CHAPITRE 19 : Négociation



"Certaines fois, pour arracher la vérité des coupables, on utilise la force. Cette vérité peu plaisante pour le peuple est pourtant notre réalité, de l'autre côté des barreaux. La torture est un crime commis par l'état, par ses fonctionnaires. Pour un verdict rapide, pour garder le calme dans nos prisons, on s'autorisait à aller à l'encontre de la loi. Je n'avais aucun remord à frapper les prisonniers. Jusqu'à ce que je m'y trouve. "

- "Dans la peau d'un condamné", de Jerek Radanov.

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La lumière blafarde des lampes m'aveugla. Ma gorge était sèche, pâteuse et je ne sentais plus mes jambes, ni mes mains. J'entendais mon cœur battre ; me perforer les tympans à chaque pulsation. Ma respiration vint vibrer dans mon torse, dans ma tête et chaque sensation s'accumulait, encore et encore ; j'entendais des voix. Des voix. Mes yeux s'étaient habitués à la lumière, ma vision encore trouble percevais deux silhouettes. Ils rigolaient, ils se moquaient de moi avant de partir, claquant la porte avec violence derrière eux.

Ma respiration se calmait et j'arrivais à faire de la lumière sur mon esprit. J'avais mal, chacun de mes membres étaient attachés à une chaise dans une position douloureuse. J'avais froid, trempé de la tête au pied et mes vêtements collés à ma peau. J'étais dans une pièce vide, sale avec une seule lumière au-dessus de ma tête ; les murs étaient de grandes vitres teintées ; fissurées à certains endroits. J'étais seul avec moi-même, mon esprit encore vaporeux et j'essayais d'assembler ma mémoire petit à petit.

Vìtek. Ma première pensée se tournait vers lui. La forêt, l'homme masqué. Je sentais encore l'arme sur ma tempe, je me souvenais de l'aiguille qui s'enfonçait dans ma nuque et les cris de mon ami avant que je ne m'éteigne. La drogue faisait encore son effet ; je sentais ma tête tomber en avant, incapable de rester conscient et maître de moi-même bien longtemps. Je n'arrivais même pas à parler, ni à crier, j'essayais, mais ce n'était que des balbutiements et un filet de bave glissait le long de mon menton.

Encore ces voix ; elles venaient de derrière les vitres. Je ne les voyais pas, mais je percevais leurs éclats de rire. Des clous qui s'enfonçaient dans mon crâne, j'essayais avec mal de les taire, de les ignorer et recroquevillé sur moi-même. Je n'arrivais même pas à pleurer, je n'étais pas certain que je puisse ouvrir mes deux yeux en même temps. Les voix se transformaient en cri, en hurlement ; était-ce mon esprit qui me jouait des tours ? C'était comme des animaux, des beuglements et j'arrivais enfin à hurler ; leur supplier de se taire.

Plus rien. Le silence revint, aucun rire, derrière les vitres aucun son. J'étais terrifié, le temps glissait sans que je ne puisse le compter ; une minute, deux heures, trois jours ou peut-être plus encore ; je me réveillais en sursaut à chaque fois, tremblant et humide. J'étais seul, j'entendais des voix dont je n'étais pas sur de la provenance, je pleure et ce cycle infernal recommençait encore et encore.

La porte s'ouvrit et une lumière chaude emplissait cette salle morne, puis une silhouette. Grande, j'étais soulagé de voir un autre humain. Moins lorsque je réussissais à discerner le contour de son masque. Il restait silencieux et fit entrer une chaise. Assis en face de moi, je sentais son regard sur moi, je ne pouvais le confirmer, mais j'étais certains que derrière sa protection, il était fier, il souriait comme un enfant satisfait. J'essuyais sur mon épaule la trace de larme sur mes joues.

« Comment tu te sens ? Demanda-t-il d'une voix douce.

— Hein ? Ma voix à contrario était rêche et chevronnant.

— Je te demande comment tu vas.

Après tout ceci, c'était la dernière chose que je souhaitais recevoir de sa part : de la sympathie. Pire même, de l'inquiétude. Je me sentais humilié, insulté par cette question et ce semblant de gentillesse.

— Écoutez, je vais super bien et vous ? Crachais-je sarcastique, vous en avez d'autres des questions connes ?

— Connes non. Des questions : oui. Reprit-il, si tu étais moins indiscipliné, tu serais détaché et propre.

— ça va être ma faute maintenant ? Vous m'avez drogué, séquestré pendant, je ne sais pas combien de temps, je sais même pas où je suis et je suis l'indiscipliné ?!

— Je t'avais prévenu à notre première rencontre. Si tu m'avais donné la montre, tout ceci ne serait pas arrivé. Souffla l'homme au masque exaspéré, cela fait même pas une semaine que tu es ici. »

Une semaine. Cela me semblait si peu, j'avais eu l'impression d'être ici pour une éternité et en même temps, si long. Le passage de ce temps me tombait dessus en quelques instants, faim, soif, fatigue... Mon ventre se tordait et émettait un râle d'agonie. Aussitôt, je me remis à trembler, j'avais froid oui, j'avais peur surtout. Un geste brusque percuta mon visage, c'était une gifle sans force, mais elle me fit sursauter et revenir aussitôt à la réalité.

« Je te parle. M'interpella-t-il d'une voix sèche. Concentre-toi un peu.

— Où sont les autres ? Où est Vìtek ? Questionnais-je inquiet pour mes camarades.

— Ne t'inquiète pas pour eux pour le moment. J'ai une offre à te proposer Člověk, une que tu ne pourras pas refuser-

— Je n'en veux pas de votre offre. Coupais-je avec hargne, je ne vous donnerai pas la montre.

— Écoute-moi avant de parler trop vite Člověk Hanebný.

Sa voix était teintée d'amusement non dissimulé alors que je haussais les sourcils, surpris par ces paroles.

— Vous m'avez appelé comment ?

— Člověk Hanebný ? Oh, fit-il surpris, c'est vrai que tu ne connaissais pas ton nom de famille ; ce n'était pas compliqué pourtant de les retrouver, tu sais ?

— Vous... Avez cherché mes parents ?

— Bien sûr, nous pensons que chaque enfant mérite une famille complète et aimante, affirma-t-il, voilà mon offre : tu me donnes la montre et je te remets à ta famille. J'ai pu parler avec ta mère, ils semblent impatients de te retrouver. Oh, on vous donnera aussi une somme d'argent assez conséquente pour vivre sans trop d'inquiétude. Tu en penses quoi ? »

Ma mère voulait me revoir, c'était une nouvelle qui dans un autre contexte m'aurait fait pleurer, mais j'en étais incapable. Une migraine recommençait à m'assommer alors que j'essayais de réfléchir à son offre. L'accepter ? Retrouver ma famille, mes parents, n'était-ce pas tout ce dont j'avais rêvé au fond de moi ? Je me souvenais des paroles de Vìtek, de notre dernière discussion. Pouvais-je reprendre une vie normale ? Non, j'avais besoin de cette adrénaline, de ces catastrophes et de ces aventures ; j'avais besoin de la peur. J'avais besoin d'eux. Qui plus est, il m'était impossible de lui faire confiance ; un nom de famille pouvait s'inventer, une fausse promesse se faire avec tant de facilité.

« Je ne peux pas accepter. Murmurais-je avant de reprendre d'une voix plus haute, je ne peux pas vous rendre cette montre et laissez mes... Parents hors de tout ceci.

— J'aurais essayé, souffla-t-il déçu, je me doutais que tu n'accepterais pas.

— Donc c'était faux ? Demandais-je sans étonnement, vous pensiez que j'allais tomber dans votre piège ?

— Non, je ne suis pas un monstre. Nous avons bel et bien retrouvé tes parents.

— Est-ce que ma mère m'attendait vraiment ? Insistais-je.

— Voyons Člověk, elle attendait surtout l'argent qu'on lui offrait plutôt que toi. Tu pensais vraiment leur manquer ?

— C'était trop beau pour être vrai... Marmonnais-je d'une voix inaudible.

— Revenons aux choses sérieuses, veux-tu ? Bien. Estéban Modry est... Un homme impatient et la perte de sa montre n'aide pas. Pour le moment, vous avez pu éviter les autorités, mais ce ne sera bientôt plus le cas. J'ai une seconde offre à te faire, la vie de tes "amis" contre la montre. Si tu ne tiens pas à tes parents, tu tiens à eux au moins n'est ce pas ?

— Qu'est-ce que vous leur avez fait ? Fulminais-je essayant de me détacher en vain.

— Du calme, du calme, ricana-t-il d'une voix légère, je n'ai rien fait pour le moment. Mais cela peut changer très vite; VO-240—, enfin Vìtek était un sujet brillant et je n'avais pas fini mes projets quand il est parti et personne ne peut m'en empêcher ici !

— Il a assez souffert de vos expériences ! Criais-je, vous avez pas le droit de faire ça !

— Alors donne-moi la montre. Sussura-t-il derrière son masque, c'est tout ce que je souhaite et je vous libère.

— Je-

— Tu veux le voir peut-être avant ? Proposa-t-il. On peut le faire venir ici quelques minutes, vous pourrez en discuter.

— Faites le venir. »

Sans un mot de plus, il se leva et sortit de la pièce. Ces quelques minutes de silence me permettaient de réfléchir. Un plan extraordinaire, une solution miracle, rie ne me parvenait à l'esprit, rien pour me sortir de cette galère. Je savais au moins que Vìtek était ici, je ne sais pas si cela me rassurait, mais au moins, je n'étais pas seul. Je priais tous les patrons pour que Mona, Cecilie et Stanislas ne soient pas ici ; qu'ils aient eu le temps de repartir, qu'ils puissent nous sauver. Mais au bout d'une semaine aucun n'est venu me libérer ; plus j'y pensais, plus je perdais espoir. Avais-je d'autres solutions que de faire un pacte avec cet homme ?

La silhouette de Vìtek passait le seuil de la porte et si j'avais la joie de le revoir celle-ci disparu bien vite lorsque je vis son état. Les cheveux détachés, à peine habillé ; il avançait comme un prisonnier, les mains attachées dans son dos, la tête baissée. Ce n'est qu'une fois assis qu'il releva ses yeux noisette sur moi. Ils l'avaient défiguré, le visage couvert d'ecchymoses, de boursouflure, son œil était dorénavant injecté de sang : il ne pouvait me voir ainsi, c'était impossible. La lèvre fendue, il claquait des dents, il lui en manquait une à l'avant, fendue en deux. Comme moi, il était épuisé, seul depuis plusieurs jours.

« Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? murmurais-je à bout de voix.

— Je vous laisse discuter, Člověk n'oublie pas ma proposition. Termina l'homme masqué avant de nous laisser seul à seul.

— Ils voulaient savoir où était la montre, ce que je savais et... des questions sur vous, sur les autres, sur Mona. Sanglota-t-il, j'ai essayé de ne pas répondre, mais c'était.. c'était-

— Ne t'excuse pas, ce n'est pas ta faute, tentais-je de le rassurer, tu sais si les autres sont... ici ?

— Je crois, je suis pas sûr; mais de ce qu'ils disaient entre eux, je pense que oui, au moins Mona. Ils ont été obligés de s'y mettre à plusieurs pour la contenir. Ils ne t'ont pas frappé ?

— Pas encore non, j'ai juste été drogué, je pense... je crois. hésitant je levais les yeux au plafond, je ne me souviens pas de ce qu'il s'est passé.

— Putain, souffla-t-il haineux, on est vraiment dans la merde... Il m'a dit qu'il t'avait proposé un accord : c'est quoi ?

— Si je donne pas cette montre, ils te-, la respiration saccadée j'eus du mal à finir ma phrase, ils te remettent dans les laboratoires.»

Vìtek ne me répondait pas ; n'affichait aucune émotion, mais son silence en disait grand. Il attendait mon verdict, ma réponse finale. Devais-je le sacrifier pour en sauver d'autres ? Qu'importent mes choix dans cette histoire, j'avais la sensation que j'en serais toujours perdant.

« On ne peut pas les laisser continuer, continua-t-il d'une voix tremblante, ce qu'ils font est juste horrible.

— Mais je ne peux pas les laisser te faire ça. Ma voix était tremblante et mes yeux s'humidifiaient, je ne me le pardonnerai pas.

— Ce ne sera pas ta faute Člověk, tenta-t-il de me rassurer, je ne t'en voudrais pas et-

— Mais je m'en voudrais, pleurais-je enfin, si je fais ça, chaque jour, je m'en voudrais de t'avoir laissé ici en sachant ce qu'ils vont te faire. Je- Je ne peux pas choisir... Je ne veux pas choisir.

— Je suis désolé... »

Sur ces dernières paroles, mon corps était secoué par les larmes et mes sanglots grandissaient dans le silence de ma prison de verre. Vìtek m'observait, s'il avait pu, il aurait pleuré aussi, j'en étais certains. J'étais penché en avant, laissant mes émotions se déverser dans un flot de larmes et de paroles asémantique, espérant apaiser ma peine et ma colère. Je ne faisais que les faire grandir, je les arrosais ; les entretenais incapable de m'en débarrasser. Elles me transperçaient, éclosant dans mon cœur et venait s'accrocher aux parois de mes organes. Cette douleur transperçante s'agrippait à mon corps et ce jour-là, j'étais certain qu'elle m'habiterait jusqu'à ma mort.

Mais j'avais un choix à faire. Taisant mes larmes; je me redressais le visage bouffi et l'esprit toujours aussi troublé. Je gardais les yeux baissés, n'osant plus regarder mon ami. L'homme au masque de fer était revenu, attendant devant la porte ma décision.

« J'accepte. Soupirais-je
.
— Člověk ? La voix de Vìtek s'étrangla, non. Non, non, réfléchis encore, si tu fais ça, tu leur donnes ce qu'ils veulent, tout ce qu'on a essayé d'empêcher depuis le début. Tu peux pas faire ça-

— Silence, gronda notre séquestreur, je suis content que tu sois enfin lucide Člověk. J'ai bien eu peur un instant.

— J'accepte à deux conditions. Repris-je, la première, je souhaite que vous libériez Vìtek.

— Cela sera fait une fois la montre en ma possession. La seconde ?

— Je veux comprendre. Je veux comprendre les secrets de cette montre.

Il semblait hésiter ; Vìtek allait rétorquer une nouvelle fois, mais l'homme plaça sa main devant sa bouche pour le faire taire.

— Si tu insistes. La montre contre ton ami et le savoir. Cela te convient ?

— Oui. »

Je pouvais sentir un sourire se dessiner sur son visage alors que Vìtek lui mordit la main, pour se libérer de son bourreau. Criant de surprise plus que de douleur ; il se recula alors que le canonnier s'approchait de moi en me suppliant de changer d'avis. À peine le pacte fait, des hommes en blouse blanche emmenèrent Vìtek me hurlant dessus, non de colère, mais de peur ; je fermais les yeux pour l'ignorer jusqu'à ce que je reste seul avec l'homme masqué. Aussitôt, il me détacha et me laissa entre les mains d'infirmier. J'entendais encore Vìtek, ses pleurs, ses supplications, j'essayais de les effacer ; de les oublier et surtout de me convaincre d'avoir fait le bon choix. C'était la seule solution. Je ne pouvais le sacrifier, mon choix était injuste, cruel même. Mais je restais humain, avec mes défauts, mes qualités et surtout mes émotions exacerbées.


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45 633 /50 000 mots pour le Nanowrimo, c'est bientôt la fin !
J'ai déjà préparé le plan des prochains chapitres, je suis heureux ( ou triste?) de vous annoncer qu'il ne reste que 4 chapitres pour finir cette première partie des aventures de notre petit pirate.

Vous pensez que ça va se finir comment ? 

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