63. La vengeance d'Obscurité
Le vêtement de nuit enfilé, les cordes vocales hors de fonction et des questions plein la tête, je suis plantée devant mon amie, bras ballants, en attente d'explications.
— Par contre, je ne peux rien faire pour ta voix, je suis désolée, compatit Milène en inclinant la tête. Je ne connais aucun sort qui puisse y remédier. Il faudrait demander à Julien, peut-être que lui le saura.
Je croise les bras sur ma poitrine et affiche l'air le plus mécontent que j'aie en stock. La blonde sourit sans joie, s'humidifie de nombreuses fois les lèvres, entortille ses cheveux, puis cède enfin.
— Le roi s'est évanoui au moment où Yanos et toi vous êtes effondrés. Ta mère l'a immédiatement transporté dans sa chambre, et depuis elle essaye à tout prix de le réanimer. Yanos s'est réveillé au bout de quelques minutes à peine, mais toi... impossible de te faire revenir. Tu t'es agitée pendant presque une heure. Et Adrian avait trop peur que tu t'étouffes, ou qu'il t'arrive quelque chose pour te ramener à l'intérieur, alors il a fallu attendre que tu te réveilles. Le roi est toujours... d'après ce que je sais... enfin... il ne donne pas vraiment signe de vie.
Signe de vie ? Est-ce qu'il est... ?
Milène remarque mon air alarmé en s'empresse de me rassurer, ses mots sonnant comme si elle-même n'y croyait pas.
— Oh non, ne t'en fais pas, il n'est pas mort ! Simplement inconscient. Ta mère s'est empressée de faire une saignée, nous espérons tous qu'elle portera ses fruits. Julien est déjà sur place en train de faire son possible.
Je me laisse tomber sur mon lit, sonnée. Mon roi est gravement malade, Yanos a eu une vision, je suis restée inconsciente une heure, Adrian est en panique, Milène me cache certaines choses, je ne peux plus parler, Ophiucus et sa meute ont été accueillis comme des monstres... j'ai l'impression que le sort a décidé de s'acharner sur nous. Il ne manquerait plus qu'Obscurité vienne nous pourrir la soirée.
À l'instant où cette pensée m'effleure l'esprit, un vent glacial qui n'a rien à voir avec l'air du soir s'empare de la pièce et me transperce de sa froideur jusqu'aux os. Une mauvaise présence surgit à nos côtés, et une épaisse fumée noire et dense apparaît, qui prend peu à peu la forme d'une femme.
Obscurité se matérialise entre Milène et moi, un sourire tordu plaqué sur ses lèvres rouges sang, ses cheveux noirs fouettant ses épaules tels des serpents furieux. Un frisson dans l'échine me fait trembler et reculer d'un pas, à la fois subjuguée par cette beauté trompeuse, et effrayée par cet aura satanique. La température chute de plusieurs degrés en même temps que mon sang se met à bouillir dans mes veines. Que fait-elle ici ? De quel droit vient-elle jusque-là, au lieu de rester sagement dans sa cavité aux sous-sols ?
— Évite de penser trop fort, petite sotte, me susurre Obscurité en coulant un regard plein de sous-entendu dans ma direction.
Qu'est-ce que vous fichez ici ? questionné-je par la pensée, sachant pertinemment que cette sorcière m'entend parfaitement.
— Ce que je fiche ici ? Je suis venue voir comment se porte notre nouvelle aphone, mais je vois que je suis bien mal accueillie, moi qui venait pleine de bonnes intentions...
Elle part d'un rire hystérique absolument horripilant qui me hérisse les poils, sous le regard incrédule de Milène qui semble partagée entre la peur et la haine.
— C'est vous qui avez fait ça ? s'insurge mon amie, ses yeux arquant des aller-retour entre Obscurité et moi.
— Qui d'autre ? répond-elle comme si c'était normal. Il me semble pourtant avoir été claire, « Tu vas regretter tes paroles »... Ça ne te dit rien, petite sotte ? Ça ne te rappelle pas quelque chose ?
Oh si. Mais croyez-vous vraiment que m'enlever la voix m'impressionne plus que ça ?
— Mais ce n'est que le début, idiote, seulement le début... J'en réserve tellement pour toi, mais aussi pour tes amis. Tiens, ton loup-garou, par exemple... Qu'en penses-tu ? Ne trouves-tu pas que son corps serait plus joli sans sa tête ?
— Ne songez même pas à vous en prendre à Yanos, gronde Milène.
Le regard vert de la Magicienne brûle avec une telle ardeur farouche que mes sourcils se lèvent et que je recule d'encore un pas. Même Obscurité semble surprise par la détermination violente qui anime la blonde.
— Oh, mais tu es amoureuse..., murmure Obscurité en jouant avec une mèche de ses interminables cheveux noirs. Ça devient drôlement intéressant.
— Ne tentez même pas...
— Et que feras-tu pour m'en empêcher ? coupe la prêtresse du Mal. Tu vas faire un ridicule feu bleu et me l'envoyer sur le visage ? Mais qu'est-ce que tu crois, que ta petite magie incompétente va me faire quelque chose ? Je pourrais te tuer sur-le-champ, si je voulais...
Qu'est-ce qui vous retient ? pensé-je sans pouvoir m'en empêcher.
— Il se trouve que j'aime jouer avec la nourriture avant de la manger, me répond-elle en montrant les dents, prenant visiblement un plaisir machiavélique à nous terroriser.
— Qu'est-ce que vous voulez, une bonne fois pour toute ? crie Milène.
— Vous le découvrirez bien assez tôt, petits êtres insignifiants. Je vous souhaite de bien souffrir... longtemps...
Elle s'évapore dans un nuage nauséabond, nous laissant pantelantes et horrifiées. Vraisemblablement, Obscurité a décidé de nous faire du mal. Beaucoup de mal. Elle veut se venger.
Ai-je eu vraiment tort de la provoquer ? Je ne veux pas qu'elle s'en prenne à mes amis, ils sont la seule chose qui me maintienne la tête hors de l'eau. Ainsi donc c'est elle qui m'a privée de voix ? Mais pourquoi ? Comment fait-elle ? Est-elle au courant de ma vision ?
— Ça va, Ciel ?
Je hoche la tête pour lui signifier que je tiens le coup. Quels sont les plans d'Obscurité ? Pourquoi est-elle venue jusqu'ici, au lieu de rester sagement dans sa grotte sous terre ? Je sais que les éléments peuvent se matérialiser où bon leur semble au-dehors, mais je croyais que dans le château, il ne pouvaient se limiter qu'à leur point d'ancrage. Après tout, dehors, Clarté et Obscurité peuvent trouver ciel et terre, mais ici ? Comment cela se fait-il ? Me suis-je tout simplement trompée, ou est-ce effectivement anormal ? Trop de questions, encore. Je vais faire une overdose.
Soudain j'en ai assez. Je m'élance dans ma chambre, retournant tiroirs et étagères, à la recherche d'une plume et d'une feuille. Obscurité veut m'enlever la voix ? Très bien ! Mais elle ne m'empêchera pas de parler. Je ne lui laisserai pas ce loisir, ni ce plaisir.
Milène m'observe retourner la pièce, impuissante, l'air de se demander si j'ai perdu la raison. Elle n'ose cependant pas m'interrompre, ce dont je lui suis reconnaissante.
Enfin, je finis par trouver, planqué au fond d'un petit tiroir, ce que je cherche, avec un pot d'encre et un bâton qui sert de règle. Ni une, ni deux, je me laisse tomber par terre, et avec des gestes fébriles, trempe ma plume.
Mon dieu, que je suis heureuse que mon père m'ait appris à écrire dans ma jeunesse, parce qu'aujourd'hui je profite des frais. Je griffonne quelques mots maladroits, n'ayant tout de même que peu l'habitude de cette activité.
Mon amie a compris mon idée, aussi s'est-elle accroupie, attendant que je finisse mon message. Une fois fait, je lui fourre presque dans les mains, et l'observe lire à voix haute en tremblant.
— « J'ai eu vision. Je voyais Sara et Luvanga. Ils s'aimaient, étaient heureux. Comprends pas pourquoi colère Luvanga s'il avait Sara. Vision différente de celles de Yanos. J'étais pas Sara, voyais Sara. Tu penses quoi ? ». Et bien, Ciel... Wow... Je sais pas trop quoi dire. C'était ta première vision ?
Acquiescement. Je reprends le papier et écris un peu trop vite, faisant déborder l'encre malencontreusement.
— « Obscurité veut me faire regretter paroles. Elle a un plan », lit-elle.
Milène garde le silence quelques secondes, le temps de réfléchir. Puis elle pose le papier et ancre son regard dans le mien, une sauvage volonté lisible dans ses iris verts comme les prairies à la belle saison.
— Si elle a un plan, alors il nous en faut un aussi. Tu es prête ?
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