Chapitre cinquante-deux
KEZAR
Baba préparait le repas de la journée, concentré sur sa tâche. Ce matin, il m'avait dit que la Foudre se réveillerait bientôt. Enfin, il le disait à voix haute. Enfin, une bonne nouvelle. Même si après ce qu'il s'était passé avec Renfri, je ne savais pas trop si c'en était vraiment une. Ou juste une annonce pour les changements qui arriveraient bientôt.
— Tu le savais ? grognai-je pour la seconde fois.
Baba me jeta un coup d'œil avant de recommencer à couper la nourriture en petits morceaux pour en faire un gros mélange, cuire le tout et envoyer tout ça entre les mains de nos Keneyfs.
— Dis-moi, insistai-je. Je veux comprendre.
Baba soupira et me regarda. Il secoua la tête.
— Tu en es un toi aussi, n'est-ce pas ? soufflai-je.
Il se figea un instant avant de pousser un nouveau soupir. Je m'approchai de lui et m'assis contre son flanc gauche. J'avais toujours senti quelque chose chez lui, mais jamais il n'en parlait. Jamais il ne le disait à voix haute avec des mots précis. Le peuple des Dragons était presque un mythe pour nous, même si la légende disait qu'il y en avait encore sur Zharroh. Le continent entier sur lequel nous nous trouvions cachait des trésors parfois méconnus.
— Tu as habité à Nesla ? Pourquoi n'es-tu pas là-bas ? Renfri dit qu'il y a un dragon à cet endroit.
Baba soupira et posa le couteau sur la table pour me regarder droit dans les yeux.
— Tu ne sais rien de tout ça, Kezar. Fais attention aux questions que tu poses et à qui tu parles.
— Elle a dit que j'en étais un aussi. Un truc dormant. C'est vrai ?
— C'est possible, admit-il après un petit silence.
J'écarquillai les yeux et observai ma main.
— Alors c'est pour ça que j'arrive à me déplacer comme je le fais parfois ? murmurai-je.
Baba hocha la tête.
— Tu confirmes en plus ? sifflai-je.
— Je n'ai pas besoin de te confirmer une chose que tu sais déjà puisque tu le fais. De là à savoir si tu dors, c'est possible. Je ne dis pas que c'est la vérité, je dis simplement que tu devrais écouter Nessa. Elle peut t'apprendre énormément.
— Ce n'est qu'une princesse égarée, soufflai-je.
— En es-tu si sûr ? Attendons que la Foudre se réveille. Peut-être aura-t-il des choses à nous dire là-dessus, même si Nessa t'a déjà révélé assez d'éléments pour que tu te poses toutes ces questions légitimes.
— Pourquoi tu ne me réponds pas alors ?
Il reprit le couteau et se remit à couper les légumes en silence. Je fis la moue. Je ne savais pas quoi ressentir à l'idée que j'étais un dragon. Bon, dormant, mais un dragon quand même. Une angoisse toute particulière me rongeait l'estomac depuis que Renfri m'avait parlé de tout ça. Et qu'elle devait trouver elle-même un dragon ! Allons bon, comment trouviez-vous un dragon dans une époque où il n'en existait pas ? Ou du moins, qu'ils étaient sûrement en train de dormir.
— Doucement c'est ça ? maugréai-je.
— Pose les bonnes questions, Kezar, trancha Baba.
À présent, j'étais sûr que c'était un dragon. Je ricanai de mes bêtises et allai dehors. Je me cachai derrière une des lignées de palmiers, à l'ombre et fis signe à Sneezy de se taire. Il virevolta partout. Il avait la frousse de se faire attraper.
Je tendis la main devant moi et essayai de former ce truc qui m'embarquait à l'endroit que je voulais. Une sorte de portail ? De porte ? Je n'en savais rien, mais si Renfri avait raison et que je portais ce dragon en moi, j'aurais dû le sentir non ? Ou du moins, savoir qu'il était là quand j'utilisais mes capacités ?
— Laisse-moi me concentrer. Tu vas voir, ça va venir, grognai-je.
Je fermai les yeux et me concentrai. Quand je les rouvris, rien du tout. Toujours au même endroit, devant le même palmier. Bon, ce n'était pas sur commande. C'était bon à savoir non ?
Je tentai une nouvelle fois, mais échouai encore.
— Kzaa ! jurai-je.
Je tapai dans un caillou qui alla rebondir à côté de la tête de Sneezy. L'animal me piailla dessus avant de voler un peu plus loin pour éviter de finir décapiter avec une petite pierre de rien du tout.
Je retournai vers la maison et pris le temps de manger un peu avant de trouver Renfri. Asome n'était pas encore venu depuis la visite d'Ergo hier et j'avais peur qu'il lui soit arrivé quelque chose. Mais m'aventurer seul au sein du repaire, ou même de l'arène me paraissait légèrement suicidaire. Et pourtant si Asome ne ramenait pas ses fesses ici, alors j'irais moi-même là-bas.
Je trouvais Renfri dans la chambre de Sekhir. Elle lui parlait à voix basse et caressait ses cheveux d'une main douce. Je pris une longue inspiration et posai ma tête contre le mur à mes côtés. Toute cette histoire n'avait aucun sens. Et j'avais dû mal à trier toutes ces informations qui me paraissaient toutes aussi saugrenues les unes que les autres.
Je laissais Renfri avec Sekhir et retournai dehors. Le soleil piquait un peu aujourd'hui, mais moins que d'ordinaire. Kuda courut sur moi. Il agitait un papier dans sa main. Je pris le parchemin enroulé quand il me le tendit. Amaru était passé par là, sans aucun doute, ce que me confirma Kuda quand il m'annonça le messager.
Je brisai la cire qui maintenait le message fermé et l'ouvris. Asome utilisait un code bien précis pour que le message soit illisible pour quelqu'un qui ne connaissait pas la clé. Je réussis donc à lire toutes les informations d'une seule traite vu que je connaissais la clé de décryptage.
Je me laissai tomber sur un petit banc à l'ombre, dans l'un de nos jardins et soupirai. D'après Asome, il n'y avait pratiquement plus d'infectés qui courraient les rues. Ce qui était une bonne nouvelle, dans le fond. Seulement, cela confirmait aussi son hypothèse comme quoi Ergo était responsable de quelque chose dans cette histoire.
Comme il avait donné une mission à tout le monde et que tous voulaient la faveur d'Ergo, il n'en voyait personne dans l'arène. Donc, il n'emmenait personne au palais avant.
Donc, il n'y avait plus d'infectés qui se baladaient dans les rues à tuer les autres assassins.
Je pris le temps de réfléchir à l'impact de cette nouvelle et au fait qu'Asome n'était pas venu de lui-même pour me l'annoncer. Je n'aimais pas ça, mais je ne pouvais pas y faire grand-chose. Il s'accordait à gérer les situations comme il le souhaitait, même si je le soupçonnais de se concentrer plus sur la rançon sur la tête de la Kyga-Ne qu'autre chose.
Qu'allais-je donc bien pouvoir faire jusqu'à son retour ? Car c'était aussi clairement un message de sa part : « ne viens pas au palais, je m'en occupe ». Je détestai quand il me la jouait paternel et débrouille-toi pour te distraire le temps que je revienne. Maudit Asome.
Renfri m'aida avec d'autres Keneyfs pour ranger plusieurs réserves de soie et je pris le temps de me lancer dans un ou deux ouvrages. Renfri resta non loin de moi et me posa quelques questions sur la couture.
J'évitai de passer mon temps à regarder sa bouche et à éviter de repenser à notre baiser. Elle m'occupa, même si elle ne le comprit que plus tard. Nous prîmes le temps de jouer avec Kuda et d'autres enfants.
Quand la nuit tomba, je fus surpris de voir Amaru débarquer à la muraille du domaine. Je faisais ma dernière ronde et j'avais entendu son petit bruit caractéristique.
— Vot'e copain, il est plutôt pressé, grimaça Amaru penché en avant.
Il me faisait peur ainsi en équilibre sur un mur aussi grand, mais il semblait parfaitement maître de ses mouvements. C'était ainsi qu'il survivait dans les rues après tout.
— Dis-moi, quémandai-je.
— Vous êtes attendu à l'arène, souffla Amaru. Ça sent pas bon pour l'un des vôtres.
— Cette nuit ?
— Il faut croire ! Le message était urgent, j'ai dû courir pour arriver jusqu'à vous.
Une angoisse toute particulière s'empara de moi. Et si Asome avait été envoyé dans l'arène ? Et si Ergo avait décidé qu'il en avait assez d'attendre que je me dévoile aux autres ? Et si sa première punition était d'envoyer mes amis dans l'arène et de ne jamais les en faire ressortir ?
Je partis sans rien dire à Renfri pour éviter de me battre avec elle si elle avait décidé que c'était son tour d'aider. Je ne pouvais me déplacer seul avec elle, car s'il m'arrivait quelque chose, elle serait dans le pétrin. Et elle devrait s'en sortir comme une grande, sans aucune aide extérieure.
Quand j'arrivais aux alentours de l'arène, j'entendis les cris et les hurlements des assassins qui regardaient deux autres s'entretuer jusqu'au sang. Dans l'arène, il n'y avait qu'une seule règle : un seul en sortait vivant. D'où le fait que nous évitions de nous y retrouver ensemble, Asome et les autres. Pour l'instant, nous avions réussi à cette manigance.
Maintenant qu'Ergo m'avait très clairement fait comprendre qu'il savait qui j'étais ? Je ne savais pas quoi en penser.
Déguisé de la tête aux pieds, je pénétrai dans l'arène qui n'était qu'un gros trou dans la terre et abritait sûrement une magie bien trop noire à mes yeux pour que j'y prête attention.
Les assassins se tenaient au-dessus du trou et se bousculaient parfois pour se faire peur. Celui qui tombait dedans suivait les mêmes règles que ceux qui y étaient déjà.
Un seul ressortait vivant.
Les cris redoublèrent quand un idiot tomba. Il atterrit sur le dos avant de s'échapper du pied de... Sevak.
Mon cœur s'arrêta face à ça.
Non.
Pas lui.
Pas maintenant.
Cela voulait dire qu'il avait été dans le Palais, à la merci d'Ergo. Et que celui-ci l'avait forcément infecté, peu importait la façon dont il le faisait.
Les battements de mon cœur redoublèrent dans ma cage thoracique.
Ce n'était pas possible.
Une main se referma sur mon épaule.
— Je t'avais dit de rester au domaine, siffla Asome.
Je luttai contre sa prise et nous nous cachâmes derrière un des immenses poteaux qui entouraient l'arène et tenaient encore un peu le tour qui dégringolaient au fur et à mesure des solstices qui passaient.
— Tu ne m'as clairement pas tout dit ! crachai-je, mon doigt pointé sur Sevak.
Il était dans un état répugnant et devait se battre depuis plus d'un combat à n'en pas douter. Ergo voulait le tuer. Et il allait arriver à ses fins s'il continuait de cette façon. Sevak titubait presque à cause du sang qui coulait dans ses yeux.
— Sevak a été amené au palais dans la journée. Nous n'avons pas pu l'aider. Il doit se débrouiller seul maintenant et tu le sais.
— Ergo sait qui je suis, soufflai-je.
Asome grimaça et hocha la tête.
— Je m'en doutais depuis un moment maintenant. Le problème n'est pas là. S'il voulait te tuer, il ne pourrait pas le faire, car il faudrait qu'il brise ton image avant de te briser toi.
— Il ne va pas me briser moi en premier, Asome. Il va vous briser, vous, mes amis. Je ne peux pas laisser ça arriver.
Asome agrippa mon bras quand je voulus partir.
— Non. Tu ne peux pas intervenir. Sinon, tout le monde comprendra et tu seras envoyé dans l'arène.
— C'est moi qui devrais y être de toute façon ! m'exclamai-je.
Heureusement que tout le monde était concentré sur le combat violent en contrebas, car mes cris commençaient à se faire entendre.
— SI tu es envoyé dans l'arène, personne ne pourra protéger Renfri et Sekhir, gronda Asome en dernier recours.
Cela me figea.
Un cri de Sevak força mon regard à se poser sur lui.
— Je dois le faire, murmurai-je.
— Tu ne peux rien pour lui. C'est trop tard, souffla Sai. Il est déjà infecté.
Tous les trois nous posâmes nos yeux sur Sevak. Il secouait la tête, comme s'il luttait contre quelque chose.
— Bientôt, on ne pourra plus l'arrêter, chuchota Sai. Il est perdu.
Ce n'était pas possible !
Non !
Pas lui !
Je pivotai vers Asome.
— Il faut qu'on le sauve. S'il meurt dans cette arène, Ergo sera...
Des applaudissements nous crispèrent. Sevak venait de défoncer son adversaire à coups de poing. Le premier ne bougeait plus, l'autre tentait de se relever.
Comment avais-je pu laisser tout ça arriver ?
— Sauve-le, grognai-je à Asome. Sauve-le je t'en supplie.
Ergo ne pouvait pas gagner.
Pas maintenant.
Pas alors que nous étions si proches du but.
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