Chapitre 8


L'échange visuel entre les deux hommes fut long et chacun sut que l'autre l'avait reconnu. Pourtant, aucun des deux n'ouvrit la bouche, n'échangea le moindre salut. Stiles était bien trop... Timide pour amorcer la conversation. Il n'était pas de ceux qui parlaient, extériorisaient leurs sentiments ou impressions. Enfin, autrefois peut-être. La seule chose qu'il s'autorisait, c'était de laisser la surprise imprégner ses yeux. Naïvement, Stiles prit à penser que cette reconnaissance était à sens unique. Qu'il avait rêvé cette réciprocité dans le regard magnifique de cet homme... Au physique fort avantageux, pour ne pas répéter... Magnifique. Merde, pesta intérieurement Stiles, qui s'interdit plus que tout de le regarder plus de quelques secondes, de peur... De tout. De peur qu'il le juge, qu'il le trouve étrange, qu'il lui en veuille, qu'il le frappe, qu'il... Il pouvait lui arriver tellement de choses, certaines certes plus vraisemblables que les autres, mais... Pouvait-on lui en vouloir d'avoir été façonné par la violence ? Il la craignait comme si elle pouvait continuer de surgir à n'importe quel moment, capable de s'abattre sur lui et de le clouer au sol par sa simple mention.

Stiles détourna rapidement le regard et s'assit fébrilement au bureau que lui indiqua avec Allison. Sa douceur le surprenait toujours et il n'arrivait pas à s'y fier. Il aimerait, vraiment, mais... Qui lui disait que celle-ci n'allait pas se retourner contre lui ? Endormir sa vigilance pour frapper plus efficacement... Certains avaient agi de la même manière, à Alvan. C'était une manière de dominer sans efforts, aussi efficace que redoutable.

Histoire de ne pas passer ou un idiot complet, Stiles sortit ses affaires de son sac. Dire qu'il appréhendait serait un euphémisme. Il angoissait carrément à l'idée de rester ici, entouré de ces inconnus trop nombreux pour sa santé mentale. Et s'il faisait des erreurs dans son devoir, et si Jackson n'était pas content du travail qu'il fournirait ? Et s'il se rendait compte que Stiles collectionnait les lacunes ? Il imaginait déjà la honte, l'humiliation, la violence. A l'autre bout de la pièce, Derek fronça les sourcils mais ça, Stiles ne le vit pas, trop concentré sur les affaires qu'il sortait bien lentement de son sac. D'un geste nerveux, il remonta ses lunettes sur son petit nez retroussé. Il espérait en finir en moins d'une heure...

Allison essaya de discuter un peu avec lui pour le détendre. Elle avait beau n'être qu'une humaine, la cécité ne faisait pas partie de sa courte liste de défauts. Et puis, elle était sensible à cette peur qu'elle ne pouvait que remarquer. Des gens angoissés, elle en connaissait. Mais Stiles dépassait tout. Il était complètement terrorisé. Elle échangea un léger regard avec Derek. Elle sut à son air perplexe qu'il sentait cette peur incommensurable. Elle n'était donc pas folle. Mais elle continua, tout de même, de lui parler de choses légères en attendant l'arrivée de Jackson. Pas moins de cinq minutes plus tard, le blond prit place à côté du brun qui se crispa encore plus que précédemment. Allison s'en alla, mais pas sans jeter un dernier regard à Derek, qui hocha la tête, comme s'il avait compris ce qu'elle avait voulu lui signifier silencieusement.

Et le plus âgé assista au devoir commun le plus tendu de l'histoire. Le jeune pianiste à lunettes, Stiles, parlait à peine, limitait ses mots au maximum. Il disait oui à tout ce que proposait Jackson, validait toutes ses réponses et ne proposait pas grand-chose de son côté. C'était à la fois agaçant et... Perturbant. Derek mourait d'envie de dire à ce presque inconnu qu'il n'avait rien à craindre, mais quelque chose lui disait que ce serait une erreur. Le brun semblait prêt à s'effondrer à la première remarque, et une petite voix soufflait au loup que la présence de Jackson n'y était pas pour rien. Pour autant, il connaissait bien le blond aux allures de sportif et savait pertinemment qu'il ne ferait pas de mal à une mouche. Terroriser les gens, ce n'était pas son truc, mais il fallait avouer que sa carrure pouvait faire peur, dans le sens où Jackson... N'était pas homme à se laisser faire. Il avait sans arrêt l'air fermé, froid et ses muscles saillaient plus qu'ils ne se devinaient à travers ses vêtements parfaitement ajustés. Il était riche et dans ce sens-là, avait du pouvoir, de l'influence. Il transpirait l'opulence et son nom de famille avait son importance à Beacon Hills. En fait, Derek devina bien vite que l'allure de Jackson mettait Stiles mal à l'aise. Ils étaient diamétralement opposés et l'air extrêmement craintif du brun était sans équivoque.

Derek ne put toutefois s'empêcher de se dire, entre deux relevés de comptabilité, que le jeune homme n'avait de commun avec le pianiste que le visage. Toute sa frêle assurance et cet épanouissement qu'il lui avait vu quelques jours plus tôt n'était rien d'autre qu'un souvenir. Derek imagina un instant s'être trompé, avoir confondu, mais balaya bien vite cette idée. L'odeur était la même. Simplement, celle-ci était teinté d'une terreur indicible, une terreur qu'il ne comprenait pas, même en essayant de tout son cœur. Et même si tout ce qu'il connaissait de lui était son talent inné pour le piano, il avait d'ores et déjà envie de savoir ce qui causait cette terreur si grande, si tangible... C'était comme s'il pouvait la toucher du doigt. C'était perturbant, à tel point qu'il eut bien du mal à se concentrer sur sa paperasse à lui. Stiles avait un visage délicat auquel un sourire apporterait sans aucun douce un éclairage nouveau. A quoi ressemblaient ces yeux lorsqu'une lueur rieuse y naissait ? L'impression étrange que ce garçon n'avait pas ri depuis longtemps le prit aux tripes. Il ne le connaissait pas et pourtant, c'était déjà une certitude.

Au bout d'une bonne demi-heure, Derek fit un léger signe de tête à Jackson et se leva. Le kanima le rassura du regard et continua de discuter de son devoir avec Stiles. Enfin, c'était lui qui menait la « conversation » et le brun continuait de répondre au minimum, en sortant peu de mots. C'était comme s'il concourrait pour parler le moins possible pour décrocher une palme imaginaire. Le loup-lézard n'était pas idiot : sous ses airs fermés et revêches, il sentait tout ce que les autres percevaient. Cette peur si grande qu'elle donnait à ce Stiles une odeur putride et qui devenait difficile à respirer. C'était d'ailleurs ce qui l'avait choqué la première fois qu'il l'avait rencontré, dans cette salle de classe. Comment un simple humain pouvait dégager autant de crainte ? Alors même s'il ne disait rien quant à ce sujet, il essayait de le mettre à l'aise à sa manière. Bordel, même Allison n'avait pas eu l'air de réussir à le détendre une fois et pourtant, elle était d'une douceur exemplaire. Il se souvint de ce qu'elle lui avait raconté l'autre jour : elle avait trouvé Stiles en train de faire une grosse crise de panique dans les toilettes, une crise si importante qu'il s'était évanoui. Comment était-ce possible ?

De son côté, Derek se permettait une petite pause dans son travail. Il avait rejoint le groupe dans le salon et faisait part de ses impressions. Scott, Allison et Jackson lui avaient bien parlé de ce garçon avant de le faire venir et s'il avait été simplement surpris par leur compte-rendu, jamais il n'aurait imaginé rencontrer quelqu'un d'aussi craintif. Le reste de la bande les écoutait, vivement intéressée et intriguée par cet humain qui transpirait la peur. Il était mignon, semblait gentil comme tout mais n'importe quelle présence le tendait, y compris celle d'Allison même s'il avait l'air de lui faire vaguement confiance. La jeune femme en question semblait inquiète et proposa de le mettre à l'aise, de lui servir quelque chose. Derek hocha la tête et décida d'aller dans la cuisine, sortit un plateau d'un placard et, pour que cela ne soit pas trop suspect, s'empara de deux verres et de quelques boissons.

Il entra sans bruit dans le bureau, histoire de ne pas déranger et déposa le plateau en bout de table.

- T'as jamais vu cette notion, soupira Jackson.

Derek sentit l'odeur de Stiles se teinter d'angoisse et risqua un coup d'œil dans sa direction avant de retourner s'assoir à son bureau.

- S-si, seulement... J'ai... Un peu de mal... Articula l'adolescent.

Mais il mentait. Derek perçut l'irrégularité dans les battements de son cœur. Il fronça légèrement les sourcils en reprenant ses papiers. Jackson lui lança un regard perplexe. Lui aussi avait capté le mensonge.

- Tu peux être honnête, je vais pas te frapper, lui dit-il d'un ton un peu brusque.

Stiles tressaillit et ferma les yeux un instant avant de les rouvrir. Il avala doucement sa salive.

- C'est pas ça, c'est...

- Laisse tomber, je vais gérer cette partie du devoir, soupira à nouveau le blond d'un air irrité. Sinon, on va y passer la nuit.

Ce n'était pas son manque de connaissance qui l'agaçait, c'était le mensonge. Cette attitude du garçon pris en faute et mis devant son ignorance le sidérait, mais le pire, c'était bien son manque d'honnêteté. Jackson détestait les mensonges. Il se détendit légèrement : le jeune homme à lunettes était un humain et ne se doutait absolument pas qu'il était capable de lire dans son cœur. Et puis cette terreur était réelle. Même s'il ne la comprenait pas, il ne pouvait décemment pas lui en vouloir. Il semblait si... Si... Innocent. Cependant, sa crainte était un tantinet agaçante de par son côté incompréhensible.

Stiles ne savait pas où se mettre. Il gardait ses mains en poings serrés sous le bureau, sur ses cuisses. Garder un air plus ou moins normal était difficile, surtout au vu du temps qui passait. Depuis combien de temps étaient-ils sur ce devoir ? Dix minutes ? Trente ? Une heure ? Il n'en avait aucune idée et même s'il mourait d'envie de le savoir, la peur d'être impoli en sortant son téléphone pour regarder l'heure l'emportait. Déjà qu'il n'était pas bien brillant et que ses lacunes l'humiliaient devant ce blond aussi beau qu'intelligent... Une chose était certaine, tout le monde n'était pas gâté par la nature de la même manière. Certains naissaient avec des avantages et d'autres, non. Stiles faisait partie de la seconde catégorie. Il n'avait rien pour lui, pas même un peu de jugeotte. Tout ce dont il avait hérité, c'était d'un cerveau qui pensait trop, d'une hyperactivité qui l'handicapait s'il ne prenait pas son traitement, d'une faiblesse monumentale et...C'était tout. Côté physique, on repassera. Niveau comportement, disons qu'il faisait désormais de son mieux pour au pire, ne pas déranger, au mieux, se faire oublier. Mais comment faire oublier sa présence alors que sa présence était requise pour un devoir ? La honte le submergeait par vagues. Chaque remarque de Jackson, chaque déception qu'il devinait dans sa voix le tuait de l'intérieur. Lorsqu'il rentrerait chez lui, il devrait mettre les bouchées doubles et tout faire pour sortir la tête de l'eau au niveau des cours. Il fallait qu'il assure un minimum, qu'il sache au moins quoi faire... Même s'il n'était pas sûr que les études qu'il suivait lui plaisaient vraiment. L'hyperactif avait pris ce qu'on lui avait proposé parce qu'il fallait bien continuer après Alvan, mais... Il n'allait pas assez bien pour faire un choix réel, pour décider de son avenir en son âme et conscience. Au moins, il conservait une certaine linéarité, parce que c'était ce que son père attendait de lui. C'était le chemin logique à suivre.

- Ça non plus, tu ne l'as pas vu ? Commença à désespérer Jackson, sans aucune agressivité.

Il gardait un visage dur et fermé, mais il était difficile pour lui d'ignorer cette odeur putride émanant du son binôme qui se ratatinait toujours plus. Stiles pâlissait à vue d'œil. Il avait honte, tellement honte ! Si bien qu'il ne répondit pas. Il n'osa pas. D'un autre côté, il ne pouvait empêcher sa peur de croître. Son corps trahissait une tension sans équivoque. Était-il utile de préciser qu'il avait la nausée ? Sous le bureau, ses mains au poings si serrés que ses phalanges s'étaient blanchies tremblaient. Il n'était peut-être pas si loin d'une crise de panique. La notion dont parlait Jackson... Il ne savait pas laquelle c'était, pour la simple et bonne raison que cela faisait déjà quelques minutes qu'il n'arrivait pas à se concentrer ni même à se rappeler ce qu'il avait étudié, rattrapé, pas encore vu...

- Je pense qu'une pause serait la bienvenue, intervint Derek, l'air préoccupé.

Il montra discrètement les boissons et les verres à Jackson, qui hocha très légèrement la tête.

- Bonne idée, lâcha-t-il, la mâchoire serrée.

A côté de lui, Stiles n'avait pas relevé la tête, mais il était clair qu'il avait entendu. Pour autant, il ne s'était pas détendu le moins du monde. Jackson se demanda si ce n'était pas l'inverse qui se produisait. N'était-il pas d'autant plus tendu ?

En son for intérieur, Stiles ne voulait pas faire de pause. Il n'avait qu'une envie : s'en aller. Puis rentrer chez lui pour s'enfermer à double tour dans sa chambre. Jackson ne lui faisait peut-être rien actuellement, mais cela viendrait sans doute plus tard, au moment où il s'y attendrait le moins. Bien évidemment, il ne dit rien sur ce sujet et accepta fébrilement le verre que lui tendit Jackson après l'avoir rempli avec un soda quelconque. Il regarda le liquide sombre et s'imagina plonger dedans. Liquide aux petites vaguelettes créées par les tremblements de ses mains complètement visibles.

Oui, définitivement, il voulait partir.

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