Chapitre deux
SEKHIR
Losar, Cité-Mère,
Royaume d'Astalos.
La cérémonie des offrandes ne se terminait jamais assez tôt à mon goût. Et la foule que cela amenait au sein de la Cité-Mère faisait trembler la plupart des Dragans.
J'étais moi-même un Dragan, membre de la Dragana. Nous étions la Garde Royale. Nous étions là pour protéger notre Roi et parfois, quand il y avait autant de monde dans la Cité, il était difficile de faire son travail. Le mien était plutôt simple puisque je visais une seule personne en particulier. C'était ma mission depuis que j'avais été intégré au sein de la Dragana à l'âge de quinze ans. J'étais l'un des plus jeunes parmi la Garde.
Les bruits me venant de la rue se calmèrent lentement. Je glissai du balcon où j'étais pour atterrir un peu plus bas dans la rue, rangeant ma lance dans mon dos, marchant tranquillement comme si je faisais partie du peuple. J'en faisais partie après tout. Même si je venais d'un des clans, nous étions tous les enfants d'Astalos. Je saluai d'un signe de tête certains marchands que je connaissais, car je faisais régulièrement le tour des personnes présentes dans l'enceinte de la Cité-Mère. Ça ne faisait pas partie de mes attributions, mais connaître son environnement était l'une des premières choses qu'on nous apprenait en tant que guerrier.
Aujourd'hui, je portai les couleurs de mon clan. J'aimais pouvoir le faire de temps à autre, pour me rappeler mes racines et faire honneur à mon père, qui était lui-même le Général du clan Zamarat. Si le Roi Dragnir n'avait pas eu besoin de moi, j'aurais fini par prendre la place de mon père. À présent, j'avais une tout autre mission dont celle pourvoir à la sécurité de la Princesse.
Je longeai les différentes étales, trouvant les multitudes de couleurs toujours aussi belles à découvrir. Plusieurs têtes me reconnurent et m'offrirent des salutations. Je ne faisais que hocher la tête, donnant à qui voulait un léger signe de la main. Je trouvai enfin la forge que je souhaitais atteindre et qui était à la jonction de deux quartiers de la Cité-Mère.
Je pénétrai dans la forge, étouffant particulièrement avec la chaleur des fours immenses. Ici, les armes de la Garde étaient forgées, sous la commande directe du Roi. Je saluai le jeune apprenti de Zebus, le Forgeron le plus reconnu de la cité. Argon, le jeune homme qui avait l'âge de la Princesse, agita sa main vers moi, son visage couvert de suie. Il recommença à frapper contre le métal qu'il forgeait, ne perdant pas de temps à me parler et continua son labeur. Je me glissai entre les deux gros fours et découvris Zebus qui polissait une lame. Zebus était un homme avec un gros embonpoint, des bras de géants et des mains aussi grandes que ma tête. Son visage était basané, comme tous les habitants qui venaient de la contrée de Kagy, à l'Est de notre Cité-Mère.
— La Foudre dans mon atelier, grommela la voix bourrue du Forgeron.
— Ponctuel, comme tu aimes, marmonnai-je.
Il inclina sa tête et je pressai rapidement mon front contre le sien, comme le faisait les Kagyls. Sa sueur s'accrocha à peine à ma peau et il se redressa en déposant la lame sur un comptoir en fer.
— Tu viens juste à temps, je l'ai terminée ce matin, dit-il en bougeant.
Je le regardai faire le tour, évoluant dans son atelier comme s'il évoluait dans une grande pièce où chaque meuble se trouvait à sa place et que son corps n'était qu'un autre meuble qui s'ajoutait au reste. Il se pencha pour attraper un paquet enroulé dans un épais tissu marron. Le paquet en lui-même était petit, mais je savais qu'il était parfait. Après tout, j'étais celui qui l'avait dessiné et Zebus celui qui l'avait confectionné.
— Elle sera satisfaite, remarqua le Forgeron.
Je lui offris un sourire moqueur. Bien sûr qu'elle serait satisfaite et elle avait plutôt intérêt. Je n'avais pas sorti cette arme de mon crâne juste pour lui faire plaisir. Elle allait l'utiliser à bon escient, car je l'avais entraînée pour ça.
Zebus déroula le tissu de l'arme qu'il avait confectionné, dévoilant le joyau qu'il y cachait. Je me penchai quand il sortit l'arme de son fourreau. La dague n'était pas plus longue que trente centimètres. À l'inverse des couteaux qui n'étaient tranchants que d'un seul côté, les dagues qui étaient plus une arme qu'un outil, avaient les deux côtés tranchants. J'avais choisi le modèle d'une dague et non pas d'un poignard, qui était concrètement une petite dague, car je voulais que le travail sur le manche soit parfait. Et ce que Zebus avait réussi à faire me rendrait à jamais respectueux de ce qu'il créait. Après tout, c'était son père, qui avait forgé la lance dans mon dos. Et la légende voulait qu'il ait utilisé le feu d'un dragon pour faire fondre l'acier qu'il avait forgé.
Les finitions sur le manche de la dague entrelaçaient à la fois le doré et le bordeaux, rappelant la cape de la Princesse. Je fus satisfait de voir qu'il avait réussi à graver sur le bord de la lame les initiales que je souhaitais. Le travail sur la lame en elle-même était magnifique et on pouvait voir jusqu'aux ondulations caractéristiques du polissage et de l'aiguisage.
Le fourreau en lui-même était très léger et tout en acier blanc, comme le voulait la tradition en Astalos. Il était mélangé avec les différentes pierres les plus solides afin de le rendre pratiquement incassable. Ce métal vieillissait très bien, mais n'était maîtrisé que par très peu de forgerons. Heureusement pour moi, Zebus était maître dans son art.
— Elle est parfaite, murmurai-je.
Zebus fit tourner la lame ainsi que le fourreau pour me présenter l'autre côté qui était tout aussi magnifique. Il avait légèrement serti de pierres le haut du fourreau et je trouvais le rendu plutôt satisfaisant.
Je repartis de la forge avec mon présent et m'aventurai de nouveau dans les rues de la cité, observant les habitants doucement retourner vers les remparts. Là où ils vivaient. L'agitation se faisait moins sentir. Au Palais, il ne resterait que les invités de hautes voltiges. Demain, il y aurait la Célébration, les anniversaires des Princesses. Les cadeaux et les prétendants iraient bon train, surtout concernant la Première Née. Je fis la moue et m'écartai du chemin d'une vieille dame qui passait là. Je reconnus son visage. C'était elle qui avait souhaité vendre la broche à Ren. Elle m'observa un instant et me tendit quelque chose. Ma main vint à sa rencontre et elle y déposa un bijou.
En y regardant de plus près, c'était un pic à cheveux, orné d'un immense dragon. En relevant mon regard pour dire à la vieille dame combien je lui devais, elle avait déjà disparu. Je glissai l'épingle dans le tissu de mon vêtement et me remis en route. Je retournai directement vers le Palais, immense et magnifique, ornée d'un orange transcendant tandis que le soleil se couchait au loin.
Je fus reconnu par la Dragana dès mon entrée et fus salué par la plupart des Gardes en faction. Quand mes pas m'amenèrent vers les quartiers de la famille royale, je croisai le chemin de la Première-Née. Maesuka Dragnir n'avait rien à voir sa jumelle. Elle marchait avec un livre à la main et ne me vit donc qu'au dernier moment. Elle releva à peine son regard sur moi et je lus sur son visage l'animosité qu'elle me portait.
Heureusement, je ressentais la même chose la concernant. Du moins, je savais que derrière ses beaux cheveux blonds et son visage de poupée, il y avait autre chose que de la reconnaissance et de la royauté.
— Dragan, dit-elle.
— Princesse, répondis-je en m'inclinant comme le voulait le protocole.
Elle ne fit que passer à côté de moi sans un mot de plus, sachant très bien que nos interactions n'étaient pas nécessaires au-delà du salut réglementaire. Je continuai mon chemin, ma nuque me titillant du regard qu'elle continuait de poser sur moi. Elle pouvait surveiller ses arrières, car ce n'était pas moi qui la protégeais.
Connaissant le chemin par cœur, je me mis à marcher d'un pas rapide. Aux alentours des quartiers de Renfri, je croisai sa dame de compagnie, Luce, qui s'inclina devant moi. Je lui fis un léger signe de tête.
— La Princesse est dans son jardin, m'indiqua-t-elle.
Je continuai mon chemin en la remerciant d'une voix basse. Je poussai la porte de mon épaule et observai l'immense chambre de Renfri. Il n'y avait pas beaucoup de vêtements qui traînaient, donc je supposais que sa dame de compagnie avait fait un peu de tri. Je longeai le mur pour atteindre l'immense ouverture qui donnait sur un grand balcon. Ce dernier s'ouvrait littéralement sur une partie des jardins royaux.
Je descendis les escaliers et mes pieds frôlèrent l'herbe déjà légèrement humide de la nuit qui tombait. J'entendis la respiration de Renfri un peu plus loin, derrière de hautes haies qui formaient un petit coin de repli que la Princesse aimait tout particulièrement.
Je l'y trouvais en train de faire des kamas. Cela consistait à s'entraîner et refaire les mouvements de défenses et d'attaques que je lui avais appris. Ses joues étaient légèrement rouges de son effort et elle ne portait qu'un vieux pantalon en lin avec un bandeau qui entourait sa poitrine. Elle détestait se battre en étant engoncé dans des vêtements, sauf que je lui répétais à chaque fois que se battre nue n'allait pas l'aider à rester vivante. Ma lance émit un léger bruit en se cognant au banc sur lequel je m'installais. Renfri pivota vers moi et elle courut en voyant ce que j'avais dans les mains.
— Normalement, tu devrais avoir ça demain, remarquai-je.
De la sueur dégoulinait de ses épaules, de son front et de son ventre. Renfri avait réussi à prendre un peu de muscles en se forçant à manger ce que je lui avais indiqué. Elle avait un corps très mince de base et elle brûlait tellement d'énergie qu'elle restait naturellement fine. Mais cela l'empêchait de prendre en masse musculaire et en force. Et elle tenait à se battre pour une raison qui m'avait toujours échappé.
— Donne-le-moi ! piailla-t-elle en bondissant sur ses pieds.
Je levai les yeux au ciel avant d'enlever la première couche de tissu qui entourait le paquet. Renfri s'agenouilla devant moi pour poser le présent sur ses cuisses. Elle releva son regard sur moi, attendant que je l'autorise à l'ouvrir.
— Joyeux anniversaire, dis-je en souriant.
Elle gonfla ses joues et ses doigts se mirent à défaire le nœud en ficelle. Je n'avais pas franchement eu le temps de faire ça bien, mais cela ne sembla pas la déranger. Elle envoya voler le tissu qui entourait la dague et prit délicatement l'arme entre ses doigts.
Ses yeux étaient grands ouverts, observant tous les détails. Elle glissa la pulpe de ses doigts sur l'inscription du fourreau en souriant. Je crus même apercevoir quelques larmes grimper dans ses yeux, mais elle cligna plusieurs fois des paupières pour les retirer.
Je retins de rire quand elle se jeta sur moi pour me serrer dans ses bras. Je fis attention à ne pas l'enlacer, car elle était collante de transpiration et elle ne portait vraiment pas assez de vêtements. Il fallait toujours que je lui rappelle la bienséance d'une Princesse bon sang, comme si j'en étais une à plein temps.
Je tapotai sa tête et elle se redressa en tirant la dague de son fourreau. Elle la testa un peu, de sa main droite, puis de sa main gauche. À la surprise de nombreuses personnes, Renfri était ambidextre, ce qui pour un guerrier, s'avérait extrêmement plaisant. Elle la reprit dans sa main droite et se mit à enchaîner plusieurs mouvements.
Prise dans son entrain, je disparus rapidement, laissant l'épingle à cheveux sur le banc.
La Dragana avait ses propres quartiers et la plupart du temps, j'y dormais. L'autre moitié de mon temps, je le passai dans les rues sombres et vides pour surveiller la cité. Je n'avais jamais été un gros dormeur et venir ici, au Palais, n'avait fait qu'empirer mon sommeil, car il y avait toujours du bruit. Au clan, j'avais la possibilité de m'isoler, mais pas ici. Pas vraiment. Surtout pas avec Renfri à surveiller.
J'étais en train de défaire mes vêtements pour les plier et les ranger, quand quelqu'un entra dans le dortoir. Kaius, l'un des camarades, me fit signe d'approcher. Torse nu, je me dirigeai vers la grande salle commune des Gardes. Au milieu s'y tenaient deux personnes. Je secouai doucement la tête en reconnaissant mon père, ainsi que celle qui m'était promise au sein du clan.
Shaji Nehguath était un homme très grand, ce qui lui donnait une stature impressionnante. Il l'était tout autant qu'à côté de lui, la jeune femme qui se tenait droite et fière était ridiculement petite. Sa beauté n'en était pas moins reconnue par les quatre Clans d'Astalos, tentant de la marier à tous les grands guerriers. Dhugaa Booharsa était une jeune femme qui avait deux ans de plus que moi. Elle portait une tenue qui ressemblait à la mienne, car c'était une tenue de Cérémonie dans notre Clan. Shaji, mon père, portait la même que la mienne. Il m'offrit un immense sourire en me voyant, créant quelques rides sur le coin de ses yeux. Il portait un chignon serré sur le dessus de sa tête et je savais que ses cheveux n'avaient jamais été aussi longs que maintenant. Je tentai de faire la même chose, mais je n'en prenais pas grand soin.
Il m'ouvrit ses bras et me pressa contre son torse avec force.
— Fils, comment te portes-tu ?
Je tapotai ses épaules et il me relâcha. Je pivotai vers Dhugaa qui tentait d'observer autre chose que l'immense tatouage de dragon qui partait de mon poignet, jusqu'à mon épaule pour s'étaler dans mon dos. Elle me sourit, m'offrant des dents blanches bien alignées et des yeux d'un vert émeraude parfois presque gris selon les couleurs qu'elle portait. Elle avait tressé ses cheveux, longeant son crâne pour se terminer en chignon à l'arrière de sa tête. Elle avait de jolis bijoux, preuve qu'elle recevait encore des demandes des autres clans. À son poignet gauche, elle portait toujours le même lacet noir et rouge que j'avais aussi. Nos parents nous les avaient noués et scellés jusqu'au jour de notre Mariage où ils seraient remplacés par d'autres.
D'après moi, je ne pourrais jamais me marier avec elle. Mon père commençait à le comprendre, mais il voulait que nous tenions nos engagements tant que ma place n'était pas assurée ici, ou en tant que Chef de Clan.
— Dhugaa, soufflai-je en m'inclinant.
Elle sourit un peu plus et déposa un baiser sur ma joue.
— Sekhir, répondit-elle.
J'entendis mon père glousser, mais je ne fis que me redresser, un peu embarrassé. J'aurais préféré qu'elle ne soit pas tombée amoureuse de moi. Je n'avais franchement rien fait pour, la repoussant et n'allant la voir que très rarement, mais d'une certaine façon elle s'était attachée à moi.
Et moi, je m'étais attaché à une tout autre personne.
— Je vais bien et vous deux ? Le voyage n'a pas été trop long ? m'enquis-je en les invitant à s'asseoir sur la grande table où nous mangions quand nous avions le temps.
Je leur servis des boissons, sous le regard de notre cuisinier qui m'avait aussi préparé trois plats pour manger. Je les pris en le remerciant d'un clin d'œil et déposai les plats devant mes invités de dernière minute.
— Nous sommes plutôt bien accueillis ici, j'aurais dû demander à venir plus tôt si j'avais su !
— Arrête ou tu vas vexer Ifaa, grognai-je en parlant du cuisiner.
— Nous ne t'avons pas vu à la Cérémonie, remarqua mon père.
— Tu sais très bien que je n'étais pas loin, marmonnai-je.
Je sentais le regard de Dhugaa sur mon tatouage. Je tentai de ne pas lui grogner dessus pour lui rappeler les bonnes manières. Les femmes je vous jure.
— Ce n'est pas une raison pour ne pas venir saluer ton vieux père, rétorqua le Général.
— J'ai entendu qu'il y avait eu certaines attaques avec la frontière d'Israkt, dis-je en déposant ma fourchette sur le côté.
Je n'avais pas très faim.
— Regarde-le, Dhugaa, incapable de parler d'autres choses que de la guerre, ricana mon père.
— Ta faute, marmottai-je.
— Fils, tu dois faire la conversation comme un homme. Et non pas comme un guerrier veux-tu ? Ta fiancée est ici après tout. Comment se porte la Princesse ?
— Vivante, je suppose que je fais bien mon travail.
J'eus le droit à un coup sur la tête et la rentrai dans mes épaules pour échapper à la main vive de mon père.
— On dit qu'elle pourrait avoir des prétendants pour son anniversaire, remarqua Dhugaa.
Je me retins de me crisper et l'observai un instant.
— Les prétendants présents sont pour la Première-Née. Je ne pense pas que la Princesse recevra de demandes.
— Ce serait le bon moment pour établir de meilleures alliances avec les autres clans, grommela mon père.
Lui et Dhugaa se mirent à parler des potentiels prétendants qui seraient utiles concernant Renfri.
Je sortis mon bras droit de la table et y frôlai la marque des dents qui s'y trouvaient.
Je ne devais pas oublier ma mission.
Je devais protéger la Princesse.
Et je serais sûrement obligé de la suivre dans le royaume vers lequel elle se dirigerait une fois marier.
Car elle était une Dragnir.
Elle était vouée à devenir quelqu'un.
**
Un premier aperçu de Mon Sekhir ❤️❤️❤️
Qu'en dites vous ? 😁😁
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