12 💎 Persévérance
« Les Gardiens s'entraînaient des heures durant, lesquelles pouvaient s'apparenter à des séances de tortures. Les cloques sur les mains, les pieds et les crampes à chaque muscle du corps les empêchaient de dormir les nuits qui suivaient les périodes d'entraînement. L'Ordre disait toujours qu'il convenait de s'entraîner jusqu'à ce que le corps cède. »
ELYA
— Et c'est à ce moment là que le cheval s'est cabré, Elya est tombée en arrière dans de la bouse de vache et s'est cassé le bras.
Adélaïde ne cessait de rire à ce que Sam leur expliquait depuis dix bonnes minutes. Cette fois là, je n'avais que seize ans et j'avais voulu me balader à cheval. Cependant, je n'étais clairement pas la meilleure cavalière qui puisse exister et Sam derrière moi se moquait de moi. J'avais voulu partir au galop, au lieu de cela, j'avais tiré sur les rennes trop puissamment, le cheval m'avait faite tomber de son dos.
Je ne pus m'empêcher de sourire. Je terminai mon verre de vin puis m'appuyai contre le dossier de ma chaise tout en triturant ma fourchette, le bras tendu sur la table.
— On sait donc qu'il vaut mieux éviter Elya et les chevaux ensemble alors, commenta Alexius.
— J'ai peut-être évolué depuis ! m'esclaffai-je.
Il haussa les épaules en posant son bol de soupe vide.
— Mouais, j'ai du mal à y croire vu ce que ton copain raconte.
— Ce n'est pas mon copain, c'est bien plus que ça ! repris-je en me redressant et posant mes yeux sur Sam. C'est mon meilleur ami, mon frère.
— Comme c'est touchant, s'adoucit Adélaïde.
— D'ailleurs, le forgeron, grommela Ezekiel avachi sur sa chaise en faisant tourner sur ses doigts son couteau à viande. Quand comptes-tu terminer nos armures ?
Sam posa ses couverts et affronta le regard sévère d'Ezekiel.
— J'en ai déjà forgé deux et j'ai bientôt terminé la troisième qui est la tienne, Ezekiel. Ensuite, je passerai à celle d'Elya et ce sera terminé.
— Alors dépêche-toi, grogna-t-il tout en posant son couteau dans son assiette.
— Il a le don de pourrir l'ambiance, il vaut mieux l'ignorer, souffla Alexius comme une confidence aux autres.
J'esquissai un sourire qui disparut lorsque je posai mes yeux sur Ezekiel. Il avait beau être terriblement sexy, un bon amant et un très bon guerrier, je le détestais depuis que le Nécromancien nous avait attaqué. Son comportement avait changé, comme s'il ne me reconnaissait pas. Je pouvais comprendre que perdre sa gemme pouvait être difficile pour un Gardien. Je voulais le comprendre. Mais me rejeter moi ? Pourquoi ?
Je ne lui demandais pas d'être un compagnon, d'officialiser une relation qui n'existait même pas. Mais j'estimais avoir le droit à un minimum de considération, notamment après ce qu'il s'était passé entre nous. Peut-être m'avait-il dit qu'il ne regrettait rien pour ne pas me blesser. Peut-être regrettait-il réellement d'avoir couché avec moi.
Pendant que les autres parlaient, moi je me perdais dans mes pensées, mes yeux rivés sur lui. J'aurais aimé le prévenir et lui dire que son Emeraude appartenait au Nécromancien mais rien ne m'était venu. Aucune vision assez claire m'avait averti qu'il n'avait plus de gemme.
Je m'en voulais de ne pas avoir été suffisamment bonne sur ce coup là. Peut-être était-ce à cause du pouvoir du Rubis qui écrasait les miens. J'étais perdue. Perdue dans un flot d'incertitude et de crainte que personne ne parvenait à atténuer.
Seule ma sœur aurait eu cette force. Le simple fait de l'enlacer m'aurait réconfortée, m'aurait rappelé à quel point ma famille comptait pour moi. J'essuyai aussitôt mon œil gauche qui commençait à s'embrumer à cause des larmes puis je relevai le menton et détournai mon regard d'Ezekiel.
— Je t'assure qu'il existe des girafes, mais pas ici à Aphebis, assura Adélaïde à Alexius qui demeurait dubitatif.
— Elle a raison, intervint Sam bien plus à l'aise avec les Gardiens.
D'ailleurs, cela me faisait plaisir de voir qu'il s'intégrait plutôt bien.
— C'est le Royaume de Noumëlya mais c'est loin d'ici, il faudrait prendre le bateau des mois durant pour le rejoindre. Enfin, je suppose que vous, les Gardiens, vous connaissez d'autres Royaumes. Vous êtes un peu les Gardiens des Mondes. Non ?
— Pas vraiment, non, soupira Alexius. C'est bien plus compliqué que ça.
— Racontez-nous, intervins-je.
Je vis, dans ma vision périphérique, Ezekiel relevé un sourcil. Alors je posai mes yeux sur lui, l'air faussement étonnée.
— Quoi ?
— Quoi, quoi ? grommela Ezekiel.
— C'est très bizarre, arrêtez, souffla Adélaîde.
— Non, qu'elle s'exprime, insista Ezekiel sans me lâcher du regard.
— Je dis simplement que vous pourriez nous raconter pourquoi vous n'avez jamais tenté de sauver d'autres Royaumes.
— Alors, si, nous avons déjà sauvé d'autres Royaumes, défendit Alexius en levant son index. Mais Noumëlya n'en fait pas partie. D'autant plus que dans le Sud, les crimes et les ennemis sont bien moins fréquents qu'ici, au Nord. Sans compter que, certaines guerres doivent être menées. C'est comme si les Dieux nous avaient empêché de nous battre, nous n'aurions jamais évolué. Tu vois où je veux en venir ?
Je haussai les épaules, me levai et débarrassai la table. Dans un sens, Alexius n'avait pas tort. L'évolution venait aussi de l'échec. Néanmoins, si j'avais été une Gardienne, j'aurais eu énormément de difficultés à laisser des guerres se produire sans intervenir. La mort me donnait froid dans le dos. Savoir que des gens souffraient me torturait.
Le lendemain, alors que le brouillard dominait, je me trouvais dans la cour centrale de la forge avec Ezekiel face à moi. Il faisait froid, j'avais l'impression que ma peau gelait au contact de la brise légère de cette matinée. Sans compter qu'à chaque respiration, de la condensation sortait de ma bouche pour rappeler à quel point mon corps était chaud contrairement à l'air environnant.
Je tenais l'épée, lourde, longue et difficile à manier. Néanmoins, avec les jours qui défilaient, je commençais à ressentir les muscles de mes bras et à effectuer des mouvements plus denses. Je n'étais, certes, pas une combattante comme les Gardiens mais bientôt, j'allais être prête à me défendre seule, sans avoir besoin d'user de la magie du Rubis.
Personne n'était capable d'expliquer pour quelle raison j'avais absorbé une partie de son pouvoir. Ce qui était certain, c'est que cela servait à Adélaïde. Je pouvais l'aider à canaliser plus facilement, sans trop s'épuiser et ça donnait une autre dimension au Rubis, comme la téléportation.
Ezekiel me tournait autour, la pointe de son épée restait braquée sur moi à mesure qu'il avançait, comme un loup devant sa proie.
— Après un mois, tu ne te tiens toujours pas correctement.
Mes épaules s'affaissèrent et un soupir passa le seuil de mes lèvres sans que je ne sache le retenir. J'étais épuisée. Épuisée par ma tristesse. Épuisée par l'entraînement qui en demandait beaucoup trop à mon corps. Épuisée par l'état de mon île, par tous ces innocents morts. Ezekiel aimait me rappeler ce qu'était une guerre et quels genre de sacrifices il fallait faire pour espérer la gagner. Les innocents qui mouraient durant cette guerre étaient ce fameux sacrifice qu'il me fallait accepter.
— Tu es un très mauvais entraîneur, c'est pour ça, pestai-je.
Ezekiel cala une main dans son dos et l'autre tenait à bout portant l'épée.
— Très bien, essaie au moins d'être stable sur tes appuis et attaque moi.
— Une main dans le dos, vraiment ?
Il haussa les épaules. Je secouai la tête puis ancrai bien mes pieds dans le sol. Ensuite, je tentai de l'attaquer une première fois mais il para mon attaque avec une vitesse presque surnaturelle. Je sentis toutes les vibrations jusque mon coude mais j'ignorai la douleur de mes articulations.
Je l'affrontai à nouveau, cette fois ma lame glissa contre la sienne, il tourna ce qui me tordit le bras. Il frappa ensuite mon poignet, j'en lâchai mon arme. Après quoi, il balaya le sol de son pied et je finis sur le dos, le souffle coupé. Ezekiel, lui, demeurait fort sur ses appuis, la main toujours dans le dos.
Je fixai le ciel un instant, mes lèvres retroussées et le cœur gros.
— Tu t'entêtes à vouloir manier l'épée alors que tu contrôles un pouvoir que n'importe qui d'autre convoiterait, grommela-t-il. Abandonne.
Je m'appuyai sur mes mains puis me relevai pour lui faire face. Après quoi je ramassai mon épée et affrontai son regard pétrifiant.
— À quoi bon porter une armure si je suis incapable de manier l'épée ?
— À te protéger de tes ennemis, retorqua-t-il comme une évidence.
— Je veux savoir me battre, m'opposai-je.
— Oui, et tu sais le faire, avec tes pouvoirs. Mais tu ne sais pas manier l'épée.
Je haussai les sourcils. Je préférais laisser couler ses mots, comme si je ne les entendais pas. C'était devenu une habitude depuis maintenant deux mois avec Ezekiel. Il était tranchant, cinglant et vexant. J'avais compris que ce que nous avions fait tous les deux ce soir là sur la falaise ne se reproduirait plus. Probablement était-ce un moment de faiblesse de sa part. Ezekiel était redevenu Ezekiel. Ce Gardien froid et irritant.
J'attaquai à nouveau sans prévenir. Ezekiel leva son épée dans un réflexe totalement naturel. Cette fois, j'ignorai les coups que cela me donnait dans les bras et je réitérai mon attaque. Je tentai de viser son ventre. Il sut m'arrêter avant et me repousser. Alors que j'étais essoufflée, lui semblait même pas faire d'efforts. C'en était d'autant plus frustrant.
Alors chaque fois que je chutais, chaque fois que j'étais désarmée ou que je me prenais un énième coup, je me relevais et je recommençais jusqu'à épuisement.
Le soir, j'écoutais brièvement les conversations de chacun mais mes yeux se fermaient tout seul tant j'étais épuisée.
Au fil des jours et des entraînements plus ardus les uns que les autres, je voyais mon corps changer. Je maigrissais, mes muscles semblaient plus toniques et les hématomes sur mon corps commençaient à s'effacer. Ezekiel me touchait de moins en moins.
Pendant que l'hiver s'installait sur l'île et que je continuais mon entraînement, les armures étaient bientôt prêtes. Cela signifiait que j'allais bientôt pouvoir me lier à Alexius pour localiser le Saphir. Il était évident qu'utiliser le lien alerterait le Nécromancien et l'Ordre. J'avais cependant appris qu'il convenait de savoir prendre des risques pour mener une guerre à son terme.
Alors que mes pieds glissaient dans la fine couche de neige poudreuse de la cour, mon corps, lui, était en ébullition. Je grognais pour me donner de la force et le tintement de nos épées résonnait partout autour de nous. Ezekiel avait abandonné l'idée de garder sa main dans le dos puisque je lui donnais davantage de fil à retordre.
Ma lame trancha l'air et heurta la sienne. Elles glissèrent l'une contre l'autre avant que je ne tourne sur moi-même dans l'idée de toucher son flanc gauche. Ezekiel m'arrêta juste à temps. Je le repoussai d'un coup de pied dans le bassin et attaquai encore. Je levai mon épée et affrontai la sienne. Parfois, nos combats pouvaient durer de longues minutes jusqu'à ce qu'il parvienne à me désarmer.
Ce jour là, j'espérais l'inverse. Je mettais donc toute mon énergie dans cette danse tumultueuse et à la fois, j'exprimais toute la rancœur en y mettant toute ma rage.
Il recula d'un pas, puis d'un autre à chaque coup qu'il parait. Plus je frappais son épée et plus la colère grandissait. Malgré nos vêtement d'hiver, je sentis la chaleur dans mon bras et les veines de ma main scintillèrent un petit peu plus à chaque fois que ma lame heurtait la sienne.
— Élya, grogna Ezekiel un pied en arrière.
Avec le pouvoir, les coups étaient encore plus brusques. Cette fois, il fléchit les jambes et para mon attaque venue d'en face. Je m'approchai de lui, lame contre lame et je le toisai d'un regard que je voulais défiant. Il était temps qu'il cesse de me voir comme la Guide faible que j'étais lorsque nous nous étions rencontrés. Cela faisait presque sept mois que nous étions devenus camarades. Je voulais qu'il me voit aussi forte et redoutable qu'Alexius et Adélaïde.
— As-tu peur, grand Gardien de l'Emeraude ? Questionnai-je en poussant sur sa lame.
— Tu uses de ta magie.
— Je pourrais faire bien pire.
Je retirai mon épée de la sienne et tournai sur moi-même. Il crut que je comptais de nouveau attaquer avec mon arme mais il n'en fut rien. Je l'imitai quelques semaines plus tôt et balayai le sol de mon pied. Mon tibia frappa ses chevilles. Ezekiel perdit l'équilibre et finit sur le dos. Avant qu'il ne se redresse, je donnai un coup de pied dans son épée qui glissa sur le sol couvert d'une fine poudre de neige.
Enfin, il leva la tête vers moi quand je m'accroupis près de lui. Je penchai la tête sur le côté et lui adressai un sourire.
— Alors ?
Son visage se barra lorsqu'il fronça les sourcils.
— Quoi ? grommela-t-il.
— Selon toi, je ne sais toujours pas manier l'épée ?
— Tu t'es améliorée, argua-t-il. Mais tu as encore du chemin pour être une vraie guerrière.
Je haussai les sourcils. Avant que je ne puisse crier victoire, Ezekiel me saisit par le poignet. Il le tordit de sorte à ce que je lâche mon épée. Dans un mouvement puissant, il me tira vers lui et me fit basculer sur le dos. En un clignement de cils, il se retrouva au dessus de moi et plaqua mes deux mains au dessus de ma tête, dans la neige froide, son corps en appui contre le mien. Dans cette position, il m'était impossible de me défaire de son étreinte mais le voir si proche de moi et satisfait me mettait en colère. Pourtant, ce contact ne faisait que me renvoyer des flashs brefs et lucides de nos ébats, de sa chaleur, de ses mains rêches et douces a la fois, de ses baisers humides, de ses lèvres addictives...
— Tu es naïve et trop rapidement distraite. Mettre à terre son adversaire ne veut pas dire que tu remportes la victoire.
— Lâche-moi ou je te brûle.
Il haussa les sourcils.
— Tu oserais ?
J'étais probablement comme lui, à ne pas vouloir le blesser trop sauvagement. Mais je refusais de perdre ce combat. Alors, une pointe de satisfaction m'envahit quand je lus dans son regard qu'il comprenait le mien et que cela ne lui plaisait pas. Avec toute cette rage que j'avais laissé s'échapper, je pus aisément utiliser le pouvoir du Rubis. Je sentis sa chaleur envahir tout mon bras puis se propager sur la main d'Ezekiel.
Il me lâcha aussitôt avec un mouvement de recul brutal. Il secoua sa main devenue rouge sur le côté puis me lança un regard électrique tandis que je m'asseyais dans la neige. Non pas que j'avais envie de l'éloigner de moi mais avec tout ce qu'il m'avait dit et fait, je ne pouvais pas le laisser gagner aussi facilement.
— Étonné ? demandai-je faussement innocente.
— Ne joue pas avec cette magie Élya.
— Et toi arrêtes de faire comme si tu en avais quelque chose à faire de moi.
Je me relevai en même temps que lui et époussetai mon manteau de cuir couvert de neige. Je relevai les yeux quand je sentis son regard insistant sur moi.
— Qu'est-ce qu'il y a ? grondai-je.
— Rien, je... tu sembles me haïr.
— Tu as probablement raison oui. Parce que tu m'as lâchement abandonnée alors que je te demandais juste d'être au moins un bon ami. Tu n'as pas su le faire. Tu t'es renfermé dans tes tourments, sans laisser personne entrer pour te réconforter. Mais tu vois, Ezekiel, ton comportement égoïste, j'en ai assez.
Je m'approchai de lui, affrontant son regard plus vert que jamais. Il était blessé, je pouvais le ressentir. Je savais aussi, sans trop comprendre comment, que je le renvoyais dans un douloureux passé en le traitant ainsi.
— Il n'y a pas que toi qui souffre dans cette histoire. Tout le monde souffre. Tu as peut-être dû tuer ta compagne à l'époque, mais c'est toi qui l'a décidé et il est temps d'assumer tes actes. Tu as perdu ta Gemme mais ça ne veut pas dire que tu n'en es plus digne.
— Tu ne peux pas le savoir, marmonna-t-il.
— Tu serais déjà mort si tu n'étais pas digne de ton Émeraude. Alors ressaisis-toi. Parce que Alexius a besoin de toi pour trouver son Saphir.
Je relevai le menton, m'imprégnant de cette soudaine confiance en moi.
— Nous avons tous besoin les uns des autres. Mais je ne t'aiderai pas à récupérer l'Emeraude si tu ne te reprends pas. J'en ai assez d'espérer quelque chose de toi. C'est ta dernière chance Ezekiel.
Après ces mots, je le contournai et regagnai la forge. Là où Sam et Alexius se tapèrent dans la main au même moment où j'entrai à l'intérieur. Je souris légèrement puis les interrogeai du regard.
— Eh bien, que valent ces accolades victorieuses ? questionnai-je alors qu'ils contournaient l'établi.
— Elyanor Montanet, nous avons le plaisir de t'annoncer que les armures sont définitivement terminées, annonça Sam.
Lesdites armures attendaient patiemment sous des draps et je ressentais déjà cette sensation d'excitation et d'appréhension.
Il était temps pour moi de me lier à Alexius et de localiser le Saphir.
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