Chapitre dix-sept


KEZAR

Royaume de Kagy,

Domaine de la famille Solari,

L'agitation familière du domaine me tira du lit, même si la plupart du temps, je veillais tard. Je m'étirai et allai directement dans la pièce commune pour me rincer de la transpiration de la nuit qui collait encore à ma peau. Une simple serviette autour des hanches, je marchai tranquillement, repoussant une des mèches de cheveux qui me tombaient dans les yeux. Je poussai un soupir en voyant qu'il n'y avait personne dans les bains. Je fis le nécessaire pour ne pas utiliser trop les réserves d'eau, même en sachant que notre puits était très bon et en très bonne condition pour nous fournir en consommation.

Le domaine dans lequel ma famille avait toujours habité comprenait plusieurs parcelles, dont certaines nécessitant un certain apport d'eau. Le climat de Kagy ne facilitait pas les plantations que nous pouvions avoir et c'était aussi une de mes peurs. Je ne voulais pas que les gens qui habitaient sur notre domaine meurent de faim parce qu'il faisait trop chaud ou parce que je n'avais pas assez réfléchi à tout ça.

J'avais largement le temps d'y réfléchir. J'avais largement le temps d'y réfléchir depuis toutes ses années où j'étais seul. Ou plus précisément que j'avais pris le rôle de Menadas au sein du domaine. C'était moi le propriétaire des lieux, même si le domaine appartenait réellement à ma famille.

La famille Solari était l'une des plus connues pour les marchandises de soie que nous commercions. Nous étions l'une des familles à être les plus demandées par les plus riches de Kagy. Il n'y avait pas à proprement parler de famille royale ici à Kagy. Néanmoins, la famille du Haut Maître était celle qui gouvernait. Je fronçai le nez en pensant à tout ça.

Je ne voulais pas penser à la famille du Haut Maître et encore moins à tout ce qu'il se passait au Palais Ar'jabra, là où le Haut Maître Ergo vivait.

Je retournai dans ma chambre et enfilai des vêtements légers, sentant qu'il ferait bien trop chaud aujourd'hui pour porter quelque chose d'autre. Je secouai mes cheveux humides, les ayant coupés il y a peu. La couleur était un signe de malheur et de maladie dans notre pays, alors je les laissais rarement visibles. Néanmoins, ici, au domaine, tout le monde savait la couleur de mes cheveux.

Et tout le monde me pensait fragile.

Je ricanai et pris un autre couloir qui me mena directement vers les cuisines. Ici, il y avait toujours du mouvement. C'était l'endroit que je préférais. Ma mère, de son vivant, y était toujours, gérant ses gens d'une main ferme et aimante.

J'esquivai la main bourrue de Viliane qui n'était autre que la gouvernante de cette maison.

— Tu t'réveilles bien tard, marmot, marmonna-t-elle.

Je lui fis un clin d'œil et lui tendis mon front. Elle colla le sien contre le mien, pressant ma nuque brièvement. Elle m'attira pour me faire un bisou et je ris tendrement.

— Kezaaaaaaar !

Je reçus un boulet de canon sur le dos et on me frotta les cheveux d'un vigoureux poing. Je grognai et me tortillai pour déloger l'andouille qui m'avait attaqué par surprise.

— Pas dans ma cuisine ! cria Viliane en nous jetant un regard mauvais.

Je claudiquai hors des grands fourneaux avec un idiot de première catégorie sur le dos en ronchonnant.

— J'ai pas mangé ! couinai-je.

— T'es un grand garçon, tu survivras ! ricana mon ami.

Je réussis à déloger Asome de mon dos, mais il réussit à enrouler son bras autour de mon épaule pour m'attirer dans une étreinte bourrue.

— J'ai pensé que tu faisais ta belle endormie, se moqua l'homme.

Asome était légèrement plus vieux que moi de quelques années. Cela ne voulait pas dire qu'il était intelligent, loin de là clairement. Je pivotai pour l'observer un instant. Il portait son éternelle tunique rouge et noir. Ses cheveux étaient de la couleur opposée à la mienne, d'un brun sombre qui tirait vers le noir. Dans son dos, il portait son katana, comme à son habitude. Il avait des petites bottes en cuir très souple, car il n'aimait pas se battre avec des vêtements lourds. Son visage fin attirait les filles et les femmes plus mûres et parfois il en jouait. C'était un des meilleurs guerriers que je connaissais. Et ici dans notre pays, ce n'était clairement pas une position de sécurité. Les plus forts mourraient souvent au profit du Haut Maître, car c'était ainsi qu'était faite la loi du plus fort ici à Gylf.

— Lâche-moi, maudit singe, grognai-je. J'ai faim et je veux manger avant de mourir en me roulant par terre.

— Tu es un enfant, Kezar, rétorqua mon vieil ami.

— J'ai trop joué, admis-je en me frottant les côtes.

J'avais pris des sales coups hier soir.

Un bruit d'ailes se mit à résonner dans le couloir. Quelques secondes plus tard, un animal rondelet, vert et poilu atterrit sur ma tête, frottant ses poils doux à mes cheveux.

— Salut Sneezy, dis-je en lui caressant le crâne.

Une émotion chaude traversa mon corps et je sus que mon fidèle compagnon était heureux de me voir.

— Maître Solari, m'appela une voix.

Je pivotai sur moi-même pour voir l'homme qui me connaissait le mieux s'approcher.

— Baba, le saluai-je en ricanant.

— Maître Asome, ajouta Baba.

Mon ami s'inclina et s'éclipsa un instant dans la cuisine, faisant grogner Viliane. Je ris avant de croiser le regard inquiet de Baba. Bhawani Biswal n'était autre que le vrai Menadas de ce domaine, soyons honnêtes. Même si je savais me débrouiller en affaire, Baba était celui qui gérait notre maisonnée ainsi que tous les gens qui y habitaient. Moi y compris. Ce n'était pas tant qu'il avait le choix, avec moi en héritier de cette famille, il devait assurer mon élévation comme il pouvait.

— Maître Solari, certaines affaires auraient besoin de votre regard, remarqua Baba en observant attentivement ma tenue.

Et surtout les blessures qui se trouvaient sur mon torse, mes côtes et aussi l'os de ma hanche qui dépassait un petit peu. Je me grattai le torse et fis semblant de ne pas entendre ni de comprendre.

— Pas envie, grommelai-je.

— Vous vous rappelez que vous devez aller au palais aujourd'hui n'est-ce pas ? s'écria-t-il en me suivant.

Je continuai ma route vers les grands jardins pour apercevoir les quelques personnes qui s'y trouvaient à cette heure. La chaleur serait bientôt irrespirable et je ne voulais personne sur les plantations à cette heure-là.

— Je sais, grognai-je. La marchandise est prête n'est-ce pas ?

— Elle est déjà au Palais Ar'Jabra, Maître. Depuis ce matin. Nous avions été chargés de l'apporter avant, comme la Kyga-Ne l'exige. Vous devriez le savoir depuis le temps.

Je longeai un grand couloir ouvert sur les quelques palmiers qui résistaient à la chaleur, observant deux servantes se dépêcher de rentrer le linge. Je fis la moue.

— Il va y avoir une tempête, marmonnai-je en sentant mes muscles se contracter, comme à chaque fois.

— Maître ? releva Baba.

J'observai ses cheveux grisonnants, son visage buriné par le soleil et son air bienveillant qui ne quittait jamais son visage quand il me regardait moi ou mes frères et sœurs. Il portait une jolie tunique dans les couleurs de notre famille, d'un tissu très léger, de la soie, pour ne pas avoir trop chaud. La légère brise qui secouait ses vêtements était un bon indice.

— Une tempête de sable, crachai-je. Une tempête se lève !

Le visage de Baba pâlit soudainement.

— Quoi ? soufflai-je.

— Kuda est aux champs avec les récolteurs, murmura Baba.

J'entendis à peine Baba m'appeler tandis que le vent soufflait dans mes oreilles. Sneezy se mit à voler plus rapidement que je ne courrais pour tenter d'atteinte les récoltes plus loin. Je bondis par-dessus plusieurs palissades avant de hurler aux gens que je croisais de rentrer à l'abri.

Nous étions habitués aux tempêtes de sable, mais certaines étaient mortelles et depuis quelques années, elles arrivaient sans crier gare, ravageant des champs, des récoltes entières et même des vies. Je ne voulais perdre personne aujourd'hui et surtout pas mon petit frère. J'avais déjà perdu un frère et ma sœur, d'une certaine façon, l'était aussi. Une fois entre les mains du Haut-Maître il était difficile de s'en échapper.

— Kuda ! hurlai-je en arrivant non loin des champs.

Le vent soufflait bien trop fort à présent et je ne voyais presque plus rien à cause du sable qui volait partout, égratignant ma peau. Je plaçai un bras devant mon visage et fis un tour sur moi-même.

Soudain, deux mains s'agrippèrent à mes épaules pour me faire pivoter. Mes doigts voulurent attraper ma dague à ma hanche, mais je n'y trouvais rien.

— Maître Solari ! Il vous faut rentrer ! s'écria un des gens du domaine. La tempête est déjà là !

— Où est Kuda ? hurlai-je à travers le vent.

Je clignai des yeux, tentant de voir quelque chose, mais je n'y arrivais pas et cela me fit grogner.

— Le jeune Maître était avec Ikran un peu plus loin ! me répondit l'homme.

— Rentrez ! ordonnai-je. Je vais les trouver !

Il voulut me retenir, mais je continuais d'avancer. Je marchai difficilement à travers les bourrasques et le sable qui à présent était violent. Autant pour mes yeux que ma peau.

— Kuda ! hurlai-je encore une fois, le souffle court.

Sur ma droite, je vis une forme floue et Sneezy me heurta brusquement. Kuda fut le second heurt et je finis les fesses par terre. Mon jeune frère d'une quinzaine d'années me regardait avec de grands yeux et hurlait mon prénom dans mes oreilles.

— Il faut trouver un abri, hurlai-je à Sneezy.

Ce dernier luttait contre le vent et ne cessait de pousser de petits cris aigus de peur. Il n'aimait pas qu'on soit encore là en sachant que la tempête allait tomber.

Je regardai le corps poussiéreux de mon jeune frère et lui demandai s'il était blessé. Ses yeux si semblables au mien étaient remplis de peur.

— Non ! cria-t-il. Mais partons ! Il faut partir !

Son regard sembla s'écarquiller un peu plus quand il regarda dans mon dos. Je pivotai et me figeai. C'était comme une immense vague de sable qui se levait face à nous, un orage grondant en fond.

Bon sang...

J'agrippai mon petit frère et me mis à courir de toutes mes forces, le tirant derrière moi. Je sentis plus que je ne vis Sneezy piailler dans notre dos.

— Sneezy non ! m'écriai-je.

Kuda ferma les yeux en sachant ce qui était en train de se produire. L'animal dans mon dos émit un autre cri, bien plus guttural cette fois-ci et je sentis quatre griffes se refermer sur mes épaules. Je hurlais de douleur, mais déjà Kuda tombait et je roulai sur lui. D'immenses ailes s'enroulèrent autour de nous et nous fûmes plongés dans le noir, entendant à peine le souffle de la tempête souffler. Kuda était roulé en boule sous moi et je sentais les efforts que Sneezy déployait pour nous protéger de la tempête alors même qu'il prenait tous les gros dégâts.

Un instant, je fermai les yeux et soudain, le sol sous nos deux corps fut différent. Bien plus solide et bien plus lisse. Je reçus une boule de poil verte sur le dos et récupérai Sneezy tout tremblant et blessé dans mes bras. Kuda se redressa et vit que nous étions à l'intérieur de la demeure.

J'avais de nouveau réussi à nous téléporter. C'était génial bon sang ! Kuda se redressa et me jeta un coup d'œil impressionné.

— Tu l'as refait ! couina-t-il.

— Kezar ! hurla Asome non loin de là.

— Ici ! criai-je pour qu'il nous repère.

Comme la maison était très ouverte, le sable soufflait encore. Il nous fallait aller dans les abris construits à cette fin-là.

J'aperçus Asome arriver au bout du couloir. Je crus comprendre à quel endroit j'avais réussi à nous embarquer. C'était l'aile des parents.

— Qu'est-ce que vous fichez encore dehors ? nous gronda Asome en arrivant à notre niveau.

Il mit Kuda sur ses pieds et observa en grimaçant Sneezy. Je serais la petite bestiole contre moi, sachant qu'il s'en sortirait. Il avait cependant néanmoins besoin d'un peu de soin.

— Kez a recommencé ! Kez a recommencé ! piailla Kuda.

Asome l'agrippa par le col de sa tunique et le tira derrière lui pour que nous avancions.

— Des inconscients ! maugréait Asome.

Baba et Viliane nous virent arriver au niveau de l'abri et cette dernière poussa un cri de soulagement. Baba me tira à l'intérieur avant de claquer la porte lourde de l'abri qui se trouvait sous les quartiers de la cuisine.

— Tout le monde a réussi à rentrer ? soufflai-je dans la lumière vacillante des quelques bougies allumées.

Nous sentîmes le vent souffler contre la porte. Il y avait plus d'une cinquantaine de personnes dans l'abri et pourtant, personne ne parlait. Personne n'aimait les tempêtes de sable. C'était annonciateur de mauvais présages.

— Kuda ? appela Baba.

Mon petit frère s'approcha en claudiquant. Je tenais toujours Sneezy dans mes bras, inquiet de ses tremblements. Viliane se pencha sur nous deux pour me demander ce dont il avait besoin. Je lui demandai un peu d'eau et elle se mit en mouvement.

— Es-tu blessé ? souffla Baba au plus jeune.

— Non, répondit Kuda. Baba, Kez a recommencé.

Baba leva son regard sur moi et je lus une certaine inquiétude. Ce n'était pas la première fois que je faisais un bon d'un endroit à un autre. Cela n'arrivait que très rarement et de façon absolument aléatoire que je le veuille ou non. J'étais plutôt heureux qu'aujourd'hui, nos petites fesses se soient retrouvées dans la maison et pas au Palais, comme la dernière fois, où j'avais atterri dans les quartiers de Sakhi, ma sœur. Si je n'avais pas eu mes passe-droits habituels au Palais, nous aurions eu de sacrés problèmes.

— Ces tempêtes de sable sont de pire en pire, maugréa Viliane en revenant avec un petit biberon que je gardais pour les remèdes que je donnais à Sneezy.

Elle me tendit le petit contenant que je tendis à mon animal. Il l'agrippa de ses petites griffes et téta la partie du haut en tissu. Puis, une fois qu'il eut bu, il se roula en boule contre mon torse et se mit à dormir.

Viliana avait raison sur un point.

Ces tempêtes de sable n'étaient pas bonnes et n'annonçaient rien de bon pour le désert qui nous entourait pour partie.

Asome vint s'installer à mes côtés.

— Cette tempête n'était pas bonne, murmura-t-il.

— De la magie ? soufflai-je.

Il grimaça et haussa ses épaules.

Si même Asome n'aimait pas cette tempête, il allait falloir que j'aille me renseigner. 

**

On va plonger doucement dans le monde de Kezar 😍

J'espère que vous allez aimer 😎

En espérant que vous pouvez profiter d'un peu de soleil ❤️❤️

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top