22 💎 Les Diables de Novendill
"C'était dans les plus rudes combats que les véritables amitiés naissaient."
EZEKIEL
Attendre qu'Alexius remonte à la surface sembla durer des heures. Nous pouvions voir certaines fois quelques bulles remonter mais cela ne dura qu'un temps. La tension entre nous tous était palpable et désolante. Je ne savais plus vraiment comment réagir et à vrai dire, le mensonge d'Alexius m'avait profondément blessé mais pas plus que le départ d'Elya. J'avais tout gâché en suivant bêtement un pacte fait il y avait déjà trop longtemps. Ma fierté et mon orgueil m'avaient mené jusqu'ici.
Et j'avais perdu Elya.
Je m'efforçais de songer à autre chose mais la savoir partie au palais du roi avec Aude qui rôdait et cette guerre qui se profilait ne m'aidaient pas à faire taire mes pensées. Heureusement pour moi, quand Alexius regagna la surface, l'action qui s'ensuivit me permis de penser à autre chose. Il se jeta sur le bord en prenant une grande inspiration, les lèvres violettes à côté du froid. Adélaïde et Sam lui saisirent les bras pour le hisser hors de l'eau quand il leur hurla de se dépêcher. Le corps enfin émergé, il n'eut guère le temps de reprendre ses esprits qu'une créature sortit de l'eau pour tenter de le croquer.
Alexius se retourna sur le dos, releva le haut de son corps et tendit brusquement sa main en direction du dragon marin. La glace qui en sortit forma une pique tranchante qui se logea dans l'un de ses yeux. La bête poussa un grondement sifflant avant de disparaître dans les profondeurs.
— Merde, c'est un Diable de Novendill, bougonna Adélaïde.
Alexius se remettait tout juste sur pieds.
— OK, et ? souffla-t-il haletant.
— Tu ne te souviens pas que j'avais dû en combattre un pour récupérer mon Rubis y'a un siècle ?
— Ma mémoire me fait défaut en ce moment.
Son armure scintillait de lumières bleutées laissait presque croire qu'elle était gelée. C'était si bien réalisé que le trompe l'œil était époustouflant. Ses yeux cessèrent de briller mais ce répit ne dura qu'un court instant.
— On doit quitter cette grotte, la marée remonte et les Diables de Novendill ne vivent pas seulement sous l'eau, expliqua Adélaïde. Dépêchons-nous.
Nous rebroussâmes chemin dans les galeries, l'eau commençait déjà à envahir la grotte et nos pieds à tremper dedans. Le cri de Sam dans notre dos nous força à nous retourner. Le Diable venait de lui croquer la jambe pour l'emporter avec lui. Alexius n'attendit pas une seule seconde avant de se jeter sur la bête et de rouler dans l'eau. Il lui saisit la gueule par derrière, tout en s'asseyant sur son dos écailleux. Aussitôt, il utilisa son pouvoir pour geler l'animal en quelques secondes seulement.
Alexius aida Sam à se remettre sur pieds et boitant, ils nous rejoignirent. Nous dûmes longer la falaise, sans glisser ou nous faire emporter par les vagues de plus en plus fortes.
— En plus d'être féroces et robustes, les Diables de Novendill ne se déplacent qu'en meute, récita Adélaïde en se déplaçant sur la gauche, le dos contre la falaise et les cheveux trempés par les vagues.
— Super, merci de l'info ! grommelai-je.
L'eau salée me rentra dans la bouche ce qui m'arracha une grimace. Nous ne fûmes donc pas surpris de distinguer sous l'eau, le long corps bleu du monstre marin qui s'écharnait sur nous. Nous pressâmes le pas, regagnâmes la terre sèche mais le Diable, lui, n'avait pas fini. Il nous suivit, ses pattes courtes aux griffes noires s'enfonçant dans la terre mêlée de sable. Sa langue en y comme celle de certains serpents ne cessaient de passer entre ses dents aiguisées et ses yeux jaunes voilés de blancs nous toisaient tous les quatre comme on toiserait un futur festin.
— On dirait qu'il protégeait ton Saphir, commenta Sam les yeux écarquillés.
La bête était grosse, au long corps et ses écailles se reflétaient au soleil, comme les diamants dans la caverne.
— Et le problème, c'est qu'ils résistent à l'eau, soupira Alexius.
— Mais pas au feu, grogna Adélaïde.
Elle plaqua son Rubis contre son armure, celui-ci s'y logea sans difficulté et les rainures de sa tenue s'illuminèrent d'un rouge pourpre, autant que ses yeux.
— Ouais ! J'adore ça ! s'enthousiasma Alexius.
Je dégainai mon épée dans un tintement métallique et la tint bien en mains. Un seul Diable pour deux Gardiens et demi. Je doutais que cela soit trop difficile, quelques jours plus tôt, nous avions abattu un Orc.
La créature poussa un drôle de rugissement, c'était similaire à un sifflement, plus aiguë et désagréable pour les oreilles. D'ailleurs, Sam plaqua ses mains contre celles-ci pour se protéger de son cri. Le Diable racla sa gorge avant de cracher une boule visqueuse et acide en notre direction. Alexius leva sa main gauche, formant un bouclier de glace qui arrêta son attaque à temps mais fondit rapidement sous l'acide.
Adélaïde roula sur la droite et lorsqu'elle retomba sur ses pieds, accroupis, elle déversa un halo de lave sur la créature. Quelques unes de ses écailles se détachèrent pour dévoiler sa chair, plus sensible et vulnérable. La bête secoua sa gueule dégoulinante de bave, maintenant qu'elle nous avait sous les yeux, elle en avait l'eau à la bouche.
Je délaissai mon épée pour me munir du poignard caché dans ma botte et dans un lancé plus ou moins précis, je le plantai entre ses écailles arrachées. Le Diable poussa un gémissement de douleur et secoua son corps pour se défaire du poignard quand Alexius courut en sa direction. Il se laissa glisser sur le sol, une jambe en avant et lorsque la bête se leva sur deux pattes pour l'intimider, le Gardien ouvrit ses paumes et planta plusieurs stalactites glacés dans son abdomen. Après quoi, le Diable s'affala sur son flanc, la respiration sifflante.
— Quelle équipe... marmonna Sam qui était resté en retrait.
Quand je m'apprêtai à rengainer mon épée, deux autres Diables atteignirent la falaise. Je défendis Sam pendant qu'Alexius et Adélaïde s'occupaient du second. J'empêchai la bête de s'approcher de lui en frappant mon épée contre sa tête dure. Ses écailles étaient si bien accrochées que même avec toute la force dont je pouvais faire preuve, il était presque impossible de la blesser.
Le Diable enroula sa langue autour du mollet de Sam qui tomba sur le derrière. Il poussa un cri de surprise et de douleur, à cause de sa première morsure. Il commença alors à le trainer sur le sol, en direction du bord de la falaise, là où il espérait regagner l'eau. Sam tentait de s'accrocher à tout ce qu'il trouvait. Dans un reflexe peu précis, je tranchai la langue du Diable qui resta enroulée autour de la jambe du forgeron. Avant qu'il ne se serve de sa gueule, je me jetai sur son dos légèrement arrondi et couvert d'écailles coupantes pour lui saisir le museau. Je tins sa mâchoire supérieure en enfonçant mes doigts dans ses naseaux gluants et les tirai en arrière. La bête gesticulai mais gardai sa gueule grande ouverte, sa langue coupée et du sang bleuté et pailleté qui en sortait. Adélaïde vint à bout du second en le transformant en brochette marine. L'odeur de poisson grillé me vint d'ailleurs jusqu'aux narines.
Enfin, Alexius se précipita vers moi, enfonça son bras dans la gueule béante du Diable et utilisa sa gemme pour geler absolument tous ses organes. Les yeux de la bête se figèrent, comme congelés eux aussi et dès lors que je sentis le froid chatouiller mes doigts encore enfoncés dans ses naseaux, je retirai mes mains et libérai le Diable de mon poids. Il tomba, raide, comme une pierre. Mort pour de bon.
Les yeux d'Alexius et d'Adélaïde retrouvèrent leur couleur originelle et Sam resta un long moment immobile à regarder les trois cadavres sur le sol, l'un était transpercé de glace et à moitié brûlé, l'autre fumait encore et le dernier n'était plus qu'un bloc de glace à l'intérieur.
— Wow... souffla-t-il.
— Tu vas bien ? Tu n'as pas trop mal ? s'inquiéta Alexius.
Cela me sembla étrange un court instant.
— Je vais bien, merci, assura Sam en lui adressant un chaleureux sourire.
Je savais d'Alexius qu'il était un formidable charmeur. Je savais aussi qu'il avait déjà eu quelques aventures avec des hommes. Mais l'ami d'Elya ? J'en étais plutôt étonné. En le rencontrant, j'étais persuadé qu'il était fou amoureux d'Elya.
En songeant à elle, un seul but me vint en tête, oubliant l'Ordre qui ne donnait plus signe de vie et Aude. Je ne pouvais pas laisser sa colère se consumer. Je ne pouvais pas rester silencieux à ses accusations. Des accusations réelles et justifiées. J'étais lâche et j'avais menti. Elle m'avait laissé l'occasion de lui dire la vérité ce jour là à Pryora et j'avais lâchement ravalé la vérité et déballé un horrible mensonge en la regardant droit dans les yeux. Je me détestais pour avoir agi ainsi.
C'était comme si je me réveillais d'un éternel sommeil et qu'enfin, le monde me paraissait plus réel et dans lequel mes actes avaient de vraies conséquences. Je n'étais plus un pantin de l'Ordre.
— Nous devons retourner au palais, déclarai-je.
Leurs regards à tous se braquèrent sur moi.
— Il n'est pas possible de laisser Elya seule là-bas alors... nous devrions d'ores et déjà prendre la route.
— Tu comptes encore profiter d'elle ? pesta Sam.
— Non. Je compte me racheter. Nous pouvons l'aider et protéger sa sœur aussi. Je ne peux pas rester sur cet échec. J'ai besoin de... j'ai besoin de...
— ... la voir, souffla Adélaïde.
Je baissai le regard et hochai simplement la tête, resigné.
Le silence qui s'ensuivit me glaça le sang. Seules les vagues qui s'échouaient sur les falaises perturbait notre tension.
— Alors... qu'est-ce qu'on attend au juste ? déclara Alexius de sa lourde voix.
Ce qui m'arracha un sourire.
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