77. La source des problèmes

Ciel

— Tu m'écrases, espèce d'idiot...

Je gigote dans les draps, émergeant d'entre les songes, l'esprit embrumé et le corps bien trop chaud.

Adrian ne m'entend pas. Il est trop profondément endormi. Malheureusement, il l'est affalé sur mon ventre, et premièrement j'ai du mal à respirer, deuxièmement j'ai envie de changer de position. Et cet homme est une véritable chaudière : je suis trempée de sueur.

Je soupire. Il est tôt, trop tôt pour pouvoir me lever. J'essaye encore une fois de pousser la masse ronflante qui m'écrase, et il finit par s'étaler sur son autre flanc en grognant.

Me rallongeant, je me rends compte que je n'ai pas envie de fermer les yeux. Pas du tout. Pourtant je dois me rendormir – je sens que la journée va être longue. Les précédentes m'ont déjà vidée de mes forces, et si je ne suis pas un minimum reposée, je ne tiendrai pas plus de quatre secondes face à Obscurité.

— Quatre secondes ? Je te pensais plus résistante...

Je me redresse, les sens en alerte. Qu'est-ce qui vient de se passer ? Était-ce une une hallucination ? Ou ai-je vraiment entendu sa voix dans ma tête ?

— Faible et stupide. Décidément, tu ne changeras jamais.

— Non... Sortez de ma tête..., marmonné-je en me tenant les tempes, le cœur battant.

Adrian remue à ma gauche, et je me pince les lèvres pour éviter de faire du bruit. Je ne veux pas l'inquiéter ; il est déjà tellement tendu. Comme nous tous, d'ailleurs. Et plus que deux jours.

— Deux jours, assez pour te réduire à néant.

— Vous ne... Vous ne pouvez pas... Vous n'êtes pas assez puissante, sifflé-je entre mes dents.

Une douleur fulgurante et inattendue me traverse le crâne, comme si une flèche venait de s'y planter. C'est plus fort que moi, je lâche en cri, mains sur les oreilles, comme si ce geste pouvait me préserver de l'affreuse voix mielleuse d'Obscurité.

— Je pourrais te torturer jusqu'à ce que tu me supplies de t'achever. Ce n'était qu'un avant-goût. Prends garde à ne pas énerver le Grand Méchant Loup, ronronne-t-elle dans ma tête.

— Ciel ? balbutie Adrian d'une voix pâteuse en se retournant.

— Non, rien, tout va bien... J'ai juste... J'ai fait un cauchemar.

— Mhf... Viens là.

Il ouvre les bras pour m'inviter à le lover dedans, et je ne me fais pas répéter deux fois. Me glissant sous la couverture, j'inspire à fond pour m'imprimer de son odeur. Le patchouli, le gingembre, et... le Phlox. Mon odeur. Cette idée m'arrache un sourire, et je serre mon amoureux plus fort contre moi, ignorant ma température corporelle grimpant en flèche.

— Tu veux que je chasse tes cauchemars ? me demande Adrian en trébuchant sur ses mots.

— Je ne pense pas que ce soit possible, dis-je en esquissant un sourire sans joie.

— Mais si. Regarde.

Je le sens poser sa main sur ma hanche, avant que ses lèvres ne viennent trouver les miennes. Ses gestes sont un peu gauches et maladroits – mais Adrian n'a jamais été un lève-tôt, et il est toujours un peu malhabile à son réveil. Néanmoins, outre ces petits impairs, la douceur de sa peau et le contact entre nos deux corps m'enveloppe d'une onctueuse sensation de sérénité à laquelle j'aspire plus que tout, chassant mes dernières craintes concernant l'intrusion inattendue d'Obscurité dans ma tête.

Sa main se met à voyager le long de mon flanc, traçant de lents allers-retours qui me provoquent d'interminables frissons, et sa langue vient jouer sur la mienne. Je me perds dans son haleine, il se perd dans la mienne, et j'oublie absolument tout ce qui nous entoure pendant un moment.

Lorsqu'il se détache de moi, nous permettant de reprendre notre souffle, j'ai l'impression que mon cœur va s'arrêter de battre tant il s'épuise à pulser de toutes ses forces. Un vertige mental m'assaille, et il me faut quelques secondes pour reprendre mes esprits.

Il a tellement d'emprise sur moi. Si je n'avais pas une telle confiance en lui, j'en serais effrayée.

— Alors, ils sont toujours là, tes vilains cauchemars ? me taquine-t-il avec un sourire espiègle.

— Si je te réponds non, tu vas prendre la grosse tête.

— Mais enfin, mademoiselle Hyrill, tant de violence en si peu de mots ! Ce n'est pas mon genre de faire ça, rit-il en prenant une voix faussement outrée.

C'est plus fort que moi : je glousse, laissant mes doigts se perdre dans ses cheveux bouclés. Un sourire de bonheur étire la bouche d'Adrian, si beau qu'il serait cruel de ne pas l'admirer.

— Deux jours, dis-je distraitement. D'ici deux jours, tout sera fini. On pourra enfin vivre en paix. Je pourrai te regarder sourire comme ça tous les matins.

— Tu pourras me regarder sourire toute la vie.

Mon regard vient entrechoquer le sien. Ses pupilles noires expriment tellement d'émotions, tellement puissantes, bien plus qu'il ne pourra jamais le dire avec des mots – bien plus qu'il n'en sera jamais capable.

— J'ai pas envie de me lever, grogné-je en faisant la moue, déclenchant les rires d'Adrian.

— Madame la dragonne veut rester au lit ?

— Pourquoi, monsieur le dragon a envie de le quitter, lui ?

— La seule chose que monsieur le dragon n'ait pas envie de quitter, c'est madame la dragonne.

Il vient frotter son nez contre le mien, dépose un chaste baiser sur ma bouche, puis se redresse, me privant de sa chaleur douillette.

— Qu'est-ce qu'on a au programme, pour aujourd'hui ? me demande-t-il en chassant les draps qui recouvrent ses jambes.

— Ce serait idéal qu'Ophiucus et Yanos soient là au petit-déjeuner. J'ai eu une discussion avec Clarté, hier, et elle m'a donné quelques réponses, pour une fois.

Il se lève, uniquement vêtu de son sous-vêtement, et déambule dans sa chambre vers son armoire.

— Ensuite, continué-je, il faudra aller voir Milène. Si elle va bien, nous pourrons l'amener dès aujourd'hui en haut de la tour pour la guérir de sa cicatrice.

— Tu penses qu'Obscurité nous laissera faire aussi facilement ?

— J'en sais rien, déglutis-je. On verra. Je préfère pas y penser.

Il se penche pour fouiller dans son armoire, et s'habille rapidement d'un pantalon noir et d'une chemise blanches aux manches bouffantes.

— Après ?

— La prophétie. Le sang-mêlé, tout ça. Il faut absolument qu'on découvre tout ce qui se cache derrière. Le temps nous est compté.

— Et bien évidemment, notre tâche principale...

Je hausse le sourcil, curieuse de ce qu'il va dire. Il boutonne son haut, laissant planer un petit silence, puis dit d'une voix hachée :

— Survivre.

•⚔︎•

— J'ai jamais vu quelqu'un d'aussi sale que vous.

La voix d'Ophiucus claque dans l'air comme un fouet sans pitié, me faisant redresser le nez. Je croise ses yeux bruns et froids, qui me fixent avec un mélange de dégoût et de profonde lassitude, ses lèvres retroussées.

Oui, je viens de faire tomber de la sauce sur mon vêtement blanc, et alors ? Lui non plus n'en mène pas large, avec ses traces de baies sur les joues.

— En plus, votre jupe est bien trop courte. Un peu plus et on pourrait voir vos genoux.

— Merci, les couturières ont pris votre foutoir comme modèle, réponds-je du tac au tac.

Il se lève dans un grand fracas, renversant sa chaise, poing serrés. Si Yanos et Frey ne s'étaient pas jetés sur lui pour le retenir, je crois qu'il m'aurait sauté à la gorge : ses yeux ont déjà pris une teinte dorée et brillante. Il se met à grogner des mots mâchés auxquels je ne prête aucune attention, bien trop satisfaite de lui avoir cloué le bec.

Impulsif. Incontrôlable. Dangereux. Bienvenue à table avec un Alpha.

— Espèce de sale petite...

— Silence, lâche Adrian d'un ton sec. Rassieds-toi, Ophiucus, et arrête de chercher des noises à tout le monde.

Ce dernier fusille le prince du regard, comme s'il pouvait le brûler par la seule force de sa volonté, mais consent à s'asseoir après de longues secondes. Il prend son temps, le visage fermé, de s'installer sans cesser de nous fixer.

J'essaye d'essuyer discrètement les marques disgracieuses sur ma robe, la tirant par la même occasion. Il n'a quand même pas cru que je mettrais un long habit jusqu'aux chevilles alors que nous sommes en danger constant de mort ? J'ai bien mieux à faire que me soucier de mon apparence – et lui aussi, d'ailleurs. Je me suis simplement habillée de façon à pouvoir... je ne sais pas, courir pour ma vie, ou être prête à me transformer en dragon n'importe quand.

— Hum... Donc, si je reprends tes mots, débute Yanos d'une voix contrite, Clarté a insinué qu'il y avait quelqu'un d'autre dans les sous-sols ?

— Elle n'a pas insinué, elle en est sûre.

Des coups d'œil se jettent à la table de la part de tous. L'atmosphère devient encore plus tendue qu'elle ne l'est déjà, et chacun se met sur ses gardes.

— Qu'y a-t-il d'autre, dans les sous-sols, à part cette... cavité ? demande Frey.

— À ma connaissance, il n'y a rien, juste...

Adrian s'interrompt et ses yeux se fixent sur un point loin, très loin. Son corps se crispe en l'espace d'une seconde, et un silence de mort s'abat sur la table, en attente d'une fin de phrase.

— Juste... ? je tente.

— Les cachots, souffle-t-il.

— Les quoi ?

— Les cachots, répond Yanos. Ça veut dire que...

— Jake ! crie Adrian en se levant, envoyant valser couverts et nourriture.

Mais il n'y prête pas attention – il me lance un regard effrayé, avant de s'élancer en courant vers la porte la plus proche, suivi de près par Yanos.

— ... Jake ? je murmure, essayant désespérément de mettre un visage sur ce nom.

Toutes les têtes sont tournées vers moi. La meute d'Ophiucus me dévisage comme si j'allais faire l'annonce la plus importe du siècle, alors que je n'ai absolument aucune idée de ce qui se passe.

Jake, Jake, Jake...

Mais oui ! Le prince d'Espagne !

— Nom de Dieu ! je m'exclame en sautant sur mes pieds, le corps engourdi et le cerveau en ébullition.

Jake a été condamné à prison à perpétuité... dans les cachots du château !

— Obscurité, espèce de sale garce ! grondé-je en me jetant presque sur les portes par lesquelles ont disparu Yanos et Adrian, laissant une trentaine d'hommes désemparés.

Mes pieds me guident d'eux-mêmes, alors que je mâchonne des insultes peu chrétiennes envers la femme du Mal, bousculant quiconque se trouve sur mon passage.

Les bourgeois se retournent sur mon passage, poussent quelques couinement indignés – je n'en ai cure. S'ils savaient les troubles qui habitent les murs de ce château ! Eux qui craignent que le vent ne les décoiffe, je n'ose imaginer leur réaction en voyant une femme ailée boire à même la gorge de leur prince.

Je dévale moult escaliers sans m'en rendre compte, traverse d'interminables couloirs de plus en plus glacials ; mon âme suit celle d'Adrian, et j'ai une confiance aveugle envers mon corps qui sait exactement où aller.

Après de longues minutes qui me paraissent durer à peine quelques secondes, je débouche devant une lourde porte en bois entrebâillée. Je ralentis le pas, les sens en alerte, et m'approche du montant humide et nauséabond qui semble grincer pour m'appeler.

C'est là, tout près, je le sens. Ma main se pose sur la porte, et doucement, je la pousse. Un craquement, de la poussière, une goutte d'eau qui me tombe sur le front – je suis dans les cachots.

— Adrian ? Yanos ? j'appelle en entendant ma voix se perdre en échos.

D'abord, il n'y a rien, puis un mouvement sur ma droite : je fais volte-face, pas tout à fait à l'aise dans cet endroit sombre et sinistre. Mais il n'y a rien. Juste moi, ma peur, et la pénombre.

— Adrian ?

Cette fois, c'est un gargouillement humain qui me répond. De plus en plus paniquée, les genoux faibles, je continue d'avancer dans le couloir qui sépare les grilles de fer.

Les cellules sont minuscules, et dégagent une odeur de mort et de déjection absolument infecte. Y a-t-il seulement des gens qui osent mettre les pieds ici ?

— Il y a quelqu'un ? j'essaye, le poing serré, prête à appeler la magie au moindre évènement suspect.

Nouveau grognement. Nouveaux mouvements. Des tissus qui frottent, une masse qui s'écroule. Et une respiration.

— Si vous n'êtes ni dragon, ni loup-garou, vous avez intérêt à ne pas être un ennemi, menacé-je alors qu'une caresse familière me chatouille le ventre.

— Sinon quoi ? répond une voix affreusement éraillée et dénuée d'émotions.

Je déglutis en m'immobilisant. Sois forte, sois forte, sois forte. Mais j'ai si peur !

— Sinon je pourrais très bien vous réduire en chair fondue, je rétorque en essayant de contrôler les trémolos dans mes paroles.

Un rire hystérique. Mon sang se fige, mon cœur s'arrête. Si c'est bien Jake, alors il n'y a plus rien de vivant en lui : Obscurité a aspiré toute son âme.

— J'aime le feu, reprend la voix traînante et atone. Je brûle si souvent. Je suis plus chaud que le feu. J'aime quand Elle, Elle me brûle. J'aime quand Elle m'incendie la peau.

J'appelle la magie avec plus d'insistance, et mes cheveux se mettent à effleurer mes joues, alors qu'aucune brise ne vient agiter ces murs – pourtant, je n'arrive même pas à être rassurée.

— Adrian ? Yanos ? je risque encore une fois.

— Tes amis sont là, petite flamme. Mais ils ne te répondront pas.

Ils ne sont quand même pas... Non, je l'aurais senti. C'est impossible. Ils sont en vie.

— Qu'est-ce que vous leur avez fait ? dis-je en le cherchant des yeux, sa voix résonnant tout autour de moi, la noirceur n'aidant en rien.

— J'ai repris ce qu'Elle m'a enlevé. Je n'ai fait qu'obtenir mon dû.

— Monstre, sifflé-je entre mes dents.

Des frottements, tout près de moi, bien trop près. Je fais un bond sur le côté, et mon épaule heurte une grille qui produit un bruit assourdissant.

— Tu as peur ? Je t'effraie ? crie Jake avec cette hystérie folle.

— Montrez-vous, espèce de lâche ! je hurle à mon tour.

— Je suis là ! Je suis là ! Attrape-moi ! Brûle-moi !

Les répercutions me scient le crâne, l'adrénaline me fait trépigner de peur et d'impatience. Chaque son est amplifié, chaque odeur est décuplée, et mes émotions atteignent un paroxysme à la limite de l'insupportable, faisant battre mon cœur comme un cheval au galop. Je regarde dans tous les sens, ne sachant pas où poser mes yeux, mon regard ne rencontrant qu'un grand noir dense de plus en plus inhospitalier.

Quelque chose m'accroche le bras – une main. Dans un réflexe que je ne savais même pas posséder, j'agrippe le poignet de Jake, et puisant dans mes muscles, le fait basculer par-dessus mon épaule. Il s'écroule au sol avec des grognements animaux, tête la première, et je manque de peu de me faire emporter dans sa chute.

— Où sont Adrian et Yanos ? Qu'est-ce que tu leur as fait ? OÙ SONT-ILS ?

— J'ai repris... mon dû ! répète-t-il d'un timbre suraigu.

Je me penche et attrape sa gorge, ma vue s'affûtant de plus grâce à la magie qui grouille dans mes veines. Je ne lui laisse pas le temps de se débattre et le soulève de terre, l'appuyant contre un mur de grille qui grince en réponse.

— T'as intérêt à me dire où ils sont, ou je pourrais bien te faire haïr le feu que tu sembles tant aimer, feulé-je à quelques centimètres de son visage.

— Si tu ne te laissais pas aveugler par ta colère, tu verrais qu'ils sont juste là...

Je m'autorise un coup d'œil autour de nous, à peine un instant, histoire de ne pas le laisser tenter quoi que ce soit – et en effet, deux masses immobiles gisent par terre, à notre droite, à peine à quelques mètres.

— Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi..., marmonné-je plus à moi-même qu'à Jake.

— Brûle-moi. Oh oui, brûle-moi !

Malgré la stupidité de cette éventualité, je ne peux m'empêcher de la considérer. Purement, simplement, incendier cet homme dépourvu d'âme ? Barbare, mais efficace.

Je finis par secouer la tête, excédée de mes propres pensées – Ciel, ma pauvre Ciel, la vie te rend cruelle.

— Je ne suis pas un assassin, dis-je entre mes dents.

— Brûle-moi... Brûle-moi, petite flamme...

— Combien de fois Obscurité a-t-elle bu de ton sang ? je demande en resserrant ma prise sur sa gorge, ce qu'il n'a même pas l'air de remarquer.

— Il y a des plaisirs qui ne se comptent pas, petite flamme...

Tant de fois ? C'est donc ainsi qu'elle a acquis son pouvoir ? C'est pour ça qu'elle peut apparaître n'importe où dans le château, et qu'elle peut s'introduire même dans ma tête ?

— Si je te laisse en vie, elle continuera de puiser en toi. Mais je ne peux pas me résoudre à t'ôter la vie...

— Faible, lâche-t-il.

— ... En revanche, je peux toujours faire ça.

Je le laisse retomber à terre sur ses deux pieds, et une fois certaine qu'il s'est remis, je ne me gêne pas pour lancer mon poing sur sa mâchoire.

Sa tête valse et vient se cogner contre le fer dans son dos, et il pousse un grognement plaintif.

— Ça, c'est pour avoir tenté de m'assassiner.

Deuxième coup de poing. Il porte ses mains tremblantes à son visage pour se protéger.

— Ça, c'est pour avoir fait du mal aux deux hommes que j'aime le plus au monde.

Pour finir, j'écrase mon genou sur un point stratégique qui lui coupe le souffle et le fait plier en deux.

— Et celui-là... c'est pour m'avoir traitée de faible.

— Tu as... tellement... de colère... en toi...

Il redresse la tête, les mains appuyées sur son entre-jambe.

— Je suis sûr... qu'Elle doit beaucoup t'aimer...

— N'en soit pas si certain, dis-je, impassible.

Il se met à rire, et un frisson de dégoût me traverse le corps de bas en haut. Comment est-ce possible de perdre la raison à ce point ?

Je me masse les phalanges en l'observant se tordre de douleur et de cette macabre hilarité. Il ne semble pas enclin à tenter quoi que ce soit, pour l'instant, alors je m'autorise un regard vers Adrian et Yanos.

En observant attentivement, je remarque, à mon grand soulagement, qu'ils respirent. Et puis, mon instinct me souffle que pour le moment, ils sont hors de danger.

Je me retourne vers Jake, qui peine à reprendre sa respiration, le corps secoué de spasmes. Quelques secondes, je reconsidère l'idée de l'éliminer, avant de grimacer. Non, décidément, je suis incapable de tuer quelqu'un de sang-froid. De plus, ma vie n'est pas vraiment menacée, alors je n'en ai vraiment aucune utilité.

— Ça ne va pas te faire plaisir... mais je dois te mettre hors de portée des crocs d'Obscurité.

Faisant un pas vers lui, je le force à se redresser et pose ma main sur sa poitrine, là où devrait se trouver son cœur. Il gigote pour s'extirper de mon contact, mais bien vite, alors que je puise dans la magie, il cesse tout mouvement.

Une lumière blanche aveuglante se met à irradier de mes doigts, apaisante. Je ne suis pas sûre de ce que je fais – comme la plupart du temps, d'ailleurs – mais je prie de toutes mes forces pour que ça marche.

L'éclat devient de plus en plus puissant, jusqu'à en devenir insupportable. Je ferme les yeux, sentant l'énergie mystique couler dans mes veines comme de l'eau pure, tandis que les gémissements de Jake s'estompent définitivement. Je perds la notion du temps ; mon esprit n'est concentré que sur cette magie qui pulse de mon sang jusqu'à celui de l'homme.

C'est lorsque j'entends un faible, très faible « Merci » que je rouvre les yeux, qui rencontrent immédiatement deux orbes noires dans la pénombre. Alors, je retire ma main, certaine que l'âme de Jake est devenue trop pure pour qu'Obscurité puisse s'y approcher de nouveau sans se nuire.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top