5 🌪️ La Gemme qui te revient

"Le Guide pouvait se lier de plusieurs manières à un Gardien en devenir. Trouver la gemme n'était pas difficile. La mériter et la dompter, était une toute autre affaire."


ELYA


— Est-ce que tu te sens prêt ?

Je demandai cela à Sam, assis en tailleur en face de moi. Nous dormions dans cette chambre à l'auberge depuis un mois déjà. Il y avait nos affaires qui trainaient un petit peu partout. Nous avions tenté d'en faire notre maison, du mieux que nous pouvions. Je me sentais un petit peu plus chez moi près de lui, mais jamais totalement sans Agnès.

— Je ne sais pas si on peut vraiment dire ça, mais... il faut que je le fasse, soupira-t-il.

Je lui tendis mes mains tout en lui adressant un sourire que je voulais sincère et rassurant. Il frotta les siennes, se mordilla la lèvre supérieure puis se résigna à les poser dans les miennes. J'inspirai profondément, lui demandai de fermer les yeux. Je fis la même chose, puis laissait se promener mon pouvoir dans mes veines. Je le sentis passer de mon coeur jusque mes épaules, mes bras et l'imaginais comme les racines d'un arbre qui s'ancraient en moi pour devenir un pouvoir puissant.

Enfin, nous fûmes transporter dans un flot de souvenirs.

D'abord, je vis Sam, encore si jeune, dans les bras de sa mère et son père perchait juste au dessus. C'étaient deux parents comblés de bonheur à l'arrivée de leur petit. Il grandit à la forge de Novendill. Sa mère était commerçante et son père forgeait comme personne. À l'âge de seize ans, sa mère disparut en mère en même temps que mes parents. Ne restèrent plus que Sam et son père malade qui tinrent la forge pendant des années.

Sam grandit avec le métal, l'acier et le feu. Il apprit dès son plus jeune âge, à manier la forge, à confectionner des armures, à travailler le fer et à créer des armes redoutables pour les batailles à venir.

Je nous vis tous les deux, encore si jeunes, jouer sur les falaises et nous lier d'amitié. Comme un frère et une soeur, c'était bien plus fort que cela. Et même si parfois, Sam m'agaçait car il me protégeait beaucoup trop, je ne pouvais pas me passer de lui. Il était devenu mon ancrage. Dans ses souvenirs, je compris que moi aussi, j'étais le sien.


— Sam, pourquoi tu fais cette tête ? toussota son père alors qu'il plongeait du métal dans le feu.

— C'est juste que... Elya s'amourache du premier venu comme si c'était normal. Elle... elle mérite tellement mieux que tous ces hommes pervers qu'elle côtoie.

— Pourquoi tu ne le lui dis pas ?

— Je n'ai pas envie de me disputer avec elle, papa... Attends, je vais t'aider.

Il enfila les gants ignifugé et aida son père à sortir la tête de hache qu'il était en train de confectionner.

— Si tu ne le lui dis pas ce que tu ressens, un autre le fera à ta place un jour.

— Notre amitié est trop importante pour la briser avec des sentiments.

Les souvenirs défilèrent à la vitesse de la lumière. Vint le jour où je dus partir car le roi recherchait des personnes comme moi. Sam se retrouva seul et il pleura quelques nuits, inquiet pour moi, ne sachant pas s'il allait me revoir un jour. Sa joie de vivre le quitta petit à petit puis il finit par s'habituer à mon absence. Au début, il passait devant notre maison et ne pouvait s'empêcher de prendre un temps pour la regarder. Avec le temps, il passait devant, sans même lui jeter un regard. Comme si je n'étais devenue plus qu'un souvenir.

Ce qui l'aida à ne pas perdre pied, c'était toutes ces recherches qu'il avait faites sur les Gardiens et les Gemmes. Mais aucune réelle information concernant les Guides.

Jusqu'au jour où je revins à Novendill. C'est comme si le paysage grisâtre autour de lui avait repris de la couleur et que tout reprenait vie en même temps.

Enfin, je pus de nouveau revoir Alexius. Quand bien même j'étais liée à Sam, je sus que dans la réalité, mon coeur se serrait et mes larmes coulaient, sans retenue.

Alexius était là, à la forge, à écouter Sam lui expliquer comme graver nos armures avec le surin. Il avait un réel don pour la forge et Alexius en était fasciné par la beauté. Tous les deux penchés au dessus du plastron, Alexius sourit puis tourna la tête vers Sam qui, prit d'une pulsion, l'embrassa. Alexius se recula par réflexe.

— Excuse-moi, s'empressa de dire Sam gêné et passant sa main dans sa chevelure rousse. Je... je ne sais pas ce qui m'a pris. En temps normal, je... je préfère les femmes. Enfin... s'il te plaît, Alexis, ne le répète à personne.

— Oui, oui. Je ne le dirai à personne, assura-t-il. je vais prendre l'air un instant, il fait chaud ici. Je te fais confiance, tu sauras finir l'armure.

Sa voix. Je ne me souvenais même pas du son de sa voix. Il laissa Sam seul dans la forge. Ce dernier serra ses poings, mordilla ses lèvres puis donna un coup de pied dans une bassine vide.

— Quel idiot... vociféra-t-il pour lui-même.

Alexius était revenu quelques longues minutes plus tard et enfin seuls, il demanda à Sam de recommencer. Ils s'embrassèrent à nouveau, plus fougueusement et sans hésitation cette fois. Alexius fit promettre à Sam de ne pas s'attacher à lui mais ses souvenirs firent comprendre l'inverse.

Ils passèrent du temps ensemble. Ils partagèrent le même lit, passèrent des nuits entières à parler. Alexius racontait à Sam les voyages qu'il avait pu faire et il semblait le faire rêver d'aventure. Quand ils ne parlaient pas, ils s'enlaçaient, s'embrassaient et s'aimaient.

Le monde de Sam était coloré, parce qu'Alexius était devenu son nouveau point d'ancrage. Contrairement à moi, Sam avait su passer outre les mensonges d'Alexius. J'assistai alors à leur dernière conversation, en chemin vers la mort.

— Est-ce que c'est normal que j'aie aussi peur ? demanda-t-il à Alexius à voix basse un soir alors qu'Adélaïde et Ezekiel dormaient.

— La peur, c'est ce qui te raccroche à la réalité. C'est un moteur, une essence pour vivre. Si tu arrives à la surmonter, alors tu sais que la bataille en vaut la peine. La vie en vaut la peine. Tu ne connaitras jamais de voyage serein, sans peur ni crainte. Et c'est tant mieux. Crois-moi, au bout du chemin, tu te retourneras et tu te diras : c'est moi qui ai fait tout ça, j'ai pu faire tout ça parce que je le voulais, parce que j'étais assez fort. Tu seras fier de toi. Et tu auras envie de recommencer.

— Mais si j'échoue ?

— Alors tu te relèveras.

— Et si... et si toi, tu venais à... à... tu sais...

Alexius prit la main de Sam dans la sienne et plongea ses yeux bleus dans les siens. Il lui adressa son fameux sourire charmeur, ce qui illuminait à chaque fois son visage enjôleur.

— Je suis un Gardien, Sam. Je suis, comme qui dirait, immortel.

Mais la mort les sépara. Brutalement. Et Sam pleura sa perte, en colère et frustré, sans jamais en parler à personne. Son monde redevint gris. les couleurs se dissipèrent à mesure que les jours passèrent sans Alexius près de lui.

Je n'avais pas été là pour lui. Je n'avais pas su voir sa douleur.

Le noir. L'obscurité. Le deuil.

Au milieu du chaos, seule une gemme pouvait lui convenir. Parce qu'un coeur brisé par la perte de l'être aimé ne pouvait être réparé. Alors son monde en noir et blanc pouvait être alimenté par un pouvoir de la même constance.

— Es-tu digne de l'Obsidienne ? demandai-je à voix haute.

Dans ce songe, ma voix sembla résonner en des milliers d'échos.

— Je ferai tout pour en être digne, rétorqua-t-il à son tour.

Nos voix flottaient dans le néant. Là où attendait un pouvoir endormi.

— Parce que la peur ne saura jamais m'arrêter, reprit-il. Parce qu'au bout du chemin... je serai fier de moi.


Je rouvris mes yeux en même temps que lui. Je lâchai ses mains, alors que mes larmes coulaient sur mes joues. Ses yeux noisettes étaient embués de larmes, il respirait fort, les mâchoires crispées.

— Sam... je suis tellement désolée. J'aurais dû le voir. Pardonne-moi, sanglotai-je.

Je me retrouvai à genoux sur le lit et le serrai contre moi. Il laissa aller sa peine, sa main serra mon bras et sa tête resta collée contre mon épaule. Il ferma les yeux, ses larmes coulèrent et sa douleur s'éveilla.

— Je ne t'abandonnerai plus jamais, lui murmurai-je. Je te promets que je ne t'abandonnerai plus jamais.

— Je l'ai aimé, El', marmonna-t-il dans un sanglot.

— Je sais...

Je l'étreignis davantage. Après quoi, il se détacha de moi et essuya ses larmes d'un revers de la main. Il inspira profondément puis souffla lentement par la bouche.

— Je suis prêt. Je suis prêt à me lier à cette gemme.

Je hochai la tête. Je ne savais pas quel pouvoir la gemme octroyait. Mais Ezekiel et Adélaïde la connaissait. J'espèrais simplement que Sam allait pouvoir gérer un tel pouvoir et que sa peine n'allait pas lui faire défaut.

Cependant, lui était prêt à se lier à sa gemme et moi, j'étais prête à lui faire confiance.

Mon ami. Mon frère.

Jamais plus je n'allais le laisser.

Son monde retrouverait ses couleurs. Je m'en faisais la promesse.

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