50. Le calme avant la tempête ?
Sa main. Sa peau. Ma peau. Il glisse ses doigts partout sur mon corps, explore mes lignes et mes courbes, et continue inlassablement de me faire perdre la tête. Je l'embrasse. Il me dévore. J'oublie ce que veut dire le mot raison. L'eau glisse tranquillement autour de nous, entre nous, indifférente aux pulsations de nos cœurs galopants. J'ai froid, j'ai chaud, je ne sais plus. Je suis à mille lieux d'ici. Je suis dans ses bras.
Adrian, mon Adrian, mon prince, l'homme aux cheveux bouclés trop longs, à la barbe désormais sombre, à la mâchoire carrée et aux pommettes saillantes héritées de son père, au regard noir transperçant et à la beauté divine qui me fait fondre chaque fois qu'il sourit, à la peau abîmée mais douce, le fils royal pour lequel je me suis éprise un peu plus chaque jour.
Et il est à moi. À moi.
Tout comme je suis entièrement sienne, frissonnant à chaque fois que sa main rencontre un point sensible, ou qu'il tire sur ma lèvre inférieure pour la mordiller.
— Merde..., grogne-t-il lorsque j'explore timidement son torse musclé collé au mien de mes petits doigts blancs.
— Je te fais mal ? j'hésite un peu bêtement, désireuse de lui faire ressentir la même chose que ce qu'il me fait, et un peu choquée qu'il lâche un juron.
— Non, c'est agréable... T'arrêtes pas, chuchote-t-il dans mon oreille, puis nichant son front sur mon épaule pour fermer les yeux.
Je reprends donc mon aventure sur sa peau mouillée, découvrant ses muscles saillants qui se tendent sous mon passage, m'attardant sur son nombril pour ensuite retracer les courbes de ses clavicules, nos respirations aussi irrégulières l'un que l'autre.
— Tu m'as jamais dit que t'étais une déesse des doigts, bougonne-t-il alors que je m'amuse à titiller ses tétons.
— Comment aurais-je pu le savoir ?
Avant de faire une bêtise, nous décidons de sortir. Adrian m'attrape sous les cuisses et marche jusqu'à la rive, me tenant fermement dans ses bras. Ruisselants d'eau fraîche et dans nos tenues d'Adam et Ève, il ne me lâche pas avant de fouler l'herbe de la berge. Délicatement, il me repose, et je rougis immédiatement devant notre nudité désormais nullement cachée.
— Relaxe, tu vas devenir aussi rouge que tes cheveux. Et ne t'en fais pas, je ne vais rien te faire aujourd'hui, tu te dois d'être pure si je veux t'épouser.
M'épouser ? M'épouser ?! Mais pourquoi voudrait-il m'épouser ?
Parce qu'il t'aime, imbécile ! me frappé-je intérieurement, fatiguée par mes propres doutes.
— V... Vous voulez que je sois reine ? je bégaye finalement en m'extirpant de mon monologue intérieur.
— Évidemment. C'est ce qui arrive quand un prince est amoureux d'une femme. Mais pourquoi... tu me vouvoies ? J'ai l'air plus vieux, d'un coup ?
— Oh, non, c'est... C'est certainement l'angoisse. Je n'avais jamais pensé que tu... Que nous...
— L'angoisse ? Tu as peur ?
Sans attendre ma réponse, il se penche pour ramasser nos vêtements et il enfile son dessous avant de me tendre le mien. J'habille les endroits encore secrets de mon anatomie, sans pour autant remettre ma robe. D'une part, parce que je suis propre, et qu'elle est sale, et d'autre part... parce que je n'en ai pas envie.
J'essore mes cheveux trempés devenus bruns et rejoins Adrian qui s'est allongé au soleil pour sécher. Bras derrière la tête, il observe le ciel, songeur. Je décide de m'installer sur le flanc et de glisser l'une de mes jambes entre les siennes, le dévorant du regard.
Est-ce que c'est humain d'être aussi beau ?
— Tu ne dois pas avoir peur d'être reine. C'est des tâches, des responsabilités, et parfois des décisions douloureuses, mais si on compare à notre vie actuelle, ce ne sera pas vraiment différent. Et puis, je serai là. Je serai toujours là. Pense à tous les privilèges qui te seront accordés. Tu pourras faire vivre ton père au château, réunir ta famille, et... et peut-être en fonder une.
— Adrian, je sais pas... Je sais pas si je suis prête à avoir des enfants. J'ai seize ans... C'est encore tôt.
Il s'esclaffe avec douceur sans pour autant se moquer. Il laisse rouler sa tête pour croiser nos yeux, et je me perds presque immédiatement dans les siens, trop heureuse d'être avec lui.
— On a tout le temps. Toute la vie. J'oublie parfois à quel point tu es jeune. Tu parais... Tu parais plus mature, tellement tu es courageuse.
— Je ne suis pas courageuse. J'ai passé les dernières nuits à pleurer dans mon oreiller.
— Ça n'a rien à voir. Tu ne pleures pas parce que tu es faible. Tu pleures parce que tu as été forte trop longtemps.
Je médite sur ses paroles en silence. Il faut avouer qu'il a un don pour trouver les mots juste. Je me sens rassurée, mais une partie de moi reste un peu mélancolique. Les derniers évènements sont très durs à encaisser, et nous n'avons toujours pas avancé sur la piste Skymoon et la page manquante.
Un pas en avant, deux pas en arrière, je récite automatiquement pour moi-même.
— Tu sens bon, dit-il.
— Je sens le chien mouillé.
— En parlant de chien... Faut aller retrouver la meute, peste-t-il en grimaçant. Et on est déjà en retard.
Il se lève, chasse gentiment ma jambe enroulée dans les siennes, vient capturer mes lèvres quelques instants puis se remet debout. Nous nous activons à nous rhabiller, jetant chacun des coups d'œil furtifs à l'autre, et parfois en même temps, ce qui me gêne un peu et me fait baisser les yeux.
— Allez, bouge, sinon l'apprentie sorcière va encore faire des siennes, dit-t-il avec un sourire.
Nous nous élançons en courant dans les bois bien éclairés par le soleil et baignés d'une douce lueur verte. L'odeur de l'humidité, de l'herbe et de la forêt me chatouille les narines alors que je foule la mousse et les feuilles qui recouvrent la terre.
— Ah, enfin ! J'ai cru ne jamais vous revoir ! nous réprimande Milène lorsque nous arrivons, essoufflés. Grouillez-vous, ils nous attendent, et vous devriez savoir qu'un loup peut être incroyablement impatient !
Ne nous laissant aucun répit, elle pique un sprint dans la direction opposée, nous obligeant à la suivre en direction de la clairière des loups. Après quelques minutes d'intense course, les arbres se raréfient, les rayons du soleil se font plus présents, et des bruits de voix se frayent un chemin jusqu'à nos oreilles. Enfin, là, la voilà, la clairière. Et là, Yanos.
Yanos
Là. Elle est là. Ses cheveux habituellement roux sont mouillés et ont prit une teinte sombre proche du brun. Ses yeux, Dieu, ses yeux ! Ils ne perdent pas de leur éclat bleuté si vif et déstabilisant. Elle court, l'allure farouche, telle une guerrière se jetant dans le combat. Et, à cet instant, elle est si belle que j'en oublie les douleurs insupportables dans tout mon corps.
Puis, à côté, Milène. Ses cheveux blonds solaires dansent autour de son visage en cœur. Malgré sa peau pâle et ses joues un peu creusées, elle reste une femme à couper le souffle. Elle me fait immédiatement penser à une fleur, pure et délicate, fragile et forte à la fois. Une rose couverte d'épines.
Et, bien évidemment, derrière ces deux créatures angéliques, le prince. Fidèle à lui-même, il se tient près de Ciel, comme aimanté. Je ne suis pas sûr qu'ils se rendent compte de la manière dont ils réagissent l'un et l'autre en présence de chacun. Ils deviennent comme deux électrons, se mouvent selon les gestes de l'autre, réagissent aux émotions de l'autre, se déplacent selon les pas de l'autre. De vraies âmes sœurs, en somme.
Je suis ramené à la réalité par le cri étranglé de ma demoiselle rousse, qui se jette sur moi sans se soucier le moins du monde de mon état de faiblesse. Je manque de tomber à la renverse, l'emportant avec moi, mais heureusement je ne fais que chanceler. Elle m'étreint du plus fort qu'elle peut, scandant des paroles inquiètes, et ne cesse de tâter mon corps à la recherche d'une éventuelle blessure.
— Ciel... S'il te plaît, Ciel, tu me fais mal...
— Yanos, tu vas bien ? J'ai eu peur, tellement peur, en te voyant te transformer, tu souffrais tellement, et je n'ai rien pu faire !
— Mais je pleure pas, Ciel, ne pleure pas... C'est fini...., tenté-je de la rassurer.
— C'est ma faute, tout est ma faute, pardonne-moi ! Je suis désolée, tellement désolée...
— Mais non, ce n'est pas ta faute, qu'est-ce que tu es encore allée te fourrer dans le crâne ? Ce n'est la faute à personne ! À personne, tu m'entends ?
Raté, mes mots ne font qu'accentuer sa détresse. Elle me serre de toutes ses forces, et appuie malencontreusement sur mes bleus en tenant mon dos.
— Lâche-moi ! je m'écrie un peu plus fort que je ne l'aurais voulu.
L'effet est immédiat, elle s'éloigne en me dévisageant avec un air horrifié. Je détourne les yeux, un peu honteux de m'être laissé aller par mon impulsivité. Mais depuis ce fichu lien de la Lune, je ne suis plus vraiment maître de mes émotions. Heureusement, je conserve quand même une certaine part d'intimité et de liberté, aussi minime soit-elle. Mais, il est vrai, l'ancien Yanos n'aurait pas agi de la sorte. Jamais il n'aurait élevé la voix sur Ciel pour si peu.
Mais maintenant...
J'ai bien changé, en si peu de temps. Je suis devenu beaucoup plus imprévisible et à fleur de peau, m'énervant pour un rien. Ma force physique s'est décuplée, mes sens, surtout l'odorat et l'ouïe, se sont aiguisés et, plus que tout, un étrange tatouage est apparu sur le dos de ma main. Il représente exactement la même chose que mon pendentif, à savoir un dragon, mais sur ma peau se trouve également un croissant de lune, dissimulé dans la courbe de la queue de la bête. Mes autres congénères ne possèdent pas cette étrange marque, qui n'a d'ailleurs pas manqué d'attirer l'attention de l'Alpha, qui ne s'est pas gêné pour me faire remarquer que j'étais décidément un drôle de loup.
Et il a raison ; je suis un drôle de loup.
Malgré mon niveau au plus bas dans l'échelle de la meute, et la transformation qui s'annonçait banale, je suis resté mystérieusement très lucide et conscient, quoiqu'un peu irritable sur les bords. Normalement, j'aurais dû devenir un véritable loup sanguinaire, incapable de parler ou d'adopter une attitude autre qu'animale. Pourtant, j'ai parlé, j'ai réfléchi, j'ai décidé. J'étais aussi humain que mon Alpha, alors que je suis le petit nouveau, le novice dont les autres se moquent, l'apprenti qui ne sait rien de la vie de lycanthrope.
En parlant d'Alpha, celui-ci arrive, le torse aussi dénudé que moi. J'ai découvert que notre sang de loup nous rend insensible au froid, et par conséquent, nous avons presque souvent trop chaud. Nous voilà donc tous à moitié nus, évitant de rester trop longtemps sous l'œil cuisant du soleil.
— Vous êtes en retard, dit simplement mon chef au trio qui vient d'arriver. Nous commencions à nous poser des questions.
— Petit souci de... temps, répond Ciel en jetant un regard furtif vers Adrian.
Je devine que quelque chose s'est passé entre eux, et je n'ai vraiment pas envie de savoir, alors je suis soulagé quand l'Alpha change de sujet.
— Au fait, je n'ai pas vraiment eu le temps de plus me présenter... ou plutôt, le loisir. Je m'appelle Ophiucus Serpentaire.
Il tend sa grande main bronzée à Ciel, qui la serre timidement, puis Ophiucus fait de même avec les deux autres. Je décèle une légère crispation quand vient le tour d'Adrian : apparemment, le baptême de l'air n'a pas plu à mon chef, et lui est resté en travers de la gorge.
— Adrian Michael, prince de ce royaume. Voici Milène, notre magicienne, et Ciel, ma compagne. Mais vous savez déjà qui elle est...
Compagne ? Le mot me reste en travers de la gorge. Je savais déjà qu'ils s'aimaient, et que je ne pouvais pas changer la donne, mais que ce soit ainsi exhibé devant tous et déclaré de but en blanc me déplaît. Comme si... ça rendait les choses plus sérieuses. Plus profondes.
— J'ai la carte de notre trajet et notre destination, dit Ciel. J'aimerais voir avec vous ce qu'il en est.
— Très bien. Allons un peu à l'écart. Votre altesse, vous prendrez la peine de venir ? demande Ophiucus avec un sourire quelque peu forcé.
C'est ainsi que je me retrouve seul avec la belle Milène, torse nu, ne sachant pas quoi dire. Finalement, c'est elle qui rompt le silence.
— Tu as encore mal ?
— Oui. J'ai beaucoup de bleus et de courbatures, mais les autres disent que ça va passer, et qu'on s'y habitue.
— Je peux peut-être... t'aider ? dit-elle timidement en lorgnant sur mes muscles dévoilés.
— Je ne pense pas... Je veux dire, je ne vois pas ce que tu pourrais faire...
— Aurais-tu oublié que tu as affaire à une magicienne ? demande-t-elle avec un sourire malicieux qui ne manque pas de faire bondir mon cœur.
Zut, elle est vraiment craquante, lorsqu'elle me regarde comme ça !
— Pardonnez-moi, douce fleur, si j'ai heurté votre honneur, plaisanté-je en retour. Mais peut-être que madame la magicienne serait plus à l'aise à l'ombre ? Le soleil tape fort en ces jours.
Douce fleur ? J'ai vraiment dit ça ? Je ne m'en suis même pas rendu compte, subjugué par deux orbes verts qui me dévorent du regard. Elle ne relève pas, et n'en semble même pas gênée, puisqu'elle me suit jusqu'au pied d'un arbre, protégés par le feuillage touffu et accueillis par une confortable mousse qui recouvre le sol.
Je m'assieds en prenant garde à ne pas me froisser quoi que ce soit, et ma jolie blonde me rejoint contre le tronc une poignée de secondes plus tard. Ses yeux sont toujours aussi espiègles, comme si quelque chose l'amusait, ou qu'elle préparait un mauvais coup.
— Mets-toi dos à moi, ordonne-t-elle.
J'obéis et me retourne, lui offrant sûrement une magnifique vue parsemée de tâches bleues et vertes, de griffures, et peut-être même d'une trace de dents quelconque.
Elle marmonne quelques mots inintelligibles, et aussitôt, une douce chaleur recouvre ma peau, et comme un baume, s'infiltre à l'intérieur. Mes douleurs s'apaisent, une à une, quand je sens soudain deux petites mains fraîches se poser sur mes épaules et masser timidement mes tensions.
— Vas-y franchement, lui dis-je en fermant les yeux, savourant l'agréable sensation de la magie couplée au massage inattendu.
Elle pétrit plus fort ma chair, insiste sur les endroits crispés, remonte jusqu'à ma nuque, puis descend doucement le long de mon dos. Bientôt, je finis le ventre par terre, la tête dans les bras, subissant la merveilleuse torture de ses mains qui palpent, frictionnent et malaxent jusqu'à que je me détende complètement. Elle s'est assise sur l'arrière de mes cuisses, si bien que je ne peux pas voir son visage à moins de me contorsionner le cou. J'entends juste sa voix, qui parfois raconte quelques anecdotes sans importance, et j'imagine le mouvement de ses lèvres alors qu'elle parle. Je rougis quand je me rends compte que j'ai laissé mes pensées un peu trop vagabonder, et que je me voyais en train de goûter et embrasser cette bouche qui s'adresse à moi.
— Milène..., l'interpelé-je. Milène, j'aimerais me redresser.
— Oh, oui, pardon..., s'excuse-t-elle en quittant mes jambes, me laissant une sensation de froid et de vide.
Je pousse sur mes bras pour me remettre en position assise, à côté de ma magicienne, qui a ramené ses genoux contre elle et qui a perdu ses yeux verts au loin.
— Merci, c'était... Ça fait du bien.
— Contente de te plai... Que ça t'ait plu, se reprend-elle en détournant la tête.
— Y a pas que tes mains qui me plaisent, lâché-je sans me rendre compte de mes paroles.
Je me mords immédiatement les lèvres. Mince, qu'est-ce qui m'a pris de dire ça ? Je viens de rendre l'atmosphère affreusement gênante. Surtout que je ne suis pas du tout sûr qu'elle nourrisse le même début d'attirance que moi.
— Pardon, dis-je précipitamment.
— Je crois que je devrais y aller, marmonne-t-elle en amorçant un geste pour se lever.
— Non, attends, Mimi, s'il te plaît...
— Mimi ?
Elle me jette un regard étonné, avant de laisser éclore un petit sourire sur ses lèvres aussi roses que je les avais imaginées. Je tends les bras vers elle, invitation à une étreinte, et elle y répond finalement au bout d'une seconde d'hésitation. Son petit corps se love dans le mien, sa tête se repose sur mon épaule, et le parfum floral de ses cheveux me monte au nez pour s'inscrire dans mon esprit.
Presque malgré moi, mes lèvres trouvent leur chemin vers son front, et y déposent un baiser comme je le fais avec Ciel, entre sa peau et la racine de sa crinière. Elle soupire et, finalement, relève le menton pour approcher nos deux visages.
Je me laisse aller et l'embrasse avec toute la tendresse dont je suis capable, comme si je touchais un pétale fragile. J'essaye de faire le vide dans ma tête pour simplement apprécier le moment, et apprécier la délicatesse de sa peau qui est encore plus veloutée que dans mes songes. Elle se cale encore plus contre moi, sans pour autant essayer de me toucher ou de m'atteindre. Comme moi, elle ne se concentre que sur cette bulle tellement calme et agréable dans laquelle nous nous sommes enfermés. Isolés du reste, je ne soupçonne pas le moins du monde le regard fier et ému de Ciel au loin, avant qu'elle-même n'unisse sa bouche à celle d'Adrian, trop joyeuse de voir un peu de bonheur régner après toutes ces souffrances.
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