16 💎Tout vole en éclats
"La vérité pouvait être entendue. Mais l'accepter était plus difficile."
ELYA
— Parle, ordonna Ezekiel à Alexius.
Je me sentais mal pour lui. Je me sentais mal aussi car je n'avais rien dit alors que j'avais vu ce qu'il avait vécu avec Aude. Bien que je n'en avais vu qu'une partie, je savais ô combien il l'aimait. Je le savais parce que j'avais ressenti tout ce qu'il avait ressenti.
Je ne voyais pas en Alexius un traitre ou un menteur. Il avait eu des sentiments pour une femme qui était dévouée à un autre. Cette femme avait joué avec ses pouvoirs pour obtenir de lui, ce qu'elle voulait. La victime, dans cette histoire, c'était Alexius. Quand bien même Ezekiel pouvait le voir sous un autre angle. La manipulation de l'esprit était une forme de violence invisible.
Alexius essuya sa bouche d'un revers de la main. Sa lèvre saignait mais son regard était empreint de culpabilité, si bien que cela m'en serra le cœur.
— Je parle si tu arrêtes de me frapper, grommela Alexius.
— Parle, bon sang ! cria Ezekiel, hors de lui.
Ses poings étaient serrés si fort que les jointures de ses doigts blanchissaient. Il ne quittait plus des yeux Alexius. Il était enragé. Je pouvais comprendre son comportement, sa sensation de trahison. Cent cinquante ans. C'est long pour un mensonge.
— Aude m'a convaincu de l'aider quand elle recherchait un moyen de ramener sa sœur à la vie. Alors... j'ai eu beau vouloir la raisonner, c'est elle qui a pris le dessus sur moi. Je... j'avais toujours ressenti quelque chose pour elle et je n'aimais pas la voir triste Je n'ai aucune excuse, Ezekiel. Parce que même si je te disais qu'elle a joué avec mon esprit, tu ne l'entendrais pas.
— Attends, intervint Adélaïde en s'avançant d'un pas. Tu veux dire que c'est toi qui l'a initié à la nécromancie ?
— Non ! s'offusqua Alexius. Je l'ai aidé à trouver les livres de Wang ! Dans ces livres, ils parlaient de résurrection. Elle me disait qu'elle m'aimait, je me sentais moins seul et... je l'ai laissée faire. Je l'ai... je l'ai encouragée à le faire, c'est vrai. Parce que je ne supportais pas de le voir si malheureuse. J'étais démuni.
— Elle est devenue complètement folle à cause de ça ! s'exclama Ezekiel. Tu te rends compte de ce que tu as fait ?! Tu nous as menti à tous ! Tu m'as menti à moi ! Bon sang... je le savais, je sentais qu'elle me trompait. Mais toi, Alexius... vraiment ?
— Je suis désolé. Mes mots ne pourront jamais atténuer ce que tu ressens mais je suis sincèrement désolé, mon frère...
— Non, ne m'appelle pas comme ça alors que tu as été incapable d'être honnête avec moi !
— Il est temps que la vérité éclate, entendis-je dans mes oreilles.
Je regardai autour de moi. Je reconnaissais cette voix désincarnée, c'était celle du Nécromancien. Pourtant, c'est Alexius qui grimaça, se massa les tempes, sembla retenir ses mots mais...
— Et toi ne me parles pas d'honnêteté, alors que nous sommes les plus grands menteurs que ce monde n'ait jamais connu ! vociféra-t-il avant d'ouvrir grand les yeux.
Je me tournai vers eux, les sourcils froncés et une drôle de sensation qui prenait forme au creux de mon ventre.
— Alexius, soupira Adélaïde.
J'avais eu connaissance de ce qu'il s'était passé avec Aude. Mais j'avais l'impression que l'histoire était incomplète et ce sentiment se décupla ce jour là.
— De quoi parle-t-il ? demandai-je en m'avançant vers eux.
Sam restait en retrait, silencieux, observateur.
— De rien ! gronda Ezekiel.
— Léane est morte, Elya, assura Alexius en posant ses yeux bleus sur moi.
Je haussai les sourcils. Il semblait incapable de retenir ses paroles. Chaque fois qu'il terminait une phrase, une sorte d'étincelle de remord traversait son regard.
— Oui, je m'en doute...
— Non, ce qu'il veut dire...
— Arrête, grommela Ezekiel à l'attention d'Adélaïde qui s'apprêtait à parler.
Je me sentais de plus en plus mal à l'aise. Mon cœur commença à s'emballer, parce que je sentais que cette vérité n'allait pas me plaire. Je sentais qu'en réalité, jamais ils n'avaient été totalement honnêtes avec moi.
— Non, j'en ai assez de mentir, souffla-t-elle en secouant la tête.
— Mentir ? répétai-je étonnée.
Je n'aimais pas ce mot.
— Léane a été sacrifiée il y a cent cinquante ans, déclara la gardienne.
Aïe.
Je crus me prendre un coup de poignard en plein cœur. Pourquoi me l'avaient-ils caché ? Et que signifiait le mot sacrifice dans cette histoire ? Alexius ne me regardait même pas, il se pinçait l'arête du nez, visiblement honteux. Ezekiel, quant à lui, ne cessait de faire tressauter ses mâchoires.
— Qu'est-ce que ça veut dire ? lui demandai-je en prenant son bras.
Il ne me regardait pas.
— Ezekiel ! appelai-je. Qu'est-ce que ça veut dire ?!
Il daigna enfin plonger ses yeux dans les miens. Il était si froid, si distant. Un mur invisible venait de se consolider entre nous. Et la violence de son amertume me piétinait le cœur.
— Ça veut dire qu'elle est morte, c'est tout.
— Non... soufflai-je en opinant négativement de la tête. Non... tu me mens encore... tu me mens...
Je lâchai son bras, l'angoisse qui naissait au creux de mon ventre me torturait. Mes yeux s'embuaient de larmes, ma respiration s'accélérait. J'avais l'impression que les masques tombaient et que les Gardiens que j'espérais mes amis, n'étaient en fait que des inconnus.
— Nous avions perdu le combat contre le Nécromancien, reprit Adélaïde en s'avançant vers moi mais je reculai d'un pas. Les Gardiens avaient été décimés et le Nécromancien réclamait l'âme de notre Guide comme échange contre un siècle de paix. Nous étions à bout de forces, incapables de trouver le moyen de l'arrêter... nous avons perdu tellement de monde...
Elle marqua une pause, son regard se voulait désolé mais je me sentais de plus en plus mal à mesure qu'elle me contait leur histoire.
— Nous avions dû faire un choix entre laisser périr ce monde ou lui donner notre Guide en échange.
— En échange d'un siècle de paix, c'est tout ? soufflai-je. Vous vous rendez compte que ce n'était qu'un leurre ? Le Nécromancien vous a demandé Léane pour avoir son pouvoir ! C'est forcément pour cette raison qu'il parvient à me parler, à m'épier... il vous a tous dupé !
— Qu'aurais-tu fait, toi ? vociféra Ezekiel.
Je lui lançai un regard électrique alors qu'il paraissait soudain dédaigneux. En quoi étais-je fautif ? Il pouvait être sur la défensive, mais entre lui et moi, le malhonnête et le lâche, c'était lui.
— Ce que j'aurais fait ? répétai-je le cœur de plus en plus douloureux. J'aurais essayé ! J'aurais cherché un moyen de sauver Léane et le Royaume !
Je reculai de quelques pas. J'avais beau tenter de retenir mes larmes, c'était impossible. Je me sentais trahie moi aussi. Alors elles roulèrent sur mes joues pendant que je passai mes mains dans mes cheveux attachés, prête à me les arracher. Je crus presque sentir le désespoir de Léane, sa peur de mourir, et son échec, sa résignation.
— Je t'avais donné l'occasion de me dire la vérité à Pryora... marmonnai-je à l'égard d'Ezekiel.
Il me toisait, sans un mot. Les yeux rouges, sans une seule larme. Les mâchoires crispées, sans un seul éclat de remord.
Qui était-il réellement ?
— Je t'ai demandé si vous me disiez la vérité... Tu m'as dit que vous ne cachiez rien ! Que je ne devais pas croire le Nécromancien mais... tu m'as menti. Tu m'as regardé dans les yeux et tu m'as menti...
Il releva le menton, les lèvres retroussées.
— Tu m'as menti ! criai-je en frappant son torse alors qu'il ne cilla même pas sous ma force. Espèce de lâche ! Vous avez tué une innocente pour rien du tout ! Vous êtes des lâches !
Je commençais à ne plus réussir à respirer, je me sentais dépérir. C'était comme si le ciel me tombait sur la tête. Comment avais-je pu être aussi aveugle ? Comment avais-je pu croire qu'un homme comme Ezekiel était honnête ? Sur quoi d'autre m'avait-il menti ? Il avait su profiter de moi, rien de plus. J'étais répugnée.
— Et j'ai laissé ma sœur... Ma sœur est restée au palais sans moi... j'ai choisi les Gardiens et j'ai laissé ma sœur !
Je posai ma main sur ma poitrine, incapable de reprendre mon souffle. C'est Sam qui courut vers moi. Sa main dans mon dos, il le caressa en dessinant des cercles pour me calmer.
— Respire, Elya, tenta-t-il.
— Non, non, NON !
Je relevai les yeux vers Ezekiel. Son silence était encore plus dur à encaisser.
— Je pensais faire partie des Gardiens, repris-je la gorge nouée, mon regard les balayant tous les trois. Je pensais faire partie de votre famille. Mais... je n'ai jamais fait partie des Gardiens.
— Elya, je t'en prie... souffla Adélaïde.
— J'en ai terminé avec vous...
Je me redressai, les bras ballants. La tristesse, la colère, tout se mêlait et j'étais incapable de savoir comment réagir. Mon corps s'épuisait déjà. Je ramassai mon épée tombée lors du combat contre l'Orc et la rangeai dans son fourreau. Enfin, je récupérai mon sac de provisions puis avançai vers la sortie du château en ruines.
— Elya, où est-ce que tu vas ? demanda Ezekiel.
— Loin de toi ! criai-je en me tournant vers lui. Loin de vous trois...
J'inspirai difficilement, le souffle saccadé. Je pus voir Sam récupérer ses affaires lui aussi. Il lança un drôle de regard à Alexius qui détourna le sien, honteux.
— Je ne te laisse pas, Elya, assura mon ami qui me rejoignit.
— On a besoin de toi, supplia Adélaïde.
— Vous savez où se trouve le Saphir, alors débrouillez-vous.
Je détournai mon regard des Gardiens, le cœur meurtri, trahi, brisé. Qu'étais-je pour eux si ce n'était le simple moyen de les amener au bout de leur quête ? Que comptaient-ils faire contre le Nécromancien si ils échouaient encore ? Je ne pouvais plus laisser une seule once de possibilité.
— Je vais retrouver ma soeur...
Je descendis les quelques marches donnant sur l'extérieur du château. Là où le ciel s'était assombri, les nuages chargés de pluie prêts à m'achever.
— Je vais sauver ma soeur... répétai-je plus bas. Je dois le faire seule.
Je posai mes yeux sur Sam dont le visage se décomposa.
— Tu me laisses avec ces traitres ?
— Je laisse sur tes épaules, la sécurité de Novendill. Tu ne peux pas quitter cette île. Je veux que tu sois là quand je reviendrai avec Agnès.
— Et si tu ne reviens pas ? Et si je meurs contre un énième monstre ?!
Je pris sa main dans la mienne, les sanglots me nouant la gorge.
— Tu es plus en sécurité ici, qu'au palais du roi. Crois-moi.
— El, pas ça...
— Je t'aime Sam. On se revoit vite.
Je lâchai sa main et m'éloignai de lui. Même le dos tourné, je sentais son regard peser sur moi. Sam devait retourner à Novendill, oublier les Gardiens et attendre la fin de cette guerre. Il était hors de question de perdre les seules personnes qui avaient toujours été vraie avec moi.
Il me fallait rejoindre le palais du roi et sortir Agnès de là. Je me devais de la sauver, coûte que coûte et oublier, du mieux que je pouvais, les Gardiens.
Je ne voulais plus jamais avoir affaire à eux. Quitte à laisser notre Royaume mourir.
Ce qui m'importait à présent, c'était ma famille.
C'était Agnès.
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