Segment 9 - Le vent des landes de pierres
Toc.
Toc.
Le cognement insistant sortit la passerelle de son hébétude.
— Ieeek.
— J'ai l'impression qu'il veut se dégourdir les ailes, commenta Osman.
Bonne idée, réagit Harlock.
— Quelle est la qualité de l'air, dehors ? demanda-t-il.
Osman se pencha sur ses écrans.
— Respirable si on n'y reste pas trop longtemps, captain. Faudra juste passer par le sas de décontamination au retour.
Aucun problème. Une atmosphère un peu délétère n'était pas de nature à l'arrêter.
— Je sors aussi, dit-il. La coque externe a besoin d'être inspectée. Tochiro, tu viens avec moi ?
Le petit ingénieur bondit de son siège avec son enthousiasme habituel.
— J'ai lancé un diagnostic complet depuis le Cœur, mais tu as raison ! Rien ne vaut une constatation de visu !
Ça risquait d'être moche à voir. La coque échauffée par l'entrée en atmosphère avait-elle résisté à la violence de l'atterrissage ? Tochiro saurait-il réparer ? Seraient-ils en mesure de redécoller rapidement ?
— Ieeek.
Le pélican possédait un avis très confiant sur la question. Harlock était tout à fait enclin à le suivre, et il aurait d'ailleurs agi ainsi avant que l'Arcadia n'entre dans sa vie, mais... il était le capitaine, à présent. Il devait essayer de penser « prudemment ».
— Il me faudra une estimation des dommages subis et du temps pendant lequel on sera immobilisés, dit-il.
Tochiro hocha la tête tout en réajustant d'un doigt ses lunettes sur son nez.
— D'après l'ordinateur principal, cinq jours pour une remise en état complète, mais je pense qu'il surévalue les dégâts. À mon avis il y en a pour deux ou trois jours... Je te dirai dès que j'ai vu la coque.
Deux jours, ce serait parfait. Harlock n'y croyait toutefois guère et il ne souffla mot tandis que Tochiro et lui tournaient autour du vaisseau échoué avec une petite plateforme antigravitationnelle.
À la fin de leur examen, l'expression de Tochiro avait perdu une bonne partie de son allant. Les réparations dureraient plus que trois jours, déduisit Harlock. La confiance inébranlable du petit ingénieur en ses capacités avait du bon, mais elle avait ses limites.
— Je vais... faire de mon mieux, avoua finalement Tochiro.
L'air préoccupé, le scientifique sauta au bas de la plateforme à peine Harlock l'eut-il posée, et s'engouffra aussitôt dans le sas d'accès ventral de l'Arcadia en parlant tout seul. Harlock crut l'entendre marmonner « pas assez de stock, faut que je cannibalise » avant qu'il ne disparaisse.
— Ieeek ? s'interrogea le pélican.
Harlock leva la tête. Le volatile cerclait au-dessus de lui en claquant du bec (la gravité était légèrement moins forte qu'à bord, il semblait ravi), fut soudain bousculé par une bourrasque surgie de nulle part, dérapa sur l'aile et se posa finalement – assez lourdement – à ses côtés après une glissade ridicule dans les graviers.
Harlock le gratifia d'une pichenette sur le bec.
— Tu n'atterris pas mieux que moi, l'oiseau.
La bestiole protesta d'un « ieeek » offusqué. Oui bon, d'accord. Peut-être un peu mieux que lui, corrigea Harlock in petto. L'Arcadia était vraiment dans un sale état, il fallait bien l'avouer. Vu de l'arrière déjà, le pourtour du réacteur tribord était noirci, ce qui était en général mauvais signe quant à l'état du moteur correspondant (la tuyère éventrée était un bon indice également). Le reste n'avait pas meilleure allure : entre les plaques de blindages manquantes, les balafres de métal arraché, la structure interne à nu et les lambeaux fondus qui hérissaient la coque tels de hideux tentacules figés, le vaisseau prenait des allures de carcasse rafistolée dont l'intégrité ne tenait qu'au bon vouloir d'une improbable entité démoniaque.
— Aaah ! Lâche mon casque, satan à plumes !
— Ieeek !
Les cris arrachèrent Harlock à ses pensées. Au pied de la coupée, le pélican se disputait avec... attends voir, qui était ce type ? Harlock plissa les yeux. Une des recrues de Maji ? Harlock avait croisé un mécano au mess immédiatement après leur départ de Hub Terra, mais le chef n'avait-il pas aussi évoqué un pilote ? Ou deux ?
L'homme exécuta un garde-à-vous trop grandiloquent pour être complètement honnête, et lança :
— Loop au rapport ! Paré pour la reco conformément aux ordres, captain !
Harlock ravala à temps le « hein ? » en passe de franchir ses lèvres. La reco. Bien sûr. Il se concentra pour conserver une expression strictement neutre. Il était le capitaine, se répéta-t-il. Un air ébahi aurait été du plus mauvais effet.
Tochiro surgit heureusement à point nommé pour lui épargner un aveu d'ignorance.
— Loop t'accompagne. J'ai calibré les senseurs de la navette Alpha, il faudrait que vous me rameniez le plus grand nombre possible de modules de contrôle... Une dizaine pour commencer, ce serait pas mal.
Avait-il réussi à éviter l'air ébahi ce coup-ci ? se demanda Harlock. Rien n'était moins sûr. Le terme « module de contrôle » lui permettait toutefois de se recaler sur la situation : Tochiro parlait du système de guidage des bombes à plasma, et Harlock savait pourquoi. Les modules contenaient des minerais rares, des cristaux énergétiques, voire des cœurs radioactifs, autant de matières premières dont l'Arcadia manquait et dont Tochiro avait besoin pour réparer.
Alors certes, une grande majorité des modules étaient pulvérisés lors de l'explosion de l'arme qu'ils dirigeaient, mais les vaisseaux fédéraux avaient largué des milliers de bombes depuis l'orbite. Et les composants d'un seul engin, même en miettes, seraient autant de matière que Tochiro ne cannibaliserait pas sur les systèmes encore intègres de l'Arcadia.
Harlock redressa les épaules. Mission facile (un peu trop, même), mais il n'allait pas cracher sur un vol d'exploration. « Paré pour la reco », donc. Il adressa un signe du menton à Tochiro.
— Dix pour commencer, c'est bien ça ?
—————
Loop tiqua lorsque le pélican entra dans la navette avec eux, Harlock grimaça lorsque Loop s'installa aux commandes alors qu'il aurait préféré les prendre lui-même, le pélican fit « ieeek ». La navette décolla vers des contreforts montagneux.
La mission « facile » s'avéra assez rapidement plutôt monotone. Le scanner bipait épisodiquement, Harlock indiquait un cap et une distance, Loop se posait au plus proche de l'endroit ciblé et ils terminaient la recherche avec un détecteur portable. Le plus compliqué, c'était de récupérer le pélican avant de redécoller.
— Vous auriez dû interdire à cette sale bête de nous suivre, captain.
Harlock balaya l'objection de la main.
— C'est un pélican libre. Il fait ce qu'il veut.
Et s'il voulait ieeeker tout son soûl dans le ciel d'Adity, grand bien lui fasse ! Harlock comprenait le besoin impérieux de voler sans entrave parce qu'il le ressentait lui aussi, et jamais il n'empêcherait quiconque à bord de son vaisseau de vivre pleinement ses rêves.
Cela ne compromettait pas la mission, de toute façon. La pêche avait été bonne. Très bonne, même.
— On en a combien ? demanda-t-il à Loop.
— Vingt-neuf, captain.
Silence.
— Avec une telle concentration ça a dû être l'enfer, quand ils ont bombardé.
Silence encore. Ça avait été l'enfer, le paysage de rocaille stérile à perte de vue en était la meilleure preuve.
— Ieeek.
— Pas trop tôt, grogna Loop. ... On s'en fait un petit trentième avant de rentrer, captain ?
Harlock acquiesça. Tochiro serait comblé.
Loop les conduisit au pied d'immenses éboulis rocheux. Une falaise effondrée, une arche monumentale déchiquetée, des vestiges de colonnes vitrifiés par le plasma... Le scanner s'affola soudain.
— Descends, fit Harlock. Il y a l'air d'en avoir plein, là-dessous.
Au moins une dizaine, s'il en croyait son écran. Les bombardiers de l'Union s'étaient acharnés, ici.
Il zooma. L'affichage se modifia.
Les informations qu'il y lut ne concernaient plus les modules.
« Suspicion de traces biologiques, trois mille cinq cents mètres. »
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