14 💎 Apprendre à s'oublier
« Le lien ultime était celui de l'amour, quel qu'il soit. Aussi bien fraternel que passionnel. Les Gardiens n'avaient guère le droit d'aimer et pourtant, dans la majeure partie du temps, ils ne pouvaient le contrôler. On ne pouvait dénaturer un être vivant de toutes ses fonctions, au risque d'en faire un monstre. »
EZEKIEL
— Regarde-moi, me murmurait-elle alors que nous étions allongés, nus l'un près de l'autre.
Aude était une femme splendide et très attachante. Elle savait charmer n'importe qui, se faire entendre et contrôler ceux qu'elle voulait. L'Opale était donc la gemme qui lui convenait le mieux. Nous avions cependant scellé un pacte elle et moi. Elle avait interdiction de fouiller dans ma tête pour y lire mes moindres secrets. N'importe quel individu normalement constitué se devait de garder un jardin secret.
— Je te regarde, lui avais-je répondu.
Comment ne pas la regarder ? J'étais fou amoureux d'elle. Moi qui était à cheval sur les lois, sur les règles, j'en enfreignais une en passant du temps avec elle.
Sa main sur ma joue, elle dessinait le tracé de ma mâchoire, un léger sourire sur ses lèvres charnues.
— Tu es beau, Ezekiel. Tu es l'un des meilleurs Gardien...
— Pourquoi dis-tu ça sur ce ton ? interrogeai-je.
Son sourire s'était effacé et son regard se perdit dans ses pensées que je ne savais voir ou décrypter. J'étais difficilement empathe, même si je m'y essayais, je n'y parvenais pas. Les tortures que j'avais subies avaient fait de moi un roc, là où j'enfermais n'importe quelle émotion que je pensais trop invasive. L'empathie en faisait partie.
— Parce que tu serais le mieux placé pour m'aider, dit-elle en se redressant.
Elle tira le draps pour le maintenir contre sa poitrine nue. Je m'appuyai sur mes coudes, cherchant son regard qui partait trop loin dans ses pensées.
— Aude, appelai-je. Aude ! Qu'est-ce que tu veux dire ?
Elle posa enfin ses yeux sur moi.
— Je n'arrive pas à oublier... souffla-t-elle les larmes commençant à envahir ses yeux. Et... et je souffre tellement, Ezekiel. J'essaie, je te promets que j'essaie de tout oublier mais depuis que j'ai mon Opale, tout m'est revenu en pleine figure. Je ne supporte pas l'absence de ma sœur. Nous étions si proches, si unies... comment ont-ils pu...
— Ils ? De qui tu parles ?
Elle secoua la tête alors je m'assis à mon tour, saisis son menton et la forçai à me regarder.
— De qui tu parles ? insistai-je plus sèchement.
Loin de moi l'idée d'être dur avec elle. Mais comment devais-je agir ? J'étais constitué ainsi.
— De ceux qui ont fait de toi un être sans sentiments.
Je haussai les sourcils puis lâchai son visage.
— Tu penses que je ne ressens rien ? m'étonnai-je.
Je le fus encore plus quand elle haussa simplement les épaules.
— Je suis là, avec toi et tu penses que je ne ressens rien ? grondai-je.
Je secouai la tête, me levai et enfilai mes vêtements à la hâte, Aude sur mes talons.
— Attends, Ezekiel ! C'est simplement que j'ai besoin de réparer ce qu'ils ont brisé ! Nous sommes manipulés, on est juste des foutus pantins, dirigés par des mains plus fortes que nous ! Ils nous font croire que nous serons les plus puissants mais c'est faux... c'est faux parce qu'ils nous contrôlent ! Pourquoi les gemmes doivent-elles impérativement revenir à des individus au cerveau lavé ? Dépourvus de pensée ?
— Mais nous, on sait penser, on sait faire nos propres choix et ressentir ! Ce que tu dis n'a pas de sens ! Tu devrais en parler à Delmaz, elle saurait t'aider.
Elle me rit au nez, passa sa main dans ses cheveux épais, ses larmes roulaient sur ses joues.
— Delmaz m'effacerait ! Ou pire, elle me tuerait...
— Ce n'est pas un monstre.
— Tu es le parfait prototype du Gardien docile et dangereux. Tu es leur plus belle réussite, c'est certain, maugréa-t-elle.
Le dédain perçut dans sa voix me serra le coeur d'une poigne féroce. Je posai mes mains sur ses joues fraîches et essuyai les larmes qui roulaient dessus tout en plantant mes yeux dans les siens.
— Aude, je t'aime. Je t'aime ! Et je n'ai pas envie de te perdre pour des souvenirs qui obscurcissent ton jugement. Alors s'il te plaît, parles-en à Delmaz et apprends à oublier, il le faut... si tu ne veux plus souffrir.
💎
Je me tenais devant la porte de la chambre d'Elya, prêt à toquer à celle-ci juste avant que ce souvenir me revienne en pleine figure. C'était ironique que de se souvenir de tout à présent, alors que l'Ordre nous apprenait à balayer tout ce que nous ressentions. J'avais oublié mon enfance, mais pas ce que j'avais vécu ensuite. Leur torture était probablement insuffisante ou alors, Elya en était la cause. Ou peut-être était-ce Aude et sa nécromancie... affronter son passé n'était pas facile.
Je chassai toutes ces pensées négatives puis frappai à la porte d'Elya. Un court instant plus tard, celle-ci s'ouvrit sur notre Guide. Elle portait une robe de chambre fluide, blanche et élégante avec de la dentelle sur les bretelles. Elle ramena correctement son gilet par dessus ses épaules dénudée puis le tint contre sa poitrine en croisant les bras dessus.
— Tu veux quoi Ezekiel ? grogna-t-elle.
Forte de caractère.
— M'excuser ?
Elle haussa les sourcils. Sans un mot de plus.
— J'ai été sot et lâche alors je voulais m'excuser. J'aurais pu t'apprendre à te battre différemment. J'ai été dur avec toi. Je n'ai pas envie de faire ce voyage si nous sommes en froid. Nous avons besoin d'être unis pour que ça fonctionne.
Elle me toisa de longues secondes sans un mot, les lèvres pincées et ses cheveux longs et noirs lâchés sur ses épaules.
— Je te pardonne, bougonna-t-elle. Merci d'avoir mis ta fierté de côté pour une fois.
J'esquissai un faible sourire avant qu'elle ne décroise les bras.
— Bonne nuit Ezekiel. Demain, nous devrons être reposés.
Je hochai la tête alors que mes yeux trainaient sur ses lèvres ou bien son décolleté. J'avais beau vouloir le contraire, mon corps et mon cœur n'étaient pas de cet avis.
— Bonne nuit, marmonnai-je.
Il m'était difficile, même après ces deux mois passés à ruminer à propos de ma gemme et de Aude, de ne pas penser à Elya. J'avais apprécié ce moment passé avec elle sur les falaises. Sauf que c'était comme si profiter voulait aussi dire engendrer un drame. Après notre premier baiser, nous dûmes trahir l'Ordre et après avoir couché avec elle, Novendill fut envahit.
Peut-être étions-nous mauvais l'un pour l'autre.
Elle ferma la porte derrière laquelle je restai immobile un long moment. Je passai ma main dans mes cheveux tout en poussant un profond soupir. Je dormais sur le fauteuil en cuir face à la cheminée et à la table de cuisine depuis deux mois maintenant et Adélaïde avait la chambre d'Agnès. Quant à Alexius, il dormait principalement à la forge, c'était devenu son nouvel antre. Il semblait bien s'entendre avec le forgeron et il faut dire qu'ils avaient fait du bon travail tous les deux sur les armures.
La mienne ne me servirait qu'à me protéger. Sans Émeraude, je n'étais rien d'autre qu'un chevalier et non un Gardien. Du moins, pour le moment. Je comptais bien récupérer ce qui m'appartenais, d'une façon ou d'une autre.
Quand je tournai le dos à la porte, sur le point d'aller m'allonger, celle-ci s'ouvrit. Je me retournai pour faire face à Elya qui me saisit la main et me tira dans sa chambre. Là, elle ferma la porte, colla son dos contre celle-ci. Ses yeux étaient plongés dans les miens et il m'était impossible de m'en défaire. Tout s'était passé si vite. Elle se hissa sur la pointe des pieds, posa ses mains sur ma nuque, m'approcha d'elle et pressa ses lèvres contre les miennes.
Je ne pus la repousser. J'appuyai ma main contre la porte, coinçai son corps par la même occasion. Quand elle m'embrassait, je n'avais aucune force pour la repousser. Au contraire, j'en voulais toujours plus.
J'espérais que cela ne soit rien d'autre qu'une attirance physique. Mais je savais au fond de moi qui j'étais réellement. Même si j'avais toujours voulu paraître froid, distant et que j'étais probablement très doué pour ravaler ce que je ressentais, la sensibilité qui m'habitait depuis tout jeune restait et je ne pouvais m'en défaire. Je savais simplement la garder cacher, pour ne jamais exposer aux autres mes faiblesses les plus évidentes.
Son baiser se voulut plus profond et cela réveilla en moi une grande excitation. Depuis ce jour sur les falaises, j'avais encore envie de sentir son corps, de l'entendre gémir et la serrer contre moi. Mais je préférais la garder loin de moi, pour ne jamais avoir à lui révéler la vérité un jour. Elle méritait mieux qu'un menteur. Et même si je voulais lui avouer ce qui était arrivé à Léane, j'en étais incapable. Cela revenait à perdre le Saphir et Alexius en avait besoin.
Je détachai mes lèvres des siennes un instant, le temps de reprendre mon souffle et de réfléchir à ce que j'étais en train de faire.
— Attends, Elya...
Je dis cela alors qu'elle était déjà en train de me dévêtir. Elle passa ses mains sous mon pull, elles étaient froides contre ma peau, ce qui me valut un drôle de frisson.
— Faisons l'amour ce soir et demain, on pourra continuer à se détester si tu veux, me murmura-t-elle en s'accrochant à mes épaules.
Mon serment à l'Ordre était brisé depuis longtemps. Je n'avais aucune raison d'hésiter ou de résister si ce n'était par fierté. Elle se glissa sur ma droite et s'avança vers son lit modeste et peu large.
— Ou alors... commença-t-elle en laissant son gilet sur le sol. Tu peux partir dormir près de la cheminée.
Je lui jetai un regard quand elle se tourna vers moi et fit glisser l'une de ses bretelles sur son épaule. À la lueur du feu de la petite cheminée face au lit, son corps semblait tout droit venu d'un fantasme.
Je m'avançai vers elle quand elle me tourna le dos. Je saisis sa taille pour la coller contre mon torse puis embrassai sa clavicule. Elle pencha la tête sur le côté quand je laissai glisser mes doigts le long de son épaule alors que mon autre main remontait sur sa poitrine. J'avais envie d'elle. J'avais envie de m'oublier.
J'en avais assez d'être un Gardien. J'étais fatigué. Fatigué de me battre pour un Ordre qui était prêt à faire de nous des oubliés.
Je fis glisser son autre bretelle et elle laissa tomber au sol sa chemise de nuit. Son corps entièrement nu, doux et chaud, fit monter en moi une tension supplémentaire. Ma main rencontra son bas ventre et tout en la caressant, tout en sentant son plaisir, pendant qu'elle s'abandonnait à moi, j'embrassai son cou. Plus elle prenait plaisir et plus le feu de la cheminée crépitait, apportant une chaleur intense à la pièce.
Elle se tourna brusquement vers moi, sur la pointe des pieds puis elle enfonça sa langue dans ma bouche. Je me laissai entrainer dans sa fougue. Elle me libéra de mon pull. Elle laissa ses yeux suivre les lignes de mon torse quelques secondes. Enfin, elle me poussa en arrière. Je m'assis sur le bord de son lit alors qu'elle s'agenouillait devant moi. Je ne pouvais plus décrocher mes yeux d'elle.
Elya délaça mon pantalon puis le baissa sans que je ne résiste. Elle gouta ma chair avec sa langue pour commencer, puis sa bouche ensuite. Mes mâchoires se contractèrent en même temps que je fermai les yeux.
Je ne doutais pas qu'Aude puisse ressentir ou voir ce qu'il se passait. Liée à notre Guide, elle savait très bien le lien que nous avions tous les quatre. J'espérais, au fond de moi, qu'elle voit et qu'elle ressente. Je voulais qu'elle souffre autant que j'avais souffert. Parce que les maux n'étaient pas une excuse pour anéantir un monde entier.
J'attirai Elya à moi. Elle s'assit sur moi et, plongeant en elle, je ressentis davantage son désir et notre lien. Elle se tenait à mes épaules, me regardait droit dans les yeux. Ses vas et vient étaient doux et plaisants. Nos respirations saccadées allaient au même rythme que nos cœurs. Comme un balai parfaitement synchronisé.
Plus je la regardais elle, plus j'oubliais Aude.
Je serrai sa nuque entre mes doigts alors qu'elle fermait les yeux, se cambrai en arrière pour m'offrir une vue aphrodisiaque sur son corps voluptueux.
J'aimais ce que je ressentais. J'aimais ce qu'elle me faisait.
J'aimais. Je ressentais. Je vivais.
Je renaissais.
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