Chapitre 34 : T O T O R O

« Tiens. Prend une gorgée. »

Alix tendit la bouteille ouverte à son acolyte de la soirée alors qu'ils venaient de s'asseoir sur le banc de l'abris de bus. Ils avaient dix minutes d'attente.

Le blond saisit la bouteille, la détailla un instant, le liquide avait une jolie couleur orangé-rosée, bien plus attrayante que ses propres mélanges. Alors il goûta. Il fut surprit du goût sucré et de la saveur douce du sirop qui dominait le mélange. L'alcool ne donnait qu'un petit arrière-goût qui n'était pas désagréable à sentir. C'était même plutôt bon.

« Alors, t'en dis quoi ? Plutôt réussi non ? »

« Ouais. J'ignorais que l'alcool pouvait avoir si bon goût. »

« Sérieusement ? Alors tu bois mais tu n'aimes pas ça ? Mais... pourquoi tu te forces, c'est stupide ? »

« Parce que c'est ce que tout le monde fait, je suppose. »

Il haussa les épaules, lui-même pas totalement convaincu.

« Non. Pas tout le monde. Par exemple, je crois que mon ami Lior ne bois pas. Enfin une bière de temps à autre, mais en général pas plus. Se forcer est stupide, surtout pour ce genre de choses. »

Élias ne répondit pas. Il savait que le bleu avait raison, mais il ne se rappelait pas d'une seule journée de sa vie qu'il n'ait jamais passée sans se forer à faire quelque chose.

Alix reprit la bouteille pour en boire une nouvelle goulée. L'air était encore chaud et il sentait déjà l'été. La nuit était paisible, et presque sans un bruit, si ce n'est celui lointain de la circulation en centre-ville. Élias posa sa tête en arrière, contre la vitre de l'abris-bus, lâchant un soupire sans même en avoir conscience.

Comme Alix ne savait plus très bien quoi faire pour lui remonter le moral, il se lança dans un de ses monologue, qui sûrement manquait un peu de cohérence à cause de l'alcool :

« Tu sais, je crois que tout arrive pour quelque chose sans la vie. Enfin pas dans le sens où on mérite tout ce qui nous arrive, mais dans le sens où chaque expérience nous sert, nous apprend quelque chose, nous grandit. Il fait juste être patient et attendre que se dévoile le sens caché. Par exemple, depuis un moment, je me bats contre moi-même, contre les autres, contre mon apparence, et je pourrais baisser les bras, me laisser couler parce que parfois on me vanne et que je suis incapable de le prendre avec légèreté, mais je crois qu'au fond, toute cette merde, c'est là pour m'apprendre la résilience. Il n'y a pas de justice, que des enseignements. Ce n'est pas juste que j'ai à me débattre avec tout cela, mais si j'avais déjà confiance en moi, je crois que je ne verrais même pas que dans chaque chose que je vis il y a une bataille, ce ne serait pas quelque chose -la confiance- que j'aurais besoin d'apprendre, alors je trouverais mes combats et surtout mes défaites ailleurs. Si la vie nous remets sans cesse face à nos peurs, c'est pour qu'on les affronte, et d'ailleurs je ne crois pas que ce soit la vie qui nous remette face à elles, mais nous-mêmes. Et parfois, quand on remporte un niveau, comme dans un jeu vidéo, on reçoit des bonus. Je crois que si je n'avais pas dû mener ce combat pour m'accepter face aux autres, je n'aurais peut-être jamais reparlé à ma cousine et pourtant tu peux pas savoir à quel point elle m'aide, comme si j'avais débloqué un boost. Et grâce à ça, peu à peu, je sens que je vais mieux. Je pense que c'est pareil pour tout le monde au fond, et c'est ce qui fait que la vie est si complexe, douloureuse et paradoxalement belle. Toi aussi tes démons sont là pour quelque chose. Pas parce que tu le mérites, mais parce que tu as quelque chose à apprendre d'eux, quelque chose qui te fera grandir. Et si pour les surmonter, tu as besoin d'un bonus de vitalité, alors je veux bien être celui-là. »

Il devait vraiment arrêter de traîner avec son frère, voilà que lui aussi se mettait à parler comme un geek.

« Je sais même pas si tu as conscience d'à quel point tu me donnes déjà de la force Alix. Je sais qu'on est pas vraiment amis, et que c'est en grande partie de ma faute, mais pourtant c'est chez toi que je vais pour pleurer, je sais pas si tu te rends compte ce que ça représente pour moi. »

Le bus nocturne arriva, entièrement vide abstraction faite du chauffeur, coupant court à cette discussion qui n'allait de toute façon nulle part. Alix monta dedans, déposant ses béquilles au sol alors qu'Élias s'asseyait à côté de lui.

« Ça ne va pas déranger tes parents que tu rentres avec moi sans les avoir prévenus ? »

« Non. T'en fais pas pour ça. Et puis de toute façon ils dormirons sûrement. Il est déjà deux heures. »

Ils buvaient à tour de rôle, et bientôt la bouteille fut vide. Alix se sentait comme sur un petit nuage, léger d'alcool et d'amour. Rien à voir avec tout à l'heure quand il était sortit avec Nuccya, que sa tête tournait et qu'il avait envie de vomir. Là, il se sentait juste bien.

Élias, lui, essayait de ne pas penser au fait qu'il venait de briser la promesse qu'il s'était faite à lui-même, se tenir éloigné d'Alix. Parce que la personnalité solaire du bleu l'attirait comme un aimant. Pourtant c'était la première fois qu'il dérogeait à l'une de ses propres résolutions.

Une fois devant chez Alix, Élias se sentit immédiatement plus détendu. Cette sensation était aux antipodes de celle qu'il ressentait en entrant chez lui. Là, il était serein, presque heureux. Alix sortit ses clefs de sa poche pour déverrouiller la porte arrière de la maison, celle à côté du garage. Il enleva sa chaussure, la laissant simplement traîner avec la pile d'autres chaussures.

« Tu veux que je te prête des chaussons ou ça ira ? »

« Ça ira. »

« Ok. Alors laisse tes chaussures là. Je vais chercher un paquet de chips, j'ai faim. Tu veux un truc ? »

« Juste une verre d'eau. »

« Ok, j'ai une bouteille dans ma chambre. Tu me tiens ça ? »

Alix lui passa un paquet de chips au vinaigre et ouvrit la porte du garage vers la maison.

« Faut pas faire de bruit, je veux pas réveiller ma sœur, elle nous casserait les pieds. »

Alors même qu'il disait cela, le bleu trébucha sur la petite marche au seuil de la porte, faisant tomber une de ses béquilles, puis la deuxième en tentant de rattraper la première.

« Merde, putain. »

Élias ne pu s'empêcher de pouffer devant le ridicule de la situation.

« Ça commence bien. »

« Ta gueule ou tu dors dehors. » Rit Alix en se redressant.

Puis il posa ses béquilles à côté de l'escalier.

« Tu sais quoi, on va faire sans. De toute façon déjà pas bourré j'ai du mal avec les escaliers et les béquilles. Approche. »

Alix se mit sur la première marche et s'accrocha au cou du blond.

« Alix, tu m'étrangles là. »

« Merde, désolé. »

« Attends. » Élias fit passer ses mains sous les cuisses fermes du bleu, et le fit remonter un peu. « Voilà, c'est mieux. »

Alix laissa sa tête reposer entre les omoplates du blond et sourit, il était le seul à le savoir, et ça lui allait très bien. Enfin du moins c'est ce qu'il pensait, car en réalité, Élias avait bien sentit les lèvres du bleu s'étirer contre son dos, et ça lui avait lui-même arraché un petit rictus bienheureux.

« Dis, t'as pas envie de regarder un film ? Genre... j'ai pas trop sommeil. »

« Ouais, si tu veux. Je... de toute façon tu es chez toi, tu fais un peu ce que tu veux. »

« Bah ouais mais je vais pas te forcer non plus si t'as pas envie ou quoi. »

« J'ai pas dit non plus que je voulais pas. » Argua Élias alors qu'il montait les dernières marches.

« Ok, alors on pourrait regarder un classique. Un truc mignon et sans prise de tête. Genre... Oh je sais ! Mon voisin Totoro ! T'en penses quoi ? »

« Je sais pas, je connais pas... »

Le blond le reposa au sol et Alix se tourna tout de suite pour lui faire face, une mine outrée.

« Sérieusement ? Mais c'est une injure ! » Scanda-t-il en chuchotant. « Viens on va dans la chambre de mon frère, il a tous les dvd du studio Ghibli et j'ai la flemme de le chercher en streaming. En plus mon frère a une télé dans ça chambre, c'est plus pratique que sur un ordi ou mon téléphone. » En voyant la mine dubitative d'Élias, il ajouta : « T'en fais pas, il dors pas ici ce soir. »

Il clopina jusqu'à la porte de la chambre de son frère et clancha.

« Merde. Il a encore verrouillé sa chambre. »

Il essaya de se mettre sur la pointe des pieds, mais avec une seule jambe valide c'était un peu compliqué, d'autant plus qu'il était vraiment petit, pour tenter d'atteindre la clef qui était posée sur le chambranle de la porte. Élias posa une main sur sa hanche pour le stabiliser.

« On devrait peut-être pas. Si c'est fermé, c'est peut-être qu'il n'a pas très envie qu'on rentre. »

Alix saisit la clef avant de lui répondre.

« Non. Mon frère s'en fout que je rentre, il veut juste pas que ma mère vienne et essaye de ranger sa chambre. C'est son bazar personnel. Et puis il doit bien avoir un peu de weed planqué sur une étagère. Léo n'est pas le petit angelot qu'il essaye de faire croire qu'il est. »

Le petit bleu déverrouilla la porte et entra en sautillant sur un pied, Élias à sa suite. Il attrapa la pochette du film qui était sur un petit meuble à côté de la télévision, le mit dans le lecteur avant de se jeter sur le lit. Élias s'assit à côté de lui alors que le bleu lançait le film.

Alix, blotti sous un plaid, ouvrit le paquet de chips et en proposa au blond qui se laissa tomber contre lui. Le cœur du bleu fit une embardée mais il le laissa faire. Il avait déjà remarqué qu'Élias laissait peu à peu tomber ses barrières quand il avait bu, et il adorait ça.

Le bleu riait doucement alors que la petite famille du film arrivait joyeusement dans leur nouvelle maison. Il les trouvait adorables, et touchants. Le père des deux petites filles était souriant et à l'écoute de chacun de leurs jeux. Alix baisa les yeux vers Élias, parce qu'il aimait vérifier que les gens avec qui il regardait un film l'apprécient autant que lui. Mais il tomba de haut. Élias, la tête reposant à moitié sur son ventre, pleurait en silence, les yeux rivés sur l'écran de télévision. Alix entrouvrit les lèvres mais ne dit rien. Il ne savait que dire... Personne ne pleurait jamais en voyant le père de famille rire joyeusement avec ses deux petites filles alors qu'ils prenaient leur bain, si ? Alix sentit ses propres yeux s'humidifier à leur tour, et sa lèvre inférieure trembler. Il avait toujours été faible face aux larmes des autres, et il se découvrait encore plus faible face à celles du blondinet. Sans un mot, il se contenta de poser une main dans le cou d'Élias, remontant tantôt vers sa joue, tantôt vers sa nuque et ses cheveux. Élias ne dit rien non plus, si ce n'est le petit soupir de satisfaction qu'il laissa échapper. Et c'est ainsi, blottis l'un contre l'autre, avant même la fin du film, qu'ils s'endormirent, la guirlande au dessus du lit toujours allumée et le paquet de chips à moitié vide tombé au sol.

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[EDIT (19/10/21) : Version révisée, ajout scène avant de prendre le bus]
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J'ai pas eut le temps de corriger le chapitre, désolé, je le fait des que possible ♡
J'ai un peu l'impression de poster à l'arrache en ce moment, ça serai mieux la semaine prochaine ☆

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