78. Trois loups, deux dragons, une magicienne et un espagnol
Boum. Boum. Boum.
Le pouls d'Adrian est faible, mais pulse régulièrement. Tout comme Yanos, une morsure profonde ronge son cou, malheureusement trop pour que je ne puisse les guérir sans laisser une vilaine cicatrice. Les doigts de chaque main posés sur leur peau, le visage crispé sous l'effort, je m'efforce de les soigner du mieux que je peux grâce à la magie.
Jake s'est laissé tombé au sol, sous le choc, le regard dans le vague. Son attitude ne dégage plus une once d'agressivité – au contraire, il semble incroyablement las.
Une goutte de sueur échoue sur ma paupière, et même si elle me démange, je n'ose bouger pour l'essuyer. Purifier l'âme de Jake m'a déjà pris énormément d'énergie : je dois m'économiser pour mettre les deux hommes hors de danger. Pas question de faire la moindre action inutile.
Puisant dans une volonté que je ne soupçonnais pas avoir, je pulse la magie dans mes veines jusque dans les leurs, refermant doucement mais sûrement leur plaie. Ils sont toujours inconscients et immobiles, ce qui n'est peut-être pas plus mal : je n'aurais pas pu fournir le même travail s'ils étaient en train de gigoter.
— Comment fais-tu ?
Je relève les yeux vers l'homme espagnol qui me dévisage. Impossible de savoir à quoi il pense : son expression est indéchiffrable.
— Faire quoi ?
— Ça.
Je prends une seconde pour réfléchir. À vrai dire, je n'en sais rien : est-ce l'entraînement où est-ce inné ? Manier la magie me paraît tellement naturel, mais si je m'en remets à mes premiers essais, je n'avais pas autant de dextérité qu'aujourd'hui.
— Je suis un dragon qui descend d'une lignée de puissants mages. J'ai été formée pendant plusieurs semaines, et j'ai eu de nombreuses occasions d'expérimenter mes pouvoirs. On ne peut pas dire que je ne pars de rien.
— Non, pas ça. Je veux dire, comment fais-tu pour être aussi calme ? Aussi... concentrée ? J'ai essayé de te tuer. J'ai failli tuer tes meilleurs amis. Je suis tout ce que tu rêves de détruire. Comment gardes-tu ton sang-froid ?
— Je n'ai pas vraiment le choix, murmuré-je d'une voix éteinte.
Il ne dit pas un mot, et moi non plus. Il n'y a plus rien à ajouter.
Alors que mon esprit se met à divaguer et que je perds mon attention quelques secondes, je sens Yanos bouger sous mes doigts. Il inspire à grandes goulées, puis prend le temps d'expirer, se réveillant doucement.
Je m'efforce de me reprendre ma concentration – je ne peux pas me permettre d'être négligente. Pas maintenant. J'ignore la fatigue de mes muscles crispés et envoie plus de magie en eux. Désormais, il ne leur reste plus qu'une cicatrice sensible et rougie de la forme des dents de Jake, ni belle à voir, ni facile à guérir.
— C...
Yanos bégaye quelque chose. Je me penche vers lui, approchant mon oreille de sa bouche, et ferme les yeux pour mieux l'entendre.
— Ciel...
— Je t'écoute, Yanos.
— Tu... Tu crois que les vampires existent ?
Je fronce les sourcils un instant, ne sachant que répondre. C'est en me redressant pour croiser ses orbes verts que je me rends compte qu'il fait une blague.
— Eh bien, disons que les évènements récents peuvent porter à croire qu'ils sont réels. Tu es bien un loup-garou, après tout.
Il porte sa main à son col et tâte sa blessure, grimaçant légèrement.
— Je ne bouffe pas de la viande vivante, moi, grommelle-t-il.
— Encore heureux, souffle une deuxième voix masculine à ma droite.
Adrian papillonne des cils quelques secondes, ayant plus de difficultés à reprendre ses esprits. Du sang séché macule sa joue et sa barbe, et quelques plumes noires sont coincées dans ses cheveux et ses vêtements.
— Je t'aurais tué pour ça, continue le prince.
— Vous avez essayé de me tuer pour moins.
— Et le pire, c'est que je n'ai même pas réussi.
Pendant une seconde, le silence retombe, puis Adrian et Yanos se mettent à glousser, avant de partir d'un véritable rire franc. Je me laisse porter par leur hilarité, surprise mais heureuse de leur complicité si rare. Même les épaules de Jake se détendent.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? demande le général aux yeux verts en se redressant, les traits visiblement douloureux.
— C'est pas vraiment important. Tout ce que tu as à savoir, c'est que Jake n'est pas prêt de faire du mal à nouveau, ni même de servir d'apéritif à Obscurité.
— Où est-il ? grogne Adrian.
Je jette un coup d'œil furtif vers le concerné, qui n'a pas bougé, et ne semble même pas inquiété de ce qui pourrait lui arriver.
— Je suis là, Adrian, lance-t-il avec une nonchalance déroutante.
— Espèce de sale...
— Je pense que tu n'es pas en mesure de me faire la morale, coupe l'espagnol. Dois-je te rappeler lequel de nous deux a égorgé la femme de l'autre par colère ?
Adrian se fige. Ses lèvres sont retroussées et son regard assassin, mais les paroles de Jake l'ont glacé dans son élan.
— J'étais... sous l'influence... d'Obscurité..., gronde-t-il en articulant chaque syllabe.
— Moi aussi. Nous sommes quittes.
— Pas nous, en revanche, contredit Yanos qui vient de se lever, époussetant son pantalon couvert de poussière.
J'hésite à m'interposer : est-ce sage – est-ce seulement juste – de prendre la défense de Jake ? Chacun a sa part de faute.
— On va tous se calmer, tenté-je en montrant mes paumes dans un geste apaisant. Ce n'est plus utile de nous monter l'un contre l'autre. Plus nous serons nombreux face à Obscurité, moins elle pourra nous atteindre. J'ai purifié l'âme de Jake, alors à moins que tout le mal de l'univers s'abatte sur lui, il n'est plus une menace.
— Je ne suis pas sûr qu'il soit une grande perte. Nous devrions...
Yanos s'interrompt, et brusquement, prend une posture défensive, presque animale. Il se met à renifler l'air, à l'instar d'un chien, et ses yeux scrutent les alentours comme s'il voyait des choses qui nous sont invisibles.
— ... Sous-fifre ? Yanos ?
— Chut, siffle-t-il, aux aguets.
Un grondement sourd s'échappe de sa gorge, et je jurerais avoir vu ses pupilles briller d'un éclat doré dans la pénombre. Le voir ainsi, comme une bête alarmée alors que je ne ressens rien, m'angoisse au plus haut point. Qu'a-t-il entendu ? Que lui souffle son instinct lupin ?
— Frey, déclare-t-il en se relâchant tout aussi vite qu'il s'est tendu. Frey nous cherche.
— Comment le sais-tu ? questionne Adrian qui est visiblement tout aussi perdu que moi.
Le loup ne dit rien et se contente d'agiter son pendentif avec l'insigne argenté sous son nez, puis il s'élance vers la porte de sortie. Un peu décontenancés, nous le suivons, traînant un Jake silencieux derrière nous.
Je me dépêche d'accélérer pour ne pas perdre Yanos de vue – les gens semblent prendre un malin plaisir à me faire courir, dans ce château – alors qu'il emprunte de longs escaliers froids. J'entends vaguement Adrian menacer Jake de je ne sais quoi, ce à quoi ce dernier répond d'un hochement de tête, avant qu'ils ne m'emboîtent le pas à leur tour.
— Frey ! appelle Yanos. Frey, nous sommes là !
Il disparaît derrière l'angle, en haut du couloir, et sa voix résonne sur les murs de pierre. Il crie une nouvelle fois, puis une autre, et enfin, un timbre masculin lui répond.
Complètement essoufflée, je me jette presque sur les dernières marches, les joues brûlantes et les cuisses douloureuses. Je manque de peu de me ramasser, mais un bras musclé et puissant me tire en arrière : Adrian est tellement plus prévoyant que moi.
— Fais attention, me murmure-t-il en passant près de moi, suivant le même chemin que notre meilleur ami.
Jake et moi débouchons en même temps dans le couloir. Nous y découvrons Adrian et Yanos face à un Frey presque aussi cramoisi que ses cheveux, lancé dans une discussion animée.
— Ah, Ciel, me dit-il quand j'approche. J'étais en train de dire qu'Ophiucus m'a chargé de tous vous retrouver.
— Où est-il ?
— Parti voir votre copine magicienne.
— Milène ? Pourquoi lui rend-il visite ? interpelle Yanos.
— Ben, il s'inquiète pour elle, répond le roux comme une évidence.
— Ophiucus s'inquiète pour Milène ? Depuis quand ?
— Depuis qu'il n'est pas un sans-cœur insensible et dénué d'émotions, comme vous semblez vous plaire à croire, assène Frey, piqué au vif.
Les mots de l'oméga suscitent un silence un peu gêné. Nous avons tous fini, d'une manière ou d'une autre, par découvrir la nature de la relation qui lie les deux hommes : les insinuations d'Obscurité et les regards qu'ils se lancent par moments ne laissent aucune place au doute. Alors forcément, le fait que Frey prenne la défense de son compagnon avec une telle hardiesse ne peut que nous rappeler pourquoi.
— Désolé, marmonne-t-il. Je m'emporte.
— Non, ça va... Tu disais donc qu'il est allé voir Milène ?
— Oui. Il vous attend. Il m'a demandé d'aller vous chercher.
— Et que fait le reste de la meute ? questionne Yanos.
— Ils se préparent. On se prépare tous. La pleine lune est demain, et certains se demandent s'ils seront encore en vie pour la voir.
On se le demande tous, songé-je sans oser le dire à voix haute.
— Bon, eh bien... Allons rejoindre Ophiucus.
— Euh, qui est... cet homme ? demande Frey en haussant un sourcil, dévisageant Jake qui est resté jusqu'ici muet.
— Quelqu'un dont je vais personnellement m'occuper. Allez-y, je me soucie de son cas. Je vous retrouverai , dit Adrian avec un regard sombre.
Un frisson me traverse le dos et floute ma vue quelques secondes. Ce regard, je l'ai déjà vu : à chaque fois qu'Obscurité s'empare de lui. Méfiante, j'effleure le bras de mon prince, espérant qu'il ne se laissera pas aveugler par sa colère : la dernière chose dont nous avons besoin, aujourd'hui, c'est d'un bain de sang.
— Adrian... Garde ton sang-froid, d'accord ? chuchoté-je de façon à ce que lui seul m'entende.
Il inspire un grand coup, paupières closes. Je trace des allers-retours par-dessus le tissu de sa chemise souillée, tentant de lui arracher une réaction – un tressaillement, un mot, un hochement de tête, quoi que ce soit qui me prouve qu'il arrivera à maîtriser ses pulsions générées par son élément. Le temps me paraît long, interminable, si bien que l'option de l'accompagner pour lui éviter tout écart me paraît de plus en plus envisageable.
Doucement, il attrape mon poignet et m'attire à lui. Sous les yeux de tous, il pose une bref baiser sur mes lèvres, puis se recule en soufflant un petit « D'accord » d'une voix de velours, ses yeux noirs ancrés dans les miens. Je crois que je vacille : je n'en suis pas sûre, m'étant perdue trop profondément dans ses iris couleur de la nuit. Pendant une fraction de seconde, plus rien n'existe autour de nous si ce ne sont ses prunelles qui m'ont tant marquées la première fois que je les ai vues, et qui n'ont jamais cessé de me troubler depuis.
— Allons-y, Jake, dit-il sans se retourner, rivé sur moi. Tu vas pouvoir retrouver ton cher château. Il a dû te manquer, non ?
Ma main quitte son bras, le contact se brise, le lien s'effondre. Il me lance un petit clin d'œil discret, avant de faire lentement volte-face, entraînant le prince d'Espagne à sa suite. Je reste pétrifiée encore de longues secondes, et il me faut l'intervention de Yanos qui claque des doigts devant moi pour revenir à la réalité, comme une bulle qui éclate.
— Eh, oh, Ciel, tu es avec nous ?
— Euh... oui.
— Il faut que tu te concentres, me reproche-t-il avec un air désolé. On ne peut pas se permettre de divaguer.
Je me retiens de lui balancer que sans mon aide et ma concentration, il serait encore en train de gésir par terre, perdant son sang sur le sol poisseux des cachots. Mais je ravale ma réplique – ce n'est pas le moment. Peut-être plus tard.
Un pas en avant... et un seul pas en arrière.
(NDA : Pour ceux qui s'acharnent à vouloir me dire « C'est pas plutôt giser ? », eh bien non, « giser » n'existe pas, l'infinitif de ce verbe est bien « gésir ». Si vous ne me croyez pas, allez vérifier sur internet avant de me faire la remarque !)
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— Il n'y a pas qu'un seul sang, et aucun n'est mêlé, tu as dit ?
— Exactement. Je me demandais si tu allais pouvoir m'éclairer là-dessus.
— Ça veut dire qu'il y a plusieurs personnes de sang pur. Enfin, je crois...
— C'est ce que je pensais, aussi, mais j'ai le sentiment que quelque chose nous échappe.
— J'ai cette impression aussi...
L'oreille collée contre la porte, nous écoutons la discussion entre Milène et Ophiucus comme trois fautifs hasardeux. Je ne sais même pas pourquoi nous perdons notre temps sur le seuil : à vrai dire, je crois que nous sommes juste tous curieux de voir comment se comportent les deux personnages en la présence de l'autre. L'Alpha et la magicienne n'ont jamais été très proches, ni très amis, mais ils ont toujours su trouver un terrain d'entente qui leur convenait.
— Alors... C'est Obscurité qui t'a fait... ça ?
— Oui. (Elle soupire.) Ce n'est pas beau à voir, hein ?
— Non, en effet. C'est même vraiment moche.
— Merci, Ophiucus. Je me sens tellement mieux.
De légers rires passent le bois de la porte. Le bruit d'un lit qui grince, de couvertures que l'on bouge.
— Ta copine aux cheveux carottes a dit qu'elle t'emmènerait voir Clarté pour arranger ça.
— Ma copine aux cheveux carottes a un prénom...
— Ouais, et ben, son prénom il est aussi tordu que le mien. Franchement, quels parents appelleraient leur gosse Ciel ?
— Les siens, peut-être ? dit Milène avec une ironie que je ne lui connaissais pas. Et puis, elle, au moins, ça a du sens. Par contre, Ophiucus, ça ne veut rien dire...
— Détrompe-toi, blondinette ! Mon nom reste moins fantasque que le sien, quand on en connaît la signification.
— Ah oui ? Voyez-vous ça !
— Figure-toi, chère petite sorcière cynique, qu'Ophiucus est le nom d'une constellation d'étoiles située dans l'hémisphère nord.
Les gloussements de Milène interrompent Ophiucus. Une partie de moi a la furieuse envie de rentrer, simplement pour les surprendre, mais une autre, bien plus curieuse, me dicte de ne pas bouger.
— Et comment tu sais ça ? demande-t-elle.
— J'aime bien lire.
— Toi ? Tu sais lire ?
— Je trouve ton humour assez blessant. Je n'ai peut-être pas l'air d'un aristocrate, et je n'ai pas la prétention de connaître les réponses aux fondements humains, mais je suis quelqu'un qui s'efforce de s'instruire, et qui, contrairement à d'autres idiots vaniteux, n'en chante pas les louanges dès que l'occasion s'en présente. Alors je te conseille fortement de fermer ton clapet, et de ne plus insinuer quoi que ce soit à propos de mon intelligence, parce que là, c'est la tienne que tu remets en cause.
Un silence s'abat. Je sens ma bouche s'entrouvrir, et je jette à un coup d'œil à Yanos, tout aussi consterné que moi. Personne ne manie la sagesse et le sarcasme comme Ophiucus, c'est certain.
— Surtout les jours avant la pleine lune. Je suis assez susceptible, reprend l'Alpha d'un timbre grave et lassé.
— Il n'est pas le seul..., chuchote Frey à ma gauche, le nez pratiquement fourré dans la serrure.
— Parle pour toi, dit Yanos en plissant le nez.
— On devrait rentrer, non ? tenté-je, la main sur la poignée.
— Ouais. Ophiucus commence à monter dans les tours, vaut mieux que je sois là si jamais il dérape, marmonne le roux en se redressant.
Je prends le temps de toquer trois coups, histoire de ne pas trop surprendre les deux rivaux dans la pièce, puis ouvre la porte sans me presser. Je passe la tête dans l'entrebâillement, et découvre Ophiucus, debout devant le lit où est assise Milène, le front barré d'un pli soucieux.
— Hey...
— Entre, Ciel, me rassure la blonde avec un sourire. Salut, les garçons.
Frey hoche du menton en direction d'Ophiucus, puis adresse ses saluts à Milène.
Je suis incapable de détacher mes yeux du visage de mon amie : une profonde cicatrice, rouge et violacée, traversée de points de suture, fend sa peau de sa mâchoire jusqu'à sa tempe, passant sur l'arrête de son nez et effleurant de peu son œil gauche. Sa peau est boursouflée, sa blessure sévère, mais elle semble aussi sereine que d'habitude.
Elle est si habile pour cacher sa peur.
— Comment tu te sens ? je demande en venant m'asseoir sur le lit, prenant garde à ne pas lui écraser les pieds.
— Dans une forme olympique, raille-t-elle avec un sourire en coin.
— Je pensais... Clarté m'a dit qu'elle allait pouvoir te guérir, si tu venais à son point d'ancrage.
— Les doctoresses m'ont ordonné de rester ici. J'ai même cru qu'elles allaient m'enchaîner à la tête de lit pour être sûres que je ne me déroberai pas...
— Les doctoresses ne connaissent rien de la magie, signale Yanos.
Il reste en retrait, bras croisés, observant la scène de loin. Frey s'est habilement rapproché de son compagnon, sans pour autant le coller, mais suffisamment près pour que je le remarque.
— Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée..., hésite Milène.
Chaque parole semble lui coûter, ses muscles jouant sur sa plaie. Mon Dieu, si j'avais eu le pouvoir de la guérir, je l'aurais fait à n'importe quel prix.
Tu vas regretter tes actes, Obscurité... pensé-je en espérant de toutes mes forces qu'elle puisse m'entendre.
Je crois d'ailleurs que c'est le cas, puisque qu'un coup de poing invisible et inattendu me frappe le ventre. Mon souffle se bloque quelques secondes, et je dois déployer une placidité remarquable pour ne rien laisser paraître. Le choc était suffisant pour me faire mal, mais pas assez pour que je me torde sous les yeux de mes amis. Une attaque vicieuse on ne peut plus digne de l'élément du mal.
Prévisible, aussi...
Je suis interrompue dans mes pensées par Milène, qui semble attendre de moi que je dise quelque chose.
— Quoi ? bégayé-je brillamment.
— Tu ne m'as pas écoutée... Je te demandais comment est-ce que tu comptes me faire traverser les deux tiers du château sous le nez des bourgeois, des servantes et des gardes sans éveiller de soupçons.
— Une capuche ample devrait faire l'affaire, propose Yanos.
— Non. Trop remarquable. Il ne faut pas qu'elle ait l'air de quelqu'un qui ne veut pas être suivi, dit Ophiucus.
— Pourquoi on ne ferait pas juste le trajet de nuit ? je demande, croisant mes jambes en tailleurs sur le matelas trop dur.
— Impossible. Les infirmières me surveillent du coucher au lever du soleil.
Milène soupire et se gratte l'épaule d'un geste inattentif. Sa chemise de patiente ne cache pas grand-chose de sa maigreur, et je ne peux empêcher une grimace de s'imprimer sur mon visage. Comment ai-je pu négliger ma meilleure amie au point de ne pas voir qu'elle perdait du poids ?
— T'as l'air fatiguée, relève Yanos avec une maladresse naïve.
— T'as l'air faible, renchérit Ophiucus.
— Prenez garde, la rose a des épines, contrecarré-je aux hommes qui ne se rendent visiblement pas compte de la gaucherie de leurs propos.
— Laisse tomber, Ciel, me calme-t-elle avec un rictus las. Ça n'en vaut pas la peine.
— Tu en vaux la peine.
Elle sourit et tend le bras dans ma direction. Je comprends ce qu'elle veut faire, et approche mes doigts des siens, lui attrapant la main. Elle serre ma paume un bref instant, ses yeux verts comme deux agates plongés dans les miens, me déclamant sans mots le fond de ses émotions.
Moi aussi, je suis effrayée, Milène. Mais on va y arriver. Tous ensemble, on va y arriver.
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