26 ♦ Le pouvoir du Rubis
"Chaque Gardien Digne et chaque Gemme se liaient pour ainsi manifester un pouvoir unique et propre à chacun Une source digne d'une empreinte pour son Gardien. Mais invoquer une Gemme signifiait mettre en péril la pureté de son âme. Jusqu'à risquer la perte éternelle. "
ADÉLAIDE
Lors du jour de la Cérémonie des Gemmes, lorsqu'on me remit mon Rubis, je ressentis la plus profonde des douleurs. Ce n'était pas comme une coupure ou un os qui se brise, c'était bien pire que cela. C'était digne d'une brûlure, interne et impossible à soulager. Le Rubis s'était lié, sur ma poitrine, dans l'armure capable de protéger la sensibilité de ma peau mais en rien, cela n'avait atténué le pouvoir qui s'était déplacé dans mes veines, tout ce feu qui avait remplacé mon sang.
J'avais souffert, si fort que mes larmes avaient coulé mais qu'en tant que Gardienne du Rubis, je me devais dorénavant de ne plus montrer signe de faiblesse, quel qu'il était. Afin de rester digne de ma Gemme, pour l'éternité.
Voir Alexius se sacrifier pour sauver notre Guide, le voir se consumer par le pouvoir qui ne lui appartenait pas, cela me fit l'effet d'un poignard en plein coeur. Sa bravoure avait toujours été admirable. Nous avions besoin d'Elya, c'était une certitude. Alexius n'avait pas hésité à se poster devant elle quand la Dame Rouge avait tendu le Rubis en sa direction, dans l'espoir de l'éliminer.
J'essayai de me concentrer sur ma tâche actuelle plutôt que sur ce qu'il venait de se passer. Si nous sortions d'ici vivants, nous aurions ainsi tout le temps d'en discuter. Alors je me postai à côté d'Ezekiel et serrai les poings le long de mon corps. Mon sang affluait dans mes veines, comme un courant puissant poussé par une tempête. Comme un ouragan qui tourmentait mon être. Mes cellules étaient détruites puis reconstruites puis encore détruites. La Gemme scintillait sur ma poitrine et sa couleur écarlate s'en allait dans les reliures de mon armure, pour ainsi contraster sur le noir pur de l'acier. Mes gantelets de cuir cachaient mes veines rouges apparentes dès lors que je manifestais la magie du Rubis.
Mes mains tremblaient, je le cachais. Il le fallait. La puissance d'une Gemme était si intense, qu'il fallait un certain temps pour s'y habituer. Et surtout, il convenait de savoir s'ancrer dans le réel. La Gemme pouvait nous parler, comme une deuxième conscience, plus sournoise que quiconque. Pire qu'une addiction, la Gemme pouvait détruire un esprit, sans un bruit pour les autres autour.
Les poings serrés, le feu entourait ma peau. Je pouvais en sentir sa chaleur, mais j'y étais totalement immunisée. Le bruit sourd qu'émettaient les morts qui tentaient de se frayer un chemin dans ces catacombes allaient au rythme de mon coeur. Je n'avais pas usé de la magie du Rubis depuis cent cinquante ans, je craignais de ne plus savoir la manier, ou de blesser quelqu'un.
J'entendis Alexius pousser un cri de douleur. En jetant un regard par dessus mon épaule, je vis Elya le tirer vers l'arrière de la pièce, afin de le mettre en sécurité. Je détournai mon regard, me pinçant la lèvre inférieure. Elle faisait bien de l'écarter. Dorénavant, c'était Ezekiel et moi, contre une horde de morts-vivants.
— Tiens toi prête, marmonna Ezekiel.
Je relevai le menton, plus prête que jamais.
— Je vais tous les réduire en cendres, grognai-je.
De ma vision périphérique, je crus voir les commissures d'Ezekiel s'étirer en un rictus satisfait. Il aimait le combat, surement plus que n'importe qui et je savais que ce moment était jouissif pour lui. Son épée en main, sans pouvoirs, il était néanmoins prêt à faire couler leur sang noir et épais, pour montrer au Nécromancien que cette fois-ci, nous ne faillirions pas.
Un énorme bruit retentit et fit même trembler les murs des catacombes. De la poussière me tomba sur l'épaule puis le son des pas par centaines dans les escaliers vint jusqu'à nos oreilles. Un pied en arrière, l'autre en avant, je pris appui sur ma jambe avant, fit craquer ma nuque et bientôt, nos premières cibles firent leur apparition. Certains morts étaient si anciens, probablement déterrés, qu'ils n'étaient que os et tendons. Démantibulés, affamés, ils avançaient de façon incertaine et à la fois menaçante.
Ezekiel fit deux pas en avant et leva son épée vers la droite, coupant en deux un premier mort, puis un deuxième lorsqu'il tourna sur lui-même. Il se baissa pour esquiver la poigne d'un squelette, donna un coup de pied dans un second sur sa gauche et trancha sa première cible avant de s'acharner sur la suivante.
Je jetai mes bras en avant, ancrée dans mon esprit, j'imaginai tout un fléau de flammes s'abattre sur le groupe. Ce qui fut le cas. Les fourmillements commencèrent de ma poitrine puis s'élargirent jusqu'à mes épaules, se déplaçant dans mes bras comme un courant électrique pour qu'enfin, un jet de flammes s'abatte sur les morts. Certains se roulèrent au sol, d'autres avançaient encore et ceux qui s'approchaient de moi, en train de cuir comme des rôtis, je les frappai de mes poings. Cette fois, si fort que l'un d'eux s'écrasa sur trois autres qui s'affalèrent au sol. Mon poing traversa le crâne d'un autre puis mon pied détruisit un squelette en milles morceaux.
Quand l'un d'eux me saisit le bras, je poussai un grognement, ses dents cherchèrent ma chair à travers mon gantelet de cuir, en vain. Je serrai les dents quand un autre se jeta sur moi et encore un autre. Je fermai les yeux, les laissant briser ce qui leur restait de mâchoire sur mon armure avant de pousser un grognement de frustration. L'onde de choc les envoya valser plusieurs mètres plus loin. Ezekiel roula au sol puis se retrouva rapidement accroupi. Il releva un regard accusateur en ma direction.
— Désolée ! criai-je à travers le brouhaha.
Je jetai ma main en avant et carbonisai le mort qui s'approchait de lui par l'arrière. Pendant une fraction de seconde, le visage d'Ezekiel s'éclaira à travers la pénombre d'une lumière orangée et je pus voir quelques gouttes de sueur se former sur sa joue au contact de la chaleur de mon pouvoir.
Il se releva à la hâte, son épée toujours en main.
— Tu dois les empêcher d'entrer ! Invoque ton putain de Rubis et détruis moi cette armée de morts ou on finira bientôt comme eux ! ordonna Ezekiel.
Ensuite, il planta son épée dans l'abdomen d'un cadavre décharné et tout en poussant un cri de rage, il avança, empalant deux autres victimes avec lui. Dans un excès de puissance, il leva son épée, les découpant du torse jusqu'à la tête.
— Si j'invoque le Rubis, vous devez quitter le souterrain ! grondai-je tout en frappant un homme dont l'orbite vide était rongé par les asticots. Alors emmène Elya et Alexius à l'extérieur, je les attire tous ici !
Invoquer une Gemme demandait une puissance telle que tout ce qui se trouvait autour finissait par disparaître en poussière, même les personnes humaines, même les Gardiens. Invoquer une Gemme était une pratique interdite et à n'utiliser qu'en dernier recours. Mais à deux, submergés par une centaine de milliers de morts qui se relevaient constamment, nous n'avions guère l'avantage. L'invocation n'était plus une option.
— Elya ! Vous allez devoir grimper là-haut ! lui criai-je à travers le vacarme.
À l'extérieur, l'orage grondait encore. Elya, accroupie près d'Alexius qui luttait pour garder les yeux ouverts, leva la tête vers le trou formé dans la roche par l'explosion, donnant sur le jardin de la demeure de la Confrérie.
— Co-comment, je... je ne sais pas...
— Adé ! Attention ! cria Ezekiel qui venait de venir à bout de deux maccabées.
Je me tournai vers la gauche et fus plaquée au sol par un homme de plus de deux mètres de hauteur. Mon souffle se coupa une fraction de seconde avant que je ne lève mon bras au moment où il ouvrit grand sa bouche pestilentielle, aux dents aiguisées et noires. Il croqua mon gantelets, mon cuir craqua et je pus sentir le tranchant de celles-ci se planter dans ma chair. Je serrai les dents, sans pour autant crier. Je posai mon autre main sur son visage, mes veines scintillèrent, comme si de la lave en fusion coulait à la place de mon sang et lorsque des flammes passèrent les pores de ma peau, celle de mon ennemi se mit à fondre. Affaibli, je le repoussai brusquement et me relevai, ignorant la douleur de sa morsure. Je détendis mon épaule et quand il voulut s'avancer de nouveau vers moi, une partie de son faciès calciné, la chair putréfiée et l'oeil pendant, j'enfonçai mon poing dans son crâne dur et le ressortis par sa nuque, sa trachée dans la main.
En tournant la tête, je pus voir Ezekiel couvrir les arrières d'Elya qui ne parvenait pas à trouver une prise pour grimper. Je retirai mon poing de ma victime et tendis ma main ensanglantée vers les débris qui se soulevèrent d'eux-mêmes. Je détestais manier la télékinésie, je n'étais pas douée pour cela. Néanmoins, j'empilai le plus de pierres de sorte à former un escalier instable et de mon bras libre, j'envoyais des jets de flammes sur les morts qui s'approchaient de nous. Ezekiel continuait de se battre à l'épée et Elya grimpa les gravats.
Lorsqu'elle monta la première pierre, je sentis mon épaule se tirer alors je grimaçai. C'était comme si elle montait sur mon bras et qu'à mesure de son ascension, son poids devenait de plus en plus lourd et la magie, de plus en plus difficile à manier.
— Dépêchez-vous ! criai-je en grimaçant.
Je sentis les mains grasses d'un mort saisir ma nuque et me tirer en arrière. Tout en gardant ma main, paume ouverte, vers Elya qui continuait de grimper, je fis passer le mort par dessus mon épaule et lui écrasai la face d'un coup de pied. De ma main libre, je fis tomber une poutre sur quatre morts qui couraient en ma direction. J'entendis Ezekiel pousser un cri de douleur alors je tournai la tête vers lui. Il tenait dans sa main, une sorte de barre de fer poussiéreuse et rouillée plantée dans son flanc.
Deux cadavres se jetèrent sur lui et le cognèrent contre le mur alors qu'Elya atteignait tout juste la surface. Ezekiel frappa son poing à plusieurs reprises contre l'un des cadavres, puis son genou repoussa le second. Il retira d'un coup sec la barre de fer enfoncée dans son flanc tout en poussant un long grognement et la planta dans l'oeil de son premier ennemi. Le second finit la tête écrasée contre le mur et moi, je continuai de lutter, tout en usant de ma magie, tout en gardant cet escalier de bonne fortune debout mais bientôt, l'énergie allait me manquer.
Plus j'utilisais le Rubis, plus je sentais sa puissance m'électriser. Plus mon coeur battait fort et plus le Rubis en prenait possession. C'était comme un feu ardent, qui brûlait au centre de mon corps. Qui rongeait mes organes. Qui putréfiait mon âme. La magie d'une Gemme était a utiliser avec parcimonie et surtout, avec dextérité. Manier plusieurs types de magie à la fois était déconseillé pour la simple raison que le cerveau devait alors utiliser plus de cinquante pour-cent de sa capacité. C'était comme entrer en fusion. Et moi, en cet instant, je surchauffais.
J'étais en train de me consumer, pour les sauver. Ma vue brouillée, comme un halo de plus en plus sombres qui limitait la précision de ma vision. Mais je voulais aussi que le Nécromancien comprenne que je n'étais plus cette Gardienne novice qui avait échoué deux fois contre lui. Je voulais lui prouver que cette fois, notre Guide resterait en vie et que son estomac demeurerait vide.
C'était aussi cela, le rôle d'un Gardien. Souffrir pour sauver. Se sacrifier pour aider. La vie d'autrui devait compter davantage que sa propre vie.
Je pus voir, du coin de l'oeil, Ezekiel porter Alexius sur ses épaules, comme il porterait un énorme sac de farine et ainsi, il gravit mon escalier magique à la hâte. Mon bras fléchit légèrement et Ezekiel manqua de perdre l'équilibre à plus de trois mètres du sol. De mon autre main, je repoussai le plus de monstres possible alors que certains - ceux qui ne pouvaient plus marcher - tentaient de croquer les cuissardes d'acier qui recouvraient mes jambes.
Elya aida Ezekiel à regagner la surface et enfin, je pus relâcher la magie à ma gauche. Mon épaule se déboita en même temps et le moment d'inattention que cela engendra laissa l'opportunité à mes ennemis de me bondir dessus. Je fus bientôt submergée, allongée sur le sol, les créatures se jetaient les unes sur les autres pour me dévorer. Je pouvais sentir leurs griffes se frayer des passages, leurs dents qui parvenaient parfois à saisir mes chairs, à goûter mon sang.
Attends encore un petit peu.
Je protégeai mon visage de mes deux poings brûlants, couverts de flammes dévastatrices.
Sois patiente.
Lutte.
Alors que je fermai les yeux, plus proche de la mort que de la vie, je revis son visage.
Un visage que j'aimais tant admirer.
Genova. Si belle et vaillante.
Elle était grande, les lignes de son corps musclé ne laissait personne indifférent. Sa peau chocolatée, ses yeux ambrés, ses cheveux aux boucles serrés. Elle était si pure. Avec ce parfum vanillé qui me faisait craquer.
Genova était mon rayon de soleil en plein orage.
Ma lumière parmi les Ténèbres.
Elle était l'oxygène qui me manquait.
Elle était tout.
Et devint plus rien, quand elle mourut contre le Nécromancien, qui, de ses mains avides, lui arracha l'Ambre qui lui donnait son pouvoir.
Je vis son corps retomber au ralenti dans la boue, avec cette perle cristalline qui coula sur sa joue. Je m'étais jetée sur mes deux genoux pour la rattraper avant que sa tête ne frappe le sol mais il était déjà trop tard. Quand son corps martelé par la pluie toucha mes bras affaiblis par notre combat, son coeur avait déjà cessé de battre et ses prunelles ambrées s'étaient éteintes à jamais sur une expression d'effroi.
Elle avait vu le visage du Nécromancien.
C'était la dernière image qui avait imprégné son esprit si ouvert.
L'amour était pour moi une force. Quand Ezekiel pensait le contraire. Malgré cela, nos amis périrent tous les uns après les autres et moi, je me retrouvai le coeur meurtri, indigne de mon Rubis. Indigne de l'Amour de Genova.
J'aurais dû rester auprès de toi.
Je lui faisais trop confiance. Je n'écoutais jamais ses craintes. Je ne comprenais même pas comment elle pouvait douter, elle maniait la Terre si bien que j'étais persuadée qu'elle était invincible. Immortelle.
Je t'aimais bien plus que j'aimais le monde.
Je t'aimais au delà des cieux, plus loin que la galaxie, plus fort qu'une Gemme.
Tu étais ma Gemme.
À mesure que je songeai à cette blessure, que je sentais leurs dents me planter, le feu brûlait en moi, le Rubis se consumait. Et lorsque j'ouvris les yeux, ma vision plus rouge que jamais, le Rubis lévita légèrement au dessus de ma poitrine. Mes oreilles sifflèrent.
Je t'aime.
Ma peau s'échauffa, mes membres tremblèrent et les morts furent intrigués par tant de puissance soudaine.
Je t'aime !
Enfin, je m'arquai, mon dos ne toucha plus le sol, ma tête valsa en arrière et je poussai un cri de douleur. J'explosai. J'invoquai le Rubis. Tout son pouvoir s'ouvrit et réduit en cendres les morts qui s'acharnaient sur moi, par centaines, ils disparurent en poussière, volatilisés, atomisés.
Je suis désolée. Genova.
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