CHAPITRE 6 : L'étrange requête de Vìtek et L'Horloger
Les premières traces de la patronne de la mécanique sur terre sont des petits symboles à son honneur sur des horloges. Helansko est l'une des patronnes les plus vénérées sur Ostrovy ; annonciatrice de renouveau, d'avenir pour tout un peuple. La tradition veut qu'à sa fête, chaque habitant dépose sur sa porte une horloge mécanique ; en mémoire aux premiers rouages qu'elle aurait offert à l'humanité. Depuis, l'horloge est symbole de richesse, de savoir et de bonté de l'âme.
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Du temps ? Du temps pour lui ? Non, je n'en avais pas, qui plus est, il venait de m'en faire perdre. Lui offrant le même service qu'il faisait aux autres ; je restais silencieux ; têtu et hautain avant de replonger mon nez sur ma carte : elle était fichue. Des heures de perdues et je n'avais pas la patience de la recommencer de si tôt. Vìtek non plus ne semblait pas avoir la patience et entra dans la pièce pour poser ses deux mains sur mon bureau et attirer mon attention.
« Arrête de te comporter comme un gamin maintenant. J'ai besoin de toi.
— J'ai pas le temps.
— Tu as pourtant le temps à refaire des cartes encore et encore alors que rien ne change dessus, se moqua-t-il d'un voix insolente.
— Je n'ai pas le temps pour toi, Vìtek.
— L'esprit d'équipe c'est pas ton fort de ce que je vois.
— Pardon ? J'élevais la voix et enfin je posais mes yeux sur lui empli de rage, tu oses me dire ça ? Toi ? T'es incapable de vivre avec nous et parce que je veux pas t'aider, je suis celui qui n'a pas d'esprit d'équipe. Tu manques pas d'audace.
— C'était une blague, souffla-t-il sans être impacté par mes paroles, pour un gamin tu prends tout trop au sérieux...
— Qu'est-ce que tu veux ? Je me levais prêt à le suivre et surtout prêt à en finir.
— Tu t'es enfin décidé ? Un sourire distordu s'étira sur ses lèvres, suis moi. »
Je n'avais pas envie de le suivre, je n'avais pas non plus envie qu'il reste ici à me déranger pendant mon travail. Agacé d'avoir perdu face à lui et de ne pas avoir la patience de lui tenir tête plus longtemps ; il me guida jusqu'à la salle des machines. C'était la première fois que je rentrais dans ce qu'il appelait "sa demeure" et en effet ; il semblait plus vivre ici qu'avec nous. Dans un coin, se trouvaient un bureau, un lit de fortune et quelques assiettes sales qui s'agglutinaient. C'était une pièce assez large, mais l'importance quantité d'outils, d'objets et de petites babioles mécaniques la rendait étroite. Au fond, se trouvait le cœur du dirigeable ; ce qui le faisait vivre et avancer : le moteur. Mais il ne m'emmena pas vers ce dernier ; plus dans un coin reclus où un plan de travail était déployé. Il y avait des plans, des écrous et des vis ; ainsi que le médaillon d'Estéban.
« C'est par rapport au médaillon ? Demandais-je plus curieux qu'auparavant.
— Tout juste. J'ai besoin d'un outil pour l'ouvrir sans l'abîmer ; ce qui est en fait un médaillon n'en est pas un. C'est une montre ; une petite horloge. Tu vois l'aiguille en forme de clef ?
— Ce n'est pas une vrai clef ? Questionnais-je en me penchant en avant pour observer l'aiguille bouger.
— C'est à définir ; il me faut l'ouvrir pour savoir cela. Je pense que ça en est une si ça peut te consoler. Mais pour la sortir, il nous faut ouvrir le boîtier et pour ça, il me faut une clef spéciale pour les montres à gousset.
— Je vois. Et quel est mon but dans tout cela ? Je ne connais pas d'horloger.
— Je me doute que quelqu'un comme toi ne connais pas d'horloger, souffla-t-il avec dédain, je sais où trouver la pièce, mais nous n'avons pas de quoi la payer. Tu commences à saisir ?
— Tu veux que je la vole ...?
— Malin gamin, oui, c'est ça. Enfin, tu vas m'accompagner, je fais une distraction auprès du vendeur et toi, tu te débrouilles pour passer dans son atelier pour la prendre, simple comme plan, tu ne trouves pas ?
— Non pas du tout Vìtek. Disais-je avec une honnêteté déconcertante, je te rappelle comment ça s'est fini la dernière fois que j'ai voulu voler quelque chose ?
— Le contexte est différent et avec moi à la place de Cecilie tu as plus de chance de réussir. Vìtek se stoppa à la recherche des bons mots avant de reprendre : et puis toi aussi, tu as envie de savoir ce qu'il se trouve à l'intérieur n'est ce pas ?
— Sache que j'aurais préféré faire ça avec Cecilie plutôt que toi.
— Et sache que j'aurai préféré ne pas avoir à demander ton aide. Nous sommes quittes alors, allons-y. »
J'avais envie de lui faire avaler chaque vis qui traînait à son atelier. Comment Mona pouvait-elle le supporter ? Comment étais-je censé m'adapter et m'habituer à cet individu ? Je me promis de ne jamais devenir ami avec lui, jamais je ne m'abaisserai à ce niveau. Vìtek n'était pas très bavard et je n'avais pas non plus envie de discuter avec lui ; il m'avait seulement indiqué la direction à prendre d'un geste de main ou en me tirant dans la bonne voie quand je déviais de notre destination. L'horloger était une épave miteuse dans ce qui devait pourtant être le quartier riche de Severs. C'était triste de voir à quel point cet endroit était abandonné et j'hésitais presque à demander à notre canonnier de laisser quelques pièces. Je ne voulais pas essuyer une nouvelle remarque et j'entrais après lui dans la petite boutique.
Le remords de commettre cet acte me tordit les entrailles. C'était la boutique d'un vieux monsieur ; il tenait à peine debout et je n'étais pas certain qu'il puisse voir bien loin sans ses lunettes. On aurait dû lui demander, j'étais certain qu'il accepterait de nous le prêter. Mais j'étais jeune, nouveau dans un équipage et je n'avais pas le courage de tenir tête au second membre le plus ancien du Bronze. On tenait à peine à trois dans l'échoppe ; chaque mur était recouvert d'une horloge, d'une montre ou d'une babiole en bois et en métal. Tous les meubles étaient poussiéreux et je voyais au fond la silhouette du vieillard penché sur son travail ; outils à la main et sourire aux lèvres. Il sculptait du bois, un petit oiseau qui prendra place dans un coucou. Il était heureux et je m'en voulais de gâcher la vie d'un homme si paisible. Vìtek n'avait pas autant de remords que moi et semblait agacé de devoir patienter, se raclant la gorge. L'horloger se redressa lentement :« Oh, excusez moi jeunes hommes je ne vous avais pas vu ! En quoi puis-je vous aider, dites moi tout. »Sa voix était usée, fatiguée par le temps, mais ces notes de joies et de tendresse ne quittaient en aucun cas ces syllabes qu'il peinait à faire sonner. Vìtek engagea la discussion ; ce n'était que des simples questions sur les horloges et le mécanisme et le marchand semblait heureux de partager un peu de son savoir ancien. Il proposa même une tasse de café à mon collègue qu'il refusa avec un ton sec ; ne voulant pas perdre plus de temps. À sa place, j'aurai accepté cette tasse et j'aurai écouté ce monsieur parler pendant des heures. Mais je n'étais pas à sa place et je glissais petit à petit du côté de l'atelier. Si je pensais que la salle des machines du Bronze était en désordre, je m'étonnais à en voir d'autant plus ici. Mais dans ce capharnaüm, je m'y sentais comme dans une vieille maison, à l'abri, sauf. L'odeur du bois se mélangeait à celle d'un café encore chaud et je m'attardais sur les détails qui décoraient la bâtisse. Les poutres étaient aussi décorées ; peinte de petits motifs, des fleurs, des animaux ; ils s'entrelaçaient avec des gravures dans une ronde dansante. Sur le bureau où il travaillait, j'admirais l'ébauche des futures horloges, les plans et le début de ces petites gravures et mécanismes. Il y avait aussi un cadre avec une vieille photo d'un couple. Deux hommes ; devant la boutique, alors qu'elle venait à peine d'ouvrir. La sciure de bois couvrait ce doux souvenir et je me permis de le nettoyer avant de le reposer. J'entendais des bribes de leur discussion ; il avait peu de visite, vivait dorénavant seul, mais il était toujours heureux de servir ceux qui passaient par ici. Je m'en voulais. Je m'en veux encore d'ailleurs. Je ne tardais pas à trouver l'objet dont avait besoin Vìtek et c'est avec regret que je le mis dans ma poche, priant qu'il n'en ait pas besoin avant un moment ou qu'il en avait un autre en réserve. Je fis signe que j'avais l'objet et il n'en fallu pas plus pour qu'il coupe la discussion nette et commence à partir alors que je revenais du côté de la boutique. Le vieillard n'avait rien remarqué, un peu surpris du changement de ton de son interlocuteur, mais notre visite avait refait sa journée. Je mis plus de temps à sortir de sa boutique, laissant mon regard s'attarder sur des bijoux en bois peint sur le comptoir.« Aah, ils sont jolis hein ? m'interpella-t-il avec un sourire édenté.
— Très beaux, oui, vous les avez faits vous-même monsieur ?
— Tout est fait maison ici ! Je les sculpte et mon mari les peignait ; avec son départ, j'ai arrêté d'en faire.
— Oh. Répondais-je bêtement, désolé...
— Voyons mon garçon ! S'exclama-t-il, c'est la vie, tu sais et je sais qu'il repose en paix. Tiens, prends en un.
— Non merci je ne voudrais pas abuser de votre gentillesse ; ma voix s'accélérait alors que mes joues rosissaient.
— J'insiste, j'insiste ! Personne ne les achète de toute façon et je suis sûr qu'ils vivront plus de choses avec vous que sur mon comptoir. Allez, lequel préférez vous ? »
Il semblait heureux. Non, il l'était et je voulais qu'il garde ce souvenir de moi. Jamais il ne nous accusera pour son outil, il pensera juste l'avoir perdu. Un peu de compagnie et partager sa passion, c'était tout ce qu'il souhaitait et je pouvais lui offrir. Le pendentif que j'aimais le plus était celui d'un renard et je lui montrais comme un enfant timide n'osant pas demander à ses parents. Le vendeur prit soin de l'emballer et de me le donner dans une petite poche en cadeau. Je bafouillais quelques remerciements et je filais vite rejoindre Vìtek sans un regard en arrière. Nous ne sommes jamais repassés par cette petite boutique. Je n'ai jamais revu ce petit vieux heureux et solitaire, jamais je n'ai pu lui rendre son outil, jamais je n'ai pu le remercier dignement. Aujourd'hui, je m'en veux encore, quand je passe dans cette rue, que j'espère voir la porte s'ouvrir et son visage sourire. De cette boutique il n'en reste rien, abandonnée à la mort de l'horloger. J'osais imaginer qu'il était heureux alors, qu'il reposait en paix lui aussi à côté de son mari.
J'enfilais le collier autour de mon cou et me promis de ne jamais m'en séparer. J'essayais d'oublier la présence de Vìtek, mais quelques rues plus loin, il se posta devant moi le bras tendu, sans un mot. Aucune politesse ni sympathie, je me sentais obligé de lui donner ce qu'il cherchait depuis le début de cette requête. Une fois dans sa main, il eut un sourire, satisfait et reprit la route en observant le petit outil. Je ne voyais pas ce qu'il avait de particulier : c'était une petite clef, minuscule avec des dents particulières. L'orage grandissait à l'horizon et la pluie commençait à tomber petit à petit sur les terres du Marquisat. Remontant sur le Bronze, je le suivais jusqu'à la salle des machines ; enfin, j'espérais l'y suivre, mais quand il remarqua que je le suivais, il se stoppa net.
« Pourquoi tu me suis ?
— Eh bien... Pour savoir ce qu'il se trouve dans le médaillon non ? Tu sais, je t'ai aidé pour avoir l'outil pour l'ouvrir donc je pensais-
— Que j'allais te laisser me suivre et tout regarder ? Railla-t-il me riant au nez, non ; tu feras comme les autres et tu attendras la réunion et mon compte-rendu.
— Mais-
— Quoi mais ? Trancha-t-il, il n'y a pas de mais c'est comme ça. Je te suis... Reconnaissant d'avoir libéré ton temps pour moi. Tu peux retourner travailler maintenant. »
Ses yeux me transperçaient et il attendait que je fasse demi-tour avant de continuer à avancer. Pourtant, je ne bougeais pas ; les poings serrés et les muscles tendus. La pluie s'abattait avec violence contre le pont et sur nos corps, mais je n'allais pas laisser cet affront passer sous silence, pas cette fois. L'attrapant par le col ; je le tirais vers moi sans trop de peine avant de le relâcher avec violence.
« C'est quoi ton problème ?! Criais-je, Qu'est ce que je t'ai fait pour que tu me traites comme ça ? Pour que tu nous traites comme ça ?!
— Mon problème ?! J'en ai plein des problèmes et ça te concerne pas ! Tu t'attendais à quoi en débarquant comme une fleur ici ? Que tout le monde allait t'accepter ? Allait t'aimer ?
— Mais t'es comme ça avec tout le monde Vìtek, moi, Cecilie ou Stanislas, tu nous traites tous comme des chiens ! Crachais-je vidant mes poumons de ma haine accumulée, On est pas tes chiens ! Je suis pas ton putain de chien, tu m'entends ?! Réponds-moi maintenant, c'est quoi ton problème avec moi ? Pourquoi tu m'aimes pas ?!
— Je n'ai pas à t'aimer Člověk. Siffla-t-il sous la pluie, je ne veux pas t'aimer, ni être ton ami. Tu sais quoi ? Tu es comme une nuisance pour moi, tu arrives comme une fleur et tu espères que tout le monde te prendra sous son bras. Non, tu me gênes, tu nous gênes ! Tu arrives, tu détruis l'image que j'avais faite du Bronze, tu détruis tous les repères que j'avais construit et tu veux que je t'accepte les bras ouverts ? Je ne veux pas de toi ici. Je n'ai pas besoin de toi Člověk, Le Bronze n'a pas besoin de toi, personne n'a besoin de toi ! »
Mes oreilles sifflaient, ses dernières paroles étaient comme des frappes violentes, prêtes à m'assommer à chaque coup. Je sentais la honte monter en moi, grandir et se former dans ma gorge, je sentais mes larmes me brûler les yeux et mes émotions me submerger. Vìtek n'était plus qu'une silhouette floue, je percevais à peine sa personne ; ses grands gestes qu'il faisait à chacune de ses paroles lacérantes. Je n'entendais plus, et les instants suivants devinrent flous. Je ne me souviens que de quelques formes, quelques cris. Je me souviens de Mona qui m'attrapait par la taille ; Stanislas et Cecilie qui relevaient Vìtek, le visage couvert de sang.
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Bien difficile à écrire ce chapitre mais content quand même d'en voir le bout, j'espère que vous appréciez la tension, le drama que j'y ai mis.
J'espère aussi que vous ne détestez pas trop Vìtek haha. (vous auriez raison de le haïr.)
15 709 / 50 000 mots; on progresse petit à petit.
Hésitez pas à donner vos avis, des conseils, des remarques constructives !
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