Segment 8 - La terre brûlée
Quiconque n'avait pas vécu un bombardement orbital ne pouvait comprendre les ravages que causait un déluge de plasma. Harlock savait. Il gardait en mémoire des images d'immeubles effondrés et de métal fondu, des kilomètres de désolation et le sol empoisonné qui chauffait sous les pieds.
Une bombe orbitale rasait une ville, puis le plasma corrodait la terre. Il était possible de survivre au blast intial à condition de se réfugier dans un abri suffisamment profond, mais les radiations finissaient par tout ronger... y compris les corps de ceux qui n'avaient pu fuir la zone d'exposition à temps.
Harlock cilla. C'était... Il ne se souvenait plus du nom de cette planète. Il ne se souvenait plus comment il avait échoué là-bas. Bob l'avait trouvé, seul au milieu des ruines, alors qu'une escouade méca était sur le point de terminer « le nettoyage ». Sans l'Octodian il serait mort, sûrement.
Il porta la main à son visage, effleura sans y penser sa joue. Il gardait de cette époque la brûlure de la baïonnette laser qui lui avait déchiré les chairs, depuis le bas de l'oreille gauche jusqu'au sourcil de l'autre côté. Une blessure trop vite soignée. Les dommages avaient perduré.
Il cilla encore. Son œil droit le démangeait. Le brouillard de sa vision périphérique se teintait de ténèbres, toujours plus proches de lui, que sa volonté ne suffisait plus à ignorer.
« Entrée en atmosphère imminente. »
— Le moteur tribord est toujours HS, lui rappela Tochiro. L'ordinateur principal compense la dissymétrie de la poussée, mais je ne garantis pas qu'il fasse le job jusqu'au bout.
Ah.
— Je terminerai en manuel, trancha Harlock.
— Okay. C'est toi qui sais.
Pas vraiment, mais il verrait en cours de route. Et puis, qu'est-ce que ça sous-entendait exactement, « une poussée dissymétrique » ? Qu'ils avançaient en crabe ? En quoi était-ce un problème ?
L'Arcadia trembla sur toute sa longueur lorsqu'elle pénétra les couches denses de l'atmosphère. Quelques secondes plus tard, le vaisseau plongeait dans des nuages crasseux. « Attention. Niveau de radioactivité à un point trois au-dessus du seuil de danger. »
— L'air n'est pas bon, décrypta Osman. C'est pas ce que j'avais entendu dire.
Ce n'est pas ce qu'Harlock avait entendu dire non plus. On ne parlait pas d'Adity comme d'une « planète verdoyante », néanmoins elle était qualifiée de « planète viable ». Ce n'était plus le cas.
— On n'obtient pas ces niveaux en bombardant une ville, poursuivait le radio.
L'Union n'avait pas bombardé une ville. L'Union avait bombardé la planète. Le scan de surface révélait des centaines, des milliers de cratères qui constellaient le sol comme une lèpre mortifère.
Lorsque l'Arcadia émergea des nuages, les vitres de la passerelle dévoilèrent l'étendue des dévastations. Partout, la terre était rougeâtre, les montagnes éventrées, les plaines striées de ravines desséchées. Les fleuves immobiles étaient parsemés de rocs, ce qui restait des océans n'était plus qu'une triste boue grise.
Harlock pinça les lèvres. Cette planète possédait un écosystème. Avant.
Peut-être restait-il un infime espoir, songea-t-il.
— On détecte des traces de vie quelque part ? interrogea-t-il.
« Recherche en cours. »
Il restait encore de l'espoir, se répétait Harlock. Il restait toujours de l'espoir.
Face à sa console, Tochiro fixait intensément ses poings devant lui. « Ils ont dit 'une puissance équivalente à un chargement complet de bombes' alors je les ai pris au mot bien sûr », marmonnait-il. Harlock n'osa pas demander au petit ingénieur si l'arme qu'il évoquait était restée à l'état de projet ou si elle était déjà installée sur l'Arcadia. Le cas échéant, était-elle fonctionnelle ? S'agissait-il de ces « canons gamma » que l'IA avait évoqués ? Devait-il exiger de Tochiro qu'il les démantèle ?
Il pensa au Cœur, aux locaux centraux, à l'ordinateur principal. Quelles énergies obscures dormaient là-bas ?
L'IA l'interrompit. « Suspicion de traces biologiques en huit huit vingt-deux. »
L'espoir. Ce à quoi se raccrocher.
Il poussa la barre vers la droite.
Puis il fronça les sourcils : le vaisseau rechignait à lui obéir. Ben quoi ? Il poussa plus fort.
L'instant d'après, la passerelle s'emplissait des sons stridents de multiples alarmes. « Attention. Trajectoire désaxée », s'affolait l'IA. « Perte de poussée critique, portance non assurée. » En clair, ils tombaient.
— L'ordinateur a perdu le contrôle ! cria Tochiro. Je t'envoie toutes les commandes pour l'atterrissage !
Ah ?
Harlock s'entendit répondre « Je prends en compte ! Accrochez-vous ! » tandis qu'il observait avec effarement la trajectoire d'entrée en atmosphère basculer en mode balistique. Il rattrapa la barre d'une main lorsque celle-ci tenta de poursuivre sa course vers la droite.
Hésita une fraction de seconde.
Sourit.
Raffermit sa prise. Bob lui avait souvent dit qu'il aurait fait voler une brique si on lui en avait offert l'opportunité. C'était le moment de lui donner raison.
— Rétrofusées bâbord sur trois quarts, tribord un quart ! lança-t-il. Déployez les aérofreins !
La chute était une glissade sur le côté. Avec un seul moteur, l'Arcadia dérapait inexorablement sur la droite, et les moteurs latéraux n'étaient pas assez puissants pour contrer le lacet. Qu'à cela ne tienne ! S'il parvenait à maîtriser a minima la vitesse, il lui suffirait de redresser son axe juste avant de toucher le sol pour atterrir sans problème.
— Euh Harlock, on n'avance pas droit, tu as vu ?
Difficile de ne pas le remarquer, mon ami...
Par les vitres, le sol était un désert de rocaille. « Distance au sol vingt mille pieds. » Harlock distinguait une chaîne de montagnes face à eux, un canyon démesuré sur leur gauche, une zone couverte d'un brouillard poussiéreux peu engageant à droite...
— Rétrofusées bâbord quatre quarts !
La barre répondait mal, mais Harlock réussit à orienter plus ou moins la trajectoire de descente vers une zone de hauts plateaux qui lui semblait la plus propice pour se poser. « Distance au sol dix mille pieds. » Il n'avait pas beaucoup d'autres options, en réalité.
— On a quasiment trente-cinq degrés de lacet et dix degrés de gîte sur tribord ! Harlock, on va se crasher !
Du calme. S'il pouvait faire voler une brique alors il pouvait faire atterrir une brique, pas vrai ? Personne n'avait jamais nié la justesse de son instinct en pilotage. Ni Bob, ni Warrius, ni... personne.
Warrius.
« Distance au sol cinq mille pieds. »
— Stoppez les rétrofusées !
La commande de puissance du moteur bâbord était à portée de main. Elle indiquait « quinze pour cent », la norme pour un atterrissage.
Il l'enclencha à fond.
L'Arcadia rugit.
La proue se souleva.
Osman glapit.
— À tous les postes, atterrissage !
Harlock tendit ses muscles. Le sol était proche.
L'instinct.
Barre à gauche.
Redresser.
— Stoppez les moteurs !
Quelqu'un s'exclama « Quoi ?! », mais l'IA ne posa aucune question.
Planer. Pouvait-on planer avec une brique ? Bien sûr.
Ils étaient rapides, le sol était devant eux, tout proche, encore plus proche...
Ressource.
Barre à cabrer.
— On touche !
L'Arcadia posa ses réacteurs en premier, la proue dressée vers le ciel, resta en équilibre deux ou trois secondes, puis plaqua brutalement son avant au sol.
— Rétrofusées, pleine puissance !
Le vaisseau laboura la terre, émietta la roche, décapita une cheminée de fées sur son chemin. Devant, le plateau se terminait par un à-pic. Harlock serra les dents tandis qu'il luttait avec la barre pour conserver son axe. Ils avaient assez de longueur.
Derrière, le sillon qu'ils creusaient projetait gravier et poussières de part et d'autre tel une immense vague minérale.
Les rétrofusées hurlaient.
La falaise approchait.
Ils avaient assez de longueur, se répétait Harlock. Ils avaient. Assez. De longueur.
Silence.
Sifflement de moteurs martyrisés.
Chuintement de jets de vapeur, soupir de vérins soulagés de ne plus être sollicités.
Arrêt.
L'Arcadia s'immobilisa dans un dernier grincement de métal fatigué.
La poussière retomba sur la proue surplombant le vide.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top