Segment 11 - Des yeux or
Harlock ouvrit les yeux sur la lumière impitoyable d'un néon. « Que fait cet idiot de néon au milieu de ruines ? » fut sa première pensée, avant qu'il ne s'aperçoive qu'il était allongé dans un lit et que le doc était penché à son chevet.
— Trois jours ! l'agressa celui-ci à peine Harlock eut-il fait un mouvement. Ça fait trois jours que vous êtes dans le coaltar, vous avez failli y rester !
Ah ?
Harlock se redressa sur un coude. Une barre pesait sur ses sinus, des marteaux furieux frappaient contre ses tempes, il avait la bouche pâteuse et se sentait bizarrement... vide.
Il examina ses souvenirs. La dernière image qu'il gardait en mémoire était celle de Loop, debout sur un tas de gravats. « Faut fouiller de quel côté, captain ? » Après quoi, tout se brouillait.
Le doc, lui, râlait toujours.
— ... puissant alcaloïde, j'ai dû vous mettre sous dialyse pour épurer sinon votre organisme ne s'en serait pas sorti tout seul, je n'ai heureusement pas détecté de phénomène d'accoutumance mais je maintiens la surveillance...
Beuh. Le verbiage médical agaça vite Harlock. Il était en vie ; c'était ce qui importait, non ?
— Je peux y aller, doc ? interrompit-il.
Coupé dans son élan, le médecin-chef se figea dans une pose mi-outrée, mi-éberluée. Harlock en profita pour se lever et attraper un peignoir sur une patère. Il trouverait des vêtements dans ses quartiers, se dit-il. Il y avait vu du linge dans les armoires. Ce n'était pas le sien, mais à condition qu'il ne s'agisse pas d'affaires appartenant à Tochiro (le petit ingénieur avait les jambes beaucoup plus courtes que les siennes), alors cela conviendrait bien.
Le doc lui lança « ne venez pas vous plaindre si vous faites une rechute ! » lorsqu'il sortit de l'infirmerie, mais ne se hasarda pas à le poursuivre. Tant mieux.
— Oh t'es guéri, capitaine ? C'est chouette !
— Ieeek ?
Harlock baissa les yeux sur Lydia. La petite fille tenait le pélican par le bout d'une aile et lui adressa un grand sourire. Le volatile portait un foulard rayé noué autour du bec.
— J'me suis bien occupée de ton oiseau pendant que tu étais malade, capitaine ! annonça-t-elle avec fierté. Je lui ai même brossé les plumes !
— Ieeek.
Le pélican semblait de son côté soulagé d'échapper à sa soigneuse. Harlock le trouva plus ébouriffé que d'habitude.
Le trajet de l'infirmerie aux quartiers du capitaine n'était pas très long, mais a priori la totalité de l'équipage s'y était donné rendez-vous. Harlock croisa successivement Loop (« Vous m'avez fait peur, captain ! »), puis Maji (« J'ai remis les moteurs d'aplomb mais c'est un cataplasme sur une jambe de bois »), et enfin Tochiro (« Il faut absolument que tu voies l'ordinateur, c'est incroyable ! »). Tous tenaient à ce qu'il les suive (pour boire un verre, en machine, dans le Cœur), et aucun ne parut se formaliser, ni même remarquer, qu'il se baladait vêtu en tout et pour tout d'une chemise d'hôpital et d'un peignoir.
Heureusement, le pélican savait rappeler à chacun quelles étaient les priorités.
— Ieeek !
Harlock parvint à la porte de ses quartiers avec la sensation qu'il lui manquait une information cruciale. Le contrecoup de sa blessure, supposa-t-il. Il stoppa, fronça les sourcils, s'humecta les lèvres. Quelle blessure ?
Son avant-bras était emmailloté dans un pansement. Il le considéra d'un œil atone, une seconde, deux, cinq, inspira bruyamment puis, soudain fébrile, déroula la bande de gaze d'un geste saccadé.
Sur la peau courait une fine estafilade, rouge et gonflée, violacée sur les bords. Il n'avait pas la moindre idée de la façon dont il l'avait récoltée. Le doc avait dit « alcaloïde ». Avait-il été empoisonné ? Comment ? Par quoi ? Par qui ? Et pourquoi personne n'avait rien évoqué ?
Sa tête tournait un peu. Difficilement. Comme une toupie qui se fraierait un chemin dans du coton.
— Tu te rappelles quelque chose toi, l'oiseau ?
— Ieeek.
Petit veinard.
Quand il posa la main sur la commande de déverrouillage, le temps s'étira avec une lenteur irréelle. Il lui manquait une information. Par qui ?
Des yeux jaunes.
Pourquoi personne n'avait rien évoqué ?
À l'intérieur, l'espace était trop grand, trop vide, trop impersonnel. Harlock s'était installé là depuis trop peu de temps pour y apporter une atmosphère plus chaleureuse. La pièce n'était meublée que d'un unique bureau, une seule chaise. Les rangements étaient intégrés aux murs, les écrans s'escamotaient dans les cloisons. La porte coulissante qui menait à la chambre était presque invisible.
L'espace était vide.
Mais la chaise était occupée.
— Qu'est-ce que... Comment est-ce que tu es entrée ?
Ses souvenirs s'emmêlaient. Des yeux... Pourquoi personne n'en avait parlé ?
Elle était grande et svelte, avec un port altier, des membres graciles, des doigts peut-être un peu trop longs. Elle portait une combinaison vert d'eau drapée de voiles éthérés. Ses cheveux évanescents encadraient l'ovale allongé de son visage d'un halo bleuté.
— Je sais me rendre invisible aux regards, Katz'n. Je me maintiens à la périphérie des perceptions, ainsi ma présence s'efface des mémoires.
Cela n'expliquait pas grand-chose.
— Tu m'as invité à te suivre alors je t'ai suivi, ajouta-t-elle.
D'accord. Harlock se pinça l'arête du nez. D'accord. Elle l'avait donc suivi jusque chez lui après avoir manqué de le tuer d'un coup de griffe. Était-elle venue achever le travail ?
Elle se leva, pencha la tête de côté, redressa ses oreilles elfiques comme un animal curieux.
— J'ai indiqué à ton médecin quelle était la meilleure façon de te soigner.
Sa prononciation était sifflante, les intonations improbables. Ses lèvres étaient presque invisibles sur sa peau albâtre.
Harlock ne voyait pas sa bouche bouger quand elle parlait.
— Pourquoi ne m'a-t-il rien dit ? rétorqua-t-il.
— Il l'a occulté. Ce n'est pas important.
Ce n'est pas important. Oui, il en était convaincu.
La pensée formulée le mit mal à l'aise sans qu'il ne sache pourquoi.
— Je me nomme Miime.
Elle appuya sur le « i » plus qu'il ne fallait, rendant la deuxième syllabe quasi indistincte.
Elle le fixa de ses yeux immenses, ses yeux d'or, ses yeux scintillants. Ses pupilles étaient deux fentes. Son expression avait les relents ataviques de créatures mythiques plus vieilles que le monde. Elle était un peu plus grande que lui, et elle traînait à sa suite une présence plus grande encore, qui s'enroulait autour de lui et emplissait la pièce.
Lorsqu'elle se leva et qu'elle se déplaça vers lui, elle parut sinuer davantage que marcher.
— ... et je serai à tes côtés sur le chemin que tu t'es choisi, Harrokku.
Le temps tourbillonna dans les iris jaunes, se perdit dans des promesses d'éternité.
Le silence dura une seconde. Ou plus. Ou moins.
Puis le hululement de l'alarme générale tomba des hauteurs du plafond.
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