8 💎 Sois honnête avec moi
« Le mensonge était comme une toile d'araignée. Tissé et travaillé, il finissait par s'emmêler et paraître si réel, qu'il était impossible d'en trouver la vérité. »
ELYA
Je marchais dans les rues de Novendill, serrant et desserrant mes poings. J'étais à la fois perplexe et peinée. N'y aurait-il pas eu un moyen de sauver Aude ? Les Gardiens avaient-ils été simplement conçus pour tuer à la moindre menace ? N'en étais-je pas une ? Guide du Nécromancien, je les menais sur la voie du Saphir et en même temps, je savais très bien que notre ennemi nous suivait où que nous allions.
— Elyanor ?
Je tournai la tête vers une ruelle plus étroite lorsque j'entendis cette voie familière. Je m'avançai vers celle-ci et reconnus Gaël adossé contre le mur. Il se redressa et me sourit tout en s'approchant de moi. Je reculai d'un pas alors il s'immobilisa.
— Wow... tu es encore plus belle que dans mes souvenirs.
— Comment vont ta femme et tes enfants ?
Il baissa les yeux un instant. Gaël était un bel homme, bien que moins impressionnant qu'Alexius et Ezekiel, il avait de beaux yeux bleus pétillants.
— J'ai aimé nos moments passés ensembles tu sais, reprit-il. Et je sais aussi que tu les appréciais.
Il s'approcha de moi à nouveau et cette fois, je ne bougeai pas, plongée dans ses yeux. Il posa sa main sur ma joue et pencha la tête sur le côté, affichant son familier sourire enjôleur.
— Je t'ai aimé, Elya...
— C'est terminé, Gaël. Je n'ai plus le temps pour cela et je ne resterai pas longtemps à Novendill.
— Tu le pourrais.
— Non, protestai-je. Il y a bien plus important qu'une petite amourette entre un homme marié et une gamine en mal d'amour. Il y a notre Royaume.
Il pencha la tête de l'autre côté et son regard devint bien plus noir en l'espace de quelques secondes. Son sourire se dissipa comme la brume mais il garda sa main sur ma joue.
— Ton Royaume est voué à sombrer et les Morts, à se multiplier. Pour qu'ainsi, seules les âmes les plus méritantes puissent conserver leur place en ce monde.
Sa voix était désincarnée et je pus sentir ses ongles racler ma peau. Mon coeur s'emballa mais lorsque je voulus poser ma main sur la sienne, ma tête valsa en arrière et une vision pétrifia mon corps tout entier, contractant chaque muscle un par un.
Je suffoquais dans cette vision. Je pleurais. Je paniquais. J'étais en proie à une terrible angoisse. En proie à un terrible sentiment d'abandon. D'incompréhension. De lâcheté. Je pleurais, encore et encore. Sans jamais pouvoir reprendre ma respiration. J'étais dans le noir. Dans le néant. J'étais comme morte. Mais j'avais chaud. Tellement chaud... Bientôt, ma tristesse se transforma en colère puis en haine et cette haine m'anima d'un sentiment puissant de vengeance. Je me sentis soudainement sereine.
J'avais trouvé ma voie.
Je repris une grande inspiration et rouvris les yeux, seule dans la ruelle, les muscles douloureux. Je regardai autour de moi... sans qu'il n'y ait une seule trace de Gaël.
— N'entre plus jamais dans ma tête ! grondai-je à voix haute en regardant partout. Tu entends ? Je t'interdis d'entrer dans ma tête !
Je passai mes mains dans mes cheveux, fermai les yeux et inspirai profondément. Lorsque j'expirai, j'effaçai cette drôle de vision et ce sentiment envahissant qui ne me quittait plus. Je repris ma marche dans les rues froides de Novendill. Il ne neigeait pas l'hiver ici, mais le froid était parfois intense.
Je grimpai la colline menant aux falaises au dessus du village , là où nous aimions nous poster avec Sam autrefois à chaque solstice.
Cette fois, je reconnus la carrure d'Ezekiel au bord de cette falaise, les mains enfoncées dans les poches de son pantalon. Sa chemise virevoltante avec le vent et la lune reflétant sur sa personne sans défaut. Physique. Son caractère était un réel défaut en revanche.
Je m'avançai jusqu'à lui, mes jambes me lançant à cause de la marche que nous avions déjà entrepris le matin même après avoir accosté. Je me postai à côté de lui, relevai le menton et croisai les bras sur ma poitrine. Ezekiel m'avait blessée. Si je devenais son ennemie, alors il était capable de me trancher la tête sans même hésiter. Du moins, c'était là ses dires. Le simple fait de penser que me savoir morte ne lui faisait ni chaud ni froid me brisa quelque peu le cœur. Je me sentais proche de lui, malgré moi, malgré toutes les réticences dont je pouvais faire preuve.
Outre le fait qu'il m'attirait physiquement, j'avais appris à apprécier certaines facettes de sa personne. Son courage et sa loyauté étaient admirables et faisaient de lui un allié puissant.
— Je sais tout, déclarai-je pour briser le silence.
Je le vis tourner la tête vers moi dans ma vision périphérique.
— Pour Aude, renchéris-je. Je sais tout.
Il me saisit le coude et me fit tourner vers lui brusquement.
— Ne parle pas de ça, gronda-t-il en plongeant son regard vert dans le mien.
— Pourquoi ? Tu t'en veux encore ?
Il lâcha mon bras et serra ses mâchoires.
— Cela ne te regarde pas.
— Si, cela me regarde. Vous avez tué une Gardienne. Vous avez scellé un pacte et maintenant, vous êtes tous les trois rongés par la culpabilité.
— Oui, parce que tuer une amie n'est pas facile !
— Pourtant ça l'était, n'est-ce pas ? Ton Emeraude a réduit en miettes sa gemme.
— Nous n'avions pas le choix Elya !
— Mais vous aviez le choix de me le dire !
— Tu es notre Guide mais nous avons aussi le droit de garder des secrets comme celui-ci. C'est suffisamment affligeant d'y songer chaque jour depuis cent cinquante ans alors je me passerais d'une leçon de morale de ta part.
Je retroussai les lèvres et croisai les bras sur ma poitrine. Frustrée, perdue et en colère. Je ne savais plus comment me comporter avec lui, ni comment comprendre sa personne.
— Tu me détestes, c'est cela ?
Il se redressa et haussa un sourcil. Il croisa ses bras sur son torse musclé puis jeta un coup d'œil à l'horizon, l'air agacé.
— Réponds-moi ! m'exclamai-je.
— Non ! renchérit-il plus fort que moi en plongeant son regard dans le mien. Bon sang, non je ne te déteste pas ! Et même si je le voulais, je n'y parviendrai pas. Je voulais te détester. Je voulais rester le plus loin possible de toi. Mais à chaque fois, ça ne se passe pas comme je l'aimerais. Parce que ça ne peut pas se passer comme je l'aimerais. Il n'y a pas une foutue seconde, depuis le jour où je t'ai vu, qui passe sans que je ne pense à toi et au danger que tu cours en restant près de nous.
Il passa sa main dans ses cheveux tout en se pinçant les lèvres. J'entrouvris la bouche, sans qu'aucun son n'en sorte. En réalité, mon cœur frappait si fort ma poitrine que j'étais incapable de parler. Ce qu'il venait de me dire semblait si honnête et même s'il m'avait avoué tout cela par colère, je savais qu'il s'était totalement ouvert à moi. Pour lui, cela devait s'apparenter à de la faiblesse mais pour moi, lorsque l'âme s'exprimait, c'était là la force des sentiments qui ressortait.
Je me rapprochai de lui, oubliant aussitôt ce pourquoi je lui en voulais ou même ses propos absurdes au repas. Je me hissai sur la pointe des pieds et, la main sur sa joue, je lui fis tourner la tête pour qu'il sonde mon regard.
— Je sais que près de vous, je ne risque rien, assurai-je. Je sais que près de toi... je suis en sécurité.
Il me toisait, moi puis mes lèvres.
— Il n'y a pas une seconde qui passe sans que je ne pense à toi aussi, Ezekiel, repris-je d'une voix que je voulais rassurante.
Il saisit ma nuque doucement, se pencha et scella ses lèvres aux miennes. Je fermai aussitôt mes yeux, me collai à lui et le laissai m'entraîner dans sa danse passionnée. Je crois que lui comme moi étions perdus entre nos sentiments de haine et d'amour. D'attirance et de dégoût. C'était affligeant que de se sentir si vulnérables l'un face à l'autre. Je ne doutais pas cependant que ce pouvait aussi être une force.
Il cala sa main au creux de mes reins pour me rapprocher encore plus de lui et bientôt, notre baiser devint plus profond, plus langoureux, plus excitant encore. Je m'empressai alors de lui arracher sa chemise afin de laisser glisser mes mains sur son torse dur. Je respirai fort et chaque mouvement que nous faisions étaient en parfaite harmonie.
Je m'allongeai dans l'herbe froide de la falaise, sous le clair de lune argentée. Mon coeur frappait ma poitrine, j'avais cette impression qu'il pouvait l'entendre mais cela m'importait peu. Il se cala entre mes jambes, ses bras soutenant son poids puis j'attrapai son cou pour l'approcher de moi et l'embrasser encore et encore. Sa langue, ses lèvres, la peau de son dos musclé sous mes doigts... tout était parfait. Tout était intense et décuplé par le lien qui nous unissait.
Je sentais l'électricité de son corps et sa puissance. Je sentais ses peurs, ses peines, ses joies et toute son humanité.
Sa main remonta le long de ma cuisse après qu'il m'ait libéré de mes pantalons. Il me caressa l'entrejambe lentement tout en me regardant droit dans les yeux. Ma respiration saccadée devenait incontrôlable et je me cambrai légèrement sous le plaisir qu'il me donnait avec ses doigts. Il déposa un baiser sur mes lèvres, puis un autre dans mon cou, ma clavicule. Je fermai les yeux, laissai s'échapper à un gémissement de plaisir. Je m'appuyai contre lui, je me serrai contre lui et je voulais le sentir, lui. Rien que lui. Tandis qu'il me donnait déjà un premier orgasme.
Je lui ôtai ce qu'il restait de ses vêtements, admirai un instant son corps svelte et puissant sous la lumière apaisante de la nuit. Puis enfin, je l'attirai à nouveau à moi. Son corps nu contre le mien, chaud et fort, me donna des frissons et je m'accrochai à ses épaules lorsqu'il me pénétra ardemment. Je l'embrassai aussitôt mais je voulais le sentir encore plus profondément. Je voulais que cet instant dure éternellement. Je voyais ses failles, ses forces, sa puissance et l'entièreté de son âme.
Je ressentais son pouvoir. Son devoir. Son serment.
Je ressentais le Gardien qu'il était et à la fois l'homme qu'il se punissait d'être.
Je voyais l'Emeraude, scintillant et menaçant. Dérobé, et pourtant si proche de nous.
J'esquintai son dos lorsque ses coups de reins se firent plus puissants encore. Il appuyait son corps contre le mien, me serrait contre lui, m'embrassai avec ses lèvres mais aussi avec son regard intense et comblé de désir lorsqu'il le posait sur moi.
Il réveillait le feu en moi. Celui que le Rubis m'avait transmis et alors que je gémissais, pleinement à lui, je sentis toute la puissance de la gemme revenir en moi, bouillonner dans mon bras cependant je ne le lâchai pas. J'étais sur le point d'être noyée dans le plaisir à la fois brutal et doux de sa virilité.
Nous demeurâmes l'un contre l'autre quand l'orgasme nous propulsa hors du temps. Au moins pour quelques minutes, quelques secondes...
Et c'était amplement suffisant.
Nous restâmes alors couchés, nus et collés l'un à l'autre. Ezekiel fixait le ciel étoilé et moi, je gardai ma tête appuyée contre son torse et mes doigts allaient et venaient sur la cicatrice au dessus de son estomac. Sa blessure en bas de son ventre était encore gonflée et violacée, il avait refusé les soins d'un sorcier et devait alors en souffrir. Cependant, il ne se plaignait jamais de rien.
— Est-ce que tu t'en veux ? lui demandai-je en me redressant sur mon coude pour le regarder.
Il tourna la tête vers moi, puis de son bras libre, il caressa une des mèches de mes cheveux.
— Je crois qu'aujourd'hui, je ne suis plus vraiment lié à l'Ordre. J'ai déjà rompu mon serment en te sauvant la vie. Alors... non, je ne m'en veux pas. Je crois même que je pourrais recommencer, encore et encore, dans plein d'autres positions, pour te ressentir aussi fort que ce fut le cas à l'instant. J'avais oublié à quel point c'était plaisant de partager ces moments.
Je lui souris et déposai un baiser sur ses lèvres.
— J'espère que nous pourrons recommencer encore et encore et jusqu'à ce que le soleil se lève, déclarai-je.
— Pourvu qu'il ne se lève jamais alors.
Je rigolai et reposai ma tête contre son torse. Je me sentais conquise et pleinement satisfaite. Parce que ce soir, plus qu'un autre jour, je voyais Ezekiel. Le véritable Ezekiel. Je connaissais sa dureté, son courage, sa force et sa façon de combattre aussi impitoyable que le tranchant de son épée. Or, je connaissais aussi sa douceur armée de bestialité, sa franchise et sa bonté.
Malgré le fait que je me sentais bien près de lui, je fus dérangée par cette sensation désagréable de picotement dans la nuque. Je me redressai à nouveau, mes poils se hérissèrent tous en même temps. Ezekiel s'assit, posa sa main chaude sur mon épaule alors je me perdis dans ses yeux à la couleur de sa gemme.
— Tout va bien ? demanda-t-il.
— Ma nuque... marmonnai-je en la massant.
Bientôt, des cris s'élevèrent au loin, en provenance du village. Nous nous levâmes à la hâte, nous nous rhabillâmes et nous courûmes jusque dans les rues de Novendill. Les gens fuyaient en direction du Nord, femmes, enfants, hommes... et les cris continuaient un peu plus à l'Est.
J'arrêtai un homme dans sa course, ses yeux exorbités montraient une peur incontrôlée.
— Que se passe-t-il ? lui demandai-je bousculée par quelqu'un à ma droite.
— Les morts ! Les morts sont revenus à la vie et ils détruisent tout !
Je lâchai son bras et le laissai partir. Je croisai alors le regard d'Ezekiel que je vis serrer les poings.
— Vas chercher Adélaïde et Alexius, ordonna-t-il.
Voilà qu'il enfilait à nouveau son masque de Gardien.
— Je ne te laisse pas seul ici !
— Il vaut mieux que tu ailles les chercher Elya, gronda-t-il. Fais-le si tu veux sauver ton île.
Je me résignai et hochai la tête. J'aurais aimé l'embrasser à nouveau mais le temps me manquait alors je lui tournai le dos et courus dans les rues en direction de ma chaumière. Après quoi, je demandai de l'aide à Adélaïde et nous dûmes rejoindre la forge, plus loin encore. Là où Alexius et Sam confectionnaient les nouveaux modèles d'armure.
Nous allions devoir faire sans pour ce soir.
Il fallait épargner Novendill.
— Prenez ça, armez-vous ! fit Sam en décrochant deux épées du mur dont celle argentée qu'Alexius avait vu le matin même.
Il la fit tourner entre ses mains et remercia Sam d'un hochement de tête. Adélaïde ne pouvait utiliser son Rubis sans son armure mais moi, je sentais déjà le pouvoir de celui-ci crépiter dans mon bras. Alors quand les cris s'intensifièrent et que le feu commença à attaquer le village, celui qui dormait en moi se réveilla.
Il me suffit de serrer le poing pour que les veines de mon avant-bras se mettent à scintiller d'une couleur rouge vive, comme si mon sang brillait.
J'étais leur Guide.
Et le Nécromancien n'avait pas sa place dans ma tête ni sur mon île.
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