Segment 3 - Fuite en avant

C'est vrai ?

Comment aurait-il pu en être autrement ? Harlock revint à bord de l'Arcadia avec la petite fille sur les talons. Derrière, son « grand-père » titubait en traînant une malle surchargée. Le pod antigrav en bout de course ne l'aidait guère à conserver une trajectoire rectiligne – à moins qu'il ne soit toujours sous l'emprise de la boisson, ce qui était également une hypothèse plausible.

— ... et Grand-Père c'est pas mon vrai grand-père mais c'est lui qui s'occupe de moi depuis que Maman n'est plus là, et il est un peu triste parce qu'il n'a pas réussi à la soigner, et moi aussi je suis triste mais je sais bien que c'est pas de sa faute parce que Maman était très très malade, tu sais... babillait la fillette.

Pas étonnant que Bob se soit pris d'affection pour elle, songea Harlock. Le vieux poulpe était un grand sentimental sous ses abords rugueux.

— J'm'appelle Lydia, ajouta-t-elle.

Leur arrivée ne passa pas inaperçue. Lydia avait décidé que le pélican était désormais son meilleur ami et le poursuivait le long du quai pour le serrer dans ses bras, riant aux éclats à chaque « ieeek » offusqué de l'animal. Son grand-père avait déclaré forfait et s'appuyait des deux mains contre un mur pour vomir le contenu de son estomac. Et Maji supervisait l'embarquement d'un conteneur par la baie de chargement bâbord, et jouissait donc d'une vue imprenable sur leur petit groupe. Le chef machine ne prit même pas la peine de dissimuler sa réprobation.

— J'ai débauché un mécano et un pilote, et peut-être un deuxième pilote si son collègue est persuasif. Ils ne sont pas formés sur notre matériel mais ils devraient s'adapter sans trop de problèmes... Et vous, vous espérez tirer quelque chose de ce type, captain ?

L'intonation était dédaigneuse. Bien sûr, le grand-père avec sa barbe en broussaille, son teint terreux et ses vêtements dépenaillés ressemblait davantage à un clochard fatigué qu'à un volontaire motivé. Harlock pressentait cependant que la critique ne visait pas uniquement le vieil homme : elle le ciblait lui. Lui et la place qu'il occupait.

Il redressa le menton. Il commandait ce vaisseau. Il n'avait pas de comptes à rendre.

— C'est notre nouveau médecin-chef, affirma-t-il. Il monte, et la gosse monte avec lui. C'est non négociable.

Maji l'affronta du regard pendant une poignée d'interminables secondes. Il ne cilla pas. Le chef machine céda à contrecœur.

— C'est vous qui décidez, captain.

Oui. Il décidait, il engageait sa parole, et il ne revenait pas sur ses choix.
Sa charge, il l'assumerait jusqu'au bout.
Et il garderait ses doutes pour lui.

                                                  —————

Le doc une fois douché s'avéra plus conforme à l'image que l'on pouvait se faire d'un médecin, même si son aspect général tenait plus du médecin de famille que de l'urgentiste militaire.
Il avait roulé sa bosse, malgré tout. Un peu trop, si l'on en jugeait la façon dont son expression s'assombrit lorsqu'Harlock l'interrogea.

— La colonie... n'était pas viable. J'ai fait ce que j'ai pu. Ceux qui ne sont pas morts ont fui. L'Union a évoqué « une variation imprévisible du processus de terraformation ». Ha ! L'Union s'est trompée et ils nous ont laissé tomber, oui !

L'Union laissait tomber beaucoup de monde, se dit Harlock. D'innombrables rumeurs couraient sur les octrois de colonies dans la Bordure Extérieure. Une politique transparente d'expansion, prétendaient les communiqués officiels. Des expériences abandonnées à leur sort, se racontaient les galactiques dans les astroports. Certaines planètes disparaissaient sans que quiconque n'en comprenne la cause.

Il hésita à empêcher le doc de se remplir un verre entier avec une bouteille de whisky « empruntée » au bar du mess. Il hésita à poser des questions plus précises. À quel point pouvait-il se montrer intrusif dans les affaires personnelles de son équipage ? Un peu ? Pas du tout ? Maji l'interrompit avant qu'il ne démêle la pelote de ses tergiversations.

— Des problèmes sur le quai, captain.

Le chef se montrait factuel, résigné peut-être, effrayé sûrement pas. Harlock le suivit dans les coursives en réfléchissant à ce qu'il devait lui-même afficher. Quelle était la meilleure conduite à tenir ?
Qu'attendait-on de lui ?

— Pour les vivres, c'est bon ? demanda-t-il.
— Yep.

Comment réagir si « les problèmes » étaient des agents de la police fédérale venus sonner la fin de la récréation ? Ou, pire, si l'Union avait envoyé l'armée ?

Ce vaisseau est mon vaisseau.

Harlock serra le poing.

Arcadia.

Il n'avait jamais aimé les barrières que la société lui imposait, les règlements que l'Acastro inculquait, les normes que l'Union exigeait. Avec l'Arcadia, il serait libre. Libre de voler. Libre de traverser l'espace. Sans frontières. Sans entraves.
Contre l'Union.
Le souhaitait-il ?

Je rêve de voler.

L'Union n'était pas sur le quai.

— Si vous voulez rester, faut payer !

Hub Terra était quadrillée de milices indépendantes qui assuraient un semblant de sécurité dans les secteurs les plus fréquentables. Leur paie dérisoire les amenait souvent à compléter leurs revenus par d'autres moyens. Le racket, par exemple.

— On a payé la taxe d'accostage en arrivant, rétorqua Harlock.

Un montant indécent pour un dock aussi pourri, soit dit en passant. Que Maji avait avancé de sa poche.
De toute évidence, le chef machine ne réitérerait pas son geste... et il était donc venu chercher « son captain » pour traiter « les problèmes sur le quai ».
Problèmes qui, en l'occurrence, se matérialisaient sous la forme de deux vigiles d'aspect miteux. Le plus grand lui adressa un clin d'œil sarcastique.

— La taxe d'accostage c'est pour accoster, blanc-bec. Pour rester, il y a une taxe de... restage ?

Son collègue et lui ricanèrent. Imbéciles, pensa Harlock.

— Vous n'aurez pas un crédit, siffla-t-il.

S'ils croyaient l'impressionner, ils se trompaient. Il n'était pas « un blanc-bec », il était « le captain ». Il commandait l'Arcadia.

Lorsque le grand vigile avança d'un pas vers lui, Harlock se tourna d'un mouvement mesuré sur le côté. À sa hanche, le canon effilé du cosmodragon dépassait du holster suspendu à sa ceinture. L'expression narquoise de son interlocuteur se figea, devint grimace incrédule.

— Qu'est-ce que tu t'imagines faire avec ça, petit ? Tu veux qu'on te blackliste chez les dockers ? Tu as envie de pouvoir continuer à amarrer ta poubelle sur cette station ?

Harlock déplaça lentement sa main vers la crosse de son arme. Mâchoires serrées. Regard brûlant. Aucune faiblesse. Aucune concession.
Le poids du cosmodragon pesait contre sa cuisse. S'il s'engageait sur cette voie, il n'y aurait pas de retour possible.

La suffisance initiale des vigiles les quittait peu à peu.

— Ho petit, t'emballe pas. On peut trouver un arrangement.

Qu'il soit débutant, il ne le niait pas. Mais il n'était le « petit » de personne. Et son Arcadia n'était pas une poubelle.

Auraient-ils reculé sans plus insister et il en serait resté là, mais l'un d'eux fit le geste de trop. Intentionnel ou non. Peu importe. Tout comme le vaisseau, le cosmodragon était sien.
Le premier tir de plasma arracha un bras à hauteur d'épaule, le deuxième déchiqueta un genou. Les deux hommes s'effondrèrent. Leurs cris le poursuivirent. Il n'y avait plus de retour possible.
Il rengaina.

— On part maintenant, ordonna-t-il à Maji. Fais chauffer les moteurs.

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