2 💎 La Sirène Chantante

« Dans la luxure se cachait la sérénité, la plénitude et l'écoute de soi. Les Sirènes, elles, volaient l'âme des hommes et des femmes, épris d'un désir de bien-être. »

ELYA


— Ne bougez pas, je vais vous soulager, souffla le guérisseur au chevet d'Alexius qui s'était allongé pour se reposer.

Il lui avait retiré sa chemise crasseuse et dorénavant, ses mains semblaient flotter au dessus de son torse brûlé. Sur sa peau, on pouvait deviner parfaitement la marque du Rubis, comme s'il avait tenté de fusionner avec lui, malgré leur incompatibilité.

Je me rongeai un ongle tout en l'observant le soigner. Alexius enfonça sa tête dans l'oreiller, se mordit les lèvres et plissa le nez, visiblement en pleine souffrance. Je me sentais fautive. Parce qu'Alexius avait subi cela pour me sauver. Et à présent, ils étaient contre l'Ordre, pour me sauver. Encore...

Je me sentais aussi lourde qu'un fardeau pour eux mais ils avaient visiblement besoin de moi. Je ne doutais pas que si mon rôle n'était pas si important pour eux, ils auraient laissé le Rubis me consumer ou l'Ordre m'effacer.

Nous pûmes voir à l'œil nu, les brûlures s'amenuir petit à petit. C'était comme si toutes les cellules de sa peau se régénéraient à vue d'œil et que restaient sur sa peau, plus que des cicatrices irrégulières, pour que jamais il n'oublie ce qu'il avait traversé.

Le sorcier baissa ses mains qu'il frotta entre elles puis se tourna vers nous alors qu'Alexius semblait planer, dans un tout autre monde, un sourire béat sur les lèvres. Soulagé de ne plus souffrir le martyr. Malgré cela, son beau torse dessiné et très musclé garderait l'empreinte du Rubis et les marques de ses flammes à jamais. Ses pectoraux n'en restaient pas moins impressionnants.

Le sorcier se tourna vers Ezekiel tout en se levant. Ce dernier restait appuyé contre le mur, les bras croisés sur son torse. Le regard électrique qu'il lança au sorcier me fit froid dans le dos.

— Ne m'approchez pas, gronda-t-il.

— Je vois bien que vous saignez, je peux vous guérir. Je suis payé pour cela.

— Je refuse qu'un sorcier ne me touche. Occupez vous de mon amie, dit-il d'un signe de tête en direction d'Adélaïde.

Nous avions eu droit, Ezekiel, Adélaïde et moi, à une douche tiède, pour nous laver et Alexius ne tarderait pas à en profiter aussi. Ici, à la Sirène Chantante, les clients devaient être propres et en bonne santé. Mes cheveux encore humides et lâchés gouttaient dans mon dos, humidifiant la chemise bouffante que j'avais rentré dans mon pantalon de cuir brun.

Le sorcier se concentra sur Adélaïde qui ne refusa pas ses attentions. Elle avait pris soin de cacher la boite du Rubis sous une latte du plancher au niveau du lit à baldaquin et elle ne crachait pas sur des soins pour retrouver un peu de sa santé. Elle avait subi plusieurs morsures et vu le teint blafard qu'elle affichait, la fièvre commençait à la marteler.

Je croisai le regard d'Ezekiel qui gardait ses bras croisés sur son torse. Il détourna la tête, se redressa puis quitta la chambre. Je me mordillai les lèvres avant de le rejoindre dans le couloir en prenant soin de fermer la porte doucement. Il passa sa main dans ses cheveux avant que ses yeux verts ne m'immobilisent par leur intensité.

— Tu devrais te faire soigner, grondai-je.

Ma voix sortit bien plus aiguë que ce que j'aurais aimé.

— Je suis un Gardien.

— Et tu as dit que vous aviez besoin de soins.

— Mes amis, oui.

— Mais toi non, soupirai-je. Toujours à bâtir un mur face à tous ceux qui te veulent du bien...

— Elya, tu ne me changeras pas.

— Pourtant, tu m'as sauvée. Tu aurais pu laisser l'Ordre m'effacer et tu ne l'as pas fait. Mais maintenant, tu restes froid et distant. Tu es un paradoxe à toi tout seul, ça me rend folle.

Je passai ma main dans mes cheveux humides et fouillai son regard qu'il s'efforçait de garder neutre. Pourtant, j'y vis une étincelle, dans ce vert infini.

— Tu es notre Guide, qu'ils le veuillent ou non.

— Ne suis-je pas plus la Guide du Nécromancien que la vôtre ?

Il croisa les bras sur son torse dur. Sa chemise bleue nuit légèrement délacée laissait entrevoir une partie de ses muscles.

— Tu insinues que j'ai fait une erreur en te sauvant la vie ?

Sa voix était grave, peut-être même légèrement menaçante.

— C'est juste que...

— Arrêtes, m'interrompit-il. Arrêtes d'avoir constamment besoin de justifications. Nous t'avons sauvée parce que nous t'avons acceptée. Ton lien avec le Nécromancien est aussi incertain que tout le reste. Tu apprendras à le bloquer.

— Tu sembles tellement connaître les pouvoirs des Guides...

Il était de loin le plus informé sur le sujet. Il était analytique, intelligent, protecteur et incroyablement attirant.

— J'ai passé du temps avec Léane. Et tout comme toi, elle développait ses pouvoirs à une vitesse époustouflante. Je l'ai accompagnée et je l'ai aidée, autant qu'elle a su nous aider.

— Tu semblais proche d'elle...

Je ne pouvais pas être jalouse d'une enfant, si ?

— J'étais comme son grand frère. Je crois.

— Léane est morte, n'est-ce pas ?

Ezekiel humecta ses lèvres délicieuses et détourna son regard du mien.

— Ne parlons pas des morts. Laissons-les où ils sont. Là où ils peuvent trouver le repos.

Au même moment, la porte s'ouvrît sur Adélaïde qui nous sourit. Ses traits étaient moins tirés, elle semblait apaisée. Les manches de sa tunique étaient retroussées, laissant entrevoir ses avants-bras guéris. Il n'y restait plus que de vagues cicatrices de morsures, comme sur mon épaule.

— Allons manger et boire, Alexius nous rejoint dans quelques minutes, juste le temps de se décrasser.

Nous avançâmes dans le couloir et descendîmes les escaliers pour nous rendre dans une grande pièce où les gens se restauraient, dansaient, buvaient et fricotaient. Les serveuses étaient affriolantes, la poitrine et l'entrejambe très légèrement couvertes. Elles ne laissaient pas la place à l'imagination et il est certain qu'elles proposaient probablement leur service aux clients les plus réceptifs à leur physique généreux.

Nous nous assîmes à une table libre, non loin d'un groupe d'hommes chantonnants et ivres. La musique était forte, le groupe qui jouait tapait du pied en rythme sur l'estrade de bois, ce qui ajoutait à leur mélodie, des percussions encore plus fortes.

— Il est si bon de se dire que nous allons retrouver notre forme d'antan. J'ai hâte, s'exalta Adélaïde tout sourire.

— Nous en aurons besoin, rétorqua Ezekiel, la voix presque couverte par la musique.

Je hochai la tête puis passai quelques mèches de cheveux derrière mes oreilles.

— Elya, toi qui nous disait aimer la luxure, que penses-tu de cet endroit ? demanda Adélaïde alors qu'une serveuse nous déposa un plat dans lequel baignaient des morceaux de saucisse et des légumes.

Adélaïde se servit la première, elle prit mon assiette pour m'en mettre une part puis vint le tour d'Ezekiel et ils préparèrent même l'assiette d'Alexius.

— Disons que je n'ai jamais fréquenté ce genre d'endroits, avouai-je quelque peu gênée.

J'avais aimé fricoter avec certains hommes et j'avais beaucoup apprécié la compagnie de Gaël. Néanmoins, avec le recul, je me rendais compte que j'avais probablement détruit une famille pour le simple plaisir du sexe.

— C'est certains qu'on voit de tout ici mais ce plat est délicieux, déclara Ezekiel tout en dévorant son assiette.

Je souris puis pris mes couverts pour m'y attaquer moi aussi. Je mourais de faim.

Alexius nous rejoignit rapidement. Il se jeta sur son assiette, sans jamais quitter des yeux les belles serveuses qui déambulaient autour de nous et ce, tout en bougeant la tête au rythme de la musique. Il se resservit trois fois, les joues légèrement empourprées par l'alcool qu'il avait ingéré en même temps qu'il avait mangé.

— Bon sang ce que c'est bon que d'être revigoré !

— Fais nous une faveur, Alex. La prochaine fois, évite de tenir la gemme d'un autre Gardien, s'amusa Adélaïde.

Alexius rigola tout en se resservant un verre. Nous avions déjà vidé quatre pichets et je sentais ma tête qui me tournait. L'euphorie de l'alcool faisait son effet. J'avais chaud et me ventilai avec ma main mais je ne pouvais m'empêcher de sourire, de rire et de me sentir bien, auprès d'eux. C'était un petit peu comme si, plus le temps passait et plus je me sentais chez moi, avec eux. Ne manquait plus qu'Agnès.

— Je ne t'ai pas raconté non plus la fois où Adélaïde et Ezekiel ont dû se battre en duel ! raillait Alexius.

Il me racontait depuis plusieurs minutes déjà, des anecdotes sur leurs années passées à l'académie des Gardiens. Je ne pouvais qu'imaginer les dures épreuves qu'ils avaient traversé mais je voyais aussi que cela avait fait d'eux plus que des amis. Ils étaient frères et soeurs dorénavant.

— Ezekiel avait le don d'être imbu de lui-même, un petit peu comme Bertos. Je suis sûr que tu aurais adoré Bertos ! Bref, Ezekiel jouait les gros dur, trop sûr de lui et Adé l'a désarmé en quelques minutes seulement ! Je dirais même que le combat n'a même pas duré dix minutes !

Je rigolai avec Adélaïde alors qu'Ezekiel se pinçait les lèvres, incapable de dissimuler son sourire. Peut-être était-il ivre lui aussi ?

— Il faut dire que j'étais l'une des meilleurs combattantes de notre promotion, chantonna Adélaïde.

— Le temps a passé, Adé. Nous devrions refaire un duel quand tout cela sera terminé, nous verrons si tu gagnes aussi facilement, défia Ezekiel.

Adélaïde haussa les sourcils, tout sourire puis tendit sa main à Ezekiel. Elle avait retiré ses tresses et ses cheveux blonds dorénavant secs retombaient sur son front et le côté de son crâne.

— Marché conclu, Ez'. Toi et moi, en duel, quand le Nécromancien ne sera plus qu'un obscur souvenir.

Ezekiel lui serra la main, la regardant droit dans les yeux. Leur poigne était ferme.

— Marché conclu, confirma Ezekiel.

Alexius se retourna sur sa chaise tout en se mordillant les lèvres.

— Ouah... regardez-moi cette déesse...

Nous nous tournâmes en même temps que lui pour voir une femme à la longue chevelure noire et lisse traverser la pièce. La robe qu'elle portait la moulait, elle était longue et laissait entrevoir ses côtes maigrichonnes. Néanmoins, elle arborait un sublime visage. Ses yeux noirs pétillaient, ses lèvres charnues étaient peintes d'un rouge foncé, presque noir et ses longs ongles arboraient la même couleur.

Elle se posta sur scène, claqua des doigts en rythme comme pour battre la mesure puis la musique changea. Elle n'eut nul besoin d'utiliser un micro, sa voix portait si loin qu'elle put chanter sans que le fond de la salle ne perde une miette du son de ses sublimes cordes vocales.

Les premières notes étaient mélancoliques, puis la première chanson me donna des frissons jusque dans la nuque que je me massai. Nous ne pouvions la quitter des yeux, comme tous les clients dans la salle. Elle invita les gens à danser, alors les tables furent poussées pour laisser plus de place et les gens se mirent à danser sans attendre, se tenant les mains, les uns contre les autres. Certains qui ne se connaissaient même pas finissaient par se retrouver entrelacés à se mouvoir sur le rythme de sa chanson.

Les paroles n'étaient pas compréhensibles. Peut-être était-ce une langue étrangère. Ce que je savais cependant, c'est que mes yeux ne se détachaient pas de son sublime regard.

Lorsqu'elle fit signe à Alexius de la rejoindre avec son doigt, ce dernier se leva sans nous jeter un regard et la rejoignit.

Ezekiel parvint, lui, à détourner ses yeux un instant. Il se pinça l'arête du nez et secoua la tête, les sourcils froncés.

— Je me sens...

— Léger... ? l'interrompis-je.

Il releva ses magnifiques yeux verts vers moi.

— Je ne sais pas vraiment... avoua-t-il.

Nous n'avions même pas vu qu'Adélaïde s'était levée pour danser avec une inconnue trouver dans la foule. Nous n'étions plus que tous les deux à table, l'un en face de l'autre. Et nous nous dévorions du regard. Les effets de l'alcool ne se dissipaient pas. En réalité, c'était comme s'ils s'intensifiaient. Cela me troublait encore plus car j'avais cette sensation de légèreté, de lâcher prise... et la voix de cette femme continuait de résonner dans mon esprit et de masser mes tympans avec une telle dextérité que c'en était déconcertant.

— Tu veux danser ? proposai-je.

Ezekiel secoua la tête en grimaçant.

— Reste loin de moi, Elya.

— Pourquoi ? soufflai-je en esquissant un faible sourire.

Je ne pouvais plus le lâcher des yeux. J'éprouvais un intense désir pour lui.

— Tu sais pourquoi.

Je secouai la tête.

— Non... je ne sais pas... Oh ! Je sais !

Je tapai ma main à plat sur la table alors il releva ses yeux vers moi pendant que je me levai de ma chaise.

— Trouve moi avant la fin de la chanson si tu es capable de laisser enfin ton humanité te guider et agir comme un homme. Ou alors... laisse-moi partir et je comprendrai que toi et moi, ce n'est rien de plus qu'un lien futile entre un Gardien et son Guide.

Il entrouvrit la bouche, probablement pour me répondre mais je lui tournai déjà le dos pour partir me cacher. J'espérais, au plus profond de moi, qu'il me trouve. J'étais d'humeur joueuse. À mon esprit ne venaient que la joie, l'amusement, et l'ivresse. J'en oubliais ma soeur, l'Ordre, le Saphir et même le Nécromancien.

Je courus dans les corridors de la grande demeure. Je frôlai le mur pour laisser passer un groupe de personne et même à l'étage, la voix de la chanteuse continuait de chatouiller mes oreilles. Je traversai des sanitaires dans lesquels un couple entièrement nu était en train de s'adonner à des plaisirs puis je me réfugiai dans la blanchisserie.

Je m'appuyai contre une étagère, dos à la porte et je repris mon souffle petit à petit. Je clignai plusieurs fois des paupières, ma tête me tournait, ma vue se troublait même certaines fois et mon coeur tambourinait contre ma cage-thoracique.

La chanson touchait à sa fin et la chanteuse prononçait ses dernières notes lorsque j'entendis le cliquetis de la porte dans mon dos. Mon coeur s'emballa encore plus. Je relevai le menton, curieuse et à la fois angoissée.

Je me décollai de l'étagère remplie de linge propre puis me retournai vers l'allée. Ezekiel s'arrêta à quelques centimètres de moi, là où il baissa les yeux pour sonder mon regard. Je ne respirais même plus. Était-ce l'alcool qui me mettait dans cet état ? Était-ce l'ivresse qui l'avait poussé à me rejoindre ?

— Trouvé, marmonna-t-il en penchant la tête sur le côté.

Et la chanson prit fin. Mais pas ses effets.

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