71. Salazar

Ploc. Ploc. Ploc.

Une brume épaisse recouvre mon esprit. J'ai l'impression de revenir de loin, très loin, d'avoir été arrachée à ma propre réalité. Seul ce bruit incessant et régulier parvient jusqu'à ma conscience.

Ploc. Ploc. Ploc.

Qu'est-ce que c'est ? Et où suis-je ? Je n'arrive pas à me souvenir de comment j'ai bien pu me retrouver dans cet état. Je ne sens pas mon corps, je ne sens même pas la gravité. Je flotte. Je suis morte ?

Ploc. Ploc. Ploc.

J'essaye de bouger mes doigts, mais une douleur mordante me traverse tout l'avant-bras, comme si mes nerfs étaient à vif. Mes paupières sont si lourdes que je n'arrive même pas à les soulever – noir total.

— Elle a bougé, non ?

Une voix. Une voix ! Je ne suis pas seule, et je ne suis pas morte. Redoublant d'efforts, j'arrive à papillonner des cils quelques secondes, avant que l'obscurité ne m'engloutisse de nouveau.

— Je crois qu'elle se réveille. Quelqu'un peut-il aller chercher le docteur Hyrill ?

— J'y vais.

Un tissu qui bouge, une chaise qui craque, des bruits de pas, une tringle qui carillonne. Puis le silence. Une respiration, juste à ma gauche, un soupir.

Mais qu'est-ce qui s'est passé ?

Les battements de mon coeur pulsent à ma gorge, comme si elle était enserrée – mais rien ne me serre, n'est-ce pas ? Je n'étouffe pas. Ou du moins, pas que je sache.

Ploc. Ploc. Ploc.

Ce son commence à m'énerver. Il est trop répétitif, il résonne trop fort, il me nargue et me taquine. Pourquoi ne cesse-t-il donc pas ?

— Qu'est-ce qu'il y a ?

Je connais ce timbre, cette façon de parler. Je l'ai déjà entendue, oui, mais où ? Mes neurones refusent catégoriquement de fonctionner – tiens, regarde, on va te faire languir un peu, nous, on se tire bien loin d'ici ! Débrouille-toi ! Je les entends presque me dire ça.

— Elle a un peu bougé. Elle semble se réveiller.

— Poussez-vous.

Des nouveaux bruits, un peu précipités, puis une présence tout près de mon visage.

— Ciel, ma chérie, tu m'entends ? C'est maman.

Il me faut quelques secondes pour comprendre qu'on s'adresse à moi, plus d'autres pour réaliser qui est « maman ». Alors, je déploie toutes les peines du mondes pour décoller mes cils et forcer mes yeux à voir.

— Je suis là. Comment tu te sens ?

Ploc. Ploc. Ploc.

Je n'ai même pas la force de répondre, ma langue est aussi sèche d'un lézard en plein soleil. J'ai froid, pourtant je crois être recouverte de couvertures – je ne suis sûre de rien.

— Comment tu te sens ? répète-t-elle.

— M... Ma...

— Mal ?

— Ma... Maman...

Elle se tait, le temps de replacer une de ses mèches rousses derrière son oreille. J'ai le flash furtif du moment où moi-même je me suis penchée au-dessus du roi, et ai repoussé mes cheveux, exactement de la même façon.

Mais je ne veux pas mourir !

— Je suis là, ma puce. Ne t'en fais pas. Je suis en train de te faire une saignée, alors évite de trop bouger, d'accord ?

— Mam... Mam...

Impossible de dire un mot de plus. C'est trop douloureux – mes cordes vocales me semblent s'être transformées en épées chauffées à blanc. Ça brûle, mais Dieu que j'ai froid ! Des frissons chauds me parcourent par moments, comme des vagues blanches qui lèchent mon corps.

Ploc. Ploc. Ploc.

—Docteur, le prince a besoin de vous. Il se réveille, et commence sérieusement à s'agiter.

Ma mère souffle longuement avant de se redresser. Elle caresse ma joue un instant avant de s'éloigner, non sans avoir chuchoté quelques mots à la personne qui me surveille, qui hoche de la tête avec gravité.

Je laisse mes yeux se refermer, mais lutte tout de même contre le sommeil – j'ai le sentiment que, pour l'heure, m'endormir n'est pas une idée brillante. Alors j'attends. Encore.

Ploc. Ploc. Ploc.

C'est dingue comme le temps peut être long lorsqu'il est dénué de toute interaction. Il semble suspendu, et surtout, très ennuyeux. Mais je crois que je suis trop fatiguée pour même ressentir l'ennui – j'aurais presque pu trouver ça incroyable si je ne me démenais pas à rester éveillée.

— Ciel... où est Ciel ? Où est-elle ?

Cette fois, c'est une voix masculine qui s'élève. Une voix que je connais pour l'avoir entendue chaque jour depuis des mois – Adrian.

— Votre Altesse, comprenez que vous n'êtes pas en état de...

— Où est-elle ?

— Je ne peux pas...

— Répondez-moi.

— Écoutez, votre Altesse, je...

— Vous savez que vous êtes en train de contester les ordres de votre futur roi, et que ce même futur roi peut se montrer assez rancunier ? Alors vous avez intérêt à répondre, si vous ne voulez pas finir le reste de votre vie comme subalterne à frotter mes culottes sales.

Une silence s'ensuit, et intérieurement, je souris. Je ne doute pas une seule seconde qu'il est prêt à mettre ses menaces à exécution – qui qu'elle soit, cette doctoresse a intérêt à obéir, et si possible sans se faire attendre.

— Elle est dans le lit, là-bas, derrière le rideau. Mais elle est mal en point et...

— Poussez-vous de là. Mais dégagez, bon sang ! s'écrie Adrian en élevant la voix.

Une exclamation indignée s'élève, puis plusieurs autres. Un tissu qui s'ouvre, puis qui se ferme, juste à mes côtés.

— Votre Altesse, enfin, que... ! s'indigne la femme de surveillance en étranglant ses mots.

— Fichez le camp, vous aussi. Maintenant !

— Doux Seigneur, Sainte Marie...

La soignante chuchote d'interminables prières en s'éloignant, tandis qu'un poids pèse sur mon lit. Il est là. Juste là. Je pourrais presque le toucher si j'arrivais à bouger.

— Je sais que tu es réveillée. Ça te dérange si je m'allonge avec toi sous les draps ? Je viens de traverser l'infirmerie tout nu, ces bonnes femmes ont dû trouver judicieux de me déshabiller, mais maintenant je n'ai vraiment rien pour me couvrir.

J'esquisse un rictus qui soulève à peine le coin de mes lèvres – elles aussi semblent scellées, tout comme mes paupières. Adrian n'attend pas ma confirmation et soulève la couverture pour se glisser dedans. Son corps chaud vient se lover contre le mien, et il passe un bras autour de mon ventre, se calant contre mon flanc.

— Oh, mais toi non plus, tu n'as rien, chuchote-t-il dans mon oreille.

Tiens ? Je ne m'en étais pas rendue compte. Lui, par contre, s'en amuse, et vient faire des cercles autour de mon nombril du bout des doigts.

— Tu es brûlante... pourquoi diable n'y a-t-il pas d'eau ici ?

Il tâte mon front, mes joues, mes mains, avant d'embrasser mon visage. Je force mon cerveau à se tirer de l'inconscience, voulant me délecter du moment comme il le mérite.

Adrian pose sa main droit sur mon coeur, et une douce chaleur inattendue se répand dans mes veines, comme une eau pure qui me lave de l'intérieur. C'est lorsque cette sensation atteint mes yeux et affûte brusquement ma vue que je comprends ce qu'il est en train de faire : il me revitalise grâce à la magie.

J'humecte mes lèvres et me rends compte que je n'ai plus la gorge sèche, Dieu merci. Sa magie se glisse dans mes jambes, jusqu'à mes orteils, et même dans mon bras d'où coule mon sang. D'ailleurs, le ploc, ploc, ploc se stoppe immédiatement, et je sens la plaie qui transperce ma peau se refermer.

— Merci..., je murmure en savourant cette sensation si agréable qui me parcourt les muscles.

— De rien, mon ange.

Je tourne la tête, et mes yeux rencontrent les siens. Il me sourit, je lui souris, et la seule pensée qui me vient à l'esprit est que ce moment pourrait être parfait si nous n'avions pas tant de menaces et de problèmes au-dessus de la tête.

— Tu as vraiment traversé la pièce tout nu ?

— Demande aux nonnes qui attendent derrière le rideau. Je suis sûr qu'elles te donneront une description détaillée de...

— Mais chut, enfin ! dis-je sans pouvoir retenir un gloussement.

Pour toute réponse, il m'embrasse avec tendresse, avant de se redresser – trop vite à mon goût.

Ahem, dit-il en se raclant la gorge pour attirer l'attention des doctoresses. Ahem !

— Vous avez besoin de quelque chose, votre Altesse ? demande une voix timide de l'autre côté du rideau.

— Si je pouvais avoir mes vêtements...

— Une servante est partie vous en chercher de nouveaux. Ceux que vous portiez étaient très abîmés, tout comme ceux de mademoiselle Hyrill.

— Est-ce que mademoiselle Émeraude va bien ?

— Mademoiselle Émeraude ?

— La blonde qui était avec nous.

— Oh, et bien... Disons... Aïe ! Ce n'était pas la peine de me pincer, Béatrice. Elle va bien, votre Altesse.

Adrian se tourne vers moi et me jette un regard perplexe. Je mime du bout des lèvres « mensonge », et il hoche la tête.

— Venez, s'il vous plaît.

Le pan de tissu s'écarte pour laisser entrer la femme qui me surveillait, les joues rouges et les yeux fuyants.

— Quel est votre nom ? reprend Adrian.

— Geneviève Henry, votre Altesse.

— Parfait. Maintenant, dites-moi la vérité, Geneviève. Parce que je déteste, mais déteste vraiment le mensonge, vous savez ?

Ladite Geneviève ouvre la bouche, les lèvres tremblantes, perdant le peu de couleur qui lui reste, puis débite d'une voix devenue suraiguë :

— Je n'ai le droit de rien dire. Secret médical.

— Regardez-moi bien. Approchez, et regardez-moi bien.

Elle obéit, les mouvements saccadés, faisant un pas vers le lit.

— Est-ce que j'ai l'air d'en avoir quelque chose à foutre de votre secret médical ? demande Adrian, se délectant visiblement de la situation.

— N... Non, votre Altesse.

— Bonne réponse. Alors ?

— Alors q... quoi, votre Altesse ?

— Est-ce que Mademoiselle Émeraude va bien, espèce de quiche ! s'écrie mon prince en haussant le ton, faisant sursauter la pauvre Geneviève terrorisée.

— Elle... elle est en train de se faire recoudre...

— Se faire quoi ? je m'écrie en m'asseyant, tenant le drap contre moi pour couvrir ma poitrine.

— Son visage a été profondément coupé, nos meilleurs docteurs sont en train de la recoudre, mais elle gardera une cicatrice pour toujours...

Je laisse mon regard se perdre dans le vide tandis que j'assimile la nouvelle. Et le pire, c'est que la magie ne pourra pas l'aider – nous ne sommes pas assez puissants contre Obscurité. La mort du roi nous l'a prouvé.

Adrian échange encore quelques mots avec Geneviève, puis la congédie en se rallongeant. Le visage cramoisi, elle s'éclipse, marmonnant des excuses que je n'écoute pas.

— C'est injuste, dis-je lorsque nous sommes seuls.

— On ne peut rien y faire. Obscurité a...

Il s'interrompt, fronçant les sourcils. Je me cale contre lui, observant ses réactions, et essayant de comprendre ce à quoi il pense.

— Clarté..., chuchote-t-il.

— Mh ?

— Nous, on ne peut pas la guérir. Mais Clarté, elle, le peut...

— Tu en es sûr ?

— Non. Mais lorsque Obscurité détruit, Clarté créé. C'est un cycle, un équilibre. Peut-être... ça ne coûte rien d'essayer, après tout.

— On essayera. Une fois habillés, on essayera.

— Bien sûr, mon ange.

Il se tourne et pose ses lèvres sur mon front, puis me caresse les cheveux. Le moment n'est peut-être pas parfait – mais il s'en rapproche beaucoup.

•⚔︎•

— Geneviève !

— O... Oui, votre Altesse ?

— N'oubliez pas de laver mes culottes, d'accord ?

Adrian prend ma main et me tire à sa suite, nous faisant quitter l'infirmerie sous le regard incrédule de la nonne. Je réajuste mon corset du mieux que je peux, étouffant un peu dedans – pourquoi l'ont-elles autant serré ? Espèrent-elles ma mort secrètement ? Parce qu'avec ça, il se pourrait qu'elles réussissent.

— Où allons-nous, maintenant ? On ne va quand même pas débarquer dans la pièce de soins comme ça, alors que Milène se fait recoudre ?

— Bien sûr que non. Se moquer des infirmières, ça va deux minutes, mais il y a des choses avec lesquelles on ne rigole pas.

— Adrian...

Je tire sur son bras pour l'arrêter, le sentant étrangement crispé – pas comme quand Obscurité prend le dessus sur ses émotions, non, cette fois ça vient de lui.

— Est-ce que... ça va ? je lui demande.

Il se retourne vers moi, et à cet instant je sais que quoi qu'il dise, ses mots ne refléteront jamais l'expression dans ses yeux. Quelle question stupide – évidemment que ça ne va pas.

— Mon père est mort, Obscurité nous a attaqués, j'ai failli te tuer en essayant de te sauver, notre meilleure amie s'est faite défigurer, et tout ça dans la même journée. Ça... Ça fait beaucoup. Alors non, je ne me sens pas bien. J'essaye... J'essaye d'être fort, d'être courageux comme toi, mais... Enfin... Tu veux vraiment que je continue ?

— Non, excuse-moi, je n'aurais pas dû te demander ça... alors, on va où ?

— On va retrouver le sous-fifre. Il n'est encore au courant de rien.

— Quand est-ce que tu vas arrêter de l'appeler comme ça ?

— Jamais. C'est devenu un réflexe. Et puis, ça lui va bien, tu trouves pas ?

Si tu le dis..., songé-je en le suivant alors que nous reprenons notre chemin en silence.

Dévalant les escaliers quatre à quatre et poussant les bourgeois sur notre passage, je ne tarde pas à être essoufflée – il faudrait vraiment que je sois plus endurante – et contraignant Adrian à nous arrêter pour reprendre ma respiration. Appuyés contre un mur, mains sur les genoux, nous attirons les regards des personnes qui passent devant nous, tous coiffés de hautes perruques et de tenues excentriques que je n'aurais jamais osé imaginer, qui nous dévisagent avec un tel dédain que je ne peux m'empêcher de leur rendre la pareille.

Mais où m'emmène-t-il ? je me demande en me laissant tirer par Adrian qui ne semble pas fatigué le moins du monde – mais il faut dire, il ne porte pas de corset, lui – et me mène dans des escaliers que je commence malheureusement à reconnaître.

— Adrian... Pourquoi... Pourquoi sommes-nous ici ? je questionne en me maudissant d'avoir la voix si tremblante.

— Yanos est là.

— A... Adrian ?

Ça y est, je commence à avoir peur. Tout simplement parce que nous sommes dans le couloir. Devant la cavité. Face au point d'ancrage d'Obscurité.

Yanos ne peut pas être ici – et mon cerveau, trop choqué par les récents évènements, refuse de croire que mon prince a encore une fois été influencé par son élément. Je suis dans un déni total, et j'ai beau tenter de me forcer à réaliser de toutes les manières possibles, je n'y arrive pas.

— Fais-moi confiance, me chuchote-t-il en me jetant un bref coup d'œil.

— Yanos n'est pas là..., je lui murmure en retour.

Soit il ne m'a pas entendue, soit il m'ignore totalement – dans les deux cas, je me sens horriblement seule et frustrée lorsqu'il me lâche la main et s'avance vers la bouche noire qui m'effraie tant.

Dieu, si tu existes, fais quelque chose. Maintenant. TOUT DE SUITE !

Évidemment, rien ne se passe, comme à chaque fois que ce genre de pensées se met à germer dans nos esprits apeurés. Adrian continue d'avancer, une main tendue devant lui, et je continue de reculer à petits pas, partagée entre le devoir de rester auprès de celui que j'aime et l'envie furieuse de m'enfuir à toutes jambes.

— Yanos ? appelle Adrian. Yanos, tu m'entends ?

À ma grande surprise, un grognement sourd lui répond. Animal. Le genre de son qui réveille vos instincts les plus primitifs et vous glace le sang des orteils jusqu'à la pointe de vos cheveux.

— Reste en retrait, me dit-il comme si j'avais pu avoir l'envie d'approcher. Yanos ?

Deuxième grondement, plus fort, cette fois. Plus dangereux, aussi.

— Fais attention, lâché-je sans pouvoir me retenir.

— Yanos, je sais que tu m'entends et que tu me comprends. Sors de là, maintenant.

J'observe avec effroi mon prince s'approcher du creux qui est à l'origine de nos problèmes, d'où s'échappent des feulements agressifs qui ne peuvent signifier qu'une chose : notre lycanthrope est sous forme animale, et semble pour l'instant assez hostile.

— Milène a besoin de toi. Elle est blessée.

Une espèce d'aboiement résonne contre les murs et se répercute dans mon crâne avec une violence inattendue. Mais que diable fait-il là-dedans ? Comment s'est-il retrouvé ici ? Sous forme de loup, en plus – sans que ce soit la pleine lune ?

— Écoute, Yanos, il faut que tu...

— Sssssara, siffle la voix de Yanos avec un mélange de d'intimidation et de soulagement. Sssssara...

— Non, c'est moi, Ciel. Tu dois...

— Sssssara...

— C'est vraiment bizarre..., dit Adrian en secouant la tête.

— Luvvvvvanga... Trrrrraître... Trrrrraître... Sssssara...

— Tu crois que c'est une vision ? je chuchote en appelant la magie – au cas où.

— J'imagine... Mais celle-ci est vraiment inhabituelle.

— Yanos ? j'appelle de nouveau. Yanos ? S... Salazar ?

Notre ami semble réagir à ce nom car il se met à répéter « Sssssara » sans discontinuer, et ses gémissements se rapprochent de plus en plus de nous.

— Y... Salazar, il faut que tu reviennes, d'accord ? Tu es sous l'emprise de... D'Ob... De – oh et puis zut, sors de là !

— Y'a du mouvement, dit Adrian tout bas en levant un bras protecteur devant moi.

— Luvvvvvanga... Ne touche pas... Sssssara ! feule Yanos-Salazar, sa voix désormais juste devant nous.

J'agrippe la chemise encore intacte d'Adrian pour le tirer en arrière, sentant que la confrontation entre les deux hommes n'est pas une bonne idée.

— Salazar, tout va bien, approche juste... Sors de la cavité.

Le museau noir et brillant du loup surgit d'entre les ombres, reniflant avec méfiance l'air et le sol. Ses yeux brillent dans la pénombre, deux orbes noires et vertes qui me dévisageant avec une lueur trop intelligente pour un animal.

— Sssssara ?

— C'est moi, regarde. Je suis juste là. Il faut que tu quittes ta forme lupine, d'accord ?

Il fait un pas vers moi, se léchant les babines à plusieurs reprises et flairant mon odeur, puis un autre, encore, jusqu'à se dévoiler entièrement.

Je n'ose plus bouger. Adrian est dans mon dos, et je n'entends pas sa respiration – il doit certainement la retenir, lui aussi. Yanos est en posture défensive, aux aguets, cherchant toute forme de menace. Ce qu'il ne comprend pas, c'est que c'est lui, la menace.

— Transforme-toi, Salazar... Retrouve ta forme humaine.

Mue par une intuition inexplicable, j'avance la main, sans faire de geste brusque. Le loup noir avance la tête pour la humer, tirant sur son cou, et je répète doucement « Transforme-toi... Transforme-toi... », en espérant que mon timbre le fasse réagir.

— Sssssara..., dit-il une dernière fois avant de fermer les yeux se recroqueviller sur lui-même.

Ses os se brisent tous presque en même dans un craquement sonore qui manque de me faire hurler. Son corps se déforme à une vitesse phénoménale, ses poils disparaissent et découvrent une peau nue, son museau se défigure pour laisser place à un visage crispé que je connais bien.

— Oh mon Dieu, Yanos ! je m'écrie en me jetant devant lui, cherchant une quelconque blessure sur son corps replié.

Il est nu, mais je m'en fiche – tout ce qui m'importe est sa santé. Obscurité lui a-t-elle fait du mal, à lui aussi ? L'a-t-elle lacéré, coupé, meurtri ?

— Ciel... Il va bien, d'accord ? dit Adrian qui m'a rejoint, à genoux.

Il fait glisser sa veste bleue en velours de ses épaules et la pose sur l'intimité de Yanos, qui tremble de tous ses muscles, paupières closes, bras repliés en croix contre sa poitrine. Je caresse les cheveux de mon ami loup-garou, sentant quelques larmes rafraîchir mes joues par moment, que j'essuie d'un geste rageur.

— Il va bien, répète mon prince. Il n'est pas blessé. Il revient simplement à lui.

— Pourquoi fait-elle ça, Adrian ? je demande sans pouvoir m'empêcher de sangloter. Pourquoi veut-elle me tuer ? Qu'est-ce que je lui ai fait ? Qu'est-ce que je lui ai fait ?

Évidemment, je n'ai pas besoin d'indiquer de qui je parle – à qui d'autre pourrais-je faire référence ?

— J'en sais rien. J'en sais absolument rien, dit-il en me serrant contre lui. Je suis désolé.

— Je ne veux pas que mes amis meurent... Je ne veux pas mourir...

— Personne ne mourra. Tu m'entends, mon ange ? Personne ne mourra.

Si seulement ça avait pu être aussi simple.

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