CHAPITRE 22 : Deux contre un
Redonnez au peuple son heure de gloire. Bien trop soumis à la classe noble ; bien trop admirateur de la classe bourgeoise, le peuple, pourtant, est le cœur d'Ostrovy. S'il reste silencieux, s'il se laisse marcher dessus, ne pensez pas qu'il est crédule. J'entends dans les quartiers pauvres la hargne gronder, dans les mines les pioches s'énerver et tôt ou tard, l'ordre social sera renversé.
Pamphlet de Arslane Megrifind
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« Je vous laisse une dernière chance pour vivre et partir, proposa-t-il d'un ton méprisant.
— Sachez qu'on ne vous laissera pas cette chance. »
Je refusais de l'épargner ; brandissant mon épée, je me jetais contre lui prêt à le transpercer de toute part. On croisait le fer et laissait nos lames, nos coups danser les uns contre les autres ; il esquivait mes attaques et je parais les siennes. L'enseignement de Stanislas avait porté ses fruits, j'enchaînais les attaques basses pour l'obliger à baisser sa garde pour mieux l'attaquer sur des attaques hautes et courtes ensuite. Il arrivait à contrer à temps à chaque fois, mais je sentais que je l'épuisais petit à petit. Le combat était rude et malgré mon entraînement, il restait physiquement plus fort que moi et était meilleur maître d'armes que moi. À plusieurs reprises, il manqua de venir me transpercer de part en part ; je reculais plus que j'avançais. Il appuyait sur ma lame et j'essayais de garder l'équilibre et de le repousser ; Vìtek me donnait des conseils, me disait de me mettre en garde face à ses attaques les plus fourbes. Le fusil en main, il n'osait pas tirer par crainte de me toucher, il le visait, mais attendait le moment opportun.
La structure métallique tremblait sous nos pieds, je voyais au loin que la majorité était sous les jougs des flammes grandissantes. Ce moment d'inattention vint faire baisser ma garde et N viendra se rapprocher de moi pour me désarmer, envoyant mon sabre voler au loin. Au même moment, le sol sous nos pieds venait à glisser et à s'effondrer un peu plus vers le bord de la falaise. Je perdais l'équilibre et tomber à la renverse ; glissant emporté par l'inclinaison du sol. J'arrivais à me rattraper aux mécanismes et aux barres métalliques qui dépassaient de la structure et à me redresser. Mon épée était bien trop loin pour que je puisse l'attraper et alors que j'allais me précipiter pour la récupérer ; je sentis la lame de mon adversaire s'enfoncer dans mon mollet. Je ressentais tout, chaque tendon, muscles et ma chair se déchirer en deux. La froideur du métal venait brûler l'intérieur de ma jambe, il ne retirait pas tout de suite sa lame, l'enfonçant encore, jusqu'à ce que je ploie le genou face à lui. Assommé, mon corps entier s'était paralysé avant de déployer en une fraction de seconde la vague de douleur dans mes nerfs. Mon cri fit écho dans toute la plaine lorsqu'il retira sa lame. Je ne sentais plus ma jambe tout en ayant l'impression qu'elle était la seule source de sensation de mon corps : une douleur insupportable, irradiant. Je vivais chaque goutte qui me quittait, subissais chaque mouvement. J'avais abandonné l'idée d'attaquer et de récupérer mon arme ; dans un geste protecteur, j'avais entouré ma jambe, rapprochée contre moi et maintenais mon mollet contre mon torse en posant mes mains sur la plaie béante. N n'était devenu qu'une silhouette floue dans mon horizon, il n'y avait plus de couleur, plus de son si ce n'est le crissement aigu de la douleur. Il n'y avait que du rouge, un rouge sang qui coulait à travers mon pantalon, sur mes doigts et le long de la paroi en acier.
Ce fut le sifflement du coup de feu qui me fit revenir à la réalité. Les yeux embués, je relevais mes pupilles vertes sur N et tout redevint aussitôt net. Il brandissait son épée au-dessus de ma tête, prêt à m'assener un coup final lorsque dans son dos, Vìtek avait utilisé son ultime balle. Je vis le projectile transpercer le dos du scientifique avant de ressortir de ses côtes. Immobile et cambré, un spasme le secoua de toute part alors qu'il portera une de ses mains sur sa nouvelle blessure. Le temps ne nous fit point de cadeau alors que la charpente métallique venait à nouveau glisser vers le vide. Je vis mon ami glisser, percuter contre une partie surélevée. Mon assaillant quant à lui passant par dessus moi et dû abandonner son arme pour sauver sa propre vie ; tenant à une barre métallique. Il essayait de se hisser sur une surface plus solide. Si l'un de nous trois venait à bouger, la plateforme toute entière risquait de tomber et de nous emporter avec elle. Le vent balayait mes longs cheveux roux alors que je sentais la structure grincer, s'abandonner à la gravité.
On allait mourir, je le savais, c'était trop tard. Dans les derniers instants de ma vie, je ne voulais pas m'abandonner à mon triste sort. Je me redressais, fébrile, et je me traînais jusqu'à mon arme. Chacun de mes pas nous rapprochait de la mort et mon ennemi le comprit aussitôt. Lui non plus n'allait pas perdre aussi facilement face à la mort ; s'il devait rejoindre l'au-delà, ce serait après avoir épuisé toutes ses forces. Ce n'était pas un combat noble ; c'était sauvage, un ultime affrontement avant de périr. Je n'avais pas peur et lui non plus, guidé par notre rage l'un envers l'autre, je me jetais sur lui pour le faire tomber, lâcher prise et enfin lui arracher son masque.
Je le tenais entre mes mains, mes ongles plantés dans son crâne ; je tirais sur les sangles alors qu'il maintenait mes poignets avec ses dernières forces. La paroi penchait de plus en plus alors que je lui hurlais d'abandonner. Arrachant ses cheveux, sa peau, j'avais enfin son masque entre les mains ; j'avais gagné. Le toit émit son dernier grincement et notre chute arrivait enfin. J'avais à peine eu le temps de savourer cette victoire qu'on me la volait à nouveau. Son visage était couvert de sang glissant le long de sa mâchoire, sortant de son nez et de sa bouche. Il était brûlé, indescriptible et défiguré à vie alors que ses lèvres étaient tordues dans un sourire dément. Je ne pus voir plus alors qu'il acceptait son destin à bras ouvert. Me donnant un dernier coup dans les côtes, il se libéra enfin et se laissa tomber dans l'inconnu, son rire sardonique résonnant derrière lui.
On me volait ma gloire, ma récompense. J'avais son masque entre mes doigts, mais je ne pouvais m'en satisfaire. Il me fallait savoir qui il était, pouvoir observer chaque parcelle de son visage, lui cracher au nez. Je me devais d'être marqué du visage de ce monstre, de voir le regard de l'horreur humaine. Lui, qui se cachait, pensait pouvoir défier les lois, être inconnu au monde ; je voulais être gagnant à son jeu. Je me laissais aller dans le vide; une dernière chute alors que je venais à peine de vivre. C'était ça le risque, le goût de l'impossible et du danger qui battait dans mes veines. Je gardais les yeux grands ouvert; les bras ouverts face à la fin ; mais jamais elle ne vint.
Je glissais en avant, mais une main vint m'agripper les cheveux et la voix alarmée de Vìtek me rappelait à la vie que j'allais abandonner. Je ne comprenais pas tous ses mots, mais il me suppliait, essayait de me hisser et de me remonter parmi les vivants. Alors je lui répondais ; j'étais odieux avec lui, jamais je ne pourrais me le pardonner. Je le traitais comme le dernier des parias alors qu'il me sauvait la vie. Mona, Cecilie et Stanislas arrivèrent enfin pour m'extirper des bras d'Ieta, patronne des défunts qui me susurrait à l'oreille que mon temps n'était pas encore venu. J'étais hors de danger, j'étais vivant, mais j'avais l'impression qu'une partie de moi venait de mourir.
« Je dois le trouver ! Je dois le voir ! Hurlais-je sur Mona qui me tenait contre elle fermement.
— Člověk ça ne sert à rien, arrête ! Essayait-elle de me raisonner.
— Laisse-moi retrouver ce connard, il ne doit pas partir ! Je veux le voir avant de mourir !
— Arrête ! »
Elle jettera mon corps fébrile au loin, en lieu sûr, mais le choc contre le sol était violent. Sans me laisser le temps de répondre ou de me défendre, sa main viendra percuter mon visage une fois, plus une seconde. Une fois que mes joues étaient endolories, elle m'attrapa les épaules et le visage baigné de sang et de larme le hurla dessus :
« Je t'interdis de te tuer, tu m'entends ?! Je t'interdis de mourir sous mes ordres ! »
Elle devait voir dans mon regard que ses paroles me percutaient, c'était un mur qui s'effondrait avec ce désir morbide ; une partie de moi venait de s'éteindre alors que tout autour de nous tomber en ruine. La zone de recherche A était une bâtisse désolée vouée à se détruire sur elle-même. Nous étions tous en miette, le corps couvert de blessure et l'esprit marqué au fer rouge de ces aventures. Peut-être aussi qu'Ostrovy allait subir de ces folies humaines, la science allait ralentir ou bien redoubler d'efforts ; peut-être avions-nous sauvé une partie du peuple ou bien était-elle condamnée qu'importe nos actions. Chaque parcelle de ma vision s'effritait, je sentais mon corps m'abandonner et je pensais alors mourir et je réalisais que je ne voulais pas disparaître, que ce n'était pas mon heure.
La flamme qui m'avait submergé s'était enfin éteinte, ne laissant derrière elle que des cendres fragiles. Je ne pouvais plus marcher, à peine respirer sur ce champ de bataille. En si peu de temps, tout s'était enclenché et arrêté. Depuis mon arrivée, ici, je respirais à nouveau. Je me souvenais de chaque instant de cette journée dans son moindre détail. Des larmes de Cecilie, du corps de Vìtek inerte à côté du mien. Je me souvenais de Mona qui prenait le corps de notre ami ; et de Stanislas qui m'aidait à avancer jusqu'au dirigeable. Comme une marionnette, je me laissais faire, à peine conscient de ce qui m'entourait. J'étais devenu spectateur. Je quittais le rôle du narrateur quelques instants pour observer. Pour respirer.
Sur le pont du Bronze, je repris un peu conscience de mon corps. Je ne pouvais pas marcher, je traînais mon corps, ma carcasse. La voix de Stanislas était basse, il m'accompagnait, je pense qu'il savait ce que j'allais faire. Je me dirigeais vers la salle des machines. Il avait quelque chose de pathétique dans ma démarche ; je titubais, tombais souvent et je laissais derrière moi une traînée carmin au sol ; mais je persévérais jusqu'à l'atelier de Vìtek. Elle était là, trônait autour des machines de son éclat bleuté. Comme un précieux trésor, je l'attrapais d'une main tremblante et timide avant de la coller contre mon torse. Personne n'allait me la voler, plus personne n'allait l'avoir. Je ressortais. Ma jambe gauche ne me répondait plus, je la traînais comme un poids attaché à mon corps et Stanislas malgré ma réticence, vint passer mon bras par-dessus ses épaules. Je retournais sur le pont. Là où tout a commencé, où j'ai ramené ce médaillon, cette montre et cette clef.
Mes forces abandonnaient le bas de mon corps. Je concentrais les dernières parcelles de mon esprit sur mes mains, mes bras et la petite pièce métallique que je tenais. Je la levais au-dessus de ma tête avant de l'abaisser contre le sol dans un coup violent. Mécaniquement, je recommençais. Mes gestes étaient saccadés. Je levais, bloquais et je laissais retomber toute ma force contre le sol. Un à un, les rouages volèrent. Les aiguilles vinrent se planter dans le plancher. Les écrous roulèrent au loin. C'était un processus long, que je répétais encore et encore jusqu'à l'épuisement. À chaque fois, je laissais sortir un souvenir, j'expiais un cri de mon corps. Je maudissais le monde, la science, la société et ses lois corrompues, ses gardes injustes, ses habitants hypocrites. Je me souvenais de ceux qui en avaient souffert, d'Elen qu'ils avaient abandonnée, de cet horloger qui dépérissait, de cet homme assassiné pour avoir des idées justes. Je me souvenais des erreurs de Mona, des cicatrices de Vìtek et du portrait effacé de Cecilie.
Je recommençais en leur mémoire, en la mienne jusqu'à l'épuisement. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien.
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Et voilà le dernier chapitre après 52 721 mots ! Il reste l'épilogue mais je pense qu'il sera plus court que le reste; ainsi que les remerciement.
C'était une belle aventure que d'écrire cette histoire, ça n'a pas toujours été facile mais j'ai persévéré et je suis fier. J'ai hâte aussi de commencer une nouvelle aventure bientôt.
Et vous, quelle a été votre moment préféré ?
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