PROLOGUE

En ces temps futurs l'humanité s'était construit son paradis : non contente d'explorer les étoiles et de rencontrer d'autres civilisations, elle promettait à chaque membre de sa société à manger et où loger, des soins gratuits, et, à la fin de la vie, une place dans l'After, un serveur informatique, où, dématérialisé, on pouvait continuer à vivre indéfiniment.

Raffinement d'une société qui cultivait l'empathie, ou du moins tentait de le faire croire, elle avait aboli la peine de mort et la prison. Les autorités employaient des agents télépathes, s'assurant ainsi qu'aucun innocent ne soit condamné à tort et mesurant avec précision la sincérité des regrets exprimés. La sanction la plus lourde qu'un criminel pouvait craindre était une suspension de citoyenneté et donc le retrait d'un accès gratuit aux droits basiques, mais pour le condamné, on lui trouvait un emploi rémunéré : une forme de travaux forcés en ces temps futurs qu'on aurait simplement qualifiée de vie ordinaire au XXIe siècle.

Et pourtant il y avait des exceptions; parmi celles-ci, l'affaire Garen Antor en était une. Garen, haut fonctionnaire travaillant pour les projets expérimentaux de la Flotte Stellaire, avait été impliqué à tous les niveaux dans un projet sordide, dont les détails ne furent jamais clairement révélés au grand public pour des raisons de pudeur et de risque de contamination de la violence. La donnée certaine était que ce projet s'était soldé par la souffrance, la torture et la mort de plusieurs centaines d'enfants et d'adolescents - ce que les familles confirmèrent avec douleur. L'ampleur de cette entreprise criminelle avait transféré un procès qui devait en principe être militaire à une cour criminelle civile.

La tentation de revenir aux châtiments de l'ère pré-stellaire était forte, et sur la planète Calchas-3, où se trouvaient les « centres de rétention administratifs », des prisons dont on ne disait pas le nom, affluaient, parmi les relais des médias, les touristes sociétaux et des

juristes bien embarrassés, des manifestants en faveur de la peine de mort.

Les philosophes, les activistes pour la paix, les spécialistes de l'histoire humaine, les personnes raisonnables et les gens de bon cœur firent appel aux Transients, des formes de vie extra-terrestres si évoluées par rapport à l'espèce humaine qu'il était impossible de les distinguer des dieux, en leur priant de peser par leur puissance dans le débat pour éviter un retour en arrière civilisationnel. Les Transients commerçaient depuis des années avec l'espèce humaine en lui prodiguant savoir et richesses, et jusqu'à présent, leur bonté et leur sagesse s'avéraient incontestables et sans faille.

Ainsi, quand le procès débuta, un Transient comptait parmi les juges, en s'incarnant dans une machine à l'image d'un humain pour communiquer avec la cour.

À la surprise de tous, Garen Antor n'était pas un fonctionnaire froid et sec dans un uniforme gris; c'était une force de la nature, large et grand, charismatique, et doté d'un regard intelligent; une intelligence qui s'exprima par le silence au milieu de débats qui tenaient plus de l'avenir politique de la civilisation humaine que de son sort à lui.

La peine de mort était exclue, la prison à vie, sans espoir de sortie, pas bien valorisante pour le projet d'amélioration de l'humanité. La prison temporaire comportait le risque réel que Garen Antor soit assassiné par un de ces parents vengeurs qui en avaient exprimé l'intention sans ambages devant les caméras. Faute d'autre solution, le Transient proposa l'exil vers une destination inconnue, si lointaine que Garen Antor n'aurait pas l'occasion de revenir. En ces temps futurs, il suffisait d'une ou deux secondes pour passer d'un bras de galaxie à l'autre, et le Transient proposa un voyage en exil d'une durée de un an. La distance d'exil était ainsi inconcevable pour l'esprit humain.

Les avocats de Garen Antor plaidèrent plutôt pour une suspension de citoyenneté à vie, la sanction la plus dure jamais émise par cette société du futur, et une thérapie en virtualisation, c'est-à-dire une façon de modifier sa disposition d'esprit par des IA médecins.

Ils s'opposèrent à l'exil préconisé par le Transient au cours de trois plaidoyers aujourd'hui oubliés mais qui furent un temps les cas d'école du droit et de la morale : l'argument de « l'ambassadeur indigne », de « la punition impossible » et enfin du « retrait de l'éternité ».

Le retrait de l'éternité signifiait que la société allait priver Antor de la possibilité de se télécharger à la fin de sa vie dans l'After, et donc d'être privé d'une vie éternelle qui était un droit fondamental. Ainsi, la société, par son action punitive, allait se montrer aussi cruelle que celui qu'elle condamnait. Cet argument, hélas, ne pesait pas lourd face aux exactions commises par Antor, et aucun citoyen ne se sentait à l'aise de terminer un jour dans le même paradis virtuel que ce triste sire.

La punition impossible suggérait qu'un an de voyage l'emmenerait peut-être hors des limites de l'univers, ou tout du moins dans un vaste vide intergalactique, un endroit sans vie possible, et que cet exil équivalait à la peine de mort. Cet argument fut balayé par le Transient qui déclara qu'il suffisait de programmer l'arrêt du vaisseau devant le premier amas stellaire après un an de voyage en cryogénie.

L'ambassadeur indigne affirmait que si jamais Antor se retrouvait sur une planète abritant la vie, ou une civilisation, il serait, auprès de cette civilisation, l'ambassadeur de l'humanité. Et l'humanité veut-elle d'un tel ambassadeur ?

Mais la parole d'un Transient, qui avait apporté tant de bien à l'humanité, face à celui qui représentait ce qu'elle avait produit de pire, était irrésistible.

Garen Antor fut donc condamné à l'exil. Les images de ce grand homme qui n'avait soufflé mot à son procès, alors qu'il entrait dans un sarcophage de suspension de vie pour un an, marquèrent les esprits et excitèrent l'imagination de tous. En effet, à l'occasion, cameras et micros lui furent tendus pour qu'il puisse transmettre ses dernières paroles.

Résolu, empli d'une force sereine, les yeux dans les caméras, il déclara : « Je reviendrai. »

Mais c'était il y a plus de cent ans, et il n'est jamais revenu.

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