88. Sara et Stephen
Un cri retentit dans la chambre. Strident, plein de détresse, comme si on était en train d'égorger quelqu'un. Suivi d'un deuxième, tout aussi horrible.
Je remue entre les draps, et ma tête vient se cogner sur l'épaule d'Adrian. La fatigue alourdit mes paupières, si bien que j'ai un mal fou à rester un tant soit peu éveillée.
— C'est ton tour..., grogné-je.
Il marmonne quelque chose que je n'entends pas, et se retourne vers moi. Je me blottis instinctivement contre son torse, avant de me rappeler ce que je lui ai demandé.
— J'y suis allée, tout à l'heure, c'est à toi...
— Noooon.
— Allez...
Je repousse son torse du plat de la main et enfonce mon visage dans un oreiller chaud. Les cris redoublent d'intensité, me donnant un mal de crâne si puissant que si le château me tombait sur la tête, je ne le sentirais même pas.
— Demande... à Fantine...
— 'Chai pas où elle est, dis-je en tentant une nouvelle fois de l'extraire du lit.
Il vient nouer ses bras autour de ma taille et se coller à moi, bougonnant qu'il veut dormir.
Et les pleurs continuent. De plus en plus fort.
— Rappelle-moi l'quel de nous deux a voulu des enfants ?
— C'était un accord commun.
Il frotte sa joue contre mon épaule, mais il ne m'amadouera pas aussi facilement – c'est à lui d'aller chercher les bébés. À peine un mois, et déjà de vrais crâneurs.
En plus, il a fallu qu'ils soient jumeaux...
Comme si un seul ne suffisait pas pour pourrir notre sommeil.
— Adrian...
— D'accord, d'accord, j'y vais ! Je vais les chercher ! 'Peut même plus pioncer tranquille, dans cette famille...
Famille. Le mot m'arrache un sourire. Car oui, c'est ce que nous sommes, désormais. Un papa, une maman et des enfants. Des héritiers. De beaux héritiers.
Adrian repousse la couverture et trottine jusqu'aux landaus abrités près de la fenêtre. Les bébés gazouillent à l'approche de leur père, et ce dernier devient tout sucre en les prenant dans ses bras. Il ne l'avouera peut-être jamais, mais Adrian adore les enfants. Je crois que ça lui donne l'impression d'avoir créé au moins une belle chose dans sa vie. Lui qui n'a engendré que destruction, voir ces petites créatures aux cheveux roux et bouclés doit l'emplir de fierté.
Il revient vers le lit, et je me redresse pour accueillir les marmots qui agitent leurs jambes dans le vide. J'enlève mon haut, me retrouvant dénudée, et deux bouches ne tardent pas à s'accrocher à mes seins douloureux – seins qui ont doublé de volume, depuis quelques mois, merci la maternité.
— Ça va aller ?
— Oui, merci. Tu peux te rendormir.
— Mh.
Adrian plante un baiser sur mon front, puis se recouche sans un mot. Je ne peux pas lui reprocher sa fatigue. Si j'étais à sa place, j'agirais exactement de la même manière. À peine nos héritiers ont-ils vu le jour que notre sommeil s'est envolé. Fini, les matinées à se prélasser dans les draps comme nous aimions le faire. Désormais, c'est pipi, pleurs et courbatures.
Romantique à souhait.
— Bande de crapules..., chuchoté-je à mes deux bébés qui tètent avec un bruit de succion. D'adorables crapules.
Stephen et Sara. Un garçon et une fille. L'un héritera de la couronne, l'autre deviendra une femme puissante. Mais pour l'heure, ce sont deux bambins hybrides qui ne gèrent pas leurs pouvoirs, et qui ne cherchent qu'à manger et dormir. Deux dragonnets gris. Deux cœurs qui palpitent.
Je souris, heureuse d'être en vie avec Adrian, et d'avoir réalisé exactement ce que nous voulions. La paix. Une infinie paix, sans combats contre un élément démoniaque, sans deuils douloureux de loup-garous et sans prophétie insolubles. Juste nous et notre famille. Nos amis. Notre royaume.
Milène est devenue tellement puissante qu'elle a surpassé Julien. J'ai reçu une lettre de Yanos, il y a trente jours, disant qu'il allait très bien et qu'il était très heureux avec sa meute à vagabonder un peu partout. Et que je lui manquais. Je garde sa missive très précieusement dans ma table de chevet. Frey se remet de la mort d'Ophiucus, et je le vois d'ailleurs de plus en plus traîner avec le garde d'Arces – je ne lui souhaite que du bonheur, et si ça passe par un autre homme, alors qu'il en soit ainsi. Frey est jeune, il doit profiter de la vie. Et nous également.
Étrangement, j'avais peur que ma vie devienne vide de sens, une fois les problèmes derrière nous. Je craignais d'avoir pris goût à l'adrénaline, et d'être incapable de me satisfaire d'un quotidien sans trop d'embûches. Il s'est finalement avéré qu'élever des jumeaux met un certain piquant à mon quotidien. Et puis, Adrian veille scrupuleusement à notre bonheur à tous. Je ne l'ai jamais vu si souriant et si dévoué. Obscurité dépeignait sur lui encore plus que je ne l'imaginais.
Je me suis également rendue compte qu'être libérée de l'emprise de Clarté avait opéré quelques changements : j'ai pris conscience que ce n'était pas mon amour pour Adrian qui l'avait changé, mais que c'était son amour pour moi. Que désormais, je lui ressemble un peu plus. Que je fais plus de colères. Que je suis plus égoïste. Que j'accepte moins mes erreurs. Adrian dit que ce sont les hormones dues à la grossesse qui m'infligent ça, mais je sais au fond que ce n'est pas vrai. Quelque chose à changé dans mon cœur, quelque chose qui me rend moins pure et plus humaine.
Je ne suis plus la fille de la prophétie, je suis juste une fille. Et ça me convient très bien.
Stephen plante ses mâchoires dans ma peau, et je lâche un couinement. Il n'a peut-être pas encore de dents, mais quand il mord, ça fait mal. Surtout que les allaitements rendent mes mamelons sensibles, et que je ne supporte plus la moindre égratignure.
Là, je veux bien croire que ce sont les hormones. Je ne suis pas une telle chochotte, d'habitude.
— Petit monstre. Petit monstre tout roux et tout mignon.
— 'Ch'essaye de dormir, Ciel..., grogne Adrian, le visage étalé sur son oreiller.
— Pardon. Je me tais.
Il tourne la tête dans ma direction, et je discerne un sourire étirer ses lèvres malgré l'obscurité. Sa main tâtonne jusqu'à moi, trouve ma jambe et vient effleurer mes mains enserrées sur les bébés.
— Je t'aime.
— Moi aussi.
— Je suis fier de toi.
Quelque chose rayonne en moi. Quelque chose de magnifique.
— Moi aussi.
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