16 ♦ Le Marionnettiste

"Il lui suffisait d'un geste, pour écrire une histoire."


ALEXIUS


Par un miracle quelconque, après notre évasion du village de la vallée, nous avions rejoint la montagne et suivis un sentier formé par le temps. Comme un écho, nous avions entendu la voix d'Élya nous appeler, nous demander de la trouver. Il ne nous fallut que quelques minutes pour tomber sur elle, sur le point de se noyer, dans le fleuve qui traversait la montagne. Nous parvînmes à la sauver de justesse mais épuisée par son combat, elle perdit connaissance dans les bras d'Ezekiel.

L'orage qui approchait menaçait de nous tomber dessus comme une massue, mieux valait s'abriter le temps qu'Élya reprenne des forces.

Nous fîmes un grand tour dans la grande cour de récréation et j'enfonçai la porte arrière dans un fracas résonnant en plusieurs échos. Adélaïde rentra la première, son épée à la main et Ezekiel le suivant, Élya dans les bras. Je refermai la porte derrière moi, après avoir vérifié les alentours. L'endroit était plutôt sombre mais suffisant pour la nuit. Un bruit de goutte d'eau constant perturbait le silence glacial.

— J'espère que ce sorcier n'est pas rentré dans sa tête, commença Adélaïde en entrant dans une salle de classe pour inspecter les lieux.

— Fais confiance à Élya, elle a réussi à s'enfuir, rétorquai-je en inspectant la salle juste en face de la sienne.

Ezekiel installa Élya assise contre le mur. Il la déposa délicatement sur le sol, s'assurant que sa tête ne frappait pas le mur et il resta accroupi devant elle, à prendre son pouls.

— On ne sait jamais... les Marionnettistes sont puissants, ils trompent l'esprit, le manipulent... confia Adélaïde.

— C'est un Guide, elle sait résister à ce genre de magie, assurai-je.

Nous nous rejoignîmes dans le couloir, là où Ezekiel se redressait tout juste.

— Tu as peur pour ton Rubis et c'est compréhensible. Ne nous hâtons pas à croire que le Marionnettiste connaît son emplacement sans en être certains. Laissons Élya se réveiller et nous verrons ce qu'elle a à dire, intervint Ezekiel.

— Te voilà bien sage et réfléchi pour une fois, commentai-je.

— Tu veux que j'aggrave l'état de ton nez ?

Je lui souris et secouai la tête.

— La bosse que j'arbore me rend davantage sexy. Merci, ces dames seront ravies.

Il leva les yeux au ciel, réprimant un sourire. Nous nous tournâmes vers Élya lorsque nous l'entendîmes gémir. Adélaïde se précipita vers elle, s'agenouilla devant elle et fut la première personne qu'elle vit en ouvrant les yeux. Elle fronça les sourcils, se gratta les cheveux et se redressa difficilement, le teint pâle et des cernes sous les yeux. Entre la fièvre et son évasion, il y avait de quoi être secouée, elle qui n'avait rien vécu jusqu'ici.

— Où est-ce qu'on est ?

— Dans une vieille école, à en déduire par les salles de classe et les dessins sur les murs, rétorquai-je.

Élya s'appuya sur ses mains pour se redresser mais Adélaïde posa la sienne sur son épaule pour la retenir.

— Doucement, tu as fait une chute de plusieurs mètres et tu as bien failli te noyer, tu dois te ménager quelques temps.

— Non, vous ne comprenez pas, commença Élya la voix enrouée.

Ezekiel qui observait les dessins sur les murs se retourna vers elle.

— Le Marionnettiste, il est... il est ici...

Comme si le temps jouait en sa faveur, le premier grondement du tonnerre retentit après ces mots. Nous nous regardâmes tous les uns après les autres avant d'entendre le crissement strident d'ongles griffant un mur à la peinture craquelée. L'endroit était pauvre en luminosité, la nuit tombait à l'extérieur, les éclairs furent notre seule source de lumière. Ils nous permirent de distinguer la silhouette du sorcier, au bout du couloir, qui avançait vers nous, lentement, encapuchonné.

— En temps normal, c'est le loup qui se trouve dans la bergerie mais voilà que les petites brebis égarées entrent dans la tanière du loup... déclara-t-il de sa sinistre voix.

Ezekiel dégaina son épée, lentement et je l'imitai, Adélaïde était déjà équipée de la sienne. Le sorcier s'arrêta au milieu du couloir, comme une ombre fantomatique, les bras de part et d'autre de son corps filiforme, les doigts écartés, la posture voûtée.

— Je sais où se trouve le Rubis... avoua-t-il d'une voix chantonnante.

Pour nous narguer, pour sûr.

— Il... il faut partir, balbutia Elya.

Lorsqu'elle voulut se relever, le Marionnettiste tourna simplement sa tête vers elle. La sienne heurta violemment le mur qui se fendit son le choc brutal de son crâne. Adélaïde ne put attendre plus longtemps et lança l'assaut. Mais alors qu'elle s'élançait vers lui, l'épée brandie, tenue à deux mains, elle s'immobilisa à à peine deux mètres de lui. Lorsque je voulus intervenir, Ezekiel tendit son bras qu'il colla contre mon torse pour m'arrêter. Nous pûmes voir Adélaïde trembler, elle baissa son épée, la lame frôla le sol, ses bras tremblaient de plus en plus fort.

— Je ne vais pas résister longtemps... nous prévint-elle.

— Il ne faut pas le laisser entrer dans votre tête ! cria Elya dans une plainte, la main sur sa tête.

Ezekiel ferma les yeux, les mâchoires serrées mais moi, je ne pouvais concevoir de voir ma camarade dans un tel état. De l'autre côté, le Marionnettiste bougeait ses doigts, comme si Adélaïde devenait son pantin et que des fils invisibles la contrôlaient. Elle se tourna vers nous, non sans difficulté. Elle grimaçait, se contractait.

— Adé, allez, tiens bon... murmuré-je pour moi-même.

Je resserrai ma poigne autour de mon épée et elle se rua sur nous la seconde qui suivit. Ses gestes n'étaient pas cohérents, son épée en l'air, c'est Ezekiel qui para sa première attaque alors que je reculai d'un pas. Il m'était inimaginable que de me battre contre l'un d'entre eux.

— Oh, je vois... grommela le Marionnettiste, en voilà un qui n'a pas froid aux yeux.

Le sorcier usa de son autre main pour prendre le contrôle de mon corps. Non pas pour me battre contre Ezekiel, mais pour me battre contre moi-même. Je retournai l'épée en ma direction et appuyai la lame contre mon ventre. La cotte de maille que je portais n'était rien comparé à nos armures, mon épée pouvait la transpercer si facilement. Je me mordis la langue, ancrai mes pieds dans le sol, contrai sa puissance magique. Je sentis la pointe déconnecter les mailles petit à petit et plus je forçai, plus mes dents grinçaient entre elles, je ne parvenais même plus à avaler ma salive.

Ezekiel se battait contre Adélaïde qui, elle aussi, luttait contre la magie du Marionnettiste. Il parait ses attaques à la perfection, en ne lui jetant presque aucun regard, pour ne pas laisser une chance au monstre qui s'amusait de nous.

— El-ya... balbutié-je entre mes dents, la pointe chatouillant la peau de mon ventre. Aide-nous...

La Guide avait plus de pouvoir spirituel que nous trois réunis. Elle, elle avait la force d'un esprit pur, magique et visionnaire. Le seul esprit avec lequel le Marionnettiste ne pouvait jouer. Sans les Gemmes, sans nos armures, nous étions vulnérables comme n'importe quel autre chevalier.

Je pus la voir du coin de l'oeil, elle se releva tout en s'aidant du mur et elle s'approcha de moi. Elle posa ses mains sur les miennes et tenta de me faire lâcher mon arme, en vain. J'étais aussi droit qu'une statue, aussi dur qu'une pierre.

— Non, le sorcier ! Désarme-le ! grogné-je.

Adélaïde donna un coup de pied dans le ventre d'Ezekiel qui se cogna contre le mur derrière lui et perdit son épée. Aussitôt, elle se jeta sur lui et planta son arme dans le mur, la lame sciant la peau de son cou. Elle s'immobilisa, les yeux grands ouverts, Ezekiel luttant contre elle et ignorant sa blessure. Elle s'efforçait de ne pas agir, elle avait réussi à détourner son coup, mais pour combien de temps ?

Elya récupéra l'épée au sol, elle parut lourde entre ses fines mains, soulevée par ses bras maigrichons. Néanmoins, elle trottina en direction du sorcier, poussa un cri pour se donner de la force, leva son épée. Un éclair fendit le ciel, nous fumes plongés dans les ténèbres un fraction de seconde, la suivante, la main du marionnettiste tombait au sol accompagnée d'effluves sanguines. Aussitôt, je lâchai mon épée et Adelaide recula d'un pas, comme si un lourd poids quittait ses épaules et les miennes.

Ezekiel se décala sur la droite et posa aussitôt sa main sur son cou, le sang coulant entre ses doigts. Quand je voulus l'approcher, il me repoussa :

— Vas vite aider la Guide ! ordonna-t-il

Je me précipitai alors sur le marionnettiste qui plaqua Élya contre le mur, appuya sa main sur son visage. Cette dernière poussa un hurlement déchirant alors qu'il lui murmurait des paroles inaudibles. Je le saisis à la taille et le fit tomber à la renverse. À califourchon sur lui, lorsqu'il s'apprêta a user de sa magie, j'abattis mon poing contre son visage liquéfié par ses cicatrices. Je levai mon autre bras et le frappai à nouveau, puis une autre fois. Je sentis une rage indescriptible en moi, parce qui me souriait, il me riait au nez, il me rendait fou.

— Fais-le, balbutia-t-il des dents manquantes. Coupe moi la tête ou je continuerai à jouer avec ton esprit.

Je me relevai, le souffle court, haletant, les yeux grands ouverts, à moitié aveuglé par les éclairs. Je récupérai mon épée que je laissai traîner au sol en avançant jusqu'au sorcier allongé sur le sol. Je me postai à sa droite, pris le manche entre mes deux mains.

— Me couper la tête ne te libérera jamais de ta culpabilité. Le Rubis, le Saphir et l'Emeraude seront bientôt entre les mains de leur véritable maître. Mon Maître. Vous êtes...

Je poussai un cri puis lui tranchai la tête d'un coup de lame. J'y mis tant de force que la pointe de la lame se planta dans le sol. Enfin, le tonnerre sembla se dissiper, les éclairs se stoppèrent, les ténèbres envahirent les lieux et le silence nous transperce tous les quatre.

Seuls les sanglots d'Elya résonnaient faiblement, encore sous l'emprise de la sombre magie de notre ennemi.

Était-ce là notre énième échec ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top