4 ♦ Guide

« Aussi brutale fut la vérité, mieux valait cela que nier son devoir. »


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ÉLYA

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Si j'ai demandé à mes hommes de chercher dans les confins d'Aphebis ces femmes aux caractéristiques singulières, c'était pour une bonne raison. Le peu de convives présents ce soir font partie du Haut Conseil du Royaume et il est de mon devoir de les mettre dans la confidence. Plus au Nord de la cité, là où l'hiver est rustre, les plantations se meurent, les animaux tombent malades et certains humains également. Il va sans dire qu'en tant que roi, je sais ce que mes ancêtres ont vécu sur cette Terre. Je sais aussi que les Gardiens sont là pour une chose et une seule : Protéger les Royaumes d'une menace d'extinction. Eh bien voici... la menace aussi minime est-elle est bien réelle. Je ne souhaite pas faire la même erreur que dans le passé, je veux que nous soyons prêts à affronter le Mal qui se réveille petit à petit.

Le roi se redressa légèrement sur son siège, le coude appuyé, l'air qu'il affichait était grave, sérieux, malgré la bonne humeur de la soirée.  Je demeurais silencieuse, les mains croisées devant mon bassin, écoutant son monologue interminable.

— Les derniers Gardiens ici présents peuvent se battre contre le Mal mais il leur faut des gemmes, Madame Delmaz arrêtez moi si je me trompe...

— Ce que vous dites est vrai, intervint la concernée, entourée des deux autres membres de l'Ordre. Les Gardiens sont liés à des gemmes propres à leurs capacités. S'ils doivent se battre contre une menace réelle et pourvue de sombre magie, les gemmes sont leur seule chance. Mais elles ont été caché par des membres de l'Ordre il y a plus de cent ans pour éviter tout incident. La tradition lors du retrait des gemmes veut que le « messager » - celui qui cache la gemme - se donne la mort afin de ne jamais révéler à quiconque son emplacement.

Je haussai les sourcils, n'osant jeter un regard à côté de moi. Le Gardien restait un genou à terre, dans la même posture, immobile comme une statue. Il en avait l'allure... même s'il était habillé, je devinais ses muscles à travers ses vêtements. Il me fus rare de poser mes yeux sur un homme et de me sentir attirée à ce point, j'en étais même intriguée. 

— Ainsi, personne ne peut retrouver les gemmes, pas même les Gardiens. Il n'y a qu'un Guide pour cela.

— Et le Guide, mes demoiselles, c'est l'une d'entre vous, poursuivit le roi.

Je jetai un regard à l'assemblée et aux jeunes filles qui ne semblaient rien comprendre. Pourquoi étaient elles toutes si jeunes ? Où étaient leurs parents ? Pourquoi j'étais la seule adulte correspondant à leurs critères ? Et qu'était-ce qu'un Guide ? 

— Bien évidemment, une seule d'entre vous, mesdemoiselles, est la Guide de ce siècle. Alors pour le savoir, vous devrez vous lier aux Gardiens. Si le lien est pur, alors vous saurez visualiser les gemmes leur correspondant. Si le lien est impur, cela signifie que votre lignée est abjecte. 

Je ne voulais en aucun cas me voir liée à de telles histoires. Mais avais-je la possibilité de refuser le Titre ? 

— Pardonnez mon interruption, Majesté... soufflai-je d'une faible voix. Y'aura-t-il une récompense à la clé ? 

Quelques rires sifflèrent dans la salle, je m'efforçai de les ignorer bien que je vis le Gardien à côté de moi bouger d'un millimètre, comme si me question l'avait surpris. 

Le roi me sourit, se leva de son trône et descendit de son estrade pour s'arrêter devant moi. Il me détailla de la tête aux pieds.

— Mademoiselle Pellevès, votre demande me paraît déplacée mais à la fois... justifiée. 

Je relevai le menton, tentant de rester digne. 

— Je vois qu'à Novendill, les femmes refusent de suivre les codes de conduite que j'eusse instauré, votre nuque est couverte par l'épaisseur de votre chevelure et vous me regardez droit dans les yeux. 

— Veuillez m'excuser...

Je baissai le regard, me sentais humiliée. 

— Ne le soyez pas, vos coutumes sont la bienvenue à la Capitale. 

J'affichai un sourire pincé avant que le roi n'annonce que le lien devait être effectué ce soir, avant l'ouverture du Bal. De ce fait, chaque jeune femme choisie dû se mettre en file indienne pour se lier aux Gardiens. Il suffisait d'un seul Gardien pour savoir si le lien existait. Ainsi, les trois Gardiens se relevèrent, devant l'estrade, ils se tinrent droits, fiers et tendirent leurs mains aux prétendues Guides qui s'avançaient vers eux. Les trois premières jeunes femmes saisirent chacune les mains des Gardiens, je restai en retrait et lâchai  ma sœur. 

— Il y a trop de monde ici, marmonna Agnès, je veux rentrer à la maison... 

— Nous rentrerons bientôt, je te le promets.

Je me redressai légèrement et écarquillai les yeux lorsque je vis les trois jeunes filles tenir les mains des Gardiens être prises de soubresauts. Les Gardiens restaient stables mais grimaçaient légèrement, c'est alors qu'une première lâcha les mains du beau brun aux yeux verts et poussa un cri strident en posant ses mains sur sa tête. Aussitôt, un garde s'approcha d'elle et la soutint pour l'aider à quitter l'assemblée silencieuse. Je ne manquai pas de remarquer le sang sur son visage, ce sang sortait de ses yeux, comme des larmes pourpres. 

Aussitôt, mon cœur s'emballa et d'autant plus lorsqu'on me demanda d'avancer face au Gardien. J'assurai à Agnès que tout se passerait bien puis me postai face à lui qui gardait ses mains, paumes ouvertes, tendues vers moi. Je respirais fort, tentais de cacher mon appréhension cependant, après ce que je venais de voir, il m'était difficile de me sentir en sécurité. 

Je croisai son regard, il semblait froid, distant, impartial et pourtant, ses yeux verts étaient hypnotiques, profonds et tourmentés. Je détournai le mien, posai mes mains sur les siennes en inspirant profondément puis fermai les yeux en même temps que lui tout en expirant lentement par la bouche. 

La vision que j'eus à peine fermai-je les yeux fut brève, rapide et douloureuse. J'entendis le croassement sinistre d'un corbeau, puis vis ses ailes sombres comme l'ébène battre au dessus d'une terre désolée, asséchée. Enfin, une image d'un volcan prêt à entrer en éruption et l'étroite entrée d'une grotte sombre.

Ma tête partit en arrière, je lâchai les mains du Gardien et reculai d'un pas, le souffle court, la gorge nouée. Je passai ma main dans mes cheveux, déglutis difficilement, la gorge sèche.

— C'est elle... marmonna-t-il en me toisant.

Il darda un regard à ses compagnons. 

— Arrêtez tout, c'est elle la Guide, reprit-il plus fort.  

Les Gardiens lâchèrent les jeunes filles, fort heureusement, aucune autre ne fut blessée et le roi, un sourire aux coins des lèvres, leva ses bras, debout devant son trône, alors que des obscénités dans mon dos se murmuraient déjà.

— Ce soir est un grand jour, reprit le roi sous le regard admiratif de sa reine. Ce soir, nous avons trois Gardiens et un Guide qui nous mèneront à la paix espérée. Non... qui empêcheront le Mal de se propager ! 

Le Gardien me fixait l'air intrigué alors que je ne comprenais rien. J'étais malmenée par d'horribles frissons, mon cœur battait la chamade, j'avais chaud puis froid, puis de nouveau chaud et les images que j'avais vu restaient ancrées dans mon esprit comme des flashs indélébiles. 

— Chers convives, le bal peut commencer, poursuivit le Barde de sa voix mélodieuse. 

Le Bal s'ouvrait sur mon futur, aussi inquiétant pouvait-il être. 


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