Segment 13 - Un peu d'enfer

« Ça m'emballe pas trop de devoir lui tirer dessus... »
L'Arcadia s'arrachait à son orbite de toute la puissance de ses moteurs, et Harlock fixait toujours l'écran tactique sans parvenir à résoudre son dilemme.
Le Karyu.
Warrius.
Tirer.
Devait-il tirer ?

« Fenêtre de warp en attente d'ouverture. »
Harlock tressaillit. L'IA poursuivait sa propre logique, sans qu'il soit possible de déterminer s'il s'agissait de sa programmation native ou si les ordres avaient été donnés par Tochiro... ou par quelqu'un d'autre.

— Harrokku... Ta fuite ne sera pas une défaite. Si tu vas de l'avant, tu écriras ta légende.

Miime ne le quittait pas des yeux. Ses lèvres n'avaient pas bougé. Mais les mots venaient d'elle, sans l'ombre d'un doute.
Harlock se força à soutenir son regard. Dans les iris immenses, des volutes de nacre et d'or virevoltaient en une danse hypnotique. Harrokku... Où voulait-elle l'entraîner ? se demanda-t-il. Elle avait parlé de sorcière, elle avait parlé de labyrinthe. Elle avait parlé d'un refuge.
Il avait besoin d'un refuge.

Il cilla. Un refuge. Cette idée était son idée, c'était une évidence, et pourtant... Il s'obligea à inspirer, à vider son esprit, à détacher chacune de ses pensées les unes après les autres. Cette idée était son idée.
Miime esquissa un sourire. Il frissonna.

Il avait besoin d'un refuge mais il ne s'y précipiterait pas sans réfléchir, se promit-il. Et le warp... n'était pas la solution. La fenêtre hyperspatiale se générerait en portée des missiles du Karyu, et Warrius leur avait déjà prouvé qu'il était homme à saisir une telle occasion. Un saut maintenant les mènerait à leur perte.

— Systèmes d'armes au paré à manœuvrer, annonça Osman.

Le visage du radio était un masque impénétrable.
S'il engageait le combat, il perdrait la confiance d'Osman, pressentit Harlock. Et s'il n'engageait pas le combat, il perdrait tout court.
Harlock serra les dents. Non. Il ne perdrait pas. Ni la confiance de son équipage, ni son vaisseau, ni rien du tout. Lorsqu'il se battait, il gagnait.
Mais rien, absolument rien, ne l'obligeait à se battre selon les règles.

— Tir de barrage ! ordonna-t-il. Je veux un rideau dans l'axe du Karyu, distance neuf cinq !

« Aucun contact détecté à la position », répondit l'IA. « Confirmez. »
Oui, il confirmait. Harlock acquitta la commande sur son panneau de contrôle. L'ordinateur de l'Arcadia possédait peut-être une autonomie hors du commun, par contre en tactique il était vraiment nul !
Il se reconfigurait rapidement, ceci dit.

La passerelle se teinta d'éclairs orangés lorsque les tourelles latérales entrèrent en action.
« Karyu perdu radar. »
C'était le but. La densité du tir brouillait les senseurs, et s'ils ne voyaient plus le croiseur, alors l'inverse était vrai aussi.
Et si le Karyu n'était plus en mesure de les accrocher avec ses conduites de tir, alors il ne serait pas en mesure de tirer. Bien sûr, un missile en trajectoire de contournement saurait pallier la cécité du croiseur, mais cela donnait à Harlock le temps qui lui manquait.

Il vira de bord pour se maintenir dans le cône de brouillage. Il pouvait même gagner quelques secondes supplémentaires.

— Est-ce qu'on a des leurres ? Lancez-les ! Saturez-moi ses radars, il ne faut pas qu'ils puissent détecter le warp !

Enfin... Ils le verraient sûrement (c'était très signant en énergie, une fenêtre d'hyperespace), mais l'essentiel était qu'ils ne sachent pas les viser.

— Je m'en occupe, Katz'n.

Miimee se déplaça vers le poste de l'artilleur et activa la console sans montrer la moindre hésitation – et sans vraiment la toucher. Comment connaissait-elle ce matériel ? s'interrogea Harlock. La pensée le dérangea le temps d'un clignement de paupière, puis s'envola. En réalité, que ce soit elle, Osman ou l'IA, peu importait.

Trois leurres quittèrent le bord en crachant des parasites électromagnétiques dans leur sillage.
Harlock posa la main sur le levier de puissance des moteurs.

— Attention pour passage en warp !

Il égrena mentalement les secondes pour donner aux leurres le temps de s'éloigner de l'Arcadia et de couvrir leur saut avec un maximum d'efficacité. Trois, deux, un...
Warp.

Harlock ferma les yeux au moment de la bascule. Si un missile les frappait à nouveau lors de la dématérialisation, l'Arcadia avait peu de chances d'en réchapper.
« Séquence warp stabilisée. Fin de saut dans onze minutes. Durée de trajet totale : vingt heures et quatre minutes. »
Harlock aspira une goulée d'air, fit jouer les muscles de son cou. Ses épaules étaient raides de tension réprimée.

— Ils vont nous suivre, dit Osman.

Bien sûr. Harlock haussa les épaules et affecta la désinvolture.

— Ils sont moins rapides que nous.

Ils suivraient parce que les moteurs hyperspatiaux laissaient derrière eux des traces ioniques qu'il était possible de pister. Ils suivraient parce que Warrius ne lâcherait pas.
Harlock scruta la trajectoire programmée avec une détermination farouche. Ils suivraient. Et il les sèmerait.
... Et c'était quoi cette icône écarlate en roue dentée, pile sur leur point d'arrivée ?

Osman tapotait sur son clavier avec une moue désabusée.

— On fonce droit sur Hadès, captain. Zone SSX99. Les Enfers.

                                                  —————

Les Enfers. Harlock avait jugé que l'équipage ne pouvait pas rester sans le savoir.

Tandis que l'Arcadia poursuivait sa course un saut warp après l'autre, tout le monde s'était rassemblé en passerelle. Enfin... « Le monde », c'était un bien grand mot, songea Harlock avec amertume. Tochiro, Osman, Maji et trois mécaniciens, Loop et son collègue pilote, le doc... Dix en le comptant lui. Onze s'il incluait Lydia, qui suçotait son pouce sans les bras de son grand-père.
Douze avec le pélican.

— Je ne comprends toujours pas ce que cette sale bête fout à bord, grogna quelqu'un.

Ça venait du groupe de mécanos. Harlock ne releva pas – à quoi bon ? Le pélican se plaisait ici (et il avait probablement exploré davantage de coursives que n'importe qui d'autre, excepté peut-être Tochiro), Harlock n'avait pas la moindre intention de le jeter dehors, et le vaisseau était suffisamment grand pour que chacun s'y ménage son propre îlot de quiétude. Surtout à douze.
Harlock se retint de lever les yeux au plafond. Le problème était inverse, à vrai dire : tant que l'équipage restait aussi réduit, ils avaient plus de risques de se perdre dans le foisonnement de locaux techniques que de se marcher dessus faute de place.
À l'heure actuelle, il fallait toutefois avouer que ces histoires de cohabitation étaient le cadet de ses soucis.

— Mon peuple la nomme « Völva », la Sorcière, disait Miime. Elle s'étend à travers l'espace sur presque cinquante mille veier.

La carte tridi affichait... pas grand-chose. Cela ressemblait à une sphère d'accrétion monstrueuse, avec des excroissances anarchiques qui se déployaient en spirale. La résolution de l'image était exécrable.

— C'est un trou noir binaire de classe stellaire, précisa Tochiro. Son influence se ressent sur un rayon de deux cent cinquante mille kilomètres, avec des irrégularités causées par les vagues gravitationnelles. L'analyse spectrale et les calculs de masse permettent de théoriser avec une relativement bonne précision les...
— Au diable la théorie ! coupa Maji. N'importe quel vieux briscard de l'espace connaît Hadès ! Les limites de la zone de danger ont été cartographiées, mais tous ceux qui se sont risqués à l'intérieur n'en sont jamais revenus !
— Cette saloperie piège tout ce qui passe à proximité, renchérit Loop. 'paraît que c'est un cimetière d'épaves, là-dedans...

Il paraissait, oui. Harlock avait entendu les histoires lui aussi. Des stations entières s'étaient perdues corps et biens dans ce quadrant. « On raconte qu'elles errent sans fin dans l'espace au-delà de la Bordure Extérieure... » Il y avait cru. Il y croyait toujours.

Miime attendit sans bouger que la conversation meure d'elle-même. Personne ne semblait perturbé par sa présence. C'était comme si elle avait toujours été là.

— Je sais le chemin jusqu'aux Portes, reprit-elle enfin. Je vous mènerai à travers le souffle d'Iormun, ainsi vous pourrez accéder au centre du Monde.

Silence. Les paroles de Miime résonnaient comme une prophétie morbide. C'est soit une opportunité inespérée, soit le piège d'une naufrageuse, songea Harlock. Il croisa les bras.

— Et que trouverai-je, à l'arrivée ?
— Ta forteresse, Katz'n. Tu trouveras ta forteresse.

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