1 🌪️ Les Funérailles
"Chaque individu supportait, ou non, la perte d'un être aimé."
ELYA
Le silence.
C'était ce qui définissait l'atmosphère dans lequel nous vivions depuis quelques jours.
Le silence.
C'était ce qui empoisonnait mon esprit.
Sam avait toujours été bavard, jovial et énergique. Depuis notre affrontement avec Aude, Sam n'était plus que l'ombre de lui-même.
Pourtant à travers ce silence, dans mon esprit se rejouaient les heures qui avaient suivi ma liaison avec le Saphir.
La porte qui avait cédé sur ses gonds et Delmaz, face à moi, sa gemme scintillante et ses yeux dorés. Lorsqu'elle avait tendu son bras en ma direction, prête à torturer mon esprit avec son Orthose, cette gemme dorée et vicieuse. Je n'avais pas hésité à me défendre. Le pique de glace qui avait transpercé sa paume s'était teinté de son sang, rouge pourpre. Le faisceau doré qui avait commencé à émettre de sa main s'était résorbé en une fraction de seconde.
Nous aurions pu nous battre. Mais Delmaz se résigna.
— Usurpatrice, avait-elle vociféré avant de se téléporter.
Mais ça ne s'était pas arrêté là.
J'étais tombée sur le sol à peine avait-elle disparu, prise de convulsions, seule. Infiniment seule. J'avais froid puis chaud, puis encore froid et le Saphir me montrait des choses que je ne voulais pas voir.
Ma mère. Mon père. Morts.
J'avais toujours cru qu'ils avaient dérivé et qu'ils étaient morts lors d'un voyage en mer vers un autre Royaume pour affaires.
Ils avaient été tués par des pirates portant les couleurs du roi et parmi ceux-ci... je reconnus Hansen, l'un des membres de l'Ordre.
Puis j'avais vu Nëphrëa. Grande, majestueuse, sur l'océan agité. Elle me regardait parmi cet immensité d'eau dans laquelle je croyais me noyer. Je voulais parler mais aucun son ne sortait de ma bouche. Je voulais hurler mais mes cordes vocales étaient paralysées.
Ses yeux bleus posés sur moi, elle s'était contentée de lever son index pour le poser contre ses lèvres grisâtres pour me faire signe de me taire.
— Tu as volé mon cœur, murmura une voix fantôme autour de moi.
Puis je m'étais réveillée, sur le sol de la salle de bains, recroquevillée, perdue. J'avais arraché le Saphir de ma poitrine, il avait glissé sur le carrelage puis s'était éteint alors que mon cœur, lui, ne cessait de battre la chamade.
Puis le silence.
Aujourd'hui, plus que jamais.
Nous étions regroupés, de retour à Novendill. Sam assis sur un rocher, Adélaïde les yeux fixés sur l'horizon au bord de la falaise et Ezekiel qui ne cessait de creuser encore plus profond. Je restai debout, ne sachant plus vraiment où me mettre. Le vent fouettait mon visage et mon corps me faisait encore souffrir. Par chance, ma blessure n'était plus si importante. Grâce au Saphir, je cicatrisais plus vite.
— C'est peut-être suffisant maintenant, tenta Sam en retrait.
— Je ne pense pas que je t'ai demandé ton avis, grommela Ezekiel en creusant et jetant la terre à côté.
Il s'épuisait depuis deux bonnes heures déjà. Nous étions tous épuisés.
— Ezekiel... soufflai-je.
Adélaïde se retourna vers nous. Elle nous rejoignit et lorsqu'Ezekiel leva sa pelle pour entasser la terre à côté du trou, elle saisit le manche pour l'empêcher de continuer.
— Arrête ! gonda-t-elle. Arrête... c'est suffisamment profond !
— Laisse-moi continuer de creuser si je veux. Il faut qu'il soit enterré le plus profond possible pour qu'il ne revienne jamais à la vie comme l'un de ces fichus monstres.
— Non ! J'en ai assez ! On doit l'enterrer, maintenant ! Il faut que ça s'arrête !
— Lâche cette pelle, Adélaïde.
— Sinon quoi ? Tu vas me frapper peut-être ?
— Je te demande juste de lâcher cette putain de pelle !
— Ca suffit ! gronda Sam en se levant du rocher.
Il rejoignit Adélaïde et tira sur la pelle qu'Ezekiel lâcha. Il la jeta au sol puis les regarda tous les deux un à un.
— Vous pensez que vous chamailler aussi bêtement plairait à Alexius ? Il serait temps d'agir convenablement et d'honorer sa mémoire ! Un deuil est censé rapprocher les gens pas les éloigner comme c'est le cas ici ! Alors bordel... enterrons-le dignement et apaisez votre colère !
— Et qu'est-ce que t'en sais de ce qu'il aimerait ou non ? vociféra Ezekiel.
— J'en sais sûrement plus que toi. Alors arrête de faire ta tête de con et sors de ce trou.
Sam lui tourna le dos et repartit vers son rocher. Non loin de là se trouvait le corps d'Alexius, emmitouflé dans des draps. Nous pouvions voir son sang séché tâcher le linge et malgré toutes nos espérances depuis trois jours, Alexius n'était pas revenu à lui. Nous ne pouvions plus attendre. Le Saphir permettait de conserver son corps, mais bientôt, il allait se réchauffer.
Sam avança sur la falaise et donna un coup de pied dans une pierre qui roula sur le sol dans un drôle de bruit. Je laissai les Gardiens derrière moi pour le rejoindre. Il s'assit, les pieds dans le vide et les vagues frappant la roche juste en dessous. La mousse qui s'y formait me fascinait. Depuis que je m'étais liée au Saphir, je voyais certaines choses que je ne remarquais pas avant. Je pouvais voir chaque détail insignifiant comme quelque chose de magique et de beau. Je me sentais plus proche de l'océan que je ne l'avais jamais été.
Je posai ma main dans le dos de Sam que je frottai légèrement. Il fixait l'horizon, ses yeux gorgés de larmes, des cernes qui appuyaient les traits de son visage.
— Je n'en peux plus de cette douleur... souffla-t-il, la voix chancelante.
— Je ne savais pas que tu étais si proche de lui...
— Je ne savais pas non plus, avant que ça n'arrive... je... je me voyais apprendre à le connaître. J'espérais avoir plus de temps. Je me sentais bien. Bon sang... je me sentais bien près de lui. Et maintenant... maintenant... je ressens un vide ici...
Il posa sa main là où se trouvait son cœur. Je posai ma main par dessus, sondant son regard. Des larmes roulèrent sur ses joues. J'en eus le cœur brisé que de voir mon meilleur ami dans un tel état. Je n'avais même pas vu à quel point Alexius et lui étaient proches.
— Je suis sincèrement désolée, Sam... si seulement je pouvais te soulager de cette douleur, je le ferai...
— Le seul moyen de soulager ma douleur sera de tuer cette garce, vociféra-t-il. Je veux la tuer.
Il releva la tête vers moi alors je me redressai, affrontant sa détermination.
— Nous la tuerons. Tous ensembles, rectifiai-je.
— Mais moi, je ne suis pas un guerrier comme vous.
Je n'osais pas lui dire que j'avais le Saphir. Je ne me sentais pas capable ni digne de le porter. Je préférais le garder pour moi pour l'instant.
— Tu nous a forgé des armures indestructibles...
— Pff...
Il secoua la tête et détourna son regard.
— Si elles avaient été indestructibles, Alexius serait toujours là.
— Alexius savait ce qu'il faisait, rétorquai-je. Il a brisé un sceptre sur lequel plusieurs gemmes se mêlaient. C'était évident qu'en le brisant, il libèrerait une telle énergie que même l'armure la plus solide ne l'aurait supporter.
— Il aurait dû laisser faire Ezekiel...
Je laissai mes épaules s'affaisser.
— Je pense qu'Ezekiel n'a pas besoin d'entendre ça, Sam. Pitié, ne laisse pas ta colère te détruire. Je t'en prie...
— J'ai besoin d'être seul. Je viendrai tout à l'heure.
Il me tourna légèrement le dos. Me forçant à partir. Je me relevai, le cœur lourd, l'estomac retourné et les larmes aux yeux. Agnès s'était endormie, allongée sur une couverture, recouverte d'un manteau trop grand pour elle. Le voyage l'avait fatiguée, autant que tout ce que nous avions traversé.
Nous déplaçâmes le corps d'Alexius dans la tombe creusée par Ezekiel tous ensembles à peine une heure plus tard. Dans le silence le plus glacial et le plus douloureux que je n'avais jamais connu. Après quoi, nous restâmes de longues minutes devant ce trou dans lequel il vivrait pour l'éternité. J'entendais les sanglots d'Adélaïde et quand bien même je lui tenais la main, la lui serrais... sa douleur était impossible à atténuer. Pas maintenant.
— Nous devrions tous dire un mot, pour lui, déclara Sam ce qui brisa le silence qui durait depuis de longues minutes. Je commence...
Il s'avança d'un pas, les mains croisées devant son bassin. Avant cela, il laissa glisser l'épée sur laquelle Alexius avait flashé lorsqu'ils s'étaient rencontrés à Novendill à peine deux mois plus tôt.
— Je t'offre cette épée, dorée et précieuse, comme tu l'étais. Je... je ne t'ai pas connu suffisamment longtemps pour m'assurer que tu étais fiable mais... tu as su redonner des couleurs à ma vie quand tout était sombre et morose... je te remercie d'avoir été qui tu étais, alors que je me cherchais encore. Même si aujourd'hui, je suis perdu sans toi. Tu vivras toujours, quelque part en moi.
Il déglutis, se pinça l'arête du nez. Enfin, il recula d'un pas, inspirant profondément, probablement pour tenter de contenir ses émotions qui le submergeaient.
— Que dire... pleura Adélaïde. Alexius était mon frère. Mon meilleur ami. Ma famille... je...
Elle secoua la tête, lâcha ma main.
— Je suis désolée... je ne peux pas.
Elle s'éloigna, reprenant le chemin nous menant à Novendill. Agnès restait contre moi, ne comprenant pas vraiment ce qu'il se passait. Nous restâmes ainsi durant des minutes qui parurent durer des heures. Sam finit par quitter les lieux après avoir laissé couler des larmes inconsolables. Il ramena Agnès avec lui et je me retrouvai seule avec Ezekiel, silencieux, stoïque et droit comme un i.
Je restai légèrement derrière lui, les mains croisées devant mon bassin. Il était légèrement plus appuyé sur son pied droit, ses bras croisés sur son torse et ses mains encore couvertes de terre. Il était au bord du trou, fixait le draps, le corps d'Alexius emmitouflé dedans. Mieux valait nous éviter la vue de son visage à moitié calciné.
C'était comme si le destin était inévitable. Alexius avait déjà failli mourir brûlé par le Rubis mais je l'avais arrêté à temps. Cette fois, les gemmes avaient eu raison de lui et ses brûlures lui avaient coûtés la vie. A croire que défier la mort était impossible. Sauf pour Aude...
Ezekiel s'accroupit au bord du trou, baissa la tête, une main enfoncée dans la terre. Dans le silence glacé, uniquement accompagné des vagues au loin, je pus entendre ses premiers sanglots.
Mon cœur se serra davantage dans ma poitrine. Je le rejoignis après un instant d'hésitation. Je m'accroupis près de lui, ma main sur son épaule. Il secoua la tête, son poing contre sa bouche et des larmes qui coulaient sur ses joues abîmées par son combat.
— Je suis sincèrement désolée, Ezekiel... soufflai-je.
Il ferma les yeux, de nouvelles larmes se mêlèrent aux anciennes.
— Pitié... dis quelque chose, repris-je.
— Je suis en colère, marmonna-t-il après avoir reniflé. Je suis en colère contre ce monde, contre moi...
Il serra la motte de terre dans sa main encore enfoncée dedans.
— Je n'ai pas été assez rapide, mais j'aurais dû... Alexius n'avait aucun vice. Il est mort en pensant que je le haïssais mais c'était moi que je haïssais. Je lui ai parlé de trahison, mais ce mot n'a aucune valeur. Parce que... je suis le pire des traitres.
Je serrai son épaule en signe de compassion. Le fossé entre nous m'empêchait d'être plus proche de lui. Je lui en voulais toujours pour ses mensonges mais j'étais incapable de le détester. Mes sentiments envers lui étaient bien trop forts.
Ezekiel inspira profondément puis jeta une poignée de terre dans la tombe. Après quoi il se leva, passant sa main sur son visage pour essuyer ses larmes. Il récupéra la pelle, sans me jeter un seul regard.
— Dis-moi quand je peux, dit-il seulement.
— Ezekiel...
— Il faut qu'il soit enterré. Le temps nous est compté. Il faut... qu'on avance.
— Mais tu as le droit d'être triste !
— Je sais ! gronda-t-il en me jetant un regard.
De nouveaux sanglots nouèrent sa gorge et firent flancher sa voix grave.
— Mais pleurer ne le ramènera pas et je refuse qu'Aude le ramène à la vie. Je refuse qu'il devienne mon ennemi. Alors enterrons-le le plus vite possible.
Je doutais que ces funérailles étaient celles qu'espérait Alexius mais en temps de guerre, nous n'avions que peu de temps pour nous apitoyer sur nos sorts. Nous avions l'Obsidienne et l'Améthyste. Nous devions trouver deux nouveaux Gardiens, en quelques jours seulement.
C'était un objectif presque impossible à atteindre mais Ezekiel était déterminé à en finir.
La vengeance était parfois la plus belle des motivations.
— Tu peux l'enterrer... soupirai-je malgré moi.
Alors il commença à recouvrir son corps de terre et à mesure qu'il le faisait, mon souffle me manquait. Je me sentais triste et la perte d'Alexius allait laisser un vide impossible à combler, c'était une certitude. Ses blagues, son sourire, sa bonne humeur, tout cela allait horriblement nous manquer mais son héroïsme et son courage nous avait aussi permis d'affaiblir considérablement notre ennemie.
Aude n'avait plus de sceptre et elle était blessée, fatiguée, incapable de se nourrir d'éther. C'était le parfait moment pour l'achever et libérer notre Royaume.
— Tu as volé mon cœur, entendis-je dans mon esprit.
Je me retournai, regardai autour de moi pendant qu'Ezekiel continuait de reboucher la tombe. Un frisson parcourut mon échine, hérissa mes poils ce qui me força à me frotter les bras.
— Es-tu digne du Saphir ?
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