7. L'entraînement
Je n'ai aucune idée de ce qui va m'arriver. Je ne sais pas pourquoi le prince est en train de gémir de douleur par terre, je ne sais pas pourquoi le mage est aussi autoritaire et joyeux. Je suis complètement perdue, mais j'essaye d'avoir l'air sûre de moi, parce que c'est ce que je suis censée faire – c'est ce que l'on attend de moi.
Je me retourne quand même, espérant voir Yanos. Mais malheureusement, il est déjà parti, refermant la porte usée derrière lui, me laissant seule avec mon malaise et un mage apparemment réjoui à l'idée de me faire souffrir.
Je me tourne face à ce dernier, prête à entendre ses explications.
— Comme tu le sais, commence-t-il, Adrian a la faculté de se transformer en dragon.
Je ne réponds pas, et comprenant que je n'ai pas l'intention d'intervenir, il continue :
— Durant toute sa vie, ce pouvoir était enfoui en lui, comme dans les autres générations précédentes. Mais depuis ton arrivée au palais, la magie s'est soudainement déclenchée, offrant toute son étendue au côté métamorphe du prince. Maintenant, il faut réussir à apprivoiser cette magie presque oubliée. Chose qui, évidemment, n'est pas facile. C'est même assez... douloureux.
Nous jetons un regard au pauvre prince qui peine à trouver sa respiration, tenant ses côtes comme si elles allaient exploser.
— Ta formation, que tu suivras en même temps qu'Adrian, consistera donc à te familiariser avec la magie, et à la faire renaître.
— Mais... pourquoi ? je bredouille.
— Pourquoi quoi ?
— Pourquoi vouloir réveiller la magie ? Pourquoi vouloir déterrer le passé ? Pourquoi est-ce que je joue un rôle là-dedans ?
J'essaye de calmer l'hystérie qui engourdit mes veines et fait monter ma voix dans les octaves – patience, Ciel, patience ! Je finirai bien par avoir mes réponses.
Julien me regarde avec un air peiné, comme s'il pouvait comprendre mon désarroi.
— À cause de la prophétie.
La fameuse prophétie, évidemment. J'aurais dû m'en douter.
— Mais en quoi consiste-t-elle, au juste ?
— C'est... Nous t'en parlerons... plus tard.
À son ton, il est inutile de négocier. J'acquiesce et jette un rapide coup d'œil autour de moi – bon Dieu, il n'y a aucune issue !
— Donc, là, quel est le but ?
— Essayer de se transformer.
— Et... est-ce que ça marche ?
— Constate-le par toi-même.
En observant plus attentivement le brun à terre, je remarque des griffes acérées et luisantes au bout de ses doigts, et quelques écailles noires naissent à la base de sa nuque, aussi sombres que les nuits d'été sans étoiles.
Griffes ? Écailles ?
— Comment est-on censé faire... ça ?
— Avec la volonté. Il faut que tu te concentres sur la magie que dégage cet endroit, que tu t'en imprègnes, et que tu veuilles de toutes tes forces te métamorphoser. Que tu sentes ton énergie vitale couler en toi et que tu la canalises pour transformer ton enveloppe.
— Ça veut dire... que moi aussi, je suis à moitié dragon ?
Moi, un demi-dragon ? Impossible. Je veux dire, c'est IMPOSSIBLE. Une fermière ne peut pas, et ne pourra jamais être autre chose qu'une simple paysanne. C'est dans l'ordre des choses, et rien ni personne ne bouleverse l'ordre des choses.
— Oui... Tu comprendras quand tu auras pris connaissance de la prophétie.
— Encore elle..., marmonné-je en me mordant les joues pour ne faire aucune remarque déplacée.
— Pour commencer, assieds-toi, et focalise tes pensées sur ce que cet endroit provoque en toi.
J'abdique et me mets en tailleur sur l'herbe fraîche. Je ferme les yeux et pose mes doigts dans la terre, les enfonçant et profitant de ce geste familier et agréable. Une très légère brise souffle, soulevant à peine mes cheveux. L'air est pur, les rayons du soleil parviennent depuis les cieux : tout est parfait. Tout est calme, serein.
Puis, petit à petit, je commence à sentir quelque chose d'autre se dégager de la forêt. Je me concentre dessus, essayant d'en comprendre l'origine. Cela provient des arbres, du sol, des nuages, de partout, ça vibre dans l'air comme une force invisible.
La magie.
Quelque chose se met à tourbillonner dans mes cheveux, mon cou, une sorte de courant d'air qui semble jouer entre mes mèches. Une fleur profondément enfouie en moi éclot, comme un vieux souvenir qui refait surface ou un lever de mille soleils magistraux. Quelque chose se libère.
Je lève la tête et laisse cette sensation m'envahir. Le sentiment qu'une partie de moi se découvre enfin, que quelque chose de terriblement ancien se relève.
— Je la sens...
— Moi aussi, dit la voix enrouée du prince.
J'ouvre les yeux et le regarde. Il a cessé de bouger, il ne semble même plus souffrir, et il me fixe en haletant. Son front miroite de sueur, ses pommettes saillantes ont pris une teinte rosée, et des mèches bouclées se sont collées à son visage. Il ressemble à un dieu en débauche.
Ciel, le contrôle de soi, le contrôle !
— La magie est de retour, chuchote-t-il.
J'ai envie de demander pourquoi, mais je sais que je n'aurai pas de réponse, alors je me contente de lever à nouveau le visage et d'observer le ciel infini.
— Incroyable..., entends-je le mage murmurer.
Je ferme à nouveau les yeux. C'est tellement agréable de se sentir... enfin réunie avec soi-même.
— Maintenant, concentre-toi sur ta transformation, m'intime Julien.
Je me remémore les sentiments que j'ai ressentis lorsque je me suis évanouie, et dans mes rêves également. Quand j'avais l'impression d'être une autre facette de moi, d'être libre, et que le vent filait sur ma peau, comme si je... Comme si je volais.
C'était donc ça ? Voler ? Être un dragon ?
C'est tellement absurde, tellement incroyable. J'ai toujours eu une vie de pauvre, ignorant tout de la magie. Et aujourd'hui, je viens de la réveiller. Pourquoi moi ? Qu'ai-je de différent ? Qu'est-ce que la prophétie contient donc ? Et pourquoi ces hommes maintiennent-ils un tel mystère autour d'elle ?
— Comment fait-elle ? souffle le prince.
Je rouvre les paupières, fronçant des sourcils. Faire quoi ? Je n'accomplis rien d'extraordinaire. Je suis juste assise par terre. Que je sache, lui aussi en est capable.
Le mage et le prince me fixent comme si j'étais la huitième merveille du monde – non, plutôt l'unique et la seule. Je baisse le regard sur mon corps, objet de la béatitude des deux hommes.
Je pousse un cri de surprise quand je découvre des plumes blanches autour de moi. Des tas, partout, volant dans tous les sens, immaculées, miroitant le soleil dans des éclats aveuglants.
— Bon Dieu, mais qu'est-ce que c'est que toutes ces plumes ? je m'écrie en me relevant.
Deuxième surprise, mes mains sont... Ce ne sont même plus des mains. Ce sont des pattes, griffues, couvertes d'écailles blanches, tout aussi blanches que les plumes.
— Qu'est-ce qui m'arrive ?!
La peur s'empare de moi et me fait trembler comme une feuille morte ballottée par le vent. J'hallucine, j'hallucine, j'hallucine ! Ce genre de choses n'est pas censé m'arriver, pas à moi. L'adrénaline me fait tituber en arrière, me donnant la puissante envie de courir, d'agiter les bras, de voler, presque.
— Tu te métamorphoses, répond Julien d'une voix admirative.
Génial ! ai-je envie de répliquer. Je ne suis pas venue au château pour qu'on me transforme en monstre – en fait, je ne sais même pas pourquoi je suis ici. Je n'avais pas le choix. Mon Dieu, je n'ai jamais voulu de tout ça, de ces plumes, de ces... choses, ni de cette prophétie et des mystères royaux pour couronner le tout ! Je n'en veux pas. Je veux que ça disparaisse. Tout oublier.
À peine cette pensée m'effleure-t-elle l'esprit que mes mains reviennent à leur état normal. Je les retourne, encore et encore, cherchant la moindre trace de blanc, mais il n'y a plus rien, comme si ce n'était qu'une illusion. Comme si rien ne s'était jamais passé.
En revanche, les plumes sont toujours là. Elles se font petit à petit emporter par le vent, comme de la neige en été, virevoltant gaiement entre les cimes régulières.
Je sens mes yeux picoter, signe de larmes naissantes, trop brûlantes et trop traîtres. C'est tellement... trop, ça y est, je craque. Je m'effondre au sol et prends mes genoux dans mes bras avant d'y enfouir ma tête.
J'éclate en sanglots. Je suis envahie par mon chagrin, je vole en éclat. Je laisse ma peine jaillir, je ne peux plus retenir tout ce que j'ai gardé depuis mon arrivée ici. Je me balance d'avant en arrière, je n'ai même plus honte de me montrer ainsi devant eux, je veux juste qu'on me laisse tranquille et rentrer chez moi.
Mes sens à leur paroxysme détectent une présence s'approcher de moi, avant qu'un bras chaud ne vienne se glisser sur mes épaules et qu'un corps me serre contre lui. Une douce odeur de gingembre et de patchouli parvient à percer la brume de mon esprit et me rassure plus que je ne l'aurais imaginé.
— Adrian...
Je me fiche de l'appeler par son prénom, je me fiche bien d'ailleurs de la façon dont j'ai pu le savoir, et il ne relève pas. Il se contente de me tenir contre son torse, posant son menton sur mon épaule.
— Ça va aller, d'accord ? Je suis là. On sera ensemble dans cette histoire, chuchote-t-il à mon oreille.
Ses mots me réconfortent, alors qu'il n'est même pas mon ami. Il est mon prince, mais savoir qu'il sera à mes côtés me fait du bien. J'ai confiance en lui, j'ai confiance en ses paroles.
Une brise vient caresser ma nuque, d'une façon trop contrôlée pour que ce soit naturel, comme quelqu'un qui souffle sur ma peau pour m'apaiser. Ô magie, pourquoi moi ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top