendra que j'avais défiguré à vie Renfri.
Je relâchai lentement Kuda et redressai son visage vers le mien.
— Rien de tout ça n'est de ta faute, tu entends ? soufflai-je. Ni de la mienne. C'est la faute d'Ergo. Nous ne sommes pas coupables de tels actes et nous ne nous rendrons jamais coupables de ce genre d'atrocités. Tu m'entends petit frère ?
— Il faut la sauver, souffla Kuda.
— Je sais. C'est en cours, d'accord ?
Il fronça les sourcils, mais déjà je le contournai pour me rendre dans l'immense maison qui était la nôtre. Je longeai les couloirs et abandonnai ma canne à l'entrée de la chambre.
J'ouvris lentement la parte pour trouver Renfri, le bras plongé dans de l'eau fraîche jusqu'au coude. Elle releva son regard sur moi, simplement vêtue d'une longue veste en soie nouée sur le devant. Rien qui ne touchait son bras qui serait douloureux pour les jours à venir.
Je retirai quelques vêtements pour éviter d'avoir chaud et me retrouvai avec mon haut ouvert sur mon torse et mon sarouel. Je m'approchai lentement de Renfri qui m'observa avec des yeux rougis.
— Ren, murmurai-je.
Je me laissai tomber à côté d'elle sur les genoux. Elle eut une petite moue.
— Je suis tellement désolé. Je ne savais pas comment te protéger... Je... Si tu n'avais pas été dans les rangs, il t'aurait réclamé et si tu n'avais pas eu ma marque... je...
Je me tus quand la main de Renfri frôla ma joue. Je lisais comme une douleur que je ne comprenais pas forcément dans son regard. Il y avait la souffrance physique qui était lisible sur tous ses traits crispés.
Mais il y avait autre chose.
Cette peine se liait souvent à un sacrifice.
— Ça va aller, souffla-t-elle. Tu as fait ce que tu as pu pour me protéger. Je ne peux que t'en remercier.
— S'il te plaît, non, murmurai-je, complètement anéantie de l'entendre dire ça. Tu vas porter cette marque toute ta vie et je...
— Elle me rappellera que tu as tout fait pour me protéger. C'est tout, Kezar. Rien de plus.
Je caressai son visage à mon tour avant de tendre le bras pour attraper les différents baumes qu'elle devait appliquer sur sa brûlure. Baba en avait plein parce qu'on ne cessait de se brûler ici.
Je tirai sur le bras de Renfri avec douceur pour le sortir de l'eau et elle grimaça un peu. Je l'essuyai sans toucher à la marque. À défaut d'être belle, elle était propre. Baba l'avait fait sans glisser, ce qui était plutôt une bonne chose quand on vous marquait au fer rouge. Pour avoir cautérisé deux ou trois plaies de cette façon, je savais ce qu'il en était.
— Est-ce que Kuda va bien ? Et Sakhi ? murmura Renfri.
Je déposai la soie humide sur ma jambe puis plaçai le bras de Renfri par-dessus pour qu'il reste frais. On disait qu'à l'époque des Dragons, des personnes savaient retirer le feu d'une blessure. L'infection qui brûlait. Malheureusement, je ne savais pas faire ça. Je ne pouvais pas aider Renfri au-delà de mes capacités. Je pris le premier baume qui désinfecterait la plaie. J'en pris une noisette sur mon doigt et le déposai à côté de la marque.
— Ça va te sembler froid, mais c'est surtout pour enlever les maladies qui pourraient s'attacher à ta blessure.
Elle frémit malgré la plus grande délicatesse que j'usais pour déposer le baume sur sa marque.
— Kuda n'avait jamais revu Sakhi c'est ça ? comprit Renfri.
Je hochai la tête.
— Il veut la même chose que moi maintenant, murmurai-je, conscient de ce qu'il se passait dans la tête de mon petit frère.
Renfri fronça les sourcils. Je pinçai mes lèvres avant de le lui avouer.
— Tuer Ergo et libérer Sakhi.
— Oh, souffla la princesse.
— Je ne veux pas inciter mon frère à devenir violent.
— C'est une bonne chose, admit-elle.
— Alors je le ferais à sa place. Comme ça, il n'aura pas à sacrifier cette partie de lui.
Renfri agrippa mon poignet et nos nez se frôlèrent quand elle se pencha vers moi.
— Kezar, tu n'es pas obligé de faire ça seul.
Je restai figé devant cette phrase.
Bien sûr que je devais le faire seul.
Bien sûr que je ne pouvais compter que sur moi-même.
— Je te l'ai promis, soufflai-je, je ne te mettrais plus en danger.
Nous restâmes nez à nez pendant plusieurs secondes.
— Tu ne veux pas tuer pour moi, murmurai-je.
— Qu'est-ce que tu en sais ?
— Parce que tu n'aurais jamais dû tuer quelqu'un, Princesse.
Elle grimaça et secoua la tête.
— Il faut parfois se défendre plus qu'on ne le souhaite. Et parfois, il faut tuer pour défendre ceux qu'on protège.
— C'est une belle excuse n'est-ce pas ? chuchotai-je contre son oreille.
Elle frémit et quand je me redressai juste assez pour que nos nez se touchent de nouveau, un sentiment diffus s'enroula autour de ma cage thoracique.
Mes lèvres me picotèrent.
Je regardai la bouche de Renfri, puis ses yeux.
Ils étaient magnifiques.
Elle retint son souffle quand je me penchais vers elle un peu plus.
Mes lèvres frôlèrent les siennes. Elles étaient un peu sèches et craquelées. Comme une personne qui ne buvait pas assez pour nourrir son corps dans une contrée chaude.
Son souffle brûla ma langue quand elle soupira au contact de ma bouche contre la sienne.
Un déclic résonna en moi.
Comme un écho.
Echo.
**
Vous devez tellement nous détester de prendre notre temps sur la romance.... 🤣🤣🤣🤣🤣
J'espère que ça vous plaît quand même. Ce n'est pas notre style habituel mais on adore faire grandir leurs relations au fur et à mesure 😍❤️
Je pense que même avec la fin du confinement on va tenter de terminer les Échos avec un chapitre par jour. Il me reste une vingtaine de chapitres. Pour que vous ayez une idée 😎🤗
Prenez soin de vous. 😉
Ada et Taki.
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