18 💎 Quarantaine
"Les virus, virulents et contagieux, se propageaient à une vitesse inquiétante. Dans une grande ville bondée et animée, un virus avait le temps de façonner une pandémie en quelques jours seulement."
ELYA
— Pourquoi le palais est en quarantaine ? demandai-je au garde à côté du quel j'étais assise.
Nous étions sur le point d'arriver, après trois jours de voyage. Mon pouvoir les avait facilement convaincu. Ils ne posaient aucune question.
— Un virus a exterminé la moitié de la cour du roi. Il refuse toute visite et les portes du château sont dorénavant closes.
Je me souvenais du virus avec lequel j'avais été en contact. Ezekiel nous avait sauvé de justesse ma sœur et moi. Nous n'en avions plus vraiment parlé après cela. La mort commençait à putréfier la terre sur laquelle nous vivions. Pour ensuite tuer tout ceux qui la touchaient.
J'avais eu de la chance ce jour là.
Plus nous nous rapprochions, plus je sentais l'angoisse naître au creux de mon ventre. Qu'allais-je retrouver là-bas ? Ma sœur pétillante comme dans mes souvenirs ? Ou simplement son cadavre ?
J'essayais d'occuper mes pensées à elle et seulement à elle. Néanmoins, cela me paraissait impossible. Plus je m'éloignais de Novendill, plus je sentais le lien entre les Gardiens et moi s'affaiblir. Le culpabilité ne devait pas m'envahir. Si ce lien disparaissait, c'était de leur faute. Ils avaient fait le choix de me mentir et me manipuler.
J'étais capable de comprendre et de faire preuve d'empathie mais pas cette fois. Pas comme ça. Pas après ce que j'avais vécu avec Ezekiel. Comment faire confiance à un homme capable de nous mentir en nous regardant droit dans les yeux sans même ciller ?
Voilà que nous entrions dans la capitale. En déplaçant légèrement le rideau mauve, j'observai par la fenêtre le sinistre tableau qui se dressait devant moi. La neige trônait à certains endroits, là où des squelettes rongés par les rats s'entassaient. La faible brume qui pesait sur les rues semblait venir des abysses. Les charognards se faisaient un festin des restes alimentaires moisis et des corps encore bien en chair. Ceux qui trainaient dans les rues affichaient un nez rougi, des yeux bouffis et des veines noirâtres épaisses qui semblaient douloureuses. Ils toussaient, trainaient des pieds. Le sol et les murs étaient partiellement recouverts de cette même substance que j'avais touché à mon arrivée ici.
La Mort habitait les rues autrefois festives et bondées.
Je me rassis contre mon siège, le souffle coupé et le cœur lourd.
Tous ces gens morts. Toute cette désolation...
Je ressentais ce sentiment inquiétant, et je savais d'ores et déjà que le roi était mort depuis bien longtemps. Par cette simple pensée, je fermai les yeux tandis qu'une larme roula sur ma joue.
La voiture s'arrêta aux portes closes du château.
— C'est ici que vous descendez, Mademoiselle, déclara le garde.
— Vous n'entrez pas saluer votre roi ?
— Je vous l'ai dit, le château est mis en quarantaine. Les portes sont fermées. Même pour nous.
Je lui jetai un regard empreint de doutes puis ouvris la porte. Je descendis en tenant le manche de mon épée. Je grimaçai aussitôt la puanteur de l'air heurta mes narines. J'y portai ma main gantée pendant que les chevaux faisaient demi-tour.
Enfin, je levai la tête vers les remparts. Elles étaient vides de gardes. Je frappai le bout de ma semelle contre les grandes portes de bois.
— Ouvrez-moi ! criai-je.
Et ma voix sembla résonner en des milliers d'échos.
Mais qu'était devenu la capitale ? Ce qu'il se passait ici ne semblait même pas atteindre les autres villes. Novendill n'en était absolument pas informé et c'était l'île la plus proche.
Je frappai à nouveau, plus fort cette fois. Sans réponse.
Je regardai autour de moi, avec comme seule idée : grimper. Je pris le petit chemin sur la gauche, pentu et terreux, là où étaient laissés des caisses pillées, une charrette et des chaussures d'enfant coincées dans un buisson sans fleurs. Je tournai mon fourreau de sorte à ce qu'il se retrouve dans mon dos et ne me gène pas puis pris appui sur une pierre qui ressortait légèrement. Pour grimper, je calai mes doigts dans les petites crevasses et poussai de toutes mes forces pour me hisser un petit peu plus haut.
En l'espace d'une quinzaine de minutes, je n'avais même pas gravi trois mètres. Je m'arrêtai un instant, une main à l'ouest, l'autre au nord et les pieds en équilibre sur de minuscules prises.
— Courage, Elya... me soufflai-je à moi-même alors que les muscles de mes bras tremblaient. Tu sais pourquoi tu fais ça.
Je le savais oui. Et même si mon coeur le crier de tenir bon. Mes muscles, eux, hurlaient de douleur.
Je serrai les dents, grognai et grimpai encore. Je perdis ma prise et me rattrapai un mètre plus bas. Avec l'armure, impossible de m'érafler la peau.
Avec un effort supplémentaire, je parvins à grimper. Je m'immobilisai si proche du but, quand je sentis l'air plus frais en hauteur. Puis je collai ma tête contre la pierre, haletante et le cœur palpitant. J'étais si haute. Si je tombai, l'armure ne protègerait pas ma tête. Je pouvais mourir d'une mauvaise chute.
— Allez, tu peux le faire...
Et il fallait que je le fasse. Pour Agnès. Pour la promesse que je lui avais faite.
Dans un dernier effort, une dernière crampe, je parvins a atteindre le haut du rempart. Je me hissai sur la pierre et roulai jusqu'à me retrouver sur le dos. Il me fallut quelques instants pour reprendre mon souffle et calmer les tremblements infernaux de mes muscles.
Le ciel était grisonnant mais loin du sol et du virus qui bouffait la terre, l'air paraissait neuf.
Enfin, je me relevai, détendis mes jambes et mes bras puis pris les escaliers à l'est pour rejoindre la cour du château. De là haut, je pus voir la cour désertique. Des déchets trônaient, et tout semblait figé dans le temps. Les établis, les mannequins d'entraînement, les chariots de marchandises...
J'avançai au milieu de cette vie immobilisée et m'arrêtai devant les portes principales de la demeure. Closes, hautes et protégées de piques d'acier épais et robustes.
Frapper à la porte ne servait à rien. Je supposais que les valets et autres domestiques étaient aux ordres de notre ennemi.
Pour revoir ma sœur. J'étais prête à lui faire face.
— Ouvre cette porte, Nécromancien ! Ordonnai-je.
Ma voix porta si fort que des corbeaux s'envolèrent d'un cerisier décharné.
— Rends-moi ma sœur !
J'espérais qu'elle était en vie. Je ne ressentais pas ce vide. Je voulais faire confiance à mon don. Ma conscience me criait que je n'avais pas à m'inquiéter. Même si je ne pouvais qu'imaginer la solitude dans laquelle elle vivait depuis des mois.
Un grincement sinistre retentit, puis lentement, les portes s'ouvrirent sur l'intérieur. Quelques feuilles mortes volèrent au sol, mêlées à la poussière et je pus faire un premier pas dans le château abandonné du roi.
Le silence ici était pesant. L'atmosphère lourd de souffrance. Le carrelage autrefois scintillant était crasseux, poisseux, taché et même cassé à certains endroits.
J'avançai dans le vestibule, des frissons parcourant mon échine. C'était comme me confronter à un domaine hanté. Et cette hantise, c'était la vengeance.
— Elya ? entendis-je dans mon dos.
Mon cœur cessa de battre une milliseconde.
Quand je me retournai, elle se tenait là, une peluche salie serrée contre sa poitrine. Ses petites taches de rousseurs toujours en place avec ses cheveux d'ébène et ses yeux pétillants d'insouciance.
— Agnès ! Que les Dieux nous garde, tu es en vie !
Je me précipitai vers elle. Elle lâcha sa peluche et s'accrocha à mon cou quand je me laissai tomber à genoux près d'elle. Je la serrai dans mes bras, si fort que j'aurais pu l'étouffer. Je sentis les larmes nouer mes yeux, le soulagement accentuer les battements de mon cœur.
— Tu m'as laissée toute seule... pleura ma sœur.
Je fermai les yeux aussi fort que je le pu. Je l'étreignis encore plus.
— S'il te plaît, pardonne-moi... Je suis là maintenant, et je ne te laisserai plus jamais.
Je dégageai son visage de ses cheveux emmêlés et lui adressait un sourire que je voulais chaleureux. Elle paraissait plus frêle qu'avant et fatiguée. J'avais tant de questions. Cependant, je ne voulais pas la brusquer.
— Alors c'est toi la maîtresse des lieux maintenant ?
Agnès hocha la tête, en ramassant sa peluche.
— Et... tu as des amis ici ?
— Oui, ils sont au sous-sol...
Je fronçai les sourcils. Ma sœur s'approcha de moi, sa bouche près de mon oreille, sa main cachant ses lèvres comme pour me confier un secret.
— C'est la dame qui fait peur qui les enferme en bas...
Je me redressai pour fouiller son regard. Elle ne semblait pas se moquer de moi.
— La dame ? Répétai-je.
— Il était temps que l'on se rencontre Elyanor, tu ne penses pas ?
Cette voix féminine et à la fois désincarnée résonna dans mon dos. Je gardai Agnès près de moi et me tournai vers elle. Je sentis une décharge dans mon bras. La magie du Rubis était toujours là et mon souhait de protéger ma sœur, plus présent que jamais.
Devant nous se tenait une femme, plus grande que moi. Son sceptre habillé de gemmes me laissa comprendre à qui j'avais affaire.
Elle retira lentement sa capuche pour me dévoiler son visage livide, ses lèvres grisâtres et ses yeux sombres comme le néant. Ses cheveux châtains tiraient au gris à certains endroit et les veines sous ses yeux ressortaient. Son visage me paraissait familier.
— Finalement, tu as compris le message que je voulais te faire passer, conclut-elle.
Et sa voix, cette fois, était presque trop humaine.
Aude, la Gardienne assassinée par ses amis était la Nécromancienne.
Et si proche d'elle, le lien était impossible à ignorer.
Je compris, en un clignement de cils et une vision plus tard, toute son histoire.
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