15 💎 Un nouveau périple nous attend

« Sur la voie du Saphir, les doutes subsistaient. Les tréfonds marins étaient obscurs et dangereux. Pour s'y aventurer, il fallait une âme conquérante et sans aucune peur pour obstrué la pensée. »


ALEXIUS


— On a suffisamment d'eau pour tenir au moins une bonne semaine. L'île n'est pas grande, on ne devrait pas tarder à trouver mon bien, déclarai-je en m'équipant de mon sac de vivres.

— Mouais, encore faut-il être certain d'où il se situe... grommela Ezekiel.

— Je pense avoir une idée, intervint Elya en nous rejoignant. Avant qu'on ne m'emmène au roi, je me promenais avec ma sœur vers les vieilles ruines d'un château de Duc plus au Nord et... j'ai ressenti une drôle de sensation là-bas. J'ai même entendu un grognement étrange... je pense qu'on devrait suivre cette piste.

— Tu penses ou tu en es sûre ? À ce stade, les doutes doivent être écartés, interrogea Adélaïde.

— J'en suis sûre, assura Elya un léger sourire aux lèvres.

Nous étions tous équipés de nos armures et voir notre guide couverte ainsi était satisfaisant. Nous savions qu'elle serait davantage protégée avec une armure. Même si Elya savait se défendre avec son pouvoir et une épée, elle n'en restait pas moins plus faible que nous. Son armure épousait parfaitement ses formes. Les épaulettes étaient plus fines et féminines qu'Adélaïde, elles suivaient la ligne de ses épaules et remontaient jusque sur son cou, prenant ainsi sa nuque dans un collier d'acier impossible à briser. Ses jambières remontaient jusqu'aux genoux, donnant la forme de bottes assorties au reste de son armure.

Contrairement à nous, Elya n'avait pas d'emplacement pour une gemme. Bien qu'avec Sam, nous avions conçu l'armure de sorte à ce qu'une gemme ne puisse la détruire par son pouvoir. Comme je l'avais dit, nous n'étions jamais trop prudents. Quant aux dessins, ils étaient incrustés principalement sur ses côtes et son dos.

Nous prîmes la route, traversant les rues de Novendill sous le regard du peuple. Ils semblaient inquiets de nous voir partir mais mieux valait nous savoir loin plutôt qu'ici. C'était notre faute si des ennemis envahissaient les lieux où nous résidions.

— Hé ! Attendez ! Attendez !

Nous nous retournâmes presque tous en même temps alors que nous rejoignions les bordures de falaises, sur le sentier dont nous avait parlé Elya. Sam courait dans notre direction, un énorme sac sur le dos. Il s'arrêta devant nous et s'appuya sur ses genoux, le temps de reprendre son souffle.

— Vous... n'allez... pas... partir... sans... moi, si ? dit-il entre deux respirations.

— Sam, gronda Elya. Cette quête n'est pas la tienne, ne te mets pas en danger...

— Non, mais c'est ma vie, l'interrompit Sam. Et je veux la vivre comme je l'entends. J'adore forger des armes mais... j'ai envie de vivre quelque chose de sensationnel.

Ses yeux se posèrent sur moi. Je ne me sentais pas apte à intervenir. Sam était adulte et capable de prendre ses propres décisions. Il m'était également difficile de ne pas ressentir une certaine satisfaction que de le savoir avec nous. J'avais apprécié les moments passés avec lui. Étonnamment, il me plaisait plus que je ne l'aurais pensé. Je supposais que c'était réciproque, puisqu'il en redemandait très régulièrement.

— Mais c'est dangereux ! couina Elya. Je n'ai pas envie de risquer de te perdre, Sam... pitié.

— Il est adulte, Elya, déclara Ezekiel. Il se peut qu'on ait besoin de lui, dans le cas où une de nos armures serait endommagées.

— Tu vois, même le grand monsieur qui fait peur le dit ! s'exclama Sam.

Elya leva les yeux au ciel.

— Vous aurez besoin de moi, assura-t-il plus sérieusement. Et il est hors de question que je laisse ma meilleure amie partir sans moi une deuxième fois.

Elya ne put réprimer un sourire. Elle finit par accepter sa présence et nous reprîmes notre marche tous ensemble, à travers les falaises. Le vent était fort et le chant des vagues, hypnotique. La mer en contre bas n'était pas très agitée ce jour-là. Il ne faisait pas chaud non plus. À vrai dire, la neige avait fondu à quelques endroits, mais le froid restait givrant. Comme nous l'avait dit Elya, il était rare qu'il neige à Novendill et pourtant, l'herbe était gelée, la neige demeurait à certains endroits et je me souvenais encore de ces énormes flocons qui étaient tombés quelques semaines plus tôt.

Peut-être était-ce la présence du Saphir qui créait un tel climat. Si je n'étais pas loin de lui, il était forcément de nouveau actif.

Je sentais le danger qui planait au dessus de nos têtes et j'étais conscient du risque que j'encourais à garder mes secrets. Ezekiel ne méritait pas que je lui mente ainsi, mais c'était là notre marque de fabrique à tous.

— Alors ? entendis-je à ma droite.

Je tournai la tête vers Sam qui avançait fièrement à côté de moi.

— Content de me savoir près de toi ? reprit-il avec un clin d'oeil.

Je souris puis secouai la tête.

— Si tu ne peux plus te passer de moi, il aurait fallu me prévenir avant que tu étais fleur bleue, rétorquai-je.

— Je pense que tu es content que je sois là. Mais tu es un Gardien, trop fier pour assurer certaines choses alors...

— Je suis content que tu sois là, l'interrompis-je.

Il me jeta un regard, étonné mais à la fois satisfait.

— Cool... c'est cool, souffla-t-il soudainement intimidé.

On avait passé de bons moments ensemble lui et moi. À croire qu'il était capable de me faire ressentir autre chose que l'infinie solitude qui m'habitait chaque fois que j'entretenais des relations charnelles avec des demoiselles. Je cherchais perpétuellement le contact, pour oublier Aude et ce que j'avais fait. L'amour était une énigme pour moi. Pour nous tous en réalité. J'essayais de combler un vide, autrement qu'en me renfermant comme avait pu le faire Ezekiel. Avec Sam, c'était différent. Il était à l'écoute, drôle et ouvert d'esprit. Je crois que lui-même était étonné d'apprécier autant la compagnie d'un autre homme. Je n'en étais pas à mon premier essai pourtant. Cette fois, c'était autre chose et ça me plaisait.

Je préférais cependant garder ce que je ressentais pour moi. Pour l'instant. j'avais d'autres choses en tête plus importantes comme mon Saphir, par exemple.

Alexius, entendis-je comme un murmure.

Je me retournai et au loin, à travers la fine brume de l'hiver, je crus voir la silhouette d'Aude. Pourtant, un clignement de cils plus tard et elle avait disparu.

Je me retournai face à ma trajectoire, c'est alors qu'elle était face à moi, le visage livide, le teint gris, les yeux mornes, les joues creuses.

C'est de ta faute ! me hurla-t-elle au visage.

Je tombai en arrière en poussant un cri étouffé. Les autres se tournèrent vers moi, c'est Sam qui me tendit la main. Je l'attrapai et me relevai, ignorant leur regard interrogateur à tous.

— Tout va bien ? me demanda Elya.

— Oui... je... ça va, je...

— C'est ça, le château dont tu parlais Elya ? demanda Ezekiel en pointant du doigt les ruines d'un grand château de l'autre côté d'une toute petite rivière gelée.

— Oui ! Venez ! De l'autre côté, il y a un accès à la crique.

Elya s'avança et les autres la suivirent bien qu'Ezekiel me jeta un dernier regard par dessus son épaule. Notre périple commençait ici, dans ce château aux voûtes particulières, aux grands murs en parement de pierres, aux sols poreux et aux vestiges figés dans le temps.

Certains meubles demeuraient dans le vestibule à moitié écroulé, mais les araignées y avaient élu domiciles et la moisissure aussi visiblement. La hauteur sous plafond était impressionnante et à notre droite, auparavant devaient se dresser de sublimes escaliers en colimaçons mais au bout de cinq ou six marches, le reste étaient au sol dans un amas de gravats.

Alexius... entendis-je à nouveau dans mon dos.

Je fermai les yeux, inspirai profondément par le nez puis expirai lentement par la bouche. Ce n'était que des hallucinations. J'approchai de la source de pouvoir de ma gemme et j'étais tourmenté par mon passé, rien de plus.

Ce ne pouvait pas être Aude qui jouait avec moi. Bien que son Opale lui octroyait d'inquiétants pouvoirs lui permettant de jouer avec l'esprit. Aujourd'hui, elle était toute autre. Elle était morte et ressuscitée.

Alexius...

J'ouvris les yeux. La silhouette de Aude, ma Aude, celle qui était si jolie, si douce, si rassurante et chaleureuse, se tenait là, au milieu du vestibule. Au milieu des autres qui ne semblaient même pas la voir.

Dis-lui la vérité...

Sa voix semblait venir de mon dos et pourtant, elle était face à moi. Son visage légèrement flouté ne bougeait pas, ses lèvres restaient scellées mais elle tendit lentement son bras et pointa son doigt fin en direction d'Ezekiel qui ouvrait le tiroir d'une vieille commode.

Dis-lui la vérité et tu seras digne du Saphir...

— Les... les amis, balbutiai-je sans quitter des yeux le fantôme de Aude qui continuait de pointer Ezekiel.

Ils se tournèrent vers moi.

— Vous... vous la voyez ? demandai-je en désignant Aude d'un signe de tête.

Ils regardèrent autour d'eux, l'air complètement perdus.

— Tu vois qui ? demanda Ezekiel.

Dis lui la vérité...

— Je vois...

Dis lui la vérité...

Sa voix entrait dans ma tête, je commençais à avoir les oreilles qui bourdonnaient et son pouvoir qui s'insérait dans mes pensées. C'était en partie ce qu'elle avait fait pour me convaincre de l'aider à ramener les morts à la vie. Elle manipulait si bien l'esprit que je commençais à me perdre dans ce qui était bon et ce qui ne l'était pas.

Ezekiel s'avança vers moi alors que je me massais les tempes en grimaçant.

— Alex, que vois-tu  ? Dis-nous, insista-t-il.

Dis lui la vérité...

Je secouai la tête. Je voulais hurler non mais mon esprit pensait toute autre chose. Quand Ezekiel posa sa main sur moi, je plongeai mes yeux dans les siens.

— J'ai entretenu une relation avec Aude en secret ! criai-je comme pour faire taire sa voix dans ma tête.

Sa silhouette s'effaça dans la brise et je n'eus plus qu'à faire face à Ezekiel et son air déconcerté. Il lâcha mon épaule, laissa retomber son bras le long de son corps et recula d'un pas, son pied écrasant une feuille morte qui craquela sous sa semelle épaisse. Le bruit sembla résonner dans tout le château.

— Qu'est-ce que tu racontes ? souffla Adélaïde.

— Je... je suis désolé de vous avoir caché ça pendant si longtemps...

Je passai ma main couverte de mon gantelet dans mes cheveux. Je peinais à regarder Ezekiel dans les yeux alors que lui n'avait pas détourné son regard une seule fois.

Quand je m'apprêtai à parler à nouveau, un bruit sourd retentit, suivi d'un grondement sinistre.

— C'est ce bruit que j'ai entendu quand je suis venue avec ma sœur ! intervint Elya.

Le grondement retentit de plus belle puis le silence s'installa macabrement. Cela ne dura que quelques secondes avant que le sol ne tremble sous nos pieds, que de la poussière tombe du plafond et que le grondement retentisse à nouveau. Comme un long râle monstrueux. 

Adélaïde posa son sac au sol, en sortit la boite du Rubis et sans attendre, elle l'ouvrit. Sa gemme se plaqua contre sa poitrine et son armure s'embrasa de nouveau. Au moment même où les striures s'illuminèrent, le mur du fond fut transpercé par un individu de plus de deux mètres de haut, énorme et enragé. Il venait d'écrouler le mur avec la simple force de son crâne muni de deux grosses cornes enroulées, noires et tranchantes. Quand il releva la tête vers nous, de la condensation sortit par ses narines dilatées et ses yeux violets s'assombrirent.

— Qu'est-ce que... qu'est-ce que c'est que ça... bégaya Sam.

— Un Orc, c'est un Orc ! s'exclama Ezekiel. 

Il dégaina son épée alors que l'Orc s'élançait vers moi. Il courut en sa direction puis glissa sur le sol, entaillant l'une de ses énormes jambes musclées. L'Orc dévia alors de sa trajectoire et se tourna vers Ezekiel. Avant qu'il ne puisse attaquer, Adélaïde tendit ses deux mains dans sa direction, laissant les flammes qui alimentaient dorénavant son armure, sortir de ses paumes comme un énorme jet de feu jusqu'à atteindre leur cible. L'Orc poussa un cri et frappa l'air pour se défaire de ses flammes. Quand il se retourna, il donna un coup de son énorme bras à Ezekiel qui s'écrasa contre le mur deux mètres plus loin. Il roula sur le sol, le souffle probablement coupé.

— Alexius ! Aide-les ! gronda Sam.

J'étais pétrifié. Parce que mon esprit venait d'être souillé, violé... Je respirais fort, j'assistais au combat mais à la fois, j'étais perdu dans ma tête, ma culpabilité, ma rancœur, ma peur... Cette peur qui me nouait l'estomac, celle de perdre Ezekiel et tous les autres par la faute de mon mensonge.

Adélaïde dégaina son épée à son tour, elle frappa la lame au sol. Aussitôt, le feu du Rubis embrasa la lame argentée que Sam avait conçu pour elle. D'ailleurs, il semblait admiratif devant tout ce pouvoir contenu dans son œuvre d'art.

Elle poussa un cri et attaqua l'Orc. Il portait une sorte d'armure à moitié en morceaux, ses avant-bras étaient recouverts d'acier entrelacé dans sa chair rougeâtre et ses tibias avaient exactement la même configuration. Son torse était nu, gonflé à bloc et ses pantalons en lambeaux.

Ezekiel se releva en s'appuyant sur son épée. Il arrêta Elya avant qu'elle n'intervienne, me lança un regard électrique puis se jeta sur l'Orc à son tour. A deux, Ezekiel et Adélaïde esquivaient les coups de leur ennemi et lui, parait leurs attaques. Adélaïde glissa sur le sol, son armure sembla même faire des étincelles sur la pierre. Elle retrouva appui sur ses pieds bien rapidement. 

— Alexius ! hurla Sam.

Je lui lançai un regard, le souffle coupé puis quand j'entendis Ezekiel grogner, je me concentrai sur lui. Tandis qu'il était allongé sur le dos, l'Orc frappait son énorme poing contre son torse. Elya s'élança mais avant même qu'elle ne puisse user de sa magie ou de son épée, l'Orc la saisit par la gorge et la souleva.

Je vis rouge soudain comme s'il était impossible que quelqu'un touche ou fasse du mal à notre Guide. Alors je libérai la superbe épée de Sam de son fourreau, inspirai par le nez, bloquai ma respiration...

— Hé ! Gros lard ! appelai-je.

L'Orc me jeta un regard, ses yeux envoyaient littéralement des éclairs. De sa bouche baveuse ressortaient deux énormes dents pointues, dont l'une était cassée.

— Viens me voir, provoquai-je.

Il lâcha Elya qui s'affala sur le sol en poussant un grognement de douleur. Il serra les poings, se pencha en avant et poussa un long rugissement venu des profondeurs de sa gorge putréfiée. Il courut en ma direction. J'esquivai son coup de poing et lui tournai autour. Il étai grand, fort mais lent. Il suffisait de l'épuiser, de le perdre dans ses mouvements, le faire chuter pour le tuer.

J'entaillai sa cuisse puis son pied nu. Mon épée se planta ensuite dans sa main, il poussa un grognement et pendant que je l'occupais, Ezekiel et Adélaïde se remirent sur pieds. Ezekiel trancha le tendon de sa cheville. L'Orc poussa un hurlement et tituba en arrière. Au même moment, Adélaïde forma une corde rouge vive qu'elle enroula autour de ses jambes comme un lasso magique. Branlant. L'Orc s'affala sur le sol dans un bruit sourd, mon épée encore plantée dans sa main.

C'est Ezekiel qui le tua en plantant sa lame redoutable sous son menton. Elle traversa sa bouche, scia sa langue puis se logea dans son palais. Ses yeux se révulsèrent avant qu'une mare de sang ne coule de ses plaies.

Son corps se ramollit et enfin, son souffle rauque s'arrêta, annonçant définitivement sa mort.

Ezekiel récupéra son épée qu'il essuya sur le pantalon de l'Orc avant de la rengainer. Il aida Elya à se remettre debout, s'assurant qu'elle allait bien tandis que je récupérai mon épée logée dans la main de notre adversaire. Adélaïde rangea aussitôt son Rubis pour ne pas en abuser. Quand je me redressai, je n'eus le temps de quoi que ce soit qu'Ezekiel s'avançait vers moi d'un pas lourd. Il heurta son poing contre mon visage, ma tête valsa en arrière, je m'en mordis même la langue. Le goût du sang imprégna ma bouche aussitôt et ma lèvre se fendit sous ses phalanges.

— Parle, ordonna-t-il.

Je dus lui faire face. Je dus tous leur faire face.

Il était temps que la vérité éclate au grand jour.

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