2 🌪️L'abandon
"L'abandon était un mot fort de sens. Mais parfois, il fallait abandonner pour mieux se retrouver."
ADELAIDE
— Non ! Non ! Je ne veux pas ! Non !
La petite Agnès ne cessait de pleurer, accrochée à Elya qui se démenait pour la convaincre de rester avec Adèle, une ancienne amie apparemment. La jeune femme avait déjà deux enfants en bas âge mais avait gracieusement accepté de garder Agnès le temps pour nous de régler le conflit d'équilibre qu'Aude était en train de créer.
— S'il te plaît, Agnès, ne rends pas les choses plus difficile... je sais que tu veux rester avec moi mais je dois partir pour quelques temps. Je te promets de revenir.
Elya s'accroupit pour faire face à sa petite sœur, son visage était rouge, bouffi et ses larmes ruisselaient sans s'arrêter. Sa lèvre inférieure en avant lui donnait l'air boudeuse et elle était prise de spasmes à cause de ses sanglots.
— Tu connais Adèle, tu sais qu'elle est gentille.
— Mais j'ai peur... avoua Agnès.
— Je sais...
Elya la serra dans ses bras, tentant de garder la face devant elle et de ne pas se laisser submerger par ses émotions. Ezekiel restait en retrait, les bras croisés et semblait même intimider le mari d'Adèle. Ils avaient dans leur maison, ce qui s'apparentait à une jolie décoration de fleurs auparavant. Mais maintenant, les plantes avaient toutes fanées. La mort régnait en maître, où que nous allions. Nous devions arrêter ce phénomène.
Mon histoire n'était pas la même qu'Elya avec sa sœur et j'avais beau me le répéter, je me souvenais constamment de ce jour où Genova avait semblé me détester. Amère comme je l'étais, j'avais osé la regarder droit dans les yeux et abandonner tous sentiments pour rester fidèle à ce que je pensais être. Je l'avais abandonnée, lâchement. Je l'avais laissée derrière moi, comme si plus rien n'importait. Puis elle était morte le jour d'après. Mon Rubis me rendait parfois incontrôlable et j'étais capable d'oublier à quel point je l'aimais, tout cela pour le pouvoir et le devoir.
Qu'était un devoir lorsque l'Ordre que nous servions nous martyrisait et nous contrôlait comme si nous n'étions rien d'autres que des machines ?
J'en avais fini avec l'Ordre. Je ne m'étais jamais sentie aussi libre qu'à ce jour, quand bien même mon cœur restait blessé par la perte d'Alexius. J'aurais tant apprécié que Genova connaisse ce sentiment. Nous aurions pu profiter l'une de l'autre, sans se soucier du reste.
Vivre avec des regrets avait de mauvaises répercussions, je me devais de rester concentrée. Sauf que je ne parvenais plus à contenir mes émotions. Elya avait su ouvrir en moi ce qui avait été scellé et dorénavant, les larmes étaient mon seul exutoire.
Nous sortîmes pour la laisser dire au revoir, une nouvelle fois, à sa petite sœur. Ezekiel faisait les cents pas, les bras croisés sur son torse et le visage barré par ses émotions. Il se mordillait la lèvre inférieure. L'herbe autour de la maisonnée était défraîchie, autant que toutes les autres plantes sur l'île. Le virus prenait de la place, les gens allaient tomber malades bientôt. Ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'Aude ne gagne son combat.
Je m'assis sur les marches du ponton devant la porte d'entrée. La rue était faiblement éclairée par la lune et les lampadaires extérieurs. Ezekiel ressemblait à une silhouette dans le noir, agitée, peinée et sur le point d'exploser.
— Tu ne veux pas t'asseoir ? demandai-je pour biser le silence.
Et la glace, par la même occasion. Nous ne faisions que nous chamailler depuis la mort d'Alexius.
— J'ai besoin de marcher. De me défouler un petit peu, grommela-t-il. Je n'arrive pas à rester en place.
— Et ça se ressent... marmonnai-je.
— Je suis en colère, Adé. Pas toi ?
Il s'arrêta et se tourna vers moi. Je pus voir ses yeux verts à travers la pénombre. Je laissai mes épaules s'affaisser et poussai un profond soupir.
— Je n'ai pas envie de laisser ce sentiment me consumer. J'ai mon Rubis et je sens déjà son énergie qui me veut du mal alors imagine si je laissais la colère s'en mêler ?
— Hm... grogna-t-il.
Finalement, il me rejoignit et s'assit à côté de moi, son épaule contre la mienne.
— Je vais devoir récupérer mon Emeraude, dit-il en fixant un point devant lui.
Je l'imitai.
— Et comment ? Aude l'a dérobé.
— Je n'en sais rien. Je suis prêt à tout.
— Et pour l'Améthyste et l'Obsidienne ?
Un court silence plana. Je doutais que nous puissions trouver deux personnes suffisamment fortes pour supporter la puissance d'une gemme. Nous avions été entraînés durant des années. Alors pour trouver des Gardiens sans entraînement ni préparation physique... c'était impossible. Tout du moins, la gemme devrait être en contact avec son Gardien que peu de temps, pour éviter toute séquelle.
— Tu ne te sens pas capable de trouver deux gardiens toute seule ?
Je souris légèrement puis secouai la tête.
— Clairement pas, non. C'était ton idée. Tu comptais partir ?
— Récupérer mon Emeraude, oui.
— Te confronter à Aude seul serait la pire idée, m'opposai-je.
— Elle ne m'effraie pas.
— Tu devrais avoir peur d'elle, insistai-je.
Je tournai la tête pour le regarder. Je croisai son regard, ses cernes soulignaient sa tristesse. Probablement savait-il mieux se contenir que moi. Je le sentais impatient. Il voulait se venger et sa colère se ressentait, elle se lisait dans ses yeux. Il était consumé par sa haine et sa soif de vengeance. C'était un mal dangereux. Il risquait de s'y perdre.
— Je veux l'anéantir, articula-t-il.
— Et à qui as-tu pensé pour jouer le rôle de nouveau Gardien ?
Il afficha un sourire en coin. Quand il voulut parler, les bruits de pas rapides de Sam me firent lever la tête.
— Bon, j'ai trouvé des chevaux, j'ai récupéré des provisions chez mon père et j'ai même trouvé des couvertures... l'hiver est rude et j'aimerais ne pas attraper une pneumonie, expliqua Sam, deux énormes sacs sur les épaules. Où est Elya ?
Mes yeux se posèrent d'abord sur Sam puis sur Ezekiel, puis à nouveau sur Sam.
— Ne me dis pas que...
— Elle est à l'intérieur, avec sa sœur, rétorqua Ezekiel en ignorant mon murmure.
Sam posa les deux sacs. Enfin, il les laissa tomber. Il passa entre nous deux puis frappa à la porte et entra la seconde d'après. Quand elle claqua derrière lui, je fusillai du regard Ezekiel qui se leva aussitôt.
— N'y pense même pas !
— Pourquoi pas ? couina-t-il.
— Parce que Sam risquerait d'y laisser la vie ! C'est le meilleur ami d'Elya !
— Oui, et il a une super armure ! Alors... elle le protègera !
Ezekiel haussa les épaules comme si cela n'avait aucune importance, qu'il meurt ou qu'il vive.
— Non, Ez. Sam n'est pas un Gardien. Laisse-lui au moins cette insouciance.
— Nous n'avons que lui sous le coude et je te rappelle qu'on n'a plus beaucoup de temps. Il faut frapper tant qu'Aude est encore affaiblie !
— Elya ne te le pardonnerait pas, soupirai-je.
— Mais Elya me déteste déjà !
Il se tenait debout devant moi, les bras ballants et l'air désespéré. Je l'étais, moi aussi. Mais je gardais espoir. Nous devions rester patients.
— Il pourrait manier l'Améthyste... marmonna-t-il.
— C'est hors de question !
— L'Améthyste est moins brutale que l'Obsidienne, Adé !
— Ca suffit ! La conversation est close ! vociférai-je en le pointant du doigt dorénavant debout. Nous trouverons quelqu'un d'autre.
La porte s'ouvrit ensuite sur Sam et Elya qui nous rejoignirent. Dès lors qu'Adèle ferma sa maison, Elya fondit en larmes dans les bras de son meilleur ami. La voir dans un tel état me brisa le cœur. Je m'approchai d'eux, peu sûre de moi mais je ne pouvais la laisser souffrir sans marque de réconfort. Alors, ignorant l'arrogance et la distance d'Ezekiel, je l'entourai de mes bras moi aussi afin que jamais plus, elle ne se sente seule.
Aucun d'entre nous ne devait plus jamais ressentir cela.
C'était l'objectif que je m'étais fixé.
C'était ma nouvelle bataille.
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