61. Des larmes et des émotions

— Jamais... je n'ai eu... à laver des cheveux... aussi sales ! s'exclame Fantine en frottant ma crinière avec tant de vigueur que je crains qu'elle ne me l'arrache.

— Je me permets de te rappeler que je n'ai pas vraiment eu le loisir de m'en occuper ces derniers mois...

— Je sais, mais tout de même ! C'est une catastrophe !

Je lève les yeux au ciel en pouffant. La spontanéité et la franchise de Fantine lui causeront sans doute des problèmes un jour à cause de son rang de servante, mais en attendant, elle me fait bien rire.

Je m'amuse à faire quelques remous avec l'eau de mon bain d'où s'échappent de délicieuses effluves de parfums et d'huiles. La tiédeur et la douceur de cet instant sont si agréables que j'ai l'impression que je les redécouvre pour la première fois.

À notre arrivée, une fois l'euphorie retombée, nous avons dû expliquer brièvement la raison de la présence d'Ophiucus et sa meute – sans dire encore qu'ils se révélaient être des loups-garous – et que nous leur avions promis gîte et couvert. Même si le roi ne semblait pas apprécier que l'on donne des ordres à sa place, il n'en a rien montré, et a invité la trentaine d'homme à se joindre à nous.

Ensuite, il a décrété que notre retour méritait bien au moins un banquet. Il nous a donc envoyés nous préparer et nous décrasser en vue de cette fête à venir, nous assurant que nous discuterions du voyage plus tard, une fois nos têtes reposées et nos corps repus. C'est donc ainsi que je me retrouve à me faire frotter les cheveux par une Fantine plus qu'outrée de mon état.

— Seigneur, je commence enfin à en voir le bout ! ronchonne mon amie.

Elle s'octroie encore quelques minutes pour me savonner et me rincer, avant de décréter qu'elle ne pourra pas faire mieux et que je peux sortir.

— Tenez, dit-elle en me tendant un tissu pour m'éponger. Je vais vous chercher une robe.

Elle sort rapidement, me laissant seule dans ma salle d'eau où s'infiltre un seul et unique rayon du soleil couchant. Je m'essuie distraitement en parcourant les étagères du regard, lisant les étiquettes de mes trop nombreux parfums, et souriant quand je reconnais quelques-uns que Fantine aime bien me mettre.

Je tombe sur le petit flacon de Phlox, cette effluve si particulière et si rare, qui reste certainement mon odeur préférée – après celle d'Adrian, bien évidemment. Je le prends entre mes doigts et le débouche, retrouvant avec joie cet arôme qui me grimpe au nez.

— Vous pouvez en mettre, m'indique Fantine qui est revenue derrière moi, un tissu beige et ocre dans les bras. Il faut le poser sur le décolleté, la nuque et les poignets.

— Les poignets ? m'étonné-je en respectant ses directions. Quel endroit étrange...

— Vous remarquerez que beaucoup de choses que font les bourgeoises sont étranges, chuchote-t-elle en présentant la robe choisie devant moi.

Je ris et approche ma main pour toucher le tissu, qui se révèle aussi doux que tout ce qui a l'occasion de rencontrer mes doigts dans ce château. C'est une tenue légère, fluide, parfaite pour les températures chaudes de cette saison.

— Elle est très jolie, dis-je.

— Évidemment. Vous permettez ?

Elle m'invite à passer les bras dans les bretelles qu'elle a dégagées, puis à faire glisser la robe le long de mon corps encore humide de son récent bain. Fantine la lisse avec sa main, vérifiant que les coutures et les tailles m'aillent bien.

— Vous avez changé, remarque-t-elle. Vous êtes toujours aussi fine, mais vous vous êtes musclée durant votre voyage.

— C'est une bonne nouvelle ?

— Tout dépend des goûts de Sa Majesté le prince.

Sa remarque me fait glousser. Mes pensées se dirigent immédiatement vers Adrian, sûrement en train de subir le même sort que moi, plus loin, dans sa propre chambre. J'espère de tout cœur qu'ils ne couperont pas trop ses boucles brunes que j'aime tant caresser.

— Il n'est pas très exigeant. Enfin, je crois. Nous n'avons jamais vraiment parlé de ce point-là.

— Depuis qu'il vous a décrétée comme étant sa préférée, des... rumeurs ont commencé à courir sur vous. Comme quoi vous l'auriez... Je ne sais pas si je peux le dire...

— Vas-y, ce n'est pas comme si j'allais te punir.

— Comme quoi vous seriez une sorcière et que vous l'auriez charmé avec une potion ou un maléfice, enfin quelque chose du genre. Je pense que c'est parce que les dames sont jalouses et qu'elles cherchent un moyen d'expliquer pourquoi il vous aime vous, et pas elles.

Je reste impassible une seconde avant d'exploser de rire. Moi ? Faire une potion pour charmer Adrian ? Même si j'avais pu, je pense que jamais cette idée ne m'aurait traversé l'esprit. Je suis tombée amoureuse de lui, sans pouvoir le contrôler – difficile avec la prophétie, me diriez-vous – et lui aussi. C'est arrivé, c'est tout. Il n'y a rien à m'envier. Rien du tout, même.

— Que les femmes peuvent être rancunières, quand même, commente Fantine et brossant mes cheveux.

— Dis, Fantine...

— Oui ?

— Tu as gardé ma pince à cheveux ? Celle avec la peinture écaillée ?

— Celle de votre mère ? Bien sûr, mais elle n'est plus en ma possession. C'est votre mère qui l'a prise.

— Q... Quoi ?

Mon cœur rate un battement à l'évocation de ma mère. Comment sait-elle ? Je ne lui ai jamais dit ; en réalité, je ne l'ai jamais dit à personne. C'était mon petit secret. Mon petit souvenir. Mon seul, aussi, avant que je ne revoie ma maternelle dans des circonstances pour le moins originales.

— Le docteur Hyrill est souvent venue me voir pour parler de vous, pendant votre absence. Elle voulait savoir... comment vous vous sentiez. Si vous viviez bien la vie au château. Elle disait qu'elle voulait des souvenirs de vous au cas où vous... vous ne rentreriez pas.

— C'est vrai ?

— Pourquoi mentirais-je ? Un jour, elle a vu votre pince posée sur votre table de chevet, et elle a fondu en larmes. Elle m'a expliqué que c'était la sienne, et qu'elle la croyait perdue depuis des années. Elle était très triste de votre départ, vous savez. Elle a beaucoup regretté de ne pas être venue se pardonner auprès de vous tant... qu'il était encore temps.

Je digère lentement ces informations. Et, petit à petit, la culpabilité commence à me ronger le ventre. Je ne lui ai pas dit au revoir. Je n'ai rien fait pour la voir avant de partir. J'ai laissé ma mère en plan et j'ai couru vers des aventures où les deux seules issues possibles étaient la réussite ou la mort.

— Fantine, merci pour ta... franchise. J'irai... J'irai lui parler.

— Je crois que c'est une bonne chose. Elle vous aime énormément. Elle a consacré sa vie à tenter de vous offrir une vie meilleure.

J'essuie rapidement la larme qui s'est échappé de mon œil, ne voulant pas me montrer si vulnérable. Mon Dieu, j'ai été si méchante ! Fantine a raison sur toute la ligne. Et mon père ? Lui qui était venu jusqu'au château pour s'excuser, et qui s'est vu se faire repousser ? Nom de nom, j'ai été la pire des filles !

Je m'enfuis du regard de ma domestique avant qu'elle ne voie que je n'arrive pas à contrôler mes pleurs et me dirige vers ma pièce à coucher. Là, je me jette presque sur mon sac de voyage – qui a perdu la moitié de son volume depuis le premier jour – et fouille dedans frénétiquement. Fantine me rejoint de sa démarche silencieuse et se poste à côté de moi, sans un mot.

Finalement, tout au fond d'une petite poche oubliée, je la retrouve. Ma broche. Celle en or avec l'insigne royal. Je pensais presque l'avoir perdue.

Les doigts tremblants et les gestes fébriles, je l'épingle au-dessus de ma poitrine, reniflant bruyamment. Elle y trouve sa place presque naturellement, comme si je ne l'avais jamais quittée, comme si rien ne nous avait jamais séparées. Comme si rien ne s'était passé.

— Je crois que je vais y aller, décrété-je en chassant mes larmes.

— Passez une bonne soirée, mademoiselle. Dois-je vous attendre ici ?

— Non, ce n'est pas la peine, ne t'en fais pas. Contente-toi de... de te reposer un peu.

Elle me sourit tristement et répond en penchant la tête :

— Une domestique ne se repose pas. Elle travaille et obéit.

— Dans ce cas je te donne l'ordre de te reposer. Tes cernes sont plus noires que les miennes.

— Vous trichez...

— Exactement. À plus tard, Fantine.

— À plus tard, Ciel.

Je suis sur le point de passer le seuil et de refermer la porte que je m'arrête, et passe la tête dans l'entrebâillement pour plonger mes yeux dans ceux marrons de mon amie.

— Fantine... Merci beaucoup. Pour tout. Merci.

Elle m'adresse un rictus ému et agite la main pour me faire signe de filer. Je ne me fais pas prier, et tire sur la lourde porte qui se clos dans un bruit résonnant, pour me retrouver seule dans l'immense couloir frais et sombre.

Je passe une main tremblante sur mon visage en soupirant, et tente de me redonner contenance en redressant le menton. Je peux le faire, je peux le faire, je peux le faire. Voilà ce que je me répète durant tout le trajet jusqu'aux jardins. J'y croise de nombreux bourgeois et bourgeoises, tous suivant la même direction que la mienne. Certains m'adressent un bonjour poli et respectueux, d'autre me fusillent du regard sans que je comprenne exactement pourquoi. Mais je n'ai pas le temps de m'interroger qu'un bras possessif vient s'enrouler autour de ma taille et me tire dans l'ombre.

— Hop hop hop, pas si vite, souffle Adrian à mon oreille.

— Adrian ! Mais qu'est-ce que tu fais ?

— Il fallait juste que je te parle avant le banquet.

Je me retourne pour lui faire face, et croise deux onyx qui me contemplent avec une effroyable tristesse.

— Mon père est mourant, avoue-t-il de but en blanc.

— Quoi ?

— Ne m'oblige pas à le répéter, s'il te plaît...

— Non, mais je... Oh mon Dieu... Comment ?

— La maladie. Le docteur a dit qu'il ne... Il ne tiendra pas l'hiver.

— Adrian..., soufflé-je en me blottissant contre lui pour lui témoigner tout mon soutien.

— Le docteur ne sait pas ce que c'est, elle a tout essayé, elle a fait de nombreuses saignées, lui a donné de la mélisse, de l'écorce de saule, et même de l'armoise, lui a fait faire des diètes et des cérémonies, mais rien à faire, elle ne comprend pas, c'est... c'est incurable... Ça empire de jour en jour...

— Ne pleure pas, Adrian..., je murmure en essuyant les gouttes salées qui tombent sur ses pommettes. Peut-être qu'il va guérir, tu n'en sais rien...

— Je ne veux pas que mon père meure, sanglote-t-il dans mon épaule.

— Je te promets qu'on va tout faire pour essayer de le sauver... On peut, peut-être, essayer avec la magie, Milène connaît surement un sort ou quelque chose...

— Je suis mort de trouille, Ciel...

Qui ne le serait pas ? Après tout, nous avons vécu des choses dont nous nous serions bien passées. Nous avons vu des choses sur lesquelles nous aurions aimé fermer les yeux. Nous avons tué, perdu et pleuré. Et jamais nous n'avons eu le temps d'avoir peur.

— Moi aussi, j'ai peur. Mais on va rester forts. Parce que... Parce que quand on traverse quelque chose de difficile, il faut toujours avancer, sinon on n'en sortira jamais... C'est comme quand tu traverses une rivière gelée. Je suis désolée, je ne suis pas aussi douée que toi avec les mots...

Malgré ma maladresse, j'arrive à lui arracher un rire à travers les larmes. Ses épaules se secouent, son souffle vient buter sur ma peau, et ses muscles se détendent légèrement.

— Tu es tellement touchante, Ciel... Merci.

Il se détache et essuie ses joues rapidement, et inspire à fond avant de me décrocher un sourire un peu forcé.

— Allons-y.

Il me prend la main et m'entraîne à la suite de la foule en direction des jardins, où se dressent de nombreuses longues tables et un grand bûcher au centre. Nombre de personnes sont déjà attablées, sauf une, la plus garnie, la plus belle : la table royale.

Sa Majesté le roi y est déjà, l'air misérable à cause de sa maladie. À sa gauche, ma mère, qui lui jette régulièrement des coups d'œil inquiets, et à sa droite, deux places vides. Julien est déjà là aussi, ainsi que Milène à côté de lui, Yanos, et enfin, assis sur une chaise visiblement rajoutée au dernier moment, Ophiucus.

Adrian m'emmène jusqu'au deux places inoccupées, se frayant sans difficulté un chemin dans la populace qui s'écarte sur notre passage, comme si nous étions d'affreuses bêtes ou des corps atteints de la peste. Mon prince a retrouvé toute sa prestance et sa noblesse, et c'est seulement maintenant que je remarque qu'il porte sa plus belle veste et sa couronne d'or de souverain.

Le crépuscule approche, et le ciel devient de plus en plus rouge au-dessus de nos têtes. Les discussions vont de bon train, et malgré les nombreux chuchotements à notre encontre, l'ambiance est très agréable. L'odeur alléchante des rôtis et des plats rôde un peu partout, mettant l'eau à la bouche à plus d'une personne, moi la première. Je peux presque entendre mon ventre gronder dans le brouhaha.

Adrian m'invite à prendre place entre lui et Julien d'un élégant geste de la main, et je m'installe en prenant soin de ne pas accrocher ma robe. À peine sommes-nous assis que le roi se lève en cachant une grimace de douleur, ce qui a le don d'imposer immédiatement le silence. En y regardant de plus près, je reconnais certains loups de la meute d'Ophiucus, dont Frey qui ne lâche pas des yeux son Alpha.

Tous les visages se tournent dans notre direction. J'avale ma salive, un peu gênée de cette attention soudaine, mais tâche de ne pas le montrer en placardant un petit sourire naissant sur mes lèvres.

— Bonsoir à tous ! tonne le roi d'une voix forte qui a perdu de sa splendeur. Je suis heureux de vous voir si nombreux à ce banquet pour célébrer le retour de nos quatre voyageurs dont notre prince bien-aimé. Asseyez-vous.

L'ordre est instantané, chacun trouve une place et s'empresse de poser leur séant sur un banc ou une chaise à portée de main, pour continuer à dévisager notre table d'un œil avide.

— Bien. Comme vous le savez désormais, le sang qui coule dans ma lignée possède des propriétés magiques, auxquelles mon fils a accès. Et il se trouve qu'il doit accomplir une prophétie pour ramener cette vénérable magie parmi nous – que je le répète, n'est en rien néfaste pour notre société.

Je retiens ma respiration. Apparemment, pendant notre absence, quelques discours lourds en révélations se sont imposés.

— Les raisons du voyage de ces quatre jeunes gens, au cas où elles vous seraient sorties de l'esprit, sont qu'ils étaient à la recherche d'une autre lignée magique, qui recèleraient vraisemblablement des informations qui aideraient à accomplir la prophétie. Je vais maintenant laisser la parole à notre chère Ciel Hyrill, élue des légendes, préférée du prince, et fille de la prophétie, que nous avons l'immense honneur d'accueillir parmi nous.

Tout se passe soudain très vite. Je vois Yanos faire semblant de s'étrangler, quelque part à ma droite, à l'entente des mots « Préférée du prince ». En même temps, un tonnerre d'applaudissement retentit avec une force inouïe, si bien que je ne peux empêcher un sursaut. Et, parallèlement, un éclair déchire le ciel, fruit d'un orage inattendu venu de je-ne-sais-où. Le bruit de la foudre ne résonne que quelques secondes plus tard, comme le grondement d'une lionne enragée, qui me file une chair de poule glacée.

Je me lève avec la sensation de tourner et chuter en même temps. Ma vue se déstabilise, et je m'accroche au bord de la table pour ne pas chanceler. Quelques personnes scandent mon prénom au milieu de l'ovation, d'autres hurlent « Longue vie à l'élue ! » jusqu'à s'en déchirer les cordes vocales.

Le silence retombe bien vite, tous suspendus à mes lèvres. J'essaye de choisir mes mots avec soin, consciente d'être entendue par des centaines de personnes à l'affût de mes moindres gestes, ce qui n'est pas chose facile avec la migraine qui me vrille le crâne.

— Bonsoir..., débuté-je. Merci... Merci pour vos louanges. Mais je ne les mérite pas.

Le silence est aussi total que l'acclamation était assourdissante. Mon pauvre esprit titubant a du mal à s'accommoder aux deux extrêmes, et je suis obligée d'appeler un peu de magie en moi pour me rafraîchir les idées.

J'espère que mes ailes ne vont pas se mettre à pousser au milieu de mon discours...

— Je ne ramène pas que des bonnes nouvelles. Notre périple a été dur, long, pénible et surtout instable. Des alliances se sont nouées (Ophiucus choisit ce moment pour renifler sans aucune discrétion), des personnes ont perdu la vie, des promesses ont été brisées. Et surtout, la prophétie n'était pas unique.

Quelques nuages menaçants commencent à apparaître à l'horizon, mais assez loin pour pouvoir profiter encore de la soirée pour plusieurs heures. Je m'arrache à la contemplation du panorama pour retrouver le fil de mon laïus, sachant que mes paroles ont suffi à retenir le souffle de chaque personne.

— Nous n'avons pas trouvé les descendants de ma lignée. Nous n'avons trouvé qu'un village pillé et tué, et une maison en ruines où des os fondus fumaient encore. Et entre ces cadavres et ces cendres, un livre, un seul livre, en est sorti miraculé. Dans ce livre se trouvait une page. Une page qui manquait au grimoire de notre bibliothèque, ici, et que nous pensions introuvable. Mais contrairement à ce que nous croyions, cette page ne comportait pas des informations sur l'âme sœur du prince, mais... mais...

Ma voix défaille. Je sens mes paroles se perdre sur ma langue et y laisser un goût acide, tandis que la magie que j'avais éveillée s'éteint sans que je ne lui en ai donné l'ordre. Je puise dans mes forces pour rester debout, et mes doigts se resserrent sur la nappe si fort que mes jointures blanchissent.

— Mais une deuxième prophétie, finis-je d'un timbre rauque. Une deuxième prophétie que nous ne sommes pas parvenus à déchiffrer.

C'en est trop. Je me laisse tomber sur ma chaise, nauséeuse, sans comprendre vraiment ce qui m'arrive. Adrian se lève et prend le relai comme si tout ça était parfaitement normal.

— Entre-temps, nous avons... rencontré Ophiucus, ici présent, et sa meute. Oui, vous m'avez bien entendu, meute. Ophiucus est l'Alpha d'une trentaine d'hommes loups-garous.

Des exclamations et des cris s'élèvent, et quelques femmes se lèvent comme si leur siège était en feu. Ophiucus esquisse un sourire en coin amusé, puis fait un petit signe de la main narquois à l'assemblée.

— Ils ne sont pas dangereux. Du moins, pas tant que ce n'est pas la pleine lune. Et comme la prochaine est dans moins d'un mois, nous avons encore le temps de trouver une solution pour remédier à ce... léger problème. Mais vous n'avez rien à craindre d'eux, tout comme vous n'avez rien à craindre de la magie. Le principe même de la magie n'est pas de détruire sans reconstruire, de prendre sans donner, ni même de tuer sans donner la vie. Tout n'est qu'équilibre et harmonie. Vous n'avez pas à avoir peur. Les créatures magiques ne sont pas destinées au danger.

— Monstres ! hurle un homme dans l'assemblée.

— Les seuls monstres ici sont dans votre imagination, réplique Adrian d'une voix froide qui décourage les plus hardis. Nous vivons sous le même ciel, et pour certains sous le même toit. Cessez de craindre de l'inconnu et allez de l'avant, les temps changent, vous devez changer avec.

Il jette un regard circulaire, plantant ses yeux déterminés sur pratiquement chaque visage, faisant taire les quelques inconscients qui songeaient à se rebeller. Puis il reprend la parole, avec plus de douceur cette fois.

— La première fois que j'ai vu Ciel, c'était tôt le matin, durant un jour comme les autres. Elle était timide, perdue, à genoux et tête baissée, ne demandant que de comprendre ce qui lui arrivait. Et aujourd'hui, nous ne sommes plus face à la même personne. Elle est devenue une femme forte, indépendante, et plus courageuse que tous les soldats de notre armée réunis. Elle est l'élue, et elle l'assume. Ceux qui ont eu l'erreur de la penser aussi fragile qu'une fleur ont découvert qu'elle est en réalité aussi fragile d'une bombe.

« Milène, elle, même si elle est discrète et parfois mélancolique, est une redoutable magicienne qui nous a sauvés plus d'une fois. On pourrait la comparer à de l'eau ; assez puissante pour vous noyer, assez douce pour vous apaiser, et assez profonde pour vous protéger. Ses yeux d'apparence innocente ont vu des horreurs qui vous feraient trembler dans votre lit. Elle est capable de pouvoirs auxquels seuls les songes peuvent vous donner accès.

« Yanos n'est pas quelqu'un de facile, c'est certain. Il a un caractère impulsif et rebelle qui a bien failli lui coûter la vie. Mais il est aussi l'homme le plus loyal et le plus sincère que vous pourriez trouver sur cette Terre, qui se dévoue corps et âme pour ceux qui méritent sa confiance. Si vous rechercher quelqu'un d'honnête, c'est vers lui qu'il faut se tourner.

« Et enfin, Ophiucus. Je ne m'étalerai pas sur lui car je sais qu'il n'aime pas être le centre de l'attention. Mais je peux vous assurer qu'il est sans conteste le plus intelligent de nous tous, et que malgré une vie semée d'embûches épineuses, il s'est toujours relevé et n'a jamais cessé d'avancer. C'est pourquoi je voudrais remercier ces quatre personnes, sans lesquelles je ne serais plus en vie depuis fort longtemps, et leur dédier cette soirée d'accueil. »

Pour la première fois – et sûrement la dernière – je vois Ophiucus rougir violemment et se tasser sur lui-même. De nombreux applaudissements viennent accompagner les paroles d'Adrian, dont moi-même je prends part, émue comme rarement je l'ai été.

Adrian, lui qui a tant de mal à communiquer ses sentiments, vient carrément de faire un discours public pour nous glorifier et nous remercier. Yanos a blanchi presque autant que le roi, et Milène se cache derrière ses mains comme si elle avait l'espoir de disparaître. Et moi, je suis certaine que si ma tête de tournait pas autant, je me serais levée pour embrasser Adrian, devant tout le monde, et sans aucun scrupule.

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