24 💎 Les prémices de la guerre
« Il n'y avait pas de guerre sans sacrifice.
Ne naissaient pas de guerriers sans acte de bravoure.
Aussi dure pouvait-elle être,
La guerre éloignait puis rapprochait.
À parts égales, toute chose débutait et se terminait."
ELYA
Ce jour là, j'écrivais une lettre. Elle était adressée à toutes les personnes qui m'étaient chères. D'abord, il y avait Agnès puis Samwell. Ils avaient été mes piliers pour me reconstruire après la mort de mes parents. Mais la liste autrefois courte s'était agrandie en l'espace de quelques mois.
Comment laisser derrière moi l'incroyable et téméraire Adélaïde, Gardienne du Rubis ? Elle avait une force et une volonté de fer. En plus d'être emphatique et à l'écoute, elle avait été comme un repère pour moi. Je m'étais retrouvée sans ma petite sœur. Mais j'en avais trouvé une autre sur le chemin.
Alexius ne pouvait être ignoré de cette lettre. D'abord arrogant, j'avais compris rapidement quelle genre de personne il était. Coureur de jupons à ses heures perdues, il était aussi le meilleur ami dont tout le monde rêvait. En plus d'être toujours là pour les autres, il était capable de donner sa vie pour celles et ceux qu'il souhaitait protéger. Je le savais, parce que j'en avais fait les frais. Il avait bien failli être consumé par le Rubis pour me sauver la vie. À jamais je lui serai redevable.
Puis il y avait Ezekiel... Il me fut difficile d'écrire des mots à son égard sur ce morceau de papier chiffonné. La journée était bien entamée et, mes larmes coulaient pour faire baver l'encre que je déposais lentement au rythme de mon poignet. Mais comment le détester ? Je lui en voulais tellement. Je savais pourtant, dès la minute où mes yeux s'étaient posés sur lui, que cet homme était capable de me faire souffrir. Il avait été froid, il avait été dur, mais il m'avait aussi sauvée la vie plusieurs fois, il m'avait protégée et surtout, il a avait empêché l'Ordre de faire de moi un corps sans âme. Il avait jeté à la poubelle toutes les convictions pour lesquelles il vivait, uniquement pour moi.
Alors comment le détester ?
Je relevai la tête de mon papier quand j'entendis un bruit sourd. Un second me fit me lever d'un bond alors qu'Agnès courait vers moi. Elle s'accrocha à ma taille pendant que je tirai faiblement le rideau. Le ciel était teinté de rose et d'orange, quelques nuages épars le contrastaient. La nuit était sur le point de tomber.
Les portes de la cour explosèrent la seconde qui suivit. Mon souffle se coupa, j'eus un mouvement de recul lorsque les vitres des fenêtres vibrèrent puis m'approchai à nouveau de la fenêtre. Mon cœur s'emballa et un sourire trancha mon visage lorsque je reconnus Adélaïde, portant fièrement son Rubis sur son armure. Elle frappa son poing contre un premier soldat qui voulut s'en prendre à elle. Alexius qui se tenait à sa droite était décoré d'un bleu hypnotique. Ses yeux scintillaient et il envoyait des piques de glace sur ses ennemis. Quant à Ezekiel, à la gauche d'Adélaïde, il dégaina son épée et trancha le corps d'un citoyen revenu d'entre les morts pour servir une cause qui ne le concernait même pas.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Agnès accrochée à ma tunique brune.
Je m'accroupis devant elle et posai mes mains sur ses petites épaules.
— C'est l'heure de quitter cet endroit.
Je lui déposai un baiser sur la joue, attrapai sa main et la tirai avec moi. Elle récupéra sa poupée en même temps et voilà que nous courions dans les longs couloirs de la demeure.
— TUEZ LES TOUS ! entendis-je comme un écho puissant qui fit trembler les murs de la bâtisse.
Je m'immobilisai, mes oreilles bourdonnant. Un nouveau bourdonnement puis mes poils se hérissèrent. Le frisson dans ma nuque me força à me retourner tout en la massant, cela me semblait même trop familier.
Un homme se tenait au bout du couloir, sa tête penchait anormalement sur la droite et il remuait ses épaules lentement.
— Tu te souviens de moi ? bougonna-t-il d'une voix ténébreuse.
Je fronçai les sourcils pendant que mon estomac se tordait.
— Ma. Douce... articula-t-il d'une voix fantomatique.
Je secouai la tête, la gorge nouée. C'était impossible. Je l'avais vu. Je l'avais vu mort.
— Tu... tu es mort...
— Mais la mort n'est jamais la fin.
J'ouvris de grands yeux alors qu'il restait au fond du couloir, son visage dissimulé sous sa capuche, son manteau tout déchiré. Je serrai la main d'Agnès dans la mienne, fis volte face mais alors que je voulus faire un pas en avant, je demeurai immobile.
Nous avions tué le Marionnettiste et pourtant, il était de nouveau devant moi. Mort, cette fois. Mais pas dépourvu de ses pouvoirs pour autant. Il me força à lâcher la main de ma sœur. Malgré toute ma volonté et mon bras tremblant, je la lâchai amèrement.
— Non... sifflai-je entre mes lèvres scellées.
— Viens petite, viens à moi...
Ma soeur se tourna vers lui et commença à avancer lentement, tout en serrant sa poupée contre sa poitrine. Ses pas n'avaient rien de naturels.
— Elya... je n'arrive pas à m'arrêter.
— Sois forte, Agnès, soufflai-je. Je... je vais t'aider...
Il le fallait. Je me devais de l'aider. J'étais parvenue à le fuir une fois. Je pouvais recommencer. Je pouvais lutter. Je pouvais...
— ... le tuer... me murmurai-je à moi-même.
Je serrai les poings. Du coin de l'œil, je vis mon avant-bras s'illuminer sous les manches de ma tunique. La couleur pourpre allait et venait au rythme de mon cœur. Enfin, après une lutte interne interminable et de multiples crampes aux muscles, je me tournai vers lui. Je tendis mon bras tremblant en sa direction alors qu'il gardait sa tête penchée, toute rafistolée.
— Ne touche pas à ma soeur, grondai-je.
J'ouvris ma paume en sa direction et un jet de flammes pourpres le heurta brusquement. Il s'écrasa contre le mur derrière et se roula sur le sol pour éteindre le feu qui rongeait son manteau. Aussitôt, j'attrapai Agnès par la taille pour la porter et courus dans la direction opposée.
— J'ai peur... pleura-t-elle.
— Ferme les yeux, Agnès. Ce sera bientôt fini, je te le promets.
Je tournai à droite, manquai de trébucher à cause du tapis brodé bleu qui gisait sur le sol. Quand je voulus prendre les escaliers Est du palais, trois cadavres démantibulés s'apprêtaient à les monter. Je grimpai les trois marches que j'avais descendu et repris ma course dans le sens opposé. J'ouvris une porte au hasard, entrai dans la pièce puis la refermai lentement derrière moi. Je collai mon dos contre celle-ci, le souffle court, le cœur palpitant.
J'entendais le raffut à l'extérieur et j'espérais que mes amis s'en sortent. Peu importe les mensonges, à cet instant précis, je ne pensais plus qu'à ma survie et la leur. J'étais heureuse de les voir. De savoir qu'ils avaient fait ce chemin pour me retrouver.
Moi aussi, je voulais les retrouver.
Nous avions ensuite tout le temps de nous expliquer.
— Elya...
— Chut !
Je plaquai ma main contre la bouche d'Agnès, mes yeux plongés dans les siens. Ses petites prunelles brunes brillaient à cause des larmes qu'elle ne savait retenir. Je bloquai ma respiration pendant que les morts déambulaient dans le couloir. Le plancher grinçait sous leur pied et leurs pas lents me donnèrent un frisson qui parcourut mon échine.
J'étais terrifiée. Mais je me devais d'être forte. Pour Agnès.
Lorsque les pas me semblèrent suffisamment loin, je quittai la pièce dans laquelle je m'étais cachée. C'était une sorte d'antichambre dans laquelle se trouvaient un vieux miroir fêlé, des vêtements et des portiques avec un fauteuil tapissé jaune.
Je descendis les escaliers en tenant Agnès contre moi et arrivées en bas, dans le tournant, quelqu'un abattit son poing contre mon visage. Ma tête partit en arrière, je m'écroulai sur le sol. Il saisit le bras d'Agnès qu'il tira vers lui.
— Non ! s'eclama-t-elle. Lâchez-moi !
Le Marionnettiste, sans son manteau cette fois, me dévoila un visage d'horreur. Une plaie mal cicatrisée entourait son cou tranché, ses yeux mornes semblaient globuleux. Ses lèvres étaient fendues, ses joues creusées et une vilaine balafre déformait son front. Ses cheveux étaient fins, gras, collés à son crâne difforme.
— Laisse la ! ordonnai-je.
Il me sourit. Sinistre. Macabre. Il m'effrayait. Il allait hanter mes nuits à jamais.
Après lui avoir murmuré quelque chose à l'oreille, les épaules d'Agnès s'affaissèrent et elle ramassa sur le sol, un morceau de vase brisé qui lui esquinta la main.
— Agnès, lâche ça !
— Je ne peux pas... balbutia-t-elle.
Elle porta sa main tremblante à son cou, posa le morceau de vase contre sa peau, ses larmes ruisselaient sur ses joues. Ses yeux étaient écarquillés, elle respirait fort.
— NON ! Non ! Pitié, non... prends-moi ! Fais ce que tu veux de moi ! Pitié ! Pitié ! Ne la tue pas ! Je t'en prie ! suppliai-je en me laissant tomber à genoux. Je t'en conjure ! Ne la tue pas !
Je ne pouvais m'empêcher de sangloter. Le flot d'émotion tourbillonnait en moi. Je pleurais, sans m'arrêter. La simple idée de la perdre de cette manière me tortura l'esprit. J'en devenais malade. Je n'étais plus maîtresse de mes émotions. J'étais submergée. Arrachée. Accablée.
— Supplie moi encore, ma douce... jubila le marionnettiste.
— Pitié... laisse la... je suis à toi...
Il avait levé sa main, ce qui avait immobilisé Agnès, l'empêchant de se trancher la gorge.
— Mais moi... je veux plus que ça, articula-t-il.
Il saisit une poignée de mes cheveux pour me relever. Je dus affronter son regard de revenant. Il n'avait aucune âme. Il était parfaitement conçu, recousu... il était une parfaite création d'horreur. Aude en était la créatrice, et il ne servait qu'elle.
Alors peut-être avais-je une porte de sortie.
— Si... si tu tues Agnès, alors la Nécromancienne te détruira ! tentai-je, haletante.
Il plissa les paupières, incapable de garder sa tête droite.
— Agnès... c'est une enfant, pure et innocente. Elle... elle est une source parfaite d'éther pour ta Maîtresse. Elle a besoin d'elle. Si tu la tues, elle t'en voudra et tu retourneras d'où tu viens !
Il lâcha mes cheveux et recula d'un pas, ses yeux braqués sur Agnès. Malgré le vacarme à l'extérieur, le silence du Marionnettiste s'apparenta à une torture pour moi.
— Je n'ai pas peur de la mort. Tranche-toi la gorge, ordonna-t-il à ma soeur.
— NON ! hurlai-je.
Je me jetai sur Agnès et la plaquai au sol avant qu'elle n'ait le temps d'exécuter son ordre. Elle sembla revenir à elle un instant. Le marionnettiste attrapa le col de ma tunique et me tira vers lui. Je poussai un cri de douleur. Il me jeta contre le meuble derrière moi, là où je renversai les vases de collection qui s'y trouvaient. Ensuite, il attrapa mes cheveux et me cogna la tête contre le miroir qui se brisa sous sa force. Mes oreilles sifflèrent mais le Rubis bouillonnait déjà en moi.
Avant qu'il ne recommence, je serrai les dents jusqu'à m'en mordre la langue et me tournai vers lui. Je frappai mon poing chargé de magie contre son torse. Il fut éjecté deux mètres plus loin, contre les marches de l'escalier. Avant qu'il n'ait le temps de se relever, j'appuyai mon pied contre sa cage thoracique et quand il leva sa main vers moi pour utiliser sa magie, je saisis ses doigts entre les miens et les lui tordit. Il ne sembla pas en souffrir mais paraissait en colère.
Je ne lui laissai guère le temps de parler. Je l'immolai par les flammes qui sortirent de ma paume et je n'arrêtai ce déferlement de feu que lorsque j'étais certaine qu'il était totalement carbonisé. La chaleur me brûla presque le visage, des gouttes de sueur glissaient jusqu'au bout de mon nez et mon menton.
Uniquement quand je fus certaine qu'il ne se relèverait pas, je fermai mon poing et le feu s'arrêta aussitôt. Ne laissant derrière lui plus qu'une simple carcasse en lambeaux, encore fumante et puante.
— Maintenant, tu ne reviendras plus jamais à la vie, pestai-je.
Je reculai d'un pas, laissant mes bras pendre le long de mon corps. Enfin, je posai ma main sur le bas de mon ventre quand je sentis une douleur s'élancer jusque dans mes jambes. En relevant ma main, je constatai que je saignais. Je baissai la tête, ma tunique était imbibée de sang. J'avais dû me blesser en tentant de sauver ma sœur. L'adrénaline avait masqué la douleur.
— Elya... ? appela Agnès.
Je me tournai vers elle. Elle semblait saine et sauve malgré une toute petite balafre sur le cou. Elle était assise contre le mur, sa poupée dans les mains.
— Je... je vais bien... dis-je en voulant m'approcher d'elle.
Mes jambes flageolèrent et mes genoux frappèrent le sol. Agnès se leva et courus jusqu'à ma moi. Elle se blottit contre moi et tenta de me soulever.
— Lève-toi ! Lève-toi ! Elya ! S'il te plaît !
— Je suis juste un petit peu fatiguée...
J'avais mal. Très mal.
— Lève-toi ! Lève toi ! répétait-elle.
— Il... il me faut mon armure...
Je m'appuyai sur ma sœur, m'aidai du meuble à ma droite et je me relevai. Agnès soutint mon bras et à deux, nous remontâmes les escaliers jusqu'à notre chambre. Là, je fermai la porte et la bloquai en tirant la commode. Je poussai un grognement de douleur et m'assis au bord du lit, la main sur ma plaie.
— Je prends ton armure ! dit Agnès en récupérant le plastron en premier.
— Il faut que tu me l'attaches.
Elle hocha la tête, grimpa sur le lit et après l'avoir placé sur mon buste, elle commença à l'attacher .
— Serre le aussi fort que tu peux.
Il fallait un point de compression. Avec la tunique en dessous, roulée légèrement en boule, j'espérais que cela fasse l'affaire.
— Les épaulettes, donne-moi les épaulettes.
Ce qu'elle fit aussitôt.
— Les gantelets... Non, pas ça. Là, les gantelets, s'il te plaît...
Je les enfilai, les mains tremblantes, couvertes de sang.
Je ne pouvais pas laisser une blessure m'arrêter. Je n'avais pas fait tout ce chemin pour terminer ainsi.
Ce n'étaient que les prémices.
Je comptais bien faire partie des Gardiens cette fois.
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