Chapitre 17
La voiture de Derek était étonnante. Spacieuse, confortable. Luxueuse, certes, mais pas détonante pour autant dans le parking souterrain de cet immeuble un peu sombre. La couleur l'y aidait. Mais Stiles n'y pensait pas vraiment, ne songeait pas à la chance qu'il avait de pouvoir monter dans un bolide pareil... Bolide dont il était l'un des premiers à avoir le droit de connaître l'intérieur. Et même s'il le savait, il n'en aurait rien à faire. La peur : c'était elle qui primait toujours sur tout. Qui dictait le moindre de ses gestes, la moindre de ses décisions.
Il avait avancé jusqu'à cette voiture et s'était engouffré à l'intérieur avec l'impression qu'il n'en sortirait jamais. Il avait attaché sa ceinture, regardé Derek s'installer au poste de conduite et s'était entendu lui donner son adresse. L'homme l'avait rentrée dans son GPS et n'avait pas attendu longtemps avant de démarrer. Mais l'avait-il réellement tapée ? Stiles ne savait pas vraiment... Il avait regardé sans voir. Alors évidemment, il douta, choisissant toutefois d'adopter sa stratégie habituelle : tenter d'en montrer le moins possible. La discrétion... Ça ne l'avait jamais sauvé, mais ça limitait les dégâts. Dans le pire des cas... Il n'aurait qu'à crier, en espérant que quelqu'un l'entende. Quoiqu'il ne voyait personne le sauver en cas d'agression. Il faisait partie de ces gens sans valeur que l'on ignorait sciemment, ceux qu'on laissait crever la bouche ouverte dans un cri silencieux. Sans voix. Et puis une voiture, c'était si discret... Si piégeux. Stiles n'aimait pas ça. Du moins, il détestait l'idée de ne pas être seul dans l'habitacle. Il pouvait lui arriver tout et n'importe quoi. Personne n'en saurait rien, rien de rien ! Noah n'avait jamais rien su de son enfer lors de son séjour à Alvan, séjour qui avait duré des années... Alors ce qu'il était susceptible d'arriver à son fils dans une voiture quelle qu'elle soit ? Jamais. Jamais.
Ses yeux inquiets regardaient le paysage de la ville défiler. Stiles avait l'espoir étrange de se faire oublier, de... Prendre moins de place dans l'habitacle en se ratatinant sur lui-même. Il n'arrivait pas à se convaincre... Que les choses pouvaient bien se passer. Qu'il pouvait ne rien lui arriver. Tel un condamné se sachant innocent, il attendait que la sentence injuste tombe. Que la voiture s'arrête, que l'enfer commence. Stiles adorerait se dire que son chauffeur du jour ne lui voulait pas nécessairement du mal, mais... Il était comme les autres. Il devait l'être. L'humanité qu'il connaissait était pourrie de l'intérieur, de toute façon. Tout le monde avait sa part d'ombre... Et certains l'exprimaient tardivement. Peut-être était-ce le cas de Derek. Il attendait... Pour mieux le broyer le moment venu. Quelques minutes, sans doute, le temps... De lui faire imaginer qu'il finirait son trajet sauf. Mais Stiles n'y croyait pas. Il allait lui arriver quelque chose... Restait à savoir quoi précisément, et quand.
- Détends-toi.
Stiles ne put empêcher un sursaut de secouer vivement son corps. Un frisson de terreur parcourut son corps dans son entièreté et Stiles n'osa pas tourner la tête en direction de son chauffeur. Son regard... Il avait peur de lire en lui cette violence qu'il craignait tant. Pourtant, sa voix paraissait douce et Stiles n'avait perçu aucune animosité dans ses mots. Toutefois, que pouvait-il opposer comme résistance à une habitude enracinée en lui ? Des années qu'il fonctionnait de cette façon, qu'il... Avait peur des gens. Pas de lui-même : il se savait inoffensif... Et c'était bien ça le problème. On pouvait lui faire ce qu'on voulait, il serait incapable de se défendre de quelque manière que ce soit – et ce, même s'il essayait. Dans ces moments-là, la tétanie prenait souvent possession de lui.
Stiles se demanda alors ce qu'il était censé faire, ou répondre. Derek... Qu'est-ce qu'il attendait de lui ?
- Je ne sais pas de quoi tu as peur, commença l'homme, mais je veux que tu saches que tu n'as rien à craindre.
Cette phrase, il l'aima autant qu'il la détesta. Elle était porteuse de ce qu'il aimerait vraiment connaître : la paix. Mais les gens comme lui, les proies, on ne les laissait le droit de voir ce souhait se réaliser. Pourquoi ? Lui-même n'en avait aucune idée. Le jeune homme ne savait pas ce qui déterminait la vie ou la destinée des individus sur Terre, mais... L'existence qu'on lui avait choisie était toute tracée. Il avait vécu dans la violence et continuerait de la subir jusqu'à ce qu'il décide d'y mettre fin – ou qu'on s'en occupe pour lui. Néanmoins, la vie avait beau être dure... Stiles restait quelqu'un de curieux, un être empli de paradoxes. Dans un sens, il avait besoin... D'avancer, d'apprendre des choses. Il y avait bien un sens à tout ça, non ? Si la vie lui avait été donnée, il devait y avoir une raison. Il savait qu'on pouvait survivre à des horreurs, alors pourquoi pas lui ? Mais après cela, que faire ? Sa vie serait-elle un cycle ou se contenterait-il de vivre dans la peur de l'autre jusqu'à la fin de ses jours ? Sur l'instant, Stiles se trouva un tantinet masochiste. Une petite voix lui soufflait que vivre dans la peur... Eh bien, ce n'était pas réellement vivre. Mais qu'y pouvait-il ? Il ne savait pas faire autrement. Son plus grand talent résultait dans l'obéissance et la soumission – ce qu'il savait ne pas forcément être une bonne chose.
- D'accord, souffla-t-il alors.
Laisser son chauffeur sans réponse était extrêmement malpoli d'autant plus que Stiles... Avait besoin de le satisfaire, d'une certaine manière. Alors, et même s'il se savait incapable de se détendre et de se dire que tout pouvait bien aller, il répondait et essayait d'exercer au mieux sa comédie. D'avoir l'air détendu. Il espéra de tout son cœur que sa tentative fonctionnait parce qu'il... Avait peur de froisser Derek. S'il n'était pas toujours capable d'obéir en tant que tel à un ordre ou une demande... Il ferait au mieux pour satisfaire l'homme et peut-être, ainsi, d'éviter de découvrir sa part sombre. L'espoir faisait vivre ou, dans le cas de Stiles, survivre.
- Depuis combien de temps tu fais du piano ?
Cette fois, Stiles tourna instantanément la tête vers son chauffeur du jour tant la question le surprenait. Il se rendit alors compte de quelque chose qui, à ses yeux, avait de l'importance. Disons que le jeune homme... Ne s'attendait pas réellement à ce qu'il l'ait reconnu, ni même à ce qu'il se souvienne de lui à proprement parler, de cette rencontre discrète au bar. Stiles se disait qu'en plus d'être une proie facile, il était un élément de décor. Pas une personne distincte des autres. D'autant plus que Derek... Il ne semblait pas être le genre d'hommes à se soucier des détails dans son genre.
- Je, euh... Depuis toujours, j'ai juste... Dû faire une pause de plusieurs années.
Lui répondre était une évidence... Et une manifestation d'un instinct qu'il essayait parfois de réfréner. Mais ces mots, il n'avait pas pu le retenir. Le piano... C'était sa passion la plus lointaine et celle qui revêtait, pour lui, la plus grande importance. Et pourtant, il n'avait pas souvent l'occasion de l'exercer – c'était même rarissime. Pourrait-il un jour s'imaginer jouant un petit peu tous les jours ? Si avait senti à quel point il avait perdu après toutes ces années... Il gardait un niveau plus que satisfaisant, un niveau qui lui permettait de se faire plaisir. Le piano, c'était tout ce qui restait de celui qu'il était avant de découvrir l'enfer. La musique lui avait survécu... Au contraire de sa psyché brisée.
- Pour quelle raison ?
La voix de l'homme était étonnamment chaleureuse, presque douce. Et sans trop savoir pourquoi, Stiles eu cette fois envie de lui répondre. Pas juste parce qu'il le fallait. C'était le genre de questions qui le faisait s'imaginer qu'il avait la possibilité de parler, de tout expliquer.
Mais il ne le ferait pas.
- A Alvan... Il n'y avait pas de piano.
Ce n'était pas un mensonge, pas vraiment. La musique y était interdite. Tout n'était que travail... Travail et violence.
Stiles tourna à nouveau la tête vers la vitre et se remit à observer le paysage, c'était plus simple pour lui. Ainsi, il ne vit pas le conducteur hocher doucement la tête, mais il sentit quelque chose se détendre en lui sans pouvoir deviner de quoi il s'agissait. C'était minime, presque rien. Mais il pensa inconsciemment un peu moins à la manière dont son existence pouvait se terminer à tout instant. Peut-être parce que la voix était douce, parce que l'attitude de l'homme s'évertuait à rester non pas bienveillante, mais neutre. Cousine de l'indifférence. A côté de cela, il essayait de faire la conversation – sans doute pour ne pas s'ennuyer pendant le trajet. Etrangement, Stiles trouvait ça rassurant. Légèrement.
Rien ne lui garantissait toutefois qu'il allait rentrer chez lui dans une égratignure, cependant... Oui, ce petit quelque chose qui s'était détendu faisait doucement son effet.
- Tu m'as bluffé, l'autre soir.
Stiles lui lança un regard de biais, pas sûr toutefois de la manière dont il était censé interpréter la chose. N'importe qui aurait compris et accepté le compliment, mais... Pas lui, il avait du mal – et aucune confiance en lui par-dessus le marché. Alors, il se contenta d'hocher la tête en forçant un sourire, histoire de ne pas sortir des clous, d'avoir une réaction similaire à celle que Derek devait attendre. Stiles observa ses mains et retint un soupir de soulagement en voyant qu'elles ne changeaient pas de position, qu'elles ne s'étaient pas non plus crispées sur le volant. Stiles décida de considérer ça comme un sursis. Un bon sursis...
... Qui se confirma lorsqu'il se retrouva dans son appartement, quelques minutes plus tard, seul, sain et sauf. L'homme était reparti sans rien faire de plus que lui souhaiter une bonne soirée. Pas de menace, pas de regard mauvais. Pas non plus d'air avenant, pas d'un sourire qu'il aurait tout de suite identifié comme faux. C'était parfait.
Stiles considéra donc que le trajet s'était bien passé... Mais n'était pas certain que son retour à l'université se passe dans de bonnes conditions. Il craignait Derek, oui et ce sentiment ne disparaîtrait pas à l'issue d'une seule « bonne » expérience... Mais il craignait davantage Jackson et Allison. Deux êtres qui paraissaient diamétralement opposés en termes de caractères, mais desquels il sentait une force certaine émaner. Et pour lui, force rimait avec violence. A côté, le calme naturel qu'il avait ressenti chez son chauffeur... C'était presque rassurant.
Presque.
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