17 ♦ Un jour meilleur

« Après l'orage, les nuages s'éparpillent pour laisser passer les premiers rayons réconfortants du soleil ».

ELYA

Je ne sus fermer l'œil de la nuit. Chaque son ou mouvement qui retentissaient près de moi me faisaient sursauter. J'étais tétanisée, peut-être même traumatisée.

Lorsque les premiers rayons du soleil éclairèrent les lieux, nous pûmes nous déplacer. C'est Adelaide qui s'avança vers moi la première. Elle m'aida à me remettre sur pieds. Je grimaçai, posai ma main derrière ma tête.

— Fais moi voir, dit-elle d'une faible voix.

Alexis dormait près d'Ezekiel qui gardait ses yeux fixés sur le mur face à lui. Il avait mauvaise mine, ses cheveux retombaient sur son front, ses yeux étaient cernés et une égratignure rougissait sa pommette gauche.

Je me tournai et laissai Adelaide inspecter mon crâne.

— Tu as une petite plaie et une bosse, des mois que nous aurons atteint le droit ou se trouve le Rubis, nous pourrons demander de la glace pour soulager ta tête.

Je la hochai et lui fis face en lui souriant poliment.

— Merci, Adelaide.

— Bon, commença Ezekiel en réveillant son camarade, peux-tu nous donner des informations sur l'endroit où se trouve la gemme ?

Alexius grommela pour se leva nonchalamment. Il rangea son épée dans son fourreau alors qu'Ezekiel s'approchait de moi. Je passai quelques mèches de mes cheveux derrière mes oreilles.

— Je crois que nous ne sommes pas si loin de la Confrérie. Je peux le sentir.

— Et comment peut-on trouver cette Confrérie ?

Je tentai de me souvenir mais mon esprit est encore embrumé. Le Marionnettiste m'avait bousculé, m'avait pénétrée de son pouvoir, si puissamment que j'avais cru voir ma soeur mourir sous mes yeux, c'était douloureux, effroyable, cauchemardesque. J'en hurlais de terreur, de désespoir parce que je voyais, mais j'étais impuissante. Je sentais, mais je n'étais pas là. 

— Il... il y a un repère. Leur palais est masqué par de la magie, mais il y a un repère près de la rivière qui coule à un kilomètre du palais. 

— C'est quoi le repère ? demanda Alexius en détendant ses épaules. 

Le cadavre du Marionnettiste avait été déplacé dans une salle voisine mais la trace de son corps et le sang qu'il avait perdu restaient sur le sol, séchant, marquant le bâtiment de ce combat. 

— Quelque chose d'aussi rouge que le Rubis, mais je ne sais pas ce que c'est. Je sais juste qu'il y a un repère. 

— Alors ne perdons pas de temps, nous n'avons plus de provisions puisque nous avons tout perdu au village de la vallée, nous tiendrons trois jours tout au plus, sans rien pour boire ou manger, déclara Ezekiel. 

Je hochai la tête, Adélaïde et Alexius partirent devant mais lorsque je voulus les suivre, Ezekiel saisit mon bras. Je me retournai vers lui, je me perdis aussitôt dans ses yeux verts. 

— Comment tu te sens ? se soucia-t-il. 

J'en fus même étonnée. 

— Je vais bien, je suis fatiguée, c'est tout. 

— Bien, marmonné-t-il. Merci, Elya, de nous avoir aidé, hier soir. Tu as risqué ta vie pour nous et j'ai entendu ton cri, je sais qu'il t'as tourmentée. 

Je baissai les yeux, déglutis, restai muette. 

— Si tu souhaites en parler, n'hésite pas. Nous... nous sommes une équipe maintenant. 

Il pose sa main sur mon épaule qu'il pressa faiblement alors je sondai à nouveau son regard. 

— Tu fais partie des Derniers Gardiens. 

Je lui souris, puis nous reprîmes la route, quittant cette école abandonnée, laissant derrière nous, cette terrible soirée. Je ne sais pas si je me sentais coupable d'avoir coupé la main de ce sorcier, ou si j'avais de la peine pour lui. Il semblait si sûr de lui, si proche du Nécromancien mais à la fois, cet ennemi de la Nation me paraissait imaginaire, légendaire. En réalité, qui l'avait déjà vu ? Qui s'était déjà réellement confronté à lui ? 

Je l'avais vu, dans une vision, mais uniquement de dos, se donnant la mort, avec une dague remplie de gemmes. Je n'étais pas prête à en parler aux Gardiens, je préférais le garder pour moi, pour le moment. Je sentais qu'ils commençaient à me faire davantage confiance, mais pas suffisamment pour que moi, je leur sois dévouée. Je souhaitais analyser, comprendre, me méfier... et enfin faire un choix. 

Sur le chemin, entre les fourrées et les rochers, en direction du Nord, nous quittions la Montagne, nous descendions son flan, sous un soleil de plomb. Les feuilles gouttaient encore de la tempête de la veille mais les insectes étaient de nouveau sortis, la faune, hydratée pour quelques jours, vivait probablement son meilleur jour, verdoyante, vivante, vivace, étincelante... 

— Alors Elya, raconte-nous un peu la vie que tu mènes à Novendill. On raconte que l'île est pleine de ressource et le peuple, chaleureux et accueillant. 

Je souris en songeant à Sam, à ma maison, à nos amis, aux villageois, à nos balades sur les falaises...

— La vie là-bas est comme dans un rêve... il y fait chaud, le vent est doux, le chant des vagues est perçant mais reposant. Les gens sont accueillants, toujours un mot pour égayer notre journée. C'est une île hors du temps, de laquelle je suis native. 

— Tu nous feras visiter ? Après qu'on ait terminé cette quête ennuyant ? demanda Alexius. 

— Vous pourriez vous y installer, si l'envie vous prend, au moins pour quelques temps, avant que tous les autres ne vieillissent et ne se posent des questions sur votre immortalité. 

Adélaïde pouffa de rire. 

— Tu sais, nous avons été conçus pour vivre longtemps mais nous ne sommes pas immortels. Nous sommes éternels, nous ne vieillissons pas, mais nous mourons de nos blessures, expliqua-t-elle. Néanmoins, je me souviens qu'on nous avait affirmé que dès lors que notre Royaume ne craindra plus le moindre Mal, alors le processus de vieillissement de nos cellules reprendra son cours, comme si le temps avait seulement été figé. 

— Oh... soufflai-je. Est-ce un souhait ? 

— J'aimerais vieillir et fonder une famille, avoua-t-elle. J'aimerais habiter quelques parts et me faire des amis, sans avoir à lever le camp tous les vingt ou trente ans. Alors je le souhaite, oui. 

— Mais le Mal ne meurt jamais, intervint Ezekiel. Même si le Nécromancien est terrassé, un autre ennemi prendra le relai. C'est dans l'équilibre des choses. Il n'y a pas de Bien sans Mal et pas de Mal sans Bien. 

— Rude philosophie et ça m'embête de l'admettre mais... Ezekiel a raison sur ce point, renchérit Alexius. 

— Alors croisons plutôt les doigts et disons-nous que le Nécromancien est le dernier être maléfique que ce monde ait connu. 

— Quel optimisme, me répondit Ezekiel un rictus au coin des lèvres. Digne d'un Guide. 

— Parlez-moi de Léane. 

— Oh, tu connais son nom alors, s'étonna Adélaïde. 

— Je suppose que mes pouvoir se développent. 

J'apprenais des choses, je vivais des choses, je voyais et sentais des choses. Tout se développait, mes sens, mes envies, mes croyances. C'était une évolution massive et rapide, inattendue mais bienvenue. J'appréciais ce sentiment de sagesse et de savoir qui prenait place en moi. Malgré mes réticences et ma méfiance, je me sentais liée à eux autant qu'ils se sentaient liés à moi. C'était inédit, puissant et plaisant. Mais parfois, je n'osais même pas m'approcher d'eux, de crainte de ressentir trop de choses. 

— C'est une bonne chose, commenta Ezekiel. 

— Et Léane, alors ? 

— Elle avait quatorze ans, mais un très fort caractère, expliqua Alexius. Elle te ressemblait, elle avait de très longs cheveux bruns avec ces mèches blanches. La seule différence, c'est qu'elle avait les cheveux raides. Mais ses yeux étaient gris, eux aussi. Elle était maigrichonne, plus petite que toi, plus innocente aussi... 

— Elle avait un savoir illimité, poursuivit Adélaïde. Parfois, c'était même elle qui nous apprenait des choses sur la nature, les plantes qu'on pouvait trouver, les animaux qu'on pouvait croiser. C'était une encyclopédie à elle toute seule. Tout comme toi, ses dons se sont développés au cours de notre voyage. 

— Après le combat contre le Nécromancien, elle a pu retrouver sa famille ? 

Un court silence plana. Ezekiel s'apprêta à parler lorsque le bruissement des feuillages nous fit nous arrêter. Il posa la main sur le manche de son épée et regarda autour de lui. Des grognements retentirent et bientôt, un animal se jeta sur Alexius qui roula sur le sol pour l'éviter. C'était une hyène, rapidement accompagnée d'autres de ses congénères. 

Les Gardiens sortirent leur épée, je me retrouvai au milieu, ils me protégeaient. Ils blessèrent des hyènes qui prirent la fuite sauf deux qui finirent le coeur transpercée. Elles étaient en meute, nombreuses et affamées. L'une d'elle saisit de ses crocs, le bras d'Adélaïde qui poussa un grognement de douleur. La bête la tirait en avant, arrachant ses chairs. J'attrapai une pierre que je lui jetai dessus pour la faire fuir, ce qui fonctionna. Bien qu'elle revint à la charge la seconde qui suivit. 

— Courez, vite ! ordonna Alexius. 

Nous nous mimes à courir. Les branchages me fouettaient, la route était pendue, irrégulière. Les hyènes nous suivaient en poussant leur fameux cri hystérique. Je m'efforçai de ne pas regarder derrière moi, le souffle court, les mains devant le visage. Une branche me griffa la joue, l'autre me tira les cheveux, une autre écorcha mon bras en arrachant un bout de ma chemise et enfin, ma cheville se tordit sur une racine qui sortait de la terre. Je tombai à la renverse sur la pente et entraînai Ezekiel avec moi. La chute sembla durer une éternité, je me cognai contre une pierre, puis contre d'autres racines et des branchages avant de finir à plat ventre sur le Gardien, le souffle coupé. Les Hyènes abandonnèrent notre poursuite, elles s'intéressèrent davantage à Alexius et Adélaïde. 

Je grimaçai, le souffle court et appuyai sur son torse pour me redresser. Cependant, je me trouvai nez à nez avec l'une d'elle, ses crocs en évidence, sa bave dégoulinant de ses babines. 

— Ne bouge plus, me murmura Ezekiel allongé sur le dos. 

J'étais presque à califourchon sur lui, immobile, tétanisée. Je fixai l'animal droit dans les yeux, je sentis mon coeur bondir hors de ma poitrine mais je songeai au plus profond de moi, à ce qu'elle comprenne que je ne lui ferai aucun mal mais que je voulais qu'elle parte. Au bout de quelques secondes de confrontation de regard, elle finit par faire volte face et disparaître dans les fourrées. 

Je ne m'étais même pas rendue compte que j'étais restée en apnée. Je fermai les yeux, soufflai de soulagement puis me souvins que j'écrabouillai Ezekiel. Je me poussai aussitôt, il s'assit dans l'herbe et épousseta ses bras. Enfin, il passa sa main dans ses cheveux puis me jeta un regard, les sourcils haussés. 

— La faune te comprend, constata-t-il. 

— Quoi... balbutié-je. 

— Cette Hyène est partie, parce que tu le lui as demandé. C'est cela, tes dons. 

Je frottai mes mains pleines de terre puis me relevai. Enfin, je tendis ma main à Ezekiel qui la saisit après hésitation. Je le tirai vers moi pour qu'il se relève, levai la tête pour le regarder à présent. 

— Tu apprendras tout cela, tu verras. Tout viendra naturellement, lorsque le moment sera venu. 

— C'est...tellement étrange. 

— Mais n'est-ce pas fantastique que de te sentir connectée à ton environnement ? J'aime analyser les moindres de petites choses qui m'entourent mais si seulement j'avais ce don... je... je crois que je serais là où est ma place. 

— N'est-ce pas d'être un Gardien, ta place ? 

Il contracta ses mâchoires, afficha un rictus qui s'effaça bien rapidement. 

— Je n'aime pas être un Gardien. 

— Pourquoi ? 

Il ramassa son fourreau quelques mètres plus loin, le rattacha à ses hanches puis se tourna vers moi. 

— Viens, retrouvons Adélaïde et Alexius avant la nuit ou nous devrons camper sans eux. 

Je hochai la tête lorsque je le vis partir en direction du Nord, poussant quelques végétations sur son passage. Je regardai autour de moi une dernière fois, puis le suivis, docile, encore chamboulée par cette rencontre sauvage. 

Je le sentais en moi, ce don. J'étais leur Guide. Cela ne faisait plus aucun doute. 

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