25 ♦ Rouge écarlate
"Seul un Guide avait le pouvoir de toucher une Gemme sans risquer d'y laisser sa peau. Mais peu avaient le courage d'y poser le doigt, tourmentés par leur esprit trop consciencieux."
ELYA
Il y avait une foule autour d'Adélaïde et lorsque la première personne s'approcha, le poing de la gardienne heurta violemment son visage. Je crus même l'entendre crier, par dessus leurs paroles répétitives et sectaires : "Je t'ai dit de ne pas m'approcher !".
Lorsque je voulus m'interposer, je sentis la main d'Ezekiel se refermer sur mon poignet. Je me tournai vers lui, les yeux grands ouverts. Impossible pour moi de laisser Adélaïde se faire massacrer par cette secte.
— Elle saura se débrouiller, commenta Ezekiel calmement.
Je me retournai de nouveau vers Adélaïde, elle commença à frapper tous les membres qui s'approchaient d'elle et la menaçaient. Le pire dans tout cela, c'est qu'ils répétaient constamment la même chose. Au fond de moi, je savais très bien qui était Adramor et ce que c'était. Adramor était le nom qu'ils donnaient à leur gourou, à leur Maître, encore plus puissant que la Dame Rouge. Adramor était...
— Le Nécromancien, marmonnai-je au moment où un éclair rouge fendit le ciel en deux.
Les nuages étaient lourds, tout comme l'atmosphère. Pesant, exactement comme l'ambiance ici. Je levai la tête vers le ciel, mon coeur palpitait de plus en plus mais ce ne fut rien comparé à la crise cardiaque qui manqua de m'emporter lorsque nous entendîmes ce bourdonnement sinistre et menaçant. Ezekiel et Alexius cherchaient des yeux la Dame Rouge, le Rubis... Alexius était déjà parti aider Adélaïde à se libérer de la foule qui l'encerclait, l'emprisonnait.
Moi, je n'entendais que ce bourdonnement incessant, me rappelant qu'en plus du Rubis dérobé, Adramor était tout près.
— Ezekiel ! Là ! Regarde ! criai-je en pointant du doigt le haut de la colline en avant de la forêt.
Il regarda pile là où mon doigt pointait et écarquilla les yeux lorsqu'il vit cette masse noire traverser la plaine. Ce n'était pas une simple masse noire, c'étaient des morts, par centaine de milliers, qui arrivaient droit sur nous, en courant, probablement poussés par un instinct de première nécessité : la nourriture. Ou bien tuer. Dans l'un ou l'autre cas, nous étions condamnés si nous ne nous défendions pas.
Le tintement de l'épée qu'Ezekiel sortit de son fourreau me fit porter mon attention sur lui. Il tint son manche bien en mains, les sourcils froncés puis posa ses yeux verts sur moi.
— Tu devrais partir te cacher.
— Nous devons retrouver le Rubis, protestai-je.
Il retroussa ses lèvres, agacé par mon entêtement.
— Alors trouve ce Rubis mais tâche de rester en vie, Elya.
Il me dit cela d'un ton étrange, la fin de sa phrase démontra une faiblesse dans sa voix et l'éclat qui traversa l'émeraude de ses yeux me bouleversa un instant. C'était comme si, pendant une seconde, il avait montré sa peur, celle de me perdre. Je hochai la tête, me voulant rassurante par le regard que je lui renvoyai puis je tournai les talons et courut en direction de la fontaine. Je ne jetai aucun regard derrière moi mais pu avoir du coin de l'oeil, Alexius éloigner Adélaïde de la horde de capuches rouges.
Alors que je courais, quelqu'un se jeta sur moi, saisissant mon flanc et me faisant tomber au sol. Mon souffle se coupa un instant, je me retrouvai rapidement sur le dos, un homme encapuchonné au dessus de moi entoura ses mains autour de mon cou. Je battis des pieds et posai mes mains sur son visage pour le repousser. Il perdit sa capuche, me dévoilant alors son visage corrompu par le Rubis. Ses veines ressortaient, rouges écarlates, comme si le sang, à l'intérieur de ses veines, brillait, étincelait, aussi vif que de la lave en fusion.
D'un geste peu assuré, je tâtai mes jambes. Je plaçai ma jambe gauche dans une position peu naturelle et saisit la poignée de la dague que j'avais caché dedans. Après un instant d'hésitation, je la plantai entre ses côtes. J'étouffai entre ses mains sournoises, le souffle me manquai, le sang me montait au cerveau et ma crainte grandissait. Je retirai le poignard de sa plaie lorsque je sentis que sa poigne ne se desserrait pas et je le plantai à nouveau. Encore deux fois, jusqu'à même sentir son sang salir ma main.
Bientôt, son étreinte se fit moins virulente et son corps devint lourd sur le mien. Sa tête reposa sur mon épaule. Je toussai, affaiblie et troublée. Des cris me vinrent jusqu'aux oreilles, le brouhaha de l'orage mêlé aux grognements de l'armée de morts contre laquelle Ezekiel se battait, en plus des phrases monotones répétées par la secte créait dans mon esprit un brouillard épais et désagréable...
Je grimaçai et poussai de toutes mes forces, je me hissai sur la pelouse et réussis par je ne sais quel miracle, à me tirer hors du cadavre. Je finis à quatre pattes sur le sol, le souffle coupé, la bile remontant dans ma gorge. Je venais de tuer quelqu'un, de mes propres mains. Je venais d'assassiner un être vivant, et non magique. Je ne lui avais laissé aucune chance de se repentir. Je toussotai, la bave épaisse remplissant ma bouche d'amertume. Je poussai un cri lorsque je sentis une main froide saisir fermement ma cheville. Je me retournai et ainsi, je fis face à l'homme que je venais de tuer, ses yeux entièrement révulsés, ses veines éteintes mais bel et bien debout.
— Ne les tuez pas ! criai-je. Les morts... les morts reviennent à la vie !
Ce n'était plus un doute, ni même un soupçon. Le Nécromancien était ici et usait de sa magie contre nous. Un petit peu plus loin, je vis Adélaïde trancher la gorge d'un membre de la secte, puis Alexius planter son épée dans l'abdomen d'un mort-vivant. Ezekiel coupa la jambe de l'un d'entre eux, puis taillada son torse... mais les morts se relevaient et les vivants, rejoignaient l'armée des morts.
Ma victime s'accrocha à ma jambe puis me grimper dessus. La peur m'envahit mais je ravalai cette idée. Je devais survivre. Dans un mouvement de défense, mon pied heurta si brusquement son visage que j'entendis sa nuque se briser. Sa tête partit en arrière, sa poigne se desserra et je pus me relever, légèrement titubante. Alors que je ramassai ma dague entre les brindilles d'herbe, ma victime releva sa tête dans un craquement écoeurant et se releva, comme désarticulée.
— Vas-t-en ! criai-je.
Il balança ses bras en avant, comme pour tenter de me frapper mais je reculai d'un pas, puis d'un autre, afin d'esquiver ses attaques. Je frappai le vent avec ma dague, incapable de savoir comment me battre. J'étais terrifiée, désemparée. Je ne souhaitais pas faire appel aux Gardiens. Je voulais leur prouver ô combien ils pouvaient me faire confiance dorénavant. Je voulais faire partie des leurs.
J'ancrai mes pieds dans le sol et remontai légèrement ma cape sur mes cuisses. Ensuite, mes yeux se fixèrent sur ma cible, me forçant à rester déterminée, sans éprouver aucune empathie.
— Approche, marmonnai-je.
Et c'est ce qu'il fit. Il s'avança, branlant, sans pupilles, sans âme, vers moi. Et lorsqu'il se jeta sur moi, la bouche grande ouverte, les dents prêtent à se planter dans mon cou, ses mains s'agrippant à mes épaules et les griffants de ses ongles pourris, je plantai ma dague sous son menton. Je pus voir la lame dans sa bouche, cette même lame qui lima quelques dents sur son passage. Le gargouillis qui résonna dans le fond de sa gorge me donna la nausée. Je tirai sur le manche de mon arme tout en le poussant vers l'arrière. Le sang sombre coula de sa plaie béante, sa mâchoire dorénavant pendante. Quand il s'avança à nouveau vers moi, une giclée de sang provoqua un sursaut dans tout mon être. Ce sang vint tâcher mon visage figé sur une expression d'horreur lorsque je vis sa tête se détacher de son corps. Elle tomba au sol, roula à mes pieds, tandis que le reste de son être, encore à moitié en vie, s'écroula aux pieds d'Ezekiel qui essuya son épée sur les vêtements de sa victime.
Il la rangea dans son fourreau la seconde qui suivit et se retrouva les deux mains sur mon visage juste après. Je clignai plusieurs fois des paupières, la gorge nouée, la bile prête à quitter mon estomac. Ma poitrine se soulevait anormalement vite, mon coeur tambourinait contre ma cage-thoracique et mon esprit resterai marqué par cette vision d'horreur.
— Elya ? Elya ! Regarde-moi !
Il secoua légèrement mon visage alors mes yeux plongèrent dans les siens. C'était comme plonger dans un printemps infini, éternel et pur. C'était comme se laisser emporter par un vent de confiance...
— Je...
— Ressaisis-toi !
Les autres se battaient contre une horde de morts, et les morts ne faisaient pas la différence entre les Gardiens et les membres de la secte. Alors le chaos s'installait dans la cour de la demeure. Le sang coulait à flot, teintant de rouge le sol, et le ciel parsemé d'éclairs. La Mort. La Mort hantait les lieux. Brutale. Vicieuse. Amer. Il n'y avait ni ennemis, ni alliés pour le Nécromancien. Il n'y avait que la Mort.
— Elya, il faut qu'on trouve le Rubis et qu'on le donne à Adélaïde. Tu m'entends ?! Tu m'entends ?! insista Ezekiel.
Son visage déformé par l'inquiétude me fit reprendre mes esprits. Je posai mes mains sur les siennes qui restaient sur mes joues. Si chaudes et rugueuses... Je hochai faiblement la tête.
— Je t'entends... soufflai-je.
Il sembla soulagé par le souffle qui sortit de sa bouche, par son visage qui se dérida. Il me lâcha enfin, dégaina son épée et trancha la tête d'un mort qui se jeta sur lui. Il tourna sur lui-même, ses genoux touchèrent le sol quand il fléchit les jambes pour couper celles de son ennemi qui rampa dans l'herbe, sur les cadavres restés inertes.
— Vas chercher le Rubis ! ordonna Ezekiel tout en se battant et m'évitant une nouvelle confrontation.
Alors je récupérai la dague que j'avais laissé tombée. Mon regard se posa quelques secondes sur Adélaïde qui se battait comme une reine. Son visage contracté par sa rage et comme je la comprenais, elle qui attendait ce moment depuis si longtemps. Elle n'avait pu que le voir, sans même le toucher. Je ne connaissais pas l'importance d'un lien entre le Gardien et sa Gemme, mais je pouvais me mettre à sa place et ressentir ce qu'elle ressentait. Peut-être était-ce là une forme nouvelle de manifestation de mon pouvoir de Guide ?
Alexius, dos à elle, combattait comme si la vie de notre Monde en dépendait, et c'était le cas. Les voyant ainsi, ne laissant aucune chance à leurs ennemis, je comprenais peu à peu l'importance des Gardiens. Qui d'autres qu'eux était capable de tuer, de se battre, sans jamais faiblir ? Les gardes de la Confrérie avaient déjà péri, eux et faisaient dorénavant partie de l'armée des Morts. Il ne restait que nous, vivant. Les autres avaient été dévorés, les entrailles à l'air, les yeux exorbités, pour ceux qui ne s'étaient pas relevé pour se battre à nouveau, sans âme ni but, cette fois.
Je tournai le dos à mes amis et m'enfonçai sous la fontaine, dévalant les escaliers le plus vite possible. Il n'y avait plus que mon souffle qui résonnait dorénavant, sous cette terre meurtrie. Le vacarme de l'étage semblait lointain à présent, comme si je m'enfonçais dans une autre dimension, un autre monde. Je m'arrêtai en bas des marches lorsque je sentis un souffle froid dans ma nuque, ce qui hérissa mes poils.
— Le Rubis m'appartient...
Je me retournai brusquement, mais l'obscurité semblait être le seul compagnon de ce voyage. Je fis face aux pièges déclenchés par Adélaïde et j'avançai alors, les bras ballants et la dague toujours dans ma main, enjambant les débris causés par l'explosion. Je grimpai sur d'énormes gravats, passai sous les débris et me retrouvai dans une grande pièce, éclairée par la lumière des éclairs qui perçaient le ciel, puisque la grotte donnait dorénavant sur l'extérieur.
Au milieu de cette pièce entièrement éclairée par le pouvoir de la Gemme, se trouvait la Dame Rouge, recroquevillée sur elle-même, et à travers sa peau, ses bras, ses jambes et même sa cape, la lumière écarlate du Rubis persistait. Je m'approchai d'un pas, la main en avant, ma dague en alerte.
— Ma Dame ? appelai-je.
Ma voix résonna dans un écho troublant. Mes pieds glissaient sur la poussière, sur les cailloux, sur la terre... la lumière rouge m'aveuglait, ma peau semblait elle-même de cette couleur tant elle était intense. Je sentais son pouvoir, brusque, étonnamment chaud, puissant et fascinant. Il y avait de quoi était bouche-bée, admiratif et même accro. Comme ne pas l'être ? C'était comme sentir son coeur battre au rythme de la Gemme. Ce pouvoir était vivant, perçant et dangereux entre les mains des mauvaises personnes.
Je m'arrêtai devant son corps, inerte et recroquevillé, sa tête appuyée sur ses bras, comme si elle avait pleuré ou trop souffert. Sa capuche disparu, elle arborait un crâne entièrement rasé, et dorénavant calciné et consumé par le Rubis. Sa peau avait flétri, fondue comme si un feu l'avait brûlée, presque entièrement, sauf ses vêtements, qui eux, restaient intact, bizarrement.
— Ma Dame ? répétai-je en posant ma main hésitante sur son épaule brûlante et encore fumante.
Un craquement sinistre retentit, puis un second et un autre quand elle commença à se mouvoir. Je reculai d'un pas, puis d'un autre, ma dague en avant, les yeux écarquillés. Elle se releva, déroulant vertèbres après vertèbres. Son corps entier se redressait, ses articulations grinçaient sous la raideur de ses muscles et enfin, quand elle releva sa tête, ses épaules bien en arrière et ses deux mains posées sur sa poitrine, là où le Rubis se trouvait, là où il éclairait à travers sa fine peau... Lorsqu'elle ouvrit les yeux, je fus horrifiée de constater qu'ils étaient révulsés, comme tous ces morts à l'extérieur. Le Rubis l'avait tuée. Il l'avait consumé jusqu'à lui ôter son âme et le Nécromancien s'était chargé de la ranimer. D'en faire une esclave. Elle s'était faite prendre à son propre jeu. Comme si les ficelles étaient déjà tirées avant même qu'elle ne trahisse l'Ordre ou Adélaïde.
Je reculai d'un autre pas quand elle délia ses mains et tendit le Rubis en ma direction. Je plissai les paupières, tournai légèrement la tête, le bras en avant, pour me cacher de cette lumière aveuglante et brûlante. Je grimaçai puis entendit des bruits de pas rapides dans mon dos.
— Elya ! Tu ne dois pas toucher la Gemme ! entendis-je. Elle te tuerait !
Enfin, l'ombre devant moi me fit baisser le bras et c'est alors que je vis Alexius, dos à moi, droit comme un i, raide comme une statue. Puis je vis les veines de ses mains devenir rouges elles aussi, comme le membre de la Confrérie contre qui je m'étais battue dehors.
— Non... marmonnai-je.
— Si le Gardien possède la mauvaise Gemme, alors celle-ci le consumera...
Cette voix dans ma tête se balada dans mon cerveau, me donnant une migraine atroce. La Dame Rouge tomba au sol, la tête ne tenant plus sur ses épaules. Je n'avais même pas vu Ezekiel faire le tour pour la tuer. Je me postai près de lui mais plaquai ma main contre ma bouche, mes larmes noyant mes yeux, quand je dus assister à ce sinistre spectacle. Alexius se tenait là mais le Rubis était planté dans sa poitrine, à l'endroit même où se trouvait son corps. Toutes ses veines brillaient, éclairant la pièce d'un rouge sanguin. Il serrait les dents, grimaçait, les bras tendus de par et d'autres de son corps. Nous pouvions entendre le pouvoir de la Gemme bouffer sa chair, brûler son être, dévorer ses entrailles...
— Merde... merde ! hurla Ezekiel.
Adélaïde nous rejoignit mais tomba à genoux devant son ami.
— Récupère la Gemme ! criai-je à Adélaïde en tirant sur son bras.
Alexius montra ses dents, sa bave coulait, ses veines ressortaient et même ses vêtements se déchiraient sous la force du pouvoir du Rubis.
— Récupère la ! criai-je.
— Je ne peux pas ! gronda Adélaïde en me repoussant brusquement.
Elle laissa ses épaules s'affaisser, à genoux et les larmes dégringolants sur ses joues.
— Si je fais cela, je finirai comme lui...
— Mais le Rubis t'appartient !
— Pas s'il est fusionné avec le coeur d'un autre Gardien ! Tu ne sais rien de nos règles Elya !
— Alex... souffla Ezekiel dans mon dos.
Je fermai les yeux, mes lèvres pincées et me bouchai les oreilles lorsque le seul son qui passa le seuil des lèvres gercées d'Alexius, fut celui de son abominable cri de douleur. Il mourait. Sous nos yeux. Personne ne faisait rien.
Je ne pouvais pas laisser faire.
Une énergie en moi se réveilla, propulsant mon coeur brusquement contre ma poitrine mais c'était le seul moyen. Il fallait essayer.
Ezekiel m'avait dit que je devais penser à ma soeur. Et si c'était ma soeur, à la place d'Alexius ? Aurais-je laissé une Gemme la tuer ?
— Jamais... grommelai-je entre mes dents serrées.
Je rouvris les yeux et m'avançai vers Alexius, ignorant la lumière écarlate qui me brûlait les yeux et me tirait des larmes. Je posai ma main sur la poitrine d'Alexius, le pouvoir du Rubis me brûla le bras tout entier. Je me mordis les lèvres si fort que j'en sentis le goût du sang dans ma bouche. Je rétractai mes doigts sur le Rubis qui s'enfonçait de plus en plus dans sa peau puis je le tirai de toutes mes forces. Je pus entendre son coeur battre, sentir le rythme de son sang qui affluait dans ses veines puis une vision emprisonna mon esprit, une fraction de seconde, ce qui parut durer des heures.
D'abord, je vis Alexius rire aux éclats avec ses amis. Puis je le vis pleurer. Aimer. Détester. S'inquiéter. Savourer. Vivre...
Enfin, je vis cette lueur bleue, intense et brutale, glaciale et sensorielle. Je vis cette interminable grotte, profonde et inquiétante, avec le bruit des vagues, l'odeur de la mer et les roches calcaires des falaises. Je sentis le vent froid sur mon visage, me rappela la maison, et tous les cristaux qui se formaient dans les cavités de l'océan, brillants étincelants mais pas plus que le joyau qui les dominait tous. Le Saphir.
Je rouvris les yeux et arrachai le Rubis de la poitrine d'Alexius. Je levai le bras, mon muscle raide, une crampe violente qui faisait trembler tout mon bras et je suivis la chute d'Alexius. Sa tête ne frappa pas le sol puisqu'Adélaïde le retint à temps et Ezekiel se précipita vers moi. Je gardai mon bras levé, les yeux fixés sur Alexius et ses yeux clos. Il souffrait de brûlures éparses sur son corps presque entièrement nu, sa peau fumait, mais son coeur battait. J'en était certaine.
— Elya ! Tu... tu peux le tenir ? s'étonna Ezekiel.
Adélaïde releva la tête vers moi, puis ses yeux suivirent un chemin sur mon bras. Je tournai la tête, le souffle court. Les veines brillaient, de mon épaule jusqu'à ma paume fermée dans laquelle résidait le Rubis.
— Je... je ne sais pas combien de temps je peux le garder... avouai-je, effrayée et épuisée.
Adélaïde se releva et s'avança vers moi. Son visage était inondé de larmes mais elle m'adressa un sourire chaleureux, comme ceux que j'adresse à ma soeur. Comme si, pour elle, c'était ce que j'étais.
Elle tendit sa main, paume ouverte et je baissai doucement mon bras, assourdie par les battements brutaux de mon coeur. Par le pouvoir du Rubis qui circulait dans mes veines. Je le posai délicatement sur sa paume, et c'est comme s'il s'éteignit la seconde qui suivit. Adélaïde releva ses yeux vers moi, un éclat rouge écarlate les parcourut puis s'éteignit la seconde d'après.
Enfin, elle leva légèrement sa main et le Rubis l'évita doucement, dans un silence imperturbable. La Gemme tournoya légèrement puis se posa, à l'emplacement exact du coeur d'Adélaïde, sur son Armure noire ébène. Dès que le Rubis se lia à l'Armure et au coeur d'Adélaïde ses yeux devinrent de nouveau rouge et cette même couleur habilla les rainures de l'armure, comme du sang coulant dans des veines. Elle inspira profondément, ferma les yeux puis expira lentement par la bouche. Elle baissa ensuite la tête puis serra ses poings, ils prirent aussitôt feu, mais le feu ne se propage qu'autour de ses mains fermées. J'entrouvris la bouche, sans qu'aucun son n'en sorte.
— Merci, souffla Alexius. Merci...
Le feu qu'Adélaïde maniait s'éteignît aussitôt et elle se laissa tomber à genoux près d'Alexius.
— Schh... ne parle pas, ne t'épuise pas...
Des bruits sourds retentissaient à l'étage. le tintement de l'épée d'Ezekiel me fit tourner la tête vers lui. Il s'avança vers la porte encombrée de débris par laquelle nous étions tous passés.
— Les Morts vont envahir ce souterrain d'ici peu, déclara-t-il de sa lourde voix.
Cette même voix qui me fit frissonner alors que je me massais mon bras douloureux.
— Nous devons trouver une autre issue, déclara Adélaïde. Alexius n'est pas en état de se battre.
— Adé, grogna Ezekiel. Il est temps de mettre à profit le pouvoir de ton Rubis. Cette fois-ci, les Gardiens ne fuiront pas devant les menaces du Nécromancien.
— Vas-y, balbutia Alexius la main sur son torse calciné. Je reste là.
Je souris légèrement. Son habituel sarcasme provoqua en moi une émotion contradictoire. J'avais une horrible envie de pleurer que de le voir souffrir de la sorte et à la fois, envie de rire car rien ne changeait jamais chez lui.
Adélaïde se releva et se posta à côté d'Ezekiel. Je suppose qu'ils avaient fait barrage avec la fontaine pour nous laisser le temps de récupérer la Gemme. Mais l'heure de la guerre avait sonné.
Cette même guerre qui ne faisait que commencer.
Adélaïde serra de nouveau les poings, ils s'enflammèrent aussitôt, j'en sentis même la chaleur d'ici.
— Que ton pouvoir ne fasse plus qu'un avec mon coeur... murmura-t-elle.
Je posai ma main sur ma poitrine, en même temps qu'elle, comme si, moi aussi, je sentais son pouvoir.
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