Épilogue

— Stephen ! Repose ta petite sœur !

— Elle m'a piqué ma chevalière en or !

— Écoute ta mère, dit Adrian sans relever le nez de son livre.

Stephen souffle et remet Lyse la tête à l'endroit, avant de la déposer à terre. La petite brunette de six ans rigole, plaque sa main sur sa bouche et en sort une bague jaune recouverte de bave.

— Beurk... Super, merci, Lyse.

Pour toute réponse, elle glousse encore plus fort. Je lève les yeux au ciel et me concentre à nouveau sur ma broderie, une plante aux fleurs bleues en forme de cloches.

— Comme je t'envie..., souffle Milène, à côté de moi.

— Ah oui ?

— Tu as des enfants adorables. Les miennes sont de vraies pestes.

— Elles sont douces comme des agneaux, quand je m'en occupe. Elles ont sûrement du mal à digérer le départ de leur père.

Milène souffle et pose son cercle en bois pour boire une tasse de thé. Je jette un coup d'œil circulaire au salon pour vérifier que tout le monde va bien, et mon regard tombe sur celui d'Adrian, assis dans un fauteuil à quelques pas. Il me fait un clin d'œil, que je lui rends avec un sourire.

— Hector ne pouvait pas rester, je leur ai expliqué au moins cent fois. On ne peut pas garder un phœnix en cage.

— C'est quand même pas très pratique, de se révéler en piaf, commente Sara, à quatre pattes près de nous.

Elle se penche pour observer sous son fauteuil, les fesses en l'air. Ses cheveux roux et bouclés effleurent le sol, ramassant la poussière à ma plus grande lassitude.

— Tu as encore perdu ton aiguille ? je lui demande.

— Oui... Je suis désolée, maman, je ne fais pas exprès. Je vais la retrouver, je te promets...

— Tiens, Sara, prends la mienne, soupire Milène en lui tendant. Il faut que j'aille voir si mes filles ne sont pas en train de s'arracher les poils du nez.

— Pourquoi elles feraient ça ? demande Stephen, appuyé contre un meuble, essuyant sa chevalière. Ça fait mal.

— Parce qu'elles sont intenables. Si elles pouvaient être aussi sages que toi à leur âge, j'aurais peut-être moins mal aux genoux.

Elle se lève, époussette sa robe et quitte le salon, ses talonnettes claquant contre les planches de bois. Lorsque les portes se referment dans un bruit sourd, je m'autorise un petit rire.

— Est-ce que tu oseras un jour lui dire que ses filles sont réellement des pestes, maman ? me questionne Sara en se rasseyant, écrasant sa magnifique robe rouge de velours.

— Je suis sa meilleure amie. C'est de mon rôle de lui dire la vérité... ou de mentir un peu pour la rassurer.

— T'es une manipulatrice, en fait...

— Exactement. C'est comme ça que j'ai séduit ton père.

Ce dernier s'esclaffe, sa voix rauque résonnant dans la pièce et électrisant mes sens comme au premier jour.

Il y a des choses qui ne changent pas.

— Tante Fantine raconte que tu t'es servie d'un philtre d'amour, chuchote Sara, les yeux pétillant d'admiration. Est-ce que c'est vrai ?

— Bien sûr que oui. Milène m'a même aidée pour la recette.

Je lève les yeux vers mon mari, qui secoue la tête l'air de dire « n'importe quoi... ». Riant intérieurement, je me focalise sur mon aiguille que je fais passer dans les mailles fines du tissu.

— Woah..., s'émerveille ma fille, gobant absolument tout ce que je dis.

Sara a toujours été d'une nature très naïve et innocente, contrairement à Stephen qui, lui, sait lire entre les lignes avec une clairvoyance déconcertante. Les deux aînés sont diamétralement opposés, et à mes yeux, c'est toujours un mystère : comment ai-je pu engendrer deux enfants si différents ?

Lyse semble plus correspondre à son frère. Née quatorze ans après eux – alors que les médecins m'avaient affirmé que je ne pourrai plus jamais avoir d'enfants, dû à une vilaine maladie dont je n'ai jamais retenu le nom –, elle ressemble comme deux gouttes d'eau à Adrian, avec ses cheveux sombres et épais, ses yeux noirs et ses pommettes saillantes. C'est une petite fille magnifique, et certainement une reine en devenir.

Je sens plus que je ne vois Adrian se lever et venir s'asseoir près de moi. Il s'installe sur le fauteuil où se tenait Milène plus tôt, et pose une main sur ma cuisse. Ni trop bas pour me laisser indifférente, ni trop haut pour alerter les enfants. Son odeur divinement épicée de gingembre envahit mes sens et galvanise mes neurones.

— Tu t'en sors ?

— Bien sûr, ça fait plus de vingt ans maintenant que je brode.

— Je ne parlais pas de ça.

Un soupir m'échappe tandis que mes épaules s'affaissent. Je me laisse aller un petit peu, un tout petit peu contre lui, et il pose sa tête sur mon épaule.

— J'en parlerai à Milène, c'est promis.

— Ne traîne pas trop. Tu pourrais garder quelques séquelles.

— C'est encore la mauvaise vue de maman ? lance Sara.

— Tu pourras plus jamais voir mes beaux yeux, maman ? me demande Lyse, qui est apparue sans bruit, tirant sur ma robe.

Mes lèvres s'étirent et je caresse le visage encore rond de ma petite dernière.

— Je pourrais toujours les voir, ne t'inquiète pas. Et puis, maman va demander à tante Milène de la soigner.

— Tante Milène elle sait guérir les yeux ?

— Bien sûr. Elle sait tout faire.

— Sauf élever des enfants, marmonne Stephen.

Il s'ébouriffe les cheveux, créant plus d'épis qu'il n'en a déjà. Et, malheureusement, je dois plisser des paupières pour voir son visage correctement.

Comme quoi, être un dragon ne vous immunise pas contre les aléas de la maturité. Ma vue a commencé à se détériorer il y a deux semaines, et s'aggrave de jours en jours. Même si pour le moment, ce n'est pas dérangeant, je crains que ça le devienne au fil du temps.

— Tu veux que j'aille te faire demander un peu plus de thé ? souffle Adrian contre mon oreille.

— Je veux bien, merci. Tu ne veux pas t'asseoir avec moi, et laisser ton livre barbant quelques minutes ?

— Il n'est absolument pas barbant. Et je reviens dans un instant. Ne bouge pas.

Il dépose un baiser sur ma joue et se lève, emportant avec lui sa douce chaleur. Lyse tire un peu plus sur ma jupe pour attirer mon attention, et plante ses grands yeux pleins d'étoiles dans les miens.

— Maman, tu veux bien encore nous raconter l'histoire de Yanos le loup-garou ?

•⚔︎•

Le vent fouette contre mon visage comme s'il voulait me faire basculer. Les cheveux fous, les yeux fermés, je savoure la fraîcheur et le bien-être qui émanent de cet endroit.

Je suis rarement revenue en haut de la tour de Clarté, depuis la prophétie. Mais ce soir, j'en avais inexplicablement besoin. Mes ailes déployées dans mon dos offertes à la caresse de l'air en témoignent. J'ai envie de voler. J'ai envie de retrouver mon apparence primitive. J'ai envie de faire palpiter la magie dans mes veines.

Le souvenir de mes conversations avec mon élément se ravive dans mon esprit, rejouant la scène encore et encore. Il y a presque vingt-et-un ans de cela, je me battais contre Adrian dans la forêt sous mes pieds. Quelques mois encore en arrière, je labourais l'un des champs au loin, sans me douter de quoi que ce soit. À me demander qui je pourrais bien être si ma vie avait été différente.

L'odeur des chênes, des sapins et du bois virevolte autour de moi, comme les rayons du soleil couchant qui jouent sur ma peau. Étrangement, le crépuscule semble toujours plus beau depuis cet endroit. Plus majestueux. Plus coloré. Est-ce la hauteur ou l'aura qui se dégage ? Aucune idée. Mais c'est magnifique.

Je secoue mes ailes derrière moi, enfiévrée par les émotions que leur présence me procure. J'ai l'impression de redevenir la Ciel de seize ans, qui pouvait encore rire avec Yanos et trouver des excuses pour passer du temps avec son prince. Désormais, l'un est parti, menant sa petite vie de son côté, et l'autre me demande presque tous les jours de rester avec lui. Sous ses airs de roi impitoyable se cache un homme en sucre qui réclame autant de câlins que ma fille cadette. Et bien sûr, je suis incapable de lui refuser.

L'homme dont je suis tombée éperdument amoureuse, qui m'en a fait voir de toutes les couleurs et qui, finalement, a passé une bague à mon doigt, est sûrement la meilleure chose qui me soit arrivée. Il a bouleversé ma vie, mes raisonnements, mes pensées. Il m'a appris à avoir confiance en moi et en lui. Il m'a enseigné l'art d'être heureuse à ses côtés. Il m'a fait découvrir qu'il n'existe pas que le Bien et le Mal, mais aussi la rédemption et la déchéance. Que tout n'est pas blanc ou noir. Qu'il y a d'infinies nuances de gris, et qu'on peut se battre pour tout ce que nous jugeons juste. Et que nous n'avons pas toujours raison.

Finalement, lorsque je compare la Ciel d'aujourd'hui à celle d'autrefois, j'aperçois quelque chose. Comme une fissure par laquelle filtre une petite lumière. Une brèche. Une réponse.

Qui serais-je si ma vie avait été différente ?

Eh bien, c'est simple. Je serais la même femme, mais avec un époux formidable, des enfants qui me rendent heureuse et de la magie coulant dans mon âme. Je serais une femme forte qui a affronté la vie à deux mains. Je serais la femme que je suis aujourd'hui.

Je souris en ouvrant les yeux. Nous avons fait un immense pas en avant...

... et aucun en arrière.

FIN

⚜️

Oh, mon dieu, je me sens tout bizarre... c'est indescriptible. Je viens de finir Les Derniers Dragons. Je viens de finir mon premier roman. J'ai réussi à aller jusqu'au bout.

Les derniers chapitres ne sont pas très longs parce qu'il n'y avait pas besoin d'ajouter plus. J'ai écrit ce que j'avais à écrire, j'ai raconté ce que j'avais à raconter. Et je peux enfin cocher le bouton « histoire terminée ».

Je suis tellement reconnaissant à tous ceux qui m'ont soutenu, qui ont été là depuis le début ou qui sont arrivés en plein milieu, qui ont pris le temps de lire, voter et commenter, partager leur ressentis et être là pour moi. J'ai du mal à réaliser que LDD soit fini. Réellement fini. Caput, adios, plus de nouveaux chapitres. Ciel et Adrian vont continuer leur vie, sans nous.

Si je devais vous poser une seule question, ce serait : quelle morale tirez-vous de cette histoire ?

Je pense personnellement que ce serait qu'il n'y a pas de Bien et de Mal à proprement parler. Qu'il y a des personnes imparfaites, des personnes qui se battent, des personnes qui ont peur. Et que c'est normal. Et que ce n'est pas pour ça qu'ils ne méritent pas d'amour.

Je vous fais d'énormes, des milliers de bisous à chacun de vous, et vous dis merci à l'infini. Vous êtes les meilleurs lecteurs ❤️

Artem - @artemement

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