CHAPITRE 10 : Un nouveau départ


La mer de nuage est un phénomène qui inspire autant qu'il inquiète la population Ostrovoise. Les plus grands explorateurs ont essayé de la dompter, d'aller au-delà sans jamais revenir. Les légendes racontent que derrière cette barrière naturelle ; un monde idyllique attend l'humanité.

__________

Le temps sur le bronze s'est écoulé sans même que je m'en rende compte. Je ne faisais plus rien, nous avions quitté les îles de Severs après le départ de Cecilie et le bronze était bloqué dans le temps. Voguant sur les nuages, on s'était éloigné de toute vie, de toute information du monde réel pour se faire oublier et espérer pouvoir reprendre sereinement nos aventures plus tard. Cela me semblait impossible et tout le monde sur le navire était d'accord ; on essayait quand même de se convaincre et de se mentir pour garder la face. Cela faisait un mois que Cecilie avait disparu et nous n'avions aucune nouvelle ; autant de temps que je m'inquiétais et espérais la voir apparaître un beau matin.

Je me levais tôt et je me couchais tard, toujours sur le pont et je guettais à travers la mer de nuage l'apparition d'un gyrocoptère ou autre chose. Il y avait des dirigeables de commerce, de l'aviation militaire, mais aucun ne prêter attention à nous. C'était comme si nous n'existions pas, nous avions disparu. Jamais cette sensation, ce repos qu'apportait le silence d'un ciel sans vie à l'horizon. Mona était la plus marquée des derniers événements et du départ de la cuisinière. À chaque fois que nous nous croisions, elle me demandait si j'avais vu quelque chose dans le ciel, déçu à chacune de mes réponses toujours négatives. Mais cette perte la fit se fortifier dans son caractère et dans ses objectifs : la Šerik lui avait trop pris et la justice n'allait pas agir et c'était à nous de la faire. Stanislas était celui qui avait le moins changé, pour dire qu'il n'avait pas été affecté par ces derniers péripéties. Toujours fidèle à son poste, quand on en parlait, il me disait qu'il n'avait nulle part où aller, comme moi et que le Bronze était un refuge. Il n'en voulait pas non plus à Mona pour ses secrets, après tout nous en avons tous et il trouvait ça bien hypocrite de la part de Cecilie de s'offusquer ainsi. On avait tous nos secrets sombres selon lui, et si je n'en avais pas encore, tôt ou tard, j'en aurais qui me mettrons dans face à des dilemmes cornéliens.

Et puis il y avait Vìtek. Il semblait déboussolé, du moins, son regard se perdait dans le vide à chaque fois que je le croisais et il ne parlait plus, s'enfermant dans la salle des machines. Pendant les réunions c'est à peine si il prenait note des ressortissants et ne donnait jamais son avis. Le mécanicien était devenu comme un spectre sur le dirigeable. Je ne m'en inquiétais pas plus que ça, je ne voulais pas faire le premier pas vers lui et jamais il ne se plaignait. Je vous l'avais dit, on faisait tous semblant pour continuer à avancer.

Alors que j'étais de ronde la nuit, je me posais dans la salle à manger pour me reposer et me protéger du froid quand Vìtek passa le cadre de la porte. Je relevais mes yeux vert clair sur lui, étonné de le voir levé aussi tôt, attendant à ce qu'il reparte. Ses cheveux bruns étaient détachés et il portait encore ses vêtements de nuit ; une lampe à huile à la main pour se diriger dans la pénombre. Derrière ses lunettes, je pouvais voir ses yeux sombres me fixer et les traits de son visage se tordre dans une grimace nerveuse.

« Je peux t'aider Vìtek ? Demandais-je d'une voix lasse.

— Non, pas vraiment... Enfin si. J'aimerai juste, discuter avec toi ? Sa voix était hésitante, enfin si tu veux bien et si tu es disponible. Ce n'est pas important.

Nerveux, il tenait entre ses doigts ses lunettes qu'il essuyait avec le bout de son haut. Le brun semblait prêt à partir et à me laisser si je le désirais ; pour une fois il me laissait le choix.

— Assied toi. »

Je l'invitais à prendre place à côté de moi et lui proposais de quoi boire. Il refusa la seconde offre, mais je fus surpris de le voir se mettre dans le siège le plus proche du mien. Me servant une tasse de café pour me réchauffer et persévérer contre la fatigue, j'attendais. Il entrouvrait les lèvres, mais aucun son n'en sortait. Croisant ses doigts sur la table ; Vìtek avait l'air frustré. Marmonnant quelques paroles ; il bafouillait dans son écharpe et rendait ses propos incompréhensibles. Alors je me penchais vers lui pour l'écouter ; tandis qu'il s'enfonçait de plus en plus dans son fauteuil.

« Tu préférerais l'écrire peut-être ? Proposais-je non sans moquerie.

— Non ! Non. C'est pire à l'écrit et ça me semble important à dire à l'oral... Il prit une grande inspiration : je voulais te remercier, toi et Stanislas, de m'avoir sauvé avec ce qu'il s'est passé avec Dmitri et d'être venu me chercher qu'importe le prix. J'aurais dû le dire avant je sais, mais c'était compliqué.

— Il t'a fallu un mois pour en venir à trouver les mots ? Pour dire "merci" ?

— Oui bon, soit content que je te le dise déjà, siffla-t-il avant de s'adoucir ; désolé... Ce dernier mois je pense que ça a été compliqué pour nous quatre, enfin cinq-, mais maintenant quatre.

— Plus pour trois que quatre si tu veux mon avis, disais-je en repensant à Stanislas, mais continue je t'écoute.

— Je ne m'attendais pas à ce que ce soit toi qui viennes me chercher après l'incident de la dernière fois donc je voulais te dire en face-à-face que j'étais... Reconnaissant. Continua-t-il sa voix changeant de ton à chaque hésitation, je n'ai jamais été des plus "aptes" socialement, mais je pense que ça aussi, tu as pu le remarquer.

— À peine Vìtek, à peine. Rigolais-je pour détendre l'atmosphère.

— Donc voilà, je venais juste pour ça et je te souhaite une bonne nuit ? Enfin soirée, enfin- garde. Qu'importe ce que tu fais, que ce soit agréable ? Plaisant ? Tu as compris.

— Bonne soirée à toi aussi. »

C'était la première que je le voyais rire. C'était nerveux, un tic incontrôlable comme quand lorsqu'il pinçait sa peau au niveau de sa mâchoire à chaque fois qu'il cherchait ses mots ou qu'il se frottait les mains pour se concentrer et faire partir les angoisses qui l'habitaient. S'approchant de la sortie ; alors qu'il attrapait la poignée, je me levais pour l'interpeller.

«Vìtek.

— Oui Člověk?

— Tu étais au courant pour Mona et la Šerik ?

Son corps entier se stoppa. Ses mains retombèrent le long de son corps alors qu'il fuyait mon regard.

— Tu étais avec elle ? Insistais-je sentant mes muscles se tendre.

— Tu sais Člověk, commença-t-il, ce qu'il s'y passe là-bas... Ce qu'on a vu-, c'est inhumain. Jamais la Šerik n'aurait dû exister et Mona aurait dû vous en parler dès le début. Si elle l'avait fait, on n'en serait pas là et Cecilie serait toujours avec nous. »

Le voilà qu'il recommençait, frottant chacune de ses phalanges entre elles ; il plongea ses mains dans les poches de sa veste de fortune et commença à marcher dans la pièce d'un pas léger et irrégulier. Je ne bougeais pas, ne voulant pas le brusquer plus qu'il semblait l'être.

« Je pensais que sa présence ne me manquerait pas tu sais, reprit-il, c'est débile de s'attacher aux autres pourtant.

— C'est ce qui nous rend humain Vìtek, c'est ce qui fait le Bronze. On est là pour les autres, on s'aide, on sauve nos camarades qu'importe le prix à payer.

— Est-ce que ça en vaut toujours le coup ? Demanda-t-il plongeant son regard dans le mien.

— Je pense que oui, malgré les sacrifices, je pense que te sauver valait le coup. Comme quand Cecilie m'a aidé, Mona m'a accueilli. C'est cet esprit d'équipe qui nous fait avancer et sans ça, qu'est ce qu'on serait ?

— Sans tout ça... Vìtek se pinça les lèvres, sans cet esprit, le Bronze n'existerait pas je pense.

— Alors ne t'en veux pas de t'être attaché à Cecilie. Souriais-je avec peine, moi aussi elle me manque.

— Tu sais... Commença-t-il avant de se stopper net.

— Oui ?

— Je pense savoir où elle est mais j'ai peur qu'elle ne veuille plus avoir affaire à nous donc je ne l'ai dit à personne. »

Une vague d'espoir m'embaumait. On pouvait retrouver Cecilie, il savait où elle se trouvait. Si je m'étais laissé porter par mes émotions, je l'aurais supplié de m'en dire plus, et même de me guider jusqu'à elle. Mais en deux mois sur le bronze, j'avais appris que se laisser subjuguer par ses sentiments ne menaient qu'à des problèmes. Prenant une grande inspiration et essayant de rester calme, je lui fis signe de s'asseoir à nouveau et but d'un coup sec ma tasse de café.

« Vìtek. Je ne vais pas te mentir que sans elle, le Bronze ne va pas aller bien loin. Nous avons besoin d'elle.

— Je sais mais si on la retrouve et qu'elle ne voulait pas ; cela va encore plus envenimer la situation et peut-être que jamais elle ne reviendra. Et imagine si Mona ou Stanislas ne veulent pas la revoir non plus ; peut-être qu'on doit juste accepter d'avancer sans elle...

— Et foncer droit dans un mur ? M'offusquais-je, donne moi de bonnes raisons pour lesquelles Mona ou Stanislas ne voudraient pas son retour.

—Člověk, je me sens plus proche du moteur du bronze que des habitants qui y vivent. Qu'est-ce que tu veux que je comprenne dans leur raisonnement ?!

— Tu pourrais faire un effort... Soupirais-je, ce que je veux dire, c'est que je ne vois pas de raison pour laquelle ils ne voudraient pas la revoir. Au moins pour mettre les choses au clair et avancer ; parce que là, on est au point mort.

— Nous sommes d'accord. Même si cela nous fait détourner du plan de Mona, je pense que c'est nécessaire aussi.

— Je peux essayer de convaincre Mona si tu veux ; chaque matin, elle vient me demander si j'ai vu quelque chose au loin ; je pense qu'elle attend son retour aussi... Je pense qu'on l'attend tous.

— J'en suis pas certains pour Stanislas, maugréa-t-il en passant une main sur son menton, après il a jamais été très dans le relationnel lui non plus.

— On verra ; le plus important c'est Mona. »

Je reprenais petit à petit espoir en cette fin de garde alors que Vìtek m'expliquait comment il avait découvert où se trouvait Cecilie. Il avait trouvé sous le lit de notre ancienne cuisinière une enveloppe avec une adresse dessus ainsi qu'une lettre à l'intérieur. S'il ne me partagea pas le contenu de cette dernière -qui ne me regardait pas après tout- il m'expliqua que c'était la résidence d'une personne proche de notre amie. C'était une faible source, mais la seule que nous avions : notre seule chance de la retrouver ou du moins d'avoir des informations sur elle. Si je voulais la revoir, c'était le seul moyen. Le silence revint vite s'installer entre moi et Vìtek ainsi qu'un malaise palpable.

« Je sais qu'on est parti du mauvais pied, reprit-il en cachant son visage dans ses mains, c'était une période difficile pour moi, ça l'est toujours, mais t'as pas à me pardonner et-— Je ne te pardonne pas en effet, coupais-je sans gêne. Mais je pense qu'on peut tenter de repartir à zéro.

— Comme un nouveau départ ?

— Oui et peut-être qu'un jour, je te pardonnerais ou que j'oublierais. Je levais les yeux au plafond, mais ce que tu m'as dit ce jour-là, c'était violent.

— Je suis désolé.

— Repartons à zéro, tu veux bien ? Dis-je en tendant ma main vers lui, on ne s'est jamais vraiment présenté d'ailleurs non ?

— C'est vrai mais on a peut-être pas besoin de repartir aussi loin non ?»

Il attrapa ma main avec une certaine mollesse désagréable que je palliais en serrant trop fort la sienne. On était tous les deux gêné et mal à l'aise par ce contact, mais on faisait semblant, comme une promesse physique de recommencer et d'avancer ensemble plutôt que contre. Cela n'allait pas être facile tous les jours et j'étais certains que dès le lendemain, il n'hésitera pas à me rabaisser ou à m'insulter et que je n'aurais aucun remord à me venger le jour suivant. Mais au-delà de nos querelles, de nos erreurs du passés et du futur, on voulait tous les deux la même chose : le meilleur pour le Bronze.

__________

Et voilà 10 chapitres de fait !

25 240 / 50 000 mots, on en est à la moitié.

J'ai enfin des idées de plan et d'organisation de scènes et de chapitre donc là nous sommes dans la Partie 1 du roman : La Šerik.

Il y aura d'autres parties toute aussi intéressante.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top