Quand Ada ouvre les yeux, elle est pelotonnée dans sa doudoune, sur une surface solide, à l'abri du vent dans...quelque chose qui a une ouverture vers l'extérieur en forme d'amande. Elle a beaucoup pleuré dans son sommeil et croit bien qu'il s'est passé plus d'un jour dans son inconscience; elle a soif.

Elle comptait bel et bien mourir dans les montagnes, mais maintenant qu'elle a vraiment soif, son corps lui dit de vivre, et...de manger de la neige. Elle sort en titubant. Il n'y a plus de neige.

Alpha l'a menée de l'autre côté des montagnes, à travers un col enneigé qui retombe sur une vallée qui plonge, au loin, vers un autre lac semblable à un océan. Le soleil rouge tombe devant elle : ils sont partis vers l'ouest. Alpha est penché sur un ruisseau d'eau claire. Il taquine une bestiole de la taille d'un lapin mais plat comme un lézard, avec six pattes. Pas d'écailles, mais une jolie fourrure verte et bleue qui scintille au soleil. Un autre Xeno ? D'où vient-il ?

Ada se met à genoux devant le ruisseau et se passe la langue sur les lèvres. Alpha plonge sa patte aiguisée, capte un peu d'eau, et la porte à ce qui devrait être sa bouche. Il l'encourage. De toute façon, elle ne tenait plus.

Elle prend de l'eau très froide dans les mains, et en boit. Elle est parfaitement claire et pure, et froide, oui ! mais cela lui fait beaucoup de bien. Son corps chante. Si les bactéries doivent la tuer, voilà une bien bonne façon de mourir. Avec l'hydratation vient la lucidité. Il y a d'autres lézards ici qui s'égayent dans le torrent. Il y a des animaux sur Clelia ?

Alpha tire une sorte de gaufre gélatineuse, vert intense, du ruisseau. Elle est épaisse et a l'apparence d'un bonbon. Il fait semblant de la porter à sa bouche, puis la donne à Ada. Ada fait confiance au Xeno et mord dedans : c'est consistant, généreux, plein de chlorophylle et d'humus, ça colle aux dents et ça explose d'eau, mais ça remplit aussi son estomac. C'est une algue d'eau douce, et elle voit qu'il y en a plein le long du ruisseau. Les lézards les tirent d'ailleurs avec leurs crocs avant d'en manger eux-mêmes.

Peut-être qu'elle ne va pas mourir dans les montagnes. Oh, Alpha n'est pas le plus causant des amis, mais il l'a sauvée et elle se voit bien passer du temps ici. La vue est belle. Un immense espoir remplit son ventre.

Elle se tourne enfin vers son abri.

Ce n'est pas un abri de fortune.

Elle se souvint de la fiction qu'elle regardait sur Calchas-3, l'Équipage du Capitaine Wau. À chaque épisode, dans leur quête de la Planète des Dieux Aveugles, ils arrivaient dans un monde nouveau. Souvent, c'était un monde avec des maisons Xenos ou même des colonies humaines perdues. Et parfois, c'était juste un monde de cailloux qui avait l'air ennuyeux. Mais le Capitaine Wau disait de sa grosse voix de dieu vivant « Chaque planète a un secret » et toute l'histoire de l'épisode tournait autour du secret en question.

Et voilà le secret de Clélia.

Une construction de pierre noire, en demi-cercle parfait, avec une ouverture en amande. Le demi cercle était surmonté d'une pointe de pierre noire élancée. Une maison Xeno.

Elle entre à nouveau dans l'abri. Le sol est en pierre noire toute fraîche. Tout semble neuf. Des écritures sur les murs. Mais le soleil n'a pas le bon angle pour tout éclairer. Elle est épuisée. Elle semble avoir fait le deuil de sa propre vie. Elle s'allonge à nouveau et se recroqueville dans la doudoune. Un lézard vient poser sa petite masse de fourrure contre sa joue. Il sent la pierre et l'herbe. Elle s'endort.

Dans la nuit, elle va boire à nouveau, et Alpha, infatigable, lui donne de nouvelles algues. Elle n'est toujours pas malade. Elle retourne dans l'abri comme si ça avait été sa vie depuis toujours, et se rallonge auprès de son lézard. Juste avant de s'endormir, son œil sur le mystérieux Xeno, elle comprend que la fourrure est en réalité des plumes entrelacées. La nuit, elle rêve de Yelena, l'héroïne des fictions de la ligue et au réveil se rappelle pourquoi : elle avait un oiseau apprivoisé et intelligent, modifié génétiquement, appelé Kutkh.

Quand le soleil se lève, après avoir procédé au manger, au boire et aux autres besoins, elle rentre observer l'abri à la lumière du jour. Kutkh - c'est le nom qu'elle a donné au Lézard - suit son rituel et se love dans sa ceinture près de Léon ou dans la capuche de sa doudoune.

Trois murs seulement, un triangle avec la porte d'entrée pour sommet. Seul le mur opposé à la porte est gravé. Ada aurait juré que les deux autres murs étaient aussi gravés hier soir. Un effet d'optique ? Elle passe sa main mais les deux murs sont lisses. Chaque planète a un secret, murmure-t-elle.

Le mur est gravé de deux dessins et d'un alphabet qu'elle identifie sans pouvoir le lire : la langue stellaire. Des petites constellations de la même taille, circonscrites dans des hexagones. Trois rangées de 23 glyphes.

Le dessin à gauche de l'écriture est une tour de babel, semblable à celle de Bruegel, mais la tête en bas - comme dans son rêve de la première nuit sur Clelia. L'autre dessin est un triangle équilatéral.

Elle doit apprendre la langue stellaire, se répète-t-elle. Elle doit comprendre.

Une autre journée s'écoule. Elle regarde le paysage, observe Kukth et Alpha, mange des algues et boit de l'eau trop fraîche. Passe de nombreuses heures devant les glyphes et les dessins, comme si quelque civilisation disparue lui avait écrit à elle, Ada, pour accomplir une mission spéciale.

Elle fait un pacte avec Alpha : il devra la protéger quoiqu'il arrive.

« Car on a une mission, maintenant, d'accord ? »

Il semble accepter, mais ses yeux restent vides.

Un autre jour s'écoule. Puis au matin du quatrième jour, elle décide de redescendre vers la colonie de la SH.