48. Plan d'attaque et négociations

Mais pourquoi est-ce que j'ai accepté ce stupide plan ?

Tapie dans l'ombre, éclairée par la seule lumière de la lune, j'observe en silence la meute non loin devant moi qui s'active sans se douter de ma présence, me maudissant encore une fois intérieurement.

Je sais qu'Adrian est plus à ma droite, accompagné d'Obscurité, et que Milène et Clarté sont cachées à ma gauche.

C'est dangereux. C'est la pire idée que nous n'ayons jamais eue. Pourquoi j'ai accepté ?

L'astre blanc se dresse dans toute sa splendeur dans la nuit profonde. Ce soir est celui des loups ; et c'est aussi celui où nous allons enfin agir.

C'est pour bientôt, je le sens. Nous regardons le groupe au pendentif s'agiter, cacher leurs chevaux et leurs provisions, enterrer leurs sacs et leurs vêtements, en bref, se préparer à leur transformation. Un feu mourant rougeoie au milieu de la clairière dans laquelle ils se sont installés, et l'un d'entre eux, dans un geste rageur, écrase les dernières braises.

— Ils deviennent impulsifs et colériques, souffle Adrian.

Et il a raison : les lycanthropes s'agitent de plus en plus, excités. Ils n'ont plus rien à faire à part attendre. Attendre de devenir loups. L'ambiance est électrique, et je réprime un grognement de mécontentement. Pourquoi j'ai accepté ?

Je me concentre sur Yanos, qui s'est penché en avant, mains sur les genoux. Au vu des mouvements de sa poitrine, il est essoufflé et tente difficilement de se maîtriser.

Les plus bas dans la hiérarchie de la meute sont les premiers à gémir et crier de douleur. Mon ex-garde – et ex-ami, pensé-je à contrecœur – est totalement crispé et a fermé les yeux. J'entends presque ses dents crisser tant il s'efforce de ne pas se laisser faire par la souffrance.

Adrian m'a expliqué plus en détail le fonctionnement des loups-garous. Les membres d'une meute sont soudés par ce qu'on appelle le lien de la Lune, qui les relie à l'Alpha et les empêche d'intégrer un autre groupe. C'est comme une trace, ou une odeur, que le loup-garou porte sur lui, et reconnaissable entre toutes – du moins, pour les créatures de cette espèce.

Et pour ce qui est de la transformation, les rares témoignages existants relatent d'une douleur atroce, surhumaine, qui mène à un état mental de folie proche de la mort – malheureusement cette délivrance ne leur est pas accordée, et ils doivent supporter la sensation de leurs os qui se brisent un par un et se ressoudent jusqu'à devenir un squelette animal dans la plus totale impuissance. Bien évidemment, seul l'Alpha peut jouir d'une transformation rapide et indolore. Ce qui veut dire que Yanos, étant au plus bas de l'échelle de sa nouvelle meute, va connaître la pire nuit de son existence...

Je me sens nerveuse de le voir ainsi lutter. Toute colère envers lui a disparu, et seule l'envie furieuse mais impossible de l'aider me colle au cœur. Soudain, un grand craquement sinistre à glacer le sang transperce le froid du soir. Yanos tombe à terre dans un hurlement qui me pétrifie. Son dos est bizarrement bossu ; serait-ce une côte brisée ? Je ne veux même pas le savoir.

Crac ! Un autre cri. C'était son bras, désormais plié à l'envers. Je prends sur moi pour ne pas détourner les yeux, horrifiée, retenant non sans peine une exclamation choquée.

D'autres s'écroulent aussi, leurs os se modifiant dans leur corps meurtri. Je cherche des yeux l'Alpha, le seul qui ne semble pas souffrir. Je le repère un peu à l'écart, seul, assis sur un tronc couché. Il observe sa meute dans l'ombre d'un arbre, veillant au bon déroulement de la pleine lune.

Reportant mon attention sur Yanos, je le vois allongé, face contre terre, n'ayant même plus la force d'expulser son supplice, ni même de reprendre sa respiration. La douleur le terrasse sans relâche, et j'amorce malgré moi un mouvement pour aller le rejoindre. Heureusement, Adrian, qui s'est doucement rapproché, me retient en m'agrippant le bras.

— Tu ne peux rien faire..., chuchote-t-il, l'air tout aussi affligé que moi.

— C'est trop dur de le regarder dans cet état. Peut-être qu'avec un peu de magie... ?

— Non, rien ne marche. C'est de la magie très ancienne, conçue spécialement pour ne pas être déjouée. Il n'y a aucun moyen d'atténuer... ça. Et puis, tu risquerais de trahir notre présence.

— Tiens-moi la main, supplié-je.

Il le fait sans rien dire – il comprend très bien mon besoin de m'accrocher à quelque chose, de conserver une réalité pour ne pas sombrer dans les tourments de mon esprit. Jamais je n'aurais cru que voir quelqu'un souffrir soit aussi difficile.

Les doigts chauds et calleux de mon prince rencontrent les miens, et je les serre très fort, espérant ne pas lui faire mal, lui aussi. Je suis tellement fatiguée de sans cesse blesser les autres. Et me blesser moi-même par la même occasion.

Combien de temps a duré ce calvaire ? Des minutes ? Des heures ? Je ne sais plus. Yanos est lentement devenu un loup, un énorme loup, aux poils aussi noirs que ses cheveux, et l'allure menaçante. L'Alpha est le dernier à s'être métamorphosé, aussi rapidement qu'un battement de paupière, devenant un canidé gris et blanc dégageant une sorte de respect naturel assez intimidant.

La meute est enfin au complet. Le plan peut commencer.

Quand j'observe les mouvements bestiaux de Yanos – ou plutôt, de ce qu'il est devenu –, je peux facilement voir qu'en effet, il a perdu toute notion de raison. Il n'est qu'un animal, un animal enragé et dangereux. Il crache, hurle, aboie, griffe, mord et feule sans cesse sur quiconque ose l'approcher.

Jamais je n'aurais dû accepter ce plan.

— C'est le moment, déclare Adrian à voix basse. À trois, on y va. Un... deux... TROIS !

D'un même mouvement, nous surgissons tous les cinq de notre cachette et nous ruons sur le groupe. Adrian et moi nous transformons immédiatement, Milène lance un sort de protection et de puissance sur elle-même qui lui donne un drôle d'aura bleu, et Clarté et Obscurité se contentent de nous suivre, ne nécessitant aucune aide, étant déjà immortelles et intouchables. Nous nous ruons vers l'Alpha, qui, abasourdi par la surprise, ne bouge plus d'un poil. Ni une, ni deux, Adrian bat des ailes afin de raser le sol, et attrape le loup gris par les flancs avant de prendre de l'altitude. Milène se hâte de tracer un cercle d'enfermement – un sort que Clarté lui a appris – autour de la clairière, tandis que je la suis pour la protéger des loups qui tentent de nous attaquer. Adrian, flottant dans l'encre de la nuit, redescend doucement vers nous, tout en portant l'Alpha hurlant et gigotant.

Le plan consistait à simplement prendre le dessus sur les loups, afin d'avoir une discussion avec eux, en espérant qu'ils veuillent communiquer, puis de les convaincre de notre innocence. De ce fait, peut-être accepteraient-t-il au moins d'arrêter d'essayer de nous tuer, et dans le meilleur des cas, de nous rendre Yanos en brisant le lien de la Lune.

Ainsi, enfermés grâce au sort de Milène, désemparés et vulnérables en raison du court kidnapping de l'Alpha, et intimidés par la présence de deux éléments bruts, ils n'ont pas d'autre choix que de se plier à nous.

Adrian, étant arrivé à terre, repose le loup délicatement, ce dernier qui lui grogne férocement dessus sans pour autant oser le combattre. C'est donc la queue entre les pattes qu'il rejoint le reste de la meute, regroupés face à nous, feulant et couinant, sans savoir quoi faire.

— Bien ! Maintenant que les chiens sont dressés, nous allons pouvoir passer aux choses sérieuses ! s'exclame Obscurité avec son sourire refroidissant.

— On ne vous veut pas de mal, continue Milène. Nous ne sommes pas une menace.

— Mensonges ! gronde la voix animale mais claire de l'Alpha, babines retroussées.

Voir un loup parler me surprend un peu, mais je reprends rapidement contenance. Nous ne devons pas paraître hésitants.

— Nous voulons juste récupérer Yanos, explique Adrian, ayant repris sa forme humaine.

— Yanos... Loup... Yanos... Place avec les loups..., feule un autre, beaucoup moins à l'aise avec les mots.

— Sa place est avec nous ! riposté-je. C'est pour ça que nous avons besoin de vous. Sans vous, il mourra. Nous sommes là pour vous convaincre que nous n'avons pas l'intention de vous attaquer.

— Vous avez tué deux de mes loups ! crache l'Alpha en s'approchant d'un pas.

— Ils ont attaqué en premier. C'était de la défense !

— Yanos... Dans la meute ! s'exclame une voix déformée par la lycanthropie.

Un autre membre s'avance, et je reconnais dans ses yeux verts Yanos, dents à découvert, avec une étrange lueur malsaine dans le regard qui me fait frissonner. C'est si peu habituel de le voir ainsi...

— Yanos ? Yanos, ta place est avec nous..., dit la magicienne, beaucoup moins sûre d'elle.

— NON ! Yanos... Dans la meute, crache-t-il, ses poils s'hérissant.

— Laissez-nous nous expliquer, rétorque Adrian avec mesure. C'est tout ce que nous vous demandons.

L'Alpha nous jauge un à un du regard, s'attardant néanmoins moins longtemps sur Obscurité, puis ouvre sa gueule pour dire d'un ton sec :

— Je vous écoute.

— Je suis l'élue des légendes, lâché-je. Je m'appelle Ciel Hyrill, et je suis descendante de la lignée Skymoon.

— Alors c'est toi, la fille de la prophétie, marmonne l'Alpha en faisant des aller-retours devant nous.

— C'est moi. Vous savez donc que je suis chargée de ramener la magie dans le monde, et pour ça, on a besoin de trouver une page manquante dans un grimoire. Et nous avons découvert qu'une autre lignée Skymoon vit en Russie, et nous sommes partis il y a déjà quelques semaines pour les retrouver. Nous nous sommes fait attaquer dès le premier soir : un aubergiste a tenté de me poignarder. Pourtant la magie n'est pas dangereuse, et je ne veux pas l'utiliser à mauvais escient. Je dois simplement accomplir la prophétie, que je le veuille ou non.

— Alors que fait l'élément de l'Obscurité avec toi ? accuse-t-il en jetant un œil mauvais à l'intéressée.

— Elle nous aide. Elle protège le prince, juste ici, qui est son représentant.

— Et Ciel est ma représentante, continue Clarté. Nous essayons juste de protéger nos enfants. Ils doivent accomplir la prophétie, et nous sommes là pour veiller à que tout se déroule sans trop d'incidents.

— Pourquoi voulez-vous récupérer Yanos ? Il sera plus à sa place dans notre meute qu'avec vous.

— C'est notre ami ! justifie Milène, avant de s'interrompre, comprenant que ce n'est certainement pas l'excuse la plus valable.

— Parce que nous avons besoin de lui. Il joue un rôle dans la prophétie, dit Adrian.

L'Alpha nous considère quelques secondes, méfiant. Puis il lance la question tant redoutée :

— Pourquoi vous aiderais-je ? Je n'ai rien à gagner. Je perdrais encore un loup de ma meute.

— C'est là que je fais une entrée en scène dramatique et inoubliable, soupire Obscurité, s'avançant en rejetant ses longs cheveux noirs sur ses ailes.

Elle impose sa présence destructrice avec un malin plaisir, souriant de voir les loups trembler. Elle se délecte de la peur qu'elle créée, puis s'explique au chef, le seul qui semble garder un peu de contenance face à la prêtresse du mal.

— Ce que vous y gagnez, petits chiots capricieux, c'est une plus grande meute. Réfléchissez un peu, si la magie revient, les loups-garous se feront plus nombreux. Et moi, Obscurité, élément du mal et des ténèbres, te donne ma parole – si tu acceptes – de te nommer mon représentant. Cela te confèrera évidemment une plus grande puissance, un plus grand prestige et un respect inégalé.

L'Alpha s'arrête, les yeux brillants d'un brusque intérêt. Alors comme ça, le toutou est avide de pouvoir ? Intéressant.

— Qu'attendez-vous exactement de nous ?

— Déjà, arrêtez de vouloir nous zigouiller, lâche Obscurité.

— Faites équipe avec nous, jusqu'à ce que nous trouvions ce que nous cherchons, corrige Clarté. Yanos ne peut survivre sans Alpha, il a besoin de rester dans votre meute, jusqu'à ce qu'il y ait assez de loups-garous pour qu'il en intègre une autre. Ou qu'il devienne Alpha a son tour... Une fois notre tâche accomplie, nous tiendrons nos promesses, et en échange, vous briserez le lien de la Lune.

Un silence, un des plus stressants que je n'ai jamais eu à supporter, s'abat sous le regard doux et bienveillant de la pleine lune. Tous nos espoirs reposent sur l'Alpha. S'il accepte, nous aurons une chance d'accomplir la prophétie sans dégâts. Mais s'il refuse...

Je n'ose même pas y penser.

Le loup gris ouvre la gueule et lance de sa voix rauque, une mauvaise lumière malicieuse dans les yeux :

— Et si nous laissions décider Yanos ? Après tout, il est le premier concerné.

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