4 💎 Hissez les voiles, voguez vers Novendill

"La presqu'île du Royaume d'Aphebis était connue pour sa gastronomie et son art de la fête. Mais y accéder par la mer se révélait tortueux, notamment si les marins traversaient la mystérieuse brume au Nord-Est de Novendill..."


ALEXIUS

— Tu aurais dû me laisser faire, je gérais parfaitement la situation !

— Tu étais obnubilée par ta gemme, tu te mettais en danger et de fait, tu nous mettais tous en danger, renchérit Ezekiel.

Nous étions sur le quai, à attendre notre tour pour monter sur le bateau marchand qui nous mènerait à Novendill. Traverser le pont, même déguisé, était risqué à cause de la garde royale. Nous ne savions pas encore si le roi était avec le Nécromancien et même s'il ne l'était pas, probablement que l'Ordre l'avait prévenu et que pour lui, nous étions dorénavant des déserteurs, fugitifs, ou traitres à la Couronne. Quelque chose du genre.

Alors qu'Ezekiel et Adélaïde bataillaient sur leurs responsabilités depuis dix bonnes minutes, moi je me remémorais la nuit dernière avec un sentiment infâme d'impuissance et de dégoût.

Dégoût car j'avais mangé de la viande humaine.

Infâme parce que j'avais été leurré par une créature aussi divine que dangereuse.

Peut-être qu'Ezekiel avait raison, aimer la luxure pouvait apporter certains dangers.

— Tu as tué une femme qui cherchait à aider les siens, poursuivit Adélaïde.

— Une sirène aux ordres du Nécromancien, rectifia Ezekiel. Et parle moins fort, les gens autour n'ont pas besoin de savoir ce que nous sommes.

— Tu devrais avoir honte. Je te pensais plus réfléchi que cela.

— Vous n'avez pas terminé, tous les deux ? tentai-je.

Adélaïde croisa les bras et détourna le regard pour le poser sur le mât du grand bateau quelques mètres plus loin. D'ici quelques heures, nous serions sur ce pont à voguer sur les mers en direction de mon Saphir. J'étais impatient. Cette idée me permettait d'oublier mon erreur de la veille.

— Ce qui est fait est fait, repris-je à voix basse. Nous chamailler ne ferait que nous diviser et c'est justement ce que veut le Nécromancien. Alors pitié, oubliez ce qu'il s'est passé. Ezekiel t'a protégé Adé et tu aurais fait de même si tu avais été à sa place. On fait la paix ?

Le visage renfrogné, Adélaïde finit par se tourner vers Ezekiel et lui tendre la main qu'il serra sans hésitation tout en affrontant son regard de braise. Les tensions enfin mises de côté, je pus souffler et nous avançâmes dans la file d'attente. Les gens ne cessaient de faire demi-tour, refusés aussitôt à monter sur le bateau. Probablement n'avaient-ils pas assez à offrir ? 

Pour atteindre Novendill, il fallait passer la garde mais le prix demandé pour séjourner sur l'île était exorbitant pour la si petite masse de falaises que c'était. Les gens tentaient d'y aller en bateau et pour les marins, c'était là un bon tremplin pour se faire de l'argent facilement. 

— Tu sais, j'ai vu cet endroit... quand tu as extirpé le Rubis de ma poitrine, soufflai-je à l'attention d'Elya qui semblait pensive. 

Elle me jeta un regard et m'adressa un chaleureux sourire. 

— Ca semblait magnifique, commenta-t-elle. 

— Tu connais cet endroit ? 

Elle secoua la tête. 

— Non, mais à Novendill, beaucoup en parlent. Les mineurs cherchent désespérément toutes ces pierres précieuses mais ne reviennent jamais quand ils s'aventurent dans les crevasses et les grottes de Novendill... 

Nous avançâmes encore. Il ne restait plus que quatre personnes avant nous. 

— Je peux les comprendre, toutes ces pierres précieuses... ça ferait rêver n'importe qui, reprit-elle. Je trouve ingénieux d'avoir penser à dissimuler le Saphir là-bas. Il est aussi bleu que l'eau, et tout autant que ces diamants en tout genre. 

— Mais nous, on saura le différencier, assurai-je. 

Elle hocha la tête. 

— Il n'attend que toi, me confia-t-elle en posant sa main sur mon épaule. 

Je lui rendis son sourire puis vint notre tour. Bien évidemment, nous n'avions pas suffisamment de Dezos pour payer la traversée alors il convenait d'utiliser Elya pour cela. Elle passa entre Ezekiel et Adélaïde, tendit son bras et posa sa main sur celui du marin qui était prêt à nous refuser. Elle planta ses yeux gris dans les siens en lui octroyant un sourire enjôleur. 

— Vous allez nous laisser monter sur ce bateau sans nous demander un seul Dezos et nous aurons droit à une couchette pour nous quatre. Aussi, vous serez autant discret que possible sur notre présence à bord de votre navire, pour ne jamais éveiller les soupçons. 

Elle le lâcha et il hocha lentement la tête, les pupilles dilatées. Son pouvoir était bénéfique et elle l'utilisait à la perfection. J'avais l'impression que depuis qu'elle avait absorbé l'énergie du Rubis, elle était davantage puissante. 

Je me souvenais parfaitement de Léane et sa bonté, sa douceur et sa servitude. Je me souvenais qu'elle apprenait vite et développait son don en quelques semaines. Elya était différente et paraissait encore plus puissante. Je comprenais maintenant pourquoi l'Ordre choisissait des enfants pour être Guide : l'esprit encore endormi permettait un contrôle plus sûr sur leurs dons hors du commun. 

— Montez à bord jeunes mousses ! Je vous offrirai une couchette pour vous quatre ! 

Nous passâmes à côté de lui alors que les gens derrière commençaient à s'impatienter, sans comprendre pourquoi nous n'avions pas payé. 

Le pont était lustré, les moussaillons prêts à aborder et la vie suivait son cours sur le navire. Il était grand, son bois bien entretenu et quelques coquillages étaient suspendus à des ficelles, probablement en guise de décoration ou de trophée vu la taille de certains. Je posai mes mains sur mes hanches, humai l'air alors que le bateau allait lever l'ancre.  

— Hm... sentez-moi cet air marin...

— Ca doit te rappeler ton amie la sirène, grommela Ezekiel.

Je rouvris un œil que je posai sur lui, les sourcils haussés. 

— Oses me dire que toi et Elya vous n'avez rien fait. 

Elya et Adélaïde avaient avancé sur le pont et ne devaient plus nous entendre vu le brouhaha que donnaient les ordres du marin à ses matelots.

— Nous n'avons rien fait, grogna Ezekiel en croisant les bras sur sa poitrine gonflée par ses muscles. 

J'esquissai un sourire narquois, de quoi le mettre en colère. Je le connaissais et j'étais capable de deviner ses moindres réactions. Même si cette fois là dans la prison, son coup de poing m'avait couté la ligne droite de mon nez dorénavant légèrement bossu. C'était l'une des seules fois où il avait su me prendre par surprise. 

— Tu me mens. Je le sens. 

— Je te dis que nous n'avons rien fait. Elle me l'a même assuré. 

— Oh ! Alors tout va bien, si elle te l'a assuré... alors que nous étions sous les effets d'une sirène... 

Je sifflotai tout en regardant autour de moi mais je sentais bien le regard pesant d'Ezekiel sur moi. 

— J'ai fait une erreur, avoua-t-il enfin, moins agressif. 

Je me tournai complètement vers lui alors qu'il décroisa ses bras. 

— Quelle erreur ? m'enquis-je même si je connaissais déjà la réponse. 

— Nous nous sommes embrassés à Pryora, avant... tu sais,  avant qu'on ne déserte l'Ordre. 

— Et tu as décidé de te retourner contre l'ordre parce que tu l'as embrassé ? Ou parce que tu étais contre leurs idées ? Je n'étais pas là, alors je demande... 

— Je n'en sais rien... 

— Tu nous aurais tous mis en danger juste pour une femme ? 

— C'est notre Guide, grogna-t-il. 

— C'est une femme à laquelle tu t'es attaché. 

— Et alors ? Tu  t'es attaché à elle aussi. 

— Pas de la même manière, renchéris-je. 

— Tu as failli mourir pour elle, poursuivit Ezekiel le regard sombre. 

Il lui était si difficile d'assumer pleinement ce qu'il ressentait. Cette barrière sentimentale qu'il s'était forgée avec le temps depuis la mort d'Aude était si grande, si robuste, que même avec nous, il lui était difficile de baisser sa garde. Néanmoins, je connaissais mon frère et son humanité était bel et bien là, lui qui avait toujours obéis aux ordres avait décidé de voler de ses propres ailes. Je ne pouvais remettre en cause sa décision, parce que le doute qui pesait en moi sur la nature de l'Ordre ne me quittait pas depuis plus de cent cinquante ans dorénavant. 

— Oui, c'est vrai, parce que je tiens à elle, parce qu'elle a laissé sa sœur pour nous suivre et parce que je vois comme elle évolue et à quel point nous pouvons avoir confiance en elle. Mais je ne suis pas amoureux d'elle, assurai-je. 

Je n'étais jamais réellement tombé amoureux. Je n'avais jamais connu cela, mais je savais aimer toutes les femmes que j'avais fréquenté, je savais respecter, convoiter et être reconnaissant de ce que l'on me donnait. 

— Moi non plus, grommela Ezekiel alors que le bateau partait en mer, les voiles hissées, les marins s'affairant... 

— Si tu le dis. 

— Tu te souviens la fois où tu as été malade quand nous avions dû traverser l'océan sur un bateau ? lança Ezekiel un rictus au coin des lèvres pour changer de sujet. 

— Pff, ça fait bien longtemps que je n'ai plus le mal de mer ! assurai-je sûr de moi. 


Deux heures plus tard, alors que la mer était agitée, que les vagues semblaient faire voler le navire et que le ciel se couvrait de nuages menaçants, je ne cessais de régurgiter le contenu de mon estomac par dessus bord. Mes muscles étaient crispés, mes entrailles tourmentés et Ezekiel restait près de moi, moqueur et il y avait de quoi. 

Le mal de mer me collait à la peau, ou que j'aille, peu importe mon âge ou mon expérience. Je me redressai légèrement, grimaçant et essuyant mon visage d'un revers de la manche. 

— Que les Dieux me gardent... je ne survivrai pas à cette traversée éprouvante... 

— Viens en soûte et essaie donc de dormir, le voyage passera plus vite. 

Je suivis Ezekiel, branlant. J'étais balancé à droite, puis à gauche, à cause de ces vagues hargneuses et de ce temps gâté. 

Nous nous retrouvâmes bien rapidement dans la soûte, là où je me couchai sur une couchette étroite et ballottant, la main sur l'estomac et le bras couvrant mes yeux. J'en avais des sueurs froides qui hérissaient mes pauvres poils. 

Je crois même que j'avais un petit peu de fièvre ou alors était-ce la déshydratation qui me secouait au point de dire n'importe quoi. 

— Ez, tu sais, ce n'était pas ta faute, balbutiai-je les lèvres sèches. 

Il s'arrêta avant de s'éloigner, sans se retourner vers moi. 

— On l'a tous fait. On a tous utilisé notre gemme pour la tuer. C'était... c'était toi, nous... ou elle. Nous avons tous fait un choix, en même temps, et le bon choix. 

Du coin de l'œil et de profil, je vis contracter ses mâchoires sans me jeter un seul regard. 

— Et à quel prix... souffla-t-il si faiblement que je crus imaginer sa réponse. 

Il me laissa seul alors que l'orage se mit à gronder à l'extérieur et que la pluie battit la coque du bateau et martela l'océan. Je fermai les yeux, il me fallait trouver le sommeil.  

J'étais fautif dans cette histoire. J'essayais depuis si longtemps de ne pas l'admettre et de me convaincre de mon innocence mais je n'étais pas innocent. Aude était une femme plaisante et avec qui je m'entendais. Loin de moi l'envie de briser mon ami et mon frère qu'était Ezekiel mais nous étions proches et elle avait besoin de réconfort. 

J'étais fautif, parce que je l'avais poussée à utiliser la magie noire. 
Sachant pertinemment que la magie noire détruit celui qui l'utilise. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top